Date : 20180209
Dossier : A-166-17
Référence : 2018 CAF 36
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
|
LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
LE JUGE LASKIN
|
ENTRE :
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LES GOUVERNEURS DE LA UNIVERSITY OF ALBERTA |
appelants
|
et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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intimé
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Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 4 décembre 2017.
Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 9 février 2018.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE NEAR
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE LASKIN
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Date : 20180209
Dossier : A-166-17
Référence : 2018 CAF 36
[TRADUCTION FRANÇAISE]
CORAM :
|
LE JUGE WEBB
LE JUGE NEAR
LE JUGE LASKIN
|
ENTRE :
|
LES GOUVERNEURS DE LA UNIVERSITY OF ALBERTA |
appelants
|
et
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
intimé
|
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE NEAR
I.
Aperçu
[1]
Les appelants, à savoir les gouverneurs de la University of Alberta et les Alberta Health Services, interjettent appel d’une décision du juge Russell de la Cour fédérale, datée du 24 avril 2017 (University of Alberta c. Canada (Procureur général), 2017 CF 402). La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire interjetée par les appelants à l’encontre de trois décisions prises par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) au nom du commissaire aux brevets.
II.
Faits
[2]
Le 1er février 2013, des agents ont déposé une demande de brevet auprès de l’OPIC. Les demandeurs de brevet étaient TEC Edmonton et les Alberta Health Services, et trois inventeurs étaient mentionnés dans la demande de brevet. Cette dernière ne comprenait pas de déclaration selon laquelle les demandeurs de brevet étaient les représentants légaux des inventeurs, tel que l’exige l’alinéa 37(2)a) des Règles sur les brevets, DORS/96-423.
[3]
Le 15 février 2013, le commissaire a exigé par voie de lettre que la demande de brevet soit conforme à l’article 37 des Règles sur les brevets dans le délai prescrit, en l’occurrence, 12 mois à compter de la date de dépôt. Cette lettre rappelait aux agents que l’inaction emporterait l’abandon de la demande de brevet, conformément à l’article 73 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4.
[4]
Le 31 mars 2014, le commissaire a envoyé un avis d’abandon aux agents, portant que la demande de brevet était considérée comme abandonnée en date du 3 février 2014. L’avis précisait qu’elle pouvait être rétablie en application du paragraphe 73(3) de la Loi sur les brevets si les demandeurs de brevet corrigeaient l’erreur dans les 12 mois suivant l’abandon.
[5]
En juin 2014, l’un des détenteurs initiaux des droits, TEC Edmonton, a cédé ses droits relatifs à la demande de brevet aux administrateurs de la University of Alberta.
[6]
Le 3 février 2015, le délai de 12 mois pour le rétablissement de la demande de brevet était écoulé, et la demande est devenue caduque.
[7]
Le 21 janvier 2016, les appelants ont appris que la demande de brevet était considérée comme caduque. Ils ont demandé au commissaire de corriger ses dossiers dans une lettre datée du 1er février 2016.
III.
Lettres du commissaire
[8]
Le 3 février 2016, le commissaire explique dans une lettre aux appelants qu’il ne peut rétablir la demande de brevet puisque le délai de rétablissement est écoulé (lettre du 3 février 2016). Dans une autre lettre, le 4 février 2016, le commissaire explique qu’il ne peut appliquer le paiement au titre de taxes de maintien en état versé par les appelants, expliquant de nouveau que le délai de rétablissement est écoulé (lettre du 4 février 2016). Enfin, le 17 mai 2016, le commissaire explique qu’il ne peut non plus devancer la date d’examen comme l’ont demandé les appelants au motif que le délai de rétablissement est écoulé (lettre du 17 mai 2016). Le 18 février 2016, les appelants présentent une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale, en vue d’obtenir notamment un jugement déclaratoire portant que la demande de brevet est conforme à l’article 37 des Règles sur les brevets, et modifieront ultérieurement l’avis de demande de sorte d’y adjoindre les décisions communiquées dans les lettres du 4 février 2016 et du 17 mai 2016. Ils attaquent également la lettre du 3 février 2016.
IV. Décision de la Cour fédérale
[9]
La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par les appelants. Elle a conclu que les appelants sollicitaient en réalité le contrôle judiciaire de la requête qui leur avait été communiquée le 15 février 2013 (motifs, par. 54). Par conséquent, le délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire était écoulé, et la décision n’était pas susceptible de contrôle. En outre, elle a conclu que le commissaire n’était pas habilité à agir en l’espèce puisqu’en droit, la Loi sur les brevets ne permet pas le rétablissement d’une demande de brevet devenue caduque. Ainsi, il n’y avait aucune décision discrétionnaire du commissaire susceptible de contrôle.
[10]
Les appelants ont déposé un avis d’appel à la Cour le 23 mai 2017.
V. Questions en litige
[11]
J’énoncerais ainsi les questions en litige :
- La Cour fédérale a-t-elle conclu à tort que les appelants sollicitaient le contrôle judiciaire de la requête du commissaire communiquée dans sa lettre du 15 février 2013?
- Le commissaire a-t-il commis une erreur en refusant de rétablir la demande de brevet (lettre du 3 février 2016), d’appliquer le paiement au titre des taxes pour le maintien en état (lettre du 4 février 2016) et de devancer la date d’examen de la demande de brevet (lettre du 17 mai 2016)?
VI. Discussion
A.
La Cour fédérale a-t-elle conclu à tort que les appelants sollicitaient le contrôle judiciaire de la requête du commissaire communiquée dans sa lettre du 15 février 2013?
[12]
La norme de contrôle applicable en appel de décisions de la Cour fédérale sur les questions préliminaires liées aux demandes de contrôle judiciaire est la norme établie pour les appels dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235. La question préliminaire de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la décision faisant l’objet du contrôle était en fait la requête est une question mixte de fait et de droit. Pour ce motif, j’examine la décision de la Cour fédérale sur la question préliminaire à la lumière de la norme de l’erreur manifeste et dominante.
[13]
La Cour fédérale a conclu que le véritable dessein des appelants était de demander le contrôle de la requête du 15 février 2013, et que le délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire de cette décision était écoulé. Par conséquent, cette décision n’était pas susceptible de contrôle. Je ne suis pas d’accord pour dire que les appelants cherchaient à obtenir le contrôle de la requête.
[14]
Selon moi, la requête ne découlait pas d’une décision discrétionnaire et, de ce fait, était à l’abri du contrôle judiciaire. Elle se voulait plutôt un avis de non-conformité à l’article 37 des Règles sur les brevets. Elle ne représentait pas une décision jugeant la demande de brevet abandonnée, puisqu’un dispositif permettait aux appelants de corriger l’erreur dans la demande de brevet. Il n’y avait pas lieu pour les demandeurs d’en demander le contrôle judiciaire, puisqu’elle les informait simplement que la demande de brevet serait considérée comme abandonnée s’ils ne corrigeaient pas l’erreur; elle ne consistait pas, en soi, en une décision.
[15]
Selon moi, la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que le contrôle portait sur la requête. Ainsi, je procède au contrôle sur le fond des décisions communiquées dans les lettres du 3 février 2016, du 4 février 2016 et du 17 mai 2016.
B.
Le commissaire a-t-il commis une erreur en refusant de rétablir la demande de brevet (lettre du 3 février 2016), d’appliquer le paiement au titre des taxes de maintien en état (lettre du 4 février 2016) et de devancer la date d’examen de la demande de brevet (lettre du 17 mai 2016)?
[16]
La Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable à l’interprétation par le commissaire de la Loi sur les brevets et des Règles sur les brevets est celle de la décision raisonnable. Or, il n’est pas nécessaire, en l’espèce, de décider si c’est bel et bien le cas.
[17]
L’article 97 des Règles sur les brevets prévoit qu’une demande de brevet est considérée comme abandonnée si le demandeur de brevet omet de répondre de bonne foi à toute exigence du commissaire visée à l’article 37 ou aux articles 23, 35 ou 94 des Règles :
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Une fois la demande de brevet considérée comme abandonnée, les demandeurs de brevet disposent d’une période prescrite — en l’occurrence 12 mois à compter de la date à laquelle la demande de brevet est considérée comme abandonnée — pour corriger l’erreur qui a mené à l’abandon et demander le rétablissement de la demande. Si l’erreur n’est pas corrigée, la demande est caduque — c’est-à-dire qu’elle ne peut être rétablie — par application de la loi.
[18]
L’article 97 des Règles prévoit deux conditions pour qu’une demande de brevet soit considérée comme abandonnée : 1) le commissaire doit envoyer la requête visée aux articles 23, 25, 37 ou 94 des Règles et 2) le demandeur de brevet ne doit pas y répondre de bonne foi.
[19]
Pour ce qui est de la première condition, la demande de brevet n’était pas conforme aux exigences de l’alinéa 37(2)a) des Règles sur les brevets puisqu’elle n’indiquait pas que les demandeurs de brevet étaient les représentants légaux des inventeurs. Le paragraphe 37(2) des Règles est ainsi rédigé :
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Ainsi, le commissaire a envoyé un avis aux demandeurs, afin que la demande de brevet soit conforme à l’alinéa 37(2)a), en vertu du paragraphe 37(4) des Règles, ainsi rédigé :
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[20]
Les appelants affirment que le commissaire devait aussi envoyer une requête en application de l’article 94 des Règles, ce qu’il n’a pas fait. Ainsi, selon eux, la décision de considérer la demande comme abandonnée était invalide. Je ne suis pas de cet avis.
[21]
L’article 97 des Règles prévoit que « la demande est considérée comme abandonnée si le demandeur omet de répondre de bonne foi à toute exigence du commissaire visée aux articles 23, 25, 37 ou 94 »
(non souligné dans l’original). L’article 97 renvoie aux articles « 23, 25, 37 ou 94 »
et, de ce fait, laisse entendre que divers moyens permettent de présumer un abandon. Rien dans le libellé de l’article 97 ne permet de penser que la requête visée à l’article 94 prévaut sur celle visée à l’article 37 ou que l’article 97 ne s’applique que si des requêtes sont envoyées au titre des deux articles, soit 37 et 94. En outre, rien dans le libellé de l’article 97 ne laisse entendre qu’il est possible de faire fi de la requête visée à l’article 37 ou que cette dernière cesse d’avoir effet en droit si une requête n’est pas aussi envoyée au titre l’article 94.
[22]
Quant à la seconde condition, les appelants reconnaissent que les demandeurs de brevet n’ont pas obtempéré à la requête présentée en application de l’article 37 des Règles. Ils prétendent toutefois qu’en ne communiquant pas la requête visée à l’article 94, le commissaire avait décidé que les demandeurs s’étaient conformés à l’article 37. La requête du 15 février 2013 n’était donc pas autorisée ou ils y avaient répondu de bonne foi. Je ne suis pas d’accord.
[23]
Ayant conclu qu’il n’était pas impératif de communiquer la requête visée à l’article 94 des Règles, je suis donc d’avis que l’omission de communiquer pareille requête n’emporte pas que la demande de brevet était conforme à l’article 37. En effet, selon moi, l’omission ne saurait démontrer la bonne foi. Puisque les demandeurs de brevet n’ont pas répondu à la requête prévue à l’article 97 dans les délais impartis, leur demande a été considérée comme abandonnée par le jeu des dispositions de la Loi sur les brevets.
[24]
Aucun mécanisme de la Loi sur les brevets ou des Règles sur les brevets ne permet au commissaire de rétablir une demande de brevet une fois qu’elle est considérée comme abandonnée et que le délai de rétablissement est écoulé. Selon moi, le commissaire n’était pas habilité par la Loi sur les brevets à rétablir la demande de brevet à sa discrétion une fois qu’elle était considérée comme abandonnée et ne pouvait plus être rétablie (lettre du 3 février 2016). Les explications ultérieures selon lesquelles le commissaire ne pouvait traiter les taxes de maintien en état (lettre du 4 février 2016) ni devancer la date d’examen de la demande de brevet (lettre du 17 mai 2016) découlaient aussi de l’abandon réputé de la demande et de l’impossibilité de la rétablir par l’application de la loi. Par conséquent, rien ne permet à la Cour de modifier les décisions communiquées dans les trois lettres.
VII. Conclusion
[25]
Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens.
« David G. Near »
Juge
« Je suis d’accord.
Wyman W. Webb, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
J.B. Laskin, j.c.a. »
Traduction certifiée conforme
Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE L’HONORABLE JUGE RUSSELL DATÉE DU 24 AVRIL 2017, NO 2017 CF 402
DOSSIER :
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A-166-17
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INTITULÉ DE LA CAUSE :
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LES GOUVERNEURS DE LA UNIVERSITY OF ALBERTA et ALBERTA HEALTH SERVICES c. PGC
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Edmonton (Alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 4 décembre 2017
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LE JUGE NEAR
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Y ONT SOUSCRIT :
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LE JUGE WEBB
LE JUGE LASKIN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 9 FÉVRIER 2018
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COMPARUTIONS
Me Jordan Birenbaum
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Pour les appelants
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Me Robert Drummond
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Pour l’intimé
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
Lambert Intellectual Property law
Edmonton (Alberta)
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Pour les appelants
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Nathalie G. Drouin
Sous-procureure générale du Canada
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Pour l’intimé
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