Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20180301


Dossier : A-201-17

Référence : 2018 CAF 48

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

SANTOSH SHARMA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 8 janvier 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er mars 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

 


Date : 20180301


Dossier : A-201-17

Référence : 2018 CAF 48

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

LA JUGE WOODS

 

 

ENTRE :

SANTOSH SHARMA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, Santosh Sharma, sollicite le contrôle judiciaire de l’ordonnance du Tribunal de la sécurité sociale (division d’appel) datée du 24 mai 2017. La division d’appel a rejeté l’appel de la décision par laquelle le Tribunal de la sécurité sociale (division générale) a conclu que le demandeur ne souffre pas d’une invalidité grave.

II.  Contexte

[2]  Le demandeur a arrêté de travailler en raison de divers problèmes de santé, y compris l’apnée du sommeil, l’asthme, l’hypertension, le diabète, la dépression et une douleur chronique à la hanche et à la cheville. Il a présenté une demande de pension d’invalidité au titre du Régime de pension du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (la Loi). L’alinéa 42(2)a) de la Loi prévoit qu’une personne est invalide pour l’application de la Loi si l’invalidité est grave et prolongée :

Personne déclarée invalide

When person deemed disabled

42(2) Pour l’application de la présente loi :

42(2) For the purposes of this Act,

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

Le ministre de l’Emploi et du Développement social a rejeté la demande une première fois, puis lors du réexamen. Le demandeur a interjeté appel de la décision devant la division générale.

III.  Décision de la division générale

[3]  La division générale a conclu que le demandeur n’était pas admissible à une pension d’invalidité, car il n’avait pas établi qu’il souffrait d’une invalidité grave. Elle a expliqué que, comme la preuve n’avait pas établi selon la prépondérance des probabilités qu’il n’avait pas la capacité d’occuper un emploi sédentaire et non exigeant sur le plan physique, le demandeur était dans l’obligation de chercher un autre emploi, mais ne l’a pas fait. De plus, la division générale a expliqué que le demandeur n’a pas respecté son obligation de limiter le préjudice, puisqu’il n’a pas suivi les conseils de son médecin et n’a fourni aucune explication raisonnable à cet égard. Par conséquent, l’invalidité n’était pas grave. Le demandeur a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la division d’appel. La seule question à l’égard de laquelle l’autorisation d’interjeter appel a été accordée visait la question de savoir si la division générale avait appliqué le bon critère juridique pour évaluer la gravité de l’invalidité.

IV.  Décision de la division d’appel

[4]  La division d’appel a rejeté l’appel. Elle a conclu que la division générale n’avait pas appliqué le bon critère pour évaluer la gravité, puisqu’elle n’avait pas analysé la façon dont les caractéristiques personnelles du demandeur l’empêchaient d’occuper un emploi véritablement rémunérateur dans un contexte « réaliste », conformément à l’arrêt Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, [2002] 1 R.C.F. 130 (Villani). Cependant, elle a conclu que cette erreur était théorique, car la division générale a également conclu que le demandeur n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour suivre les conseils de son médecin afin d’améliorer son état et n’avait fourni aucune explication raisonnable à cet égard (Lalonde c. Canada, 2002 CAF 211). La division d’appel a précisé qu’elle ne devrait pas intervenir dans l’évaluation que la division générale a faite du caractère raisonnable du non‑respect, car cette question relève du juge des faits, et la division générale l’a déjà examinée.

[5]  Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour.

V.  Questions en litige

[6]  J’énoncerais ainsi les questions à trancher dans le présent contrôle judiciaire :

  1. Le demandeur peut‑il présenter de nouveaux éléments de preuve?
  2. La division générale a-t-elle violé le droit qu’assure l’équité procédurale au demandeur?
  3. La décision de la division d’appel était-elle raisonnable?

VI.  Discussion

A.  Le demandeur ne peut présenter de nouveaux éléments de preuve.

[7]  Le demandeur présente de nouveaux éléments de preuve, sous forme de plusieurs affidavits, en ce qui concerne ses compétences linguistiques, son expérience de travail et les motifs pour lesquels il n’a pas suivi les traitements recommandés. En général, une partie ne peut déposer de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117. Le rôle de notre Cour consiste à décider si la décision de la division d’appel était raisonnable au regard de la preuve dont elle disposait (Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294). Le défendeur soutient qu’un contrôle judiciaire ne devrait pas être une occasion de corriger les lacunes du témoignage du demandeur présenté à l’audience devant la division générale. Je suis d’accord.

[8]  Le principe interdisant le dépôt de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire respecte le rôle différent joué par les juridictions de révision et les tribunaux administratifs (Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, par. 16 (Access Copyright)). Le législateur a conféré au Tribunal de la sécurité sociale le pouvoir de décider des faits liés à l’état d’invalidité et à notre Cour le pouvoir d’examiner cette décision sur la foi des faits dont disposait le tribunal (Access Copyright, par. 17). Les trois exceptions reconnues qui permettent à une partie de présenter de nouveaux éléments de preuve dans une instance en contrôle judiciaire respectent ces divers rôles, comme doit le faire toute autre exception éventuelle. De nouveaux éléments de preuve peuvent être admis (1) lorsqu’ils contiennent des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, mais qui ne vont pas plus loin en fournissant de nouveaux éléments de preuve se rapportant au fond de la question, (2) lorsqu’ils font ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée, ou (3) lorsqu’ils portent à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif : Access Copyright, par. 20; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; Tsleil‑Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 116. Comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt Access Copyright, au paragraphe 20, « en fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif ».

[9]  Notre rôle consiste à examiner la décision de la division d’appel sur la foi des faits dont elle disposait. Il ne s’agit pas d’examiner de nouveaux éléments de preuve qui auraient dû être présentés à la division générale et à la division d’appel. Les nouveaux éléments de preuve en l’espèce ne fournissent pas d’informations générales, ne mettent pas en lumière l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée et ne font pas non plus état de vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve. Au final, les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur en l’espèce fournissent des renseignements supplémentaires qui étaient disponibles au moment de l’audience devant la division générale et qui portent sur le fond. Par conséquent, les nouveaux éléments de preuve sont inadmissibles et doivent donc être rayés du dossier.

B.  La division générale n’a pas violé le droit qu’assure l’équité procédurale au demandeur.

[10]  Il n’est pas nécessaire d’établir la norme de contrôle judiciaire applicable aux questions d’équité procédurale, car il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce, peu importe la norme de contrôle appliquée.

[11]  Le demandeur soutient qu’il y a eu manquement au droit que lui assure l’équité procédurale parce qu’il n’a pas eu la possibilité d’obtenir les services d’un interprète à l’audience devant la division générale. Je ne suis pas d’accord. Dans l’avis d’audience, la division générale a informé le demandeur qu’il pouvait demander les services d’un interprète. Le demandeur, représenté à l’audience tenue par la division générale par un parajuriste qui maîtrise la langue, a choisi de ne pas faire cette demande. Le demandeur a l’obligation de soulever toute question d’équité procédurale à la première occasion. Si le demandeur estimait que la division générale violait le droit que lui assure l’équité procédurale, son parajuriste aurait dû soulever cette question devant la division générale. Toutefois, c’est la première fois que le demandeur soulève cet argument et, à mon avis, il n’est pas loisible à notre Cour d’examiner cette question d’équité procédurale.

C.  La décision de la division d’appel selon laquelle le demandeur ne souffre pas d’une invalidité grave est raisonnable.

[12]  À mon avis, la question que notre Cour doit trancher n’est pas de savoir si la division d’appel a appliqué le bon critère juridique. Elle l’a fait. La question consiste plutôt à savoir si la division d’appel a correctement appliqué ce critère juridique. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit qui devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, par. 53, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir). Tant que la décision de la division d’appel est justifiable, transparente et intelligible et qu’elle « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », la Cour n’interviendra pas (Dunsmuir, par. 47).

[13]  Il n’appartient pas à notre Cour d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la division d’appel, qui a confirmé la conclusion de la division générale selon laquelle le demandeur n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour suivre les conseils de son médecin et que le défaut de le faire rend théorique toute analyse des caractéristiques personnelles du demandeur énoncées dans l’arrêt Villani. Cette conclusion était raisonnable compte tenu de la preuve qui lui avait été présentée. À mon sens, l’analyse permettant d’établir l’existence d’une invalidité grave au sens de l’alinéa 42(2)a) de la Loi nécessite une analyse tant des caractéristiques personnelles énoncées dans l’arrêt Villani que de l’obligation de limiter le préjudice énoncée dans l’arrêt Lalonde. S’il ne satisfait pas à l’un ou à l’autre de ces volets, le demandeur ne réussit pas à établir l’existence d’une invalidité grave.

[14]  La division d’appel a cité les paragraphes 72 et 73 de la décision de la division générale dans le cadre de laquelle la division générale a conclu que le demandeur n’avait pas fait d’efforts raisonnables pour suivre les conseils de son médecin parce qu’il n’avait pas utilisé son masque pour dormir conformément aux directives et qu’il avait quitté l’hôpital contre l’avis du médecin. La division d’appel a expliqué la démarche qu’elle a adoptée pour parvenir à ces conclusions au paragraphe 16 de sa décision :

[16] La division d’appel ne devrait pas réaliser sa propre évaluation afin de déterminer si la non-conformité de l’appelant aux instructions était raisonnable, étant donné que la division générale est chargée de déterminer s’il est raisonnable pour un appelant de ne pas suivre les traitements recommandés et d’évaluer l’incidence de ce refus sur leur invalidité. En l’espèce, je suis convaincue que la division générale a évalué s’il était raisonnable pour l’appelant de refuser de suivre les traitements recommandés, de même que l’incidence de son refus sur son invalidité.

[15]  À mon avis, puisque la division d’appel a conclu que le demandeur n’avait pas respecté son obligation de limiter le préjudice, il lui était raisonnable de conclure que toute erreur de la part de la division générale d’examiner adéquatement les caractéristiques personnelles énoncées dans l’arrêt Villani était une question théorique. Cette décision est raisonnable, à la lumière de la preuve dont disposait la division d’appel.

VII.  Conclusion

[16]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens de 250 $.

« David G. Near »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

David Stratas j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J. Woods j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE DE LA DÉCISION DE LA DIVISION D’APPEL DU TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DU CANADA, DATÉE DU 24 MAI 2017.

DOSSIER :

A-201-17

 

 

INTITULÉ :

SANTOSH SHARMA c. PGC

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 JANVIER 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE juge NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LA JUGE WOODS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER MARS 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Alissa N. Winicki

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Carole Vary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

RV Law

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.