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Date : 20180216


Dossier : A-257-17

Référence : 2018 CAF 41

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

YAHAAN, également connu sous le nom de DONALD WESLEY, en son nom et au nom de tous les membres de la TRIBU DES GITWILGYOOTS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, PACIFIC NORTHWEST LNG LIMITED PARTNERSHIP, BANDE INDIENNE DES LAX KW’ALAAMS, représentée par son maire, JOHN HELIN, et JOHN HELIN, en son nom et au nom de tous les autres membres des NEUF TRIBUS DE LAX KW’ALAAMS, IYOO’NS, également connu sous le nom de CARL SAMPSON ST., en son nom et au nom de tous les membres de la TRIBU DES GITWILGYOOTS, et LA BANDE METLAKATLA

intimés

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 16 février 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS


Date : 201802016


Dossier : A-257-17

Référence : 2018 CAF 41

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE WEBB

 

ENTRE :

YAHAAN, également connu sous le nom de DONALD WESLEY, en son nom et au nom de tous les membres de la TRIBU DES GITWILGYOOTS

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, PACIFIC NORTHWEST LNG LIMITED PARTNERSHIP, BANDE INDIENNE DES LAX KW’ALAAMS, représentée par son maire, JOHN HELIN, et JOHN HELIN, en son nom et au nom de tous les autres membres des NEUF TRIBUS DE LAX KW’ALAAMS, IYOO’NS, également connu sous le nom de CARL SAMPSON ST., en son nom et au nom de tous les membres de la TRIBU DES GITWILGYOOTS, et LA BANDE METLAKATLA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]  La Cour est saisie de deux requêtes, la première visant à obtenir le rejet de l’appel d’un jugement de la Cour fédérale publié sous l’intitulé Wesley c. Canada, 2017 CF 725, [2017] A.C.F. no 839 (motifs), et la deuxième visant à obtenir le sursis de l’appel. La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire des décisions autorisant la réalisation du projet de Pacific NorthWest LNG [gaz naturel liquéfié] (le projet), au motif que la personne ayant présenté la demande à titre de représentant, Yahaan (également connu sous le nom de Donald Wesley), n’avait pas satisfait aux exigences du paragraphe 114(1) des Règles des Cours fédérales, SOR/98-106 (les Règles), qui décrit les conditions à remplir par une personne qui souhaite agir à titre de représentant. Yahaan a porté en appel l’ordonnance de la Cour fédérale.

[2]  Les présentes requêtes découlent du fait que Pacific NorthWest LNG Limited Partnership (PNW), le promoteur, a annoncé qu’il ne donnerait pas suite au projet et a cessé ses activités liées au projet. Compte tenu de cette nouvelle situation, la bande indienne des Lax Kw’Alaams, représentée par son maire, John Helin, et John Helin, en son propre nom et au nom de tous les membres des neuf tribus de Lax Kw’Alaams, ont déposé une requête pour faire rejeter l’appel en raison de son caractère théorique puisqu’il n’y avait plus de litige réel entre les parties, étant donné que le projet avait pris fin. Le procureur général du Canada, en son nom et au nom de Sa Majesté la Reine, du ministre de l’Environnement et du Changement climatique et de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (les intimés fédéraux), a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance sursoyant à l’appel au motif que, comme l’approbation environnementale de la Colombie-Britannique prend fin seulement en novembre 2019, il se pourrait que le projet reprenne avant cette date. Selon le procureur général, ce fait milite en faveur d’un sursis plutôt que d’un rejet de l’appel jusqu’à l’expiration de l’approbation environnementale de la Colombie-Britannique, date à laquelle une décision pourra être prise quant à la question de savoir si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et donner suite à un appel qui est théorique.

[3]  Les présents motifs concernent les deux requêtes, mais des ordonnances distinctes seront rendues pour chacune des requêtes.

[4]  Yahaan s’oppose aux deux requêtes au motif que, puisque les approbations environnementales sont toujours en vigueur, le projet pourrait reprendre, ce qui signifie qu’il existe toujours un litige entre les parties. De plus, même si la Cour est d’avis que le projet ne se réalisera pas, Yahaan soutient que la demande doit être maintenue, puisqu’elle concerne le droit de la tribu des Gitwilgyoots d’être consultée par rapport aux décisions autorisant le projet. Quoi qu’il en soit, l’appel devrait être instruit puisque la décision de la Cour fédérale, à moins d’être annulée, établira un principe qui, selon Yahaan, aura un effet défavorable sur les droits des groupes autochtones qui revendiquent un droit indépendant d’être consultés. Enfin, Yahaan soutient que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’appel même si elle conclut qu’il est théorique.

[5]  Pour les motifs qui suivent, la requête visant le rejet de l’appel en raison de son caractère théorique sera accueillie et l’appel sera rejeté. La requête visant un sursis sera rejetée.

I.  LES FAITS

[6]  En 2013, PNW a présenté une demande sur le fondement de l’article 52 de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, dans laquelle elle demandait l’approbation de son projet d’installation de liquéfaction et d’exportation de gaz naturel (le projet), qui devait être située dans le district de Port Edward sur les terres et dans les eaux administrées par l’Administration portuaire de Prince Rupert. Puisqu’une évaluation environnementale était également requise conformément à l’Environmental Assessment Act, S.B.C. 2002, c. 43, de la Colombie-Britannique, l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) et le Bureau d’évaluation environnementale de la C.‑B. (le Bureau de la C.‑B.) ont collaboré pour effectuer leurs évaluations environnementales respectives jusqu’à la délivrance du certificat d’évaluation environnementale de la C.‑B. le 25 novembre 2014. L’Agence a ensuite poursuivi son évaluation. Le 27 septembre 2016, le processus d’approbation fédéral a pris fin :

  • ̶ l’Agence a terminé son rapport d’évaluation environnementale et l’a transmis au ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre);

  • ̶ le ministre a conclu que le projet était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants (les effets) et a renvoyé la question de savoir si les effets étaient justifiables dans les circonstances au gouverneur en conseil;

  • ̶ le gouverneur en conseil a jugé que les effets étaient justifiables dans les circonstances et a établi les conditions que le promoteur devait respecter pour pouvoir réaliser le projet (la déclaration).

[7]  Après que le gouverneur en conseil ait fait sa déclaration, d’autres travaux de conception ont été effectués en vue de réduire les coûts et de dissiper certaines préoccupations environnementales liées à Flora Bank, une question qui préoccupe les groupes autochtones et l’Agence. Ces travaux ont été entrepris dans le contexte d’une chute des prix de l’essence. Pas plus tard qu’en juin 2017, l’Agence a écrit à PNW pour lui proposer d’examiner conjointement les modifications qui pourraient être apportées à la conception du projet.

[8]  Dans l’intervalle, le 27 octobre 2016, Yahaan a présenté une demande de contrôle judiciaire visant les décisions par lesquelles les intimés fédéraux ont autorisé le projet. À titre de réparation, il sollicitait notamment une ordonnance annulant : a) l’évaluation environnementale; b) la décision du ministre de l’Environnement et du Changement climatique de renvoyer la question au gouverneur en conseil; et c) le décret par lequel le gouverneur en conseil a conclu que les effets étaient justifiables dans les circonstances.

[9]  Yahaan a présenté la demande de contrôle judiciaire à titre de représentant, conformément à l’article 114 des Règles, en son propre nom et au nom de tous les membres de la tribu des Gitwilgyoots, l’une des neuf tribus formant la Nation Coast Tsimshian. Dans l’avis de demande, il est indiqué que la Couronne a failli à son devoir de consultation avant d’approuver le projet parce qu’elle n’a pas consulté Yahaan au nom de la tribu des Gitwilgyoots, et que cette dernière a un droit indépendant d’être consultée. La bande des Lax Kw’alaams et Iyoo’ns (également connu sous le nom de Carl Sampson Sr.), au nom de la tribu des Gitwilgyoots, et la bande Metlakatla ont également été ajoutés à titre d’intimés, à leur demande. Ces intimés s’opposent à l’allégation de Yahaan selon laquelle il représente les Gitwilgyoots ainsi qu’à son allégation selon laquelle les Gitwilgyoots ont le droit d’être consultés de façon indépendante à l’extérieur du cadre usuel des consultations entre la Couronne fédérale et la Nation Tsimshian.

[10]  Les événements ayant donné lieu aux requêtes devant la Cour ont commencé le 25 juillet 2017, lorsque PNW a annoncé qu’elle ne donnerait pas suite au projet. Le même jour, PNW a écrit à l’Oil and Gas Commission de la C.‑B. et a rendu son permis d’exploitation de l’installation d’exportation de gaz naturel liquéfié. Le 26 septembre 2017, PNW a informé le Bureau de la C.‑B. que le projet ne serait pas mené à bien et qu’elle n’avait pas l’intention de se prévaloir de son certificat d’évaluation avant sa date d’expiration du 25 novembre 2019. Les 27 et 28 juillet 2017, PNW a avisé l’Administration portuaire de Prince Rupert qu’elle mettait fin à leur entente d’élaboration du projet. Le 28 juillet 2017, PNW, par l’entremise de son avocat, a avisé l’Agence qu’elle mettait fin au projet et qu’elle ne transférerait pas la propriété, le contrôle ni la gestion du projet, en tout ou en partie, à une partie quelconque. Au même moment, PNW a annoncé que tous ses employés seraient mis à pied le 29 septembre 2017.

[11]  Le 27 septembre 2017, dans le cadre d’une entente de règlement d’une demande de contrôle judiciaire connexe déposée par une autre Première Nation, PNW a convenu de ne pas donner suite au projet et de ne pas transférer, ni vendre ni céder ses droits prévus dans la déclaration du ministre de l’Environnement ni ses intérêts à l’égard de cette déclaration ou de toute autre autorité mentionnée à la page 2 de la déclaration.

[12]  Yahaan ne conteste pas cette séquence d’événements, mais est d’avis que, puisque le certificat d’évaluation environnementale de la C.B. et la déclaration demeurent en vigueur, il existe toujours un litige réel entre les parties.

II.  LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DE L’APPEL

[13]  La Cour fédérale était saisie de deux requêtes visant la même réparation. PNW et Kw’Alaams ont tous deux présenté une requête en annulation de la demande de Yahaan, car, bien qu’il ait allégué avoir présenté une demande à titre de représentant, il n’a pas satisfait aux conditions décrites dans le paragraphe 114(1) des Règles.

[14]  Avant de passer à cette question, je fais remarquer que le juge de la Cour fédérale a énoncé une partie du contexte de la question dont il était saisi, contexte qui aide à comprendre les faits du présent du litige :

D’entrée de jeu, il importe de souligner que la présente instance est la conséquence malheureuse d’un différend interne en matière de gouvernance entre certains groupes de la grande Nation Coast Tsimshian. Il semble que les dirigeants actuels des deux bandes intéressées, les Lax Kw’Alaams et les Metlakatla, et une majorité claire de membres de la Nation Coast Tsimshian appuient le projet à certaines conditions convenues. De leur côté, Yahaan et ses adeptes s’opposent systématiquement au projet et ont occupé l’île Lelu malgré les objections des bandes.

[…]

Les Lax Kw’Alaams et les Metlakatla affirment […] [s]e fondant sur une preuve abondante […] que Yahaan participait d’ailleurs activement avec d’autres personnes à un dialogue interne avec les dirigeants de la bande au sujet du contenu de leurs consultations avec la Couronne. Yahaan n’a brisé les rangs que lorsque les membres de la Nation Coast Tsimshian ont commencé à envisager le projet d’une manière plus favorable.

Motifs, aux paragraphes 6 et 8

[15]  La Cour a refusé de confirmer le droit exclusif des Lax Kw’Alaams et des Metlakatlka de mener des consultations avec la Couronne au nom du peuple Coast Tsimshian parce qu’elle était d’avis que le dossier dont elle était saisie était totalement insuffisant pour lui permettre d’accomplir cette tâche et même contradictoire sur certains aspects : motifs, au paragraphe 9. De même, la Cour a refusé de se prononcer sur la controverse entourant le titre de Yahaan en tant de sm’oogit (ou premier chef) des Gitwilgyoots. Son titre est contesté par Iyoo’ns, un intimé dans la présente instance. La Cour était d’avis que cette question devait être réglée à l’interne par les Gitwilgyoots selon leurs coutumes et que, de toute façon, elle doutait que cette question relevait de sa compétence. Par conséquent, la seule question que la Cour fédérale devait trancher était celle de savoir si Yahaan avait le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire à titre de représentant agissant au nom des Gitwilgyoots.

[16]  La Cour a commencé son analyse en citant l’article 114 des Règles, dont les passages pertinents sont reproduits ci-dessous :

114 (1) Malgré la règle 302, une instance — autre qu’une instance visée aux articles 27 ou 28 de la Loi — peut être introduite par ou contre une personne agissant à titre de représentant d’une ou plusieurs autres personnes, si les conditions suivantes sont réunies :

 

114 (1) Despite rule 302, a proceeding, other than a proceeding referred to in section 27 or 28 of the Act, may be brought by or against a person acting as a representative on behalf of one or more other persons on the condition that

 

[…]

[…]

b) le représentant est autorisé à agir au nom des personnes représentées;

(b) the representative is authorized to act on behalf of the represented persons;

c) il peut représenter leurs intérêts de façon équitable et adéquate; […]

 

(c) the representative can fairly and adequately represent the interests of the represented persons; and […]

184 (1) Les allégations de fait contenues dans un acte de procédure qui ne sont pas admises sont réputées être niées.

184 (1) All allegations of fact in a pleading that are not admitted are deemed to be denied.

 

(2) À moins qu’une partie adverse ne les nie, une partie n’est pas tenue de prouver les allégations suivantes :

 

(2) Unless denied by an adverse party, it is not necessary that a party prove

a) son droit d’agir à titre de représentant; […]

(a) its right to claim in a representative capacity; or […]

[17]  La Cour s’est appuyée sur le paragraphe 184(2) reproduit ci-dessus pour conclure qu’une fois qu’Iyoo’ns a contesté la qualité de Yahaan à titre de représentant, il incombait à ce dernier de prouver que les conditions du paragraphe 144(1) étaient remplies. La Cour a ensuite conclu qu’étant donné qu’Iyoo’ns a contesté la prétention à la direction de Yahaan, elle n’était pas convaincue que celui‑ci était le sm’oogit des Gitwilgyoots. Cela ne voulait pas dire que Yahaan n’occupait pas le poste de sm’oogit, mais simplement qu’il n’avait pas réussi à en faire la preuve. La Cour était d’avis que tant que la question de savoir qui est le véritable chef des Gitwilgyoots n’aura pas été réglée, ni Yahaan ni Iyoo’ns ne pourraient agir en qualité de représentant.

[18]  La Cour a également conclu qu’il n’y avait pas suffisant d’éléments de preuve établissant que Yahaan avait été autorisé par les Gitwilgyoots à présenter l’avis de demande en leur nom, une exigence de l’alinéa 114(1)b) des Règles. La Cour a fait remarquer que non seulement Yahaan n’a présenté aucun élément de preuve établissant l’appui de la collectivité, mais que la preuve présentée donnait à penser qu’un nombre important de membres des Gitwilgyoots contestait son titre. La Cour a cité un extrait du contre-interrogatoire de Yahaan pour démontrer qu’il agissait de façon unilatérale, sans consulter les membres des Gitwilgyoots. La Cour a conclu que Yahaan était en conflit avec la majorité des membres des Lax Kw’Alaams et avec de nombreux membres des Gitwilgyoots qui soutiennent le projet. Selon la Cour, comme il n’a pas consulté les Gitwilgyoots pour déterminer l’importance des appuis dont il bénéficiait auprès d’eux, il n’avait pas la qualité voulue pour agir en leur nom. La Cour a ajouté que Yahaan n’avait pas expliqué comment il pouvait satisfaire à l’exigence de l’alinéa 114(1)c) pour lui permettre de représenter adéquatement et équitablement les intérêts des membres de la collectivité qui s’opposaient à son point de vue et qu’il n’avait pas consultés.

[19]  Enfin, la Cour a soutenu que Yahaan n’avait pas établi qu’il serait en mesure de mener à bien la procédure de contrôle judiciaire ni de mener des consultations significatives avec la Couronne si sa demande était accueillie.

[20]  Par conséquent, la Cour a accueilli les deux requêtes et a rejeté l’avis de demande sous‑jacente.

III.  ÉNONCÉ DES QUESTIONS EN LITIGE

[21]  À titre de réparation, les appelants demandent le rejet des requêtes des intimés visant à annuler l’avis de demande et le rétablissement de cet avis de demande. La question du caractère théorique se pose en lien avec l’annulation de l’avis de demande qui, à son tour, survient par suite de la cessation du projet. La question n’est pas de savoir si les circonstances au sein de la tribu des Gitwilgyoots ont changé de façon à rendre la question du statut de Yahaan purement théorique; le fait est plutôt que le statut de Yahaan ne fait aucune différence parce que, de toute façon, il n’y a plus de litige réel concernant le projet.

[22]  En conséquence, les questions à trancher dans les présentes requêtes sont les suivantes :

  • 1- L’avis de demande visant l’annulation des décisions autorisant le projet est-il théorique?

  • 2- Dans l’affirmative, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’appel malgré son caractère théorique?

  • 3- Si l’avis de demande n’est pas théorique, devrait-il fait l’objet d’un sursis?

IV.  ANALYSE

A.  L’avis de demande visant l’annulation des décisions autorisant le projet est-il théorique?

[23]  La preuve démontrant que l’on a mis fin au projet est convaincante. Il n’est pas nécessaire de répéter toutes les mesures prises par PNW quant à son intention déclarée de mettre fin au projet. Il ne fait aucun doute que ces mesures ont été prises. Je n’ai aucune difficulté à conclure, selon la prépondérance des probabilités, que PNW a mis fin au projet. En outre, l’entente que PNW a conclue avec un autre requérant d’une instance connexe indiquant qu’elle ne donnera pas suite au projet et qu’elle ne transférera, ni vendra ni cédera ses droits prévus dans la déclaration du ministre de l’Environnement, ni ses intérêts à l’égard de cette déclaration ou de toute autre autorité mentionnée dans la déclaration, est une preuve crédible de l’intention de PNW de mettre fin au projet de façon permanente.

[24]  L’unique fait présenté qui donne à penser que le projet n’a pas tout à fait pris fin est que le certificat de l’évaluation environnementale expire seulement le 25 novembre 2019. On pourrait également faire valoir que les approbations fédérales (le décret et la déclaration) n’ont aucune date d’expiration. En conséquence, il se peut qu’une autre entité puisse chercher à tirer profit de ces approbations et du projet.

[25]  Nul n’a démontré qu’une partie proposant de reprendre le projet pourrait le faire en tirant profit des diverses autorisations octroyées à PNW et sans la participation de celle‑ci. De plus, certaines approbations obtenues par PNW d’autres entités, telles que l’Oil and Gas Commission de la C.‑B. et l’Administration portuaire de Prince Rupert, ont été remises ou résiliées.

[26]  En résumé, l’argument selon lequel le projet pourrait être repris parce que certaines autorisations sont toujours en vigueur demeure hypothétique. Notre Cour a conclu que les possibilités hypothétiques sont insuffisantes pour empêcher la conclusion selon laquelle la question est théorique : Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., 2006 CAF 328 au paragraphe 18, 354 N.R. 316; N.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CAF 214, au paragraphe 4, [2016] F.C.J. No. 963 (QL); Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 358, au paragraphe 4, 65 Imm. L.R. (3d) 155.

[27]  À mon sens, l’avis de demande visant l’annulation des approbations du projet est maintenant théorique.

B.   La Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’appel malgré son caractère théorique?

[28]  Yahaan soutient que même si le projet est lettre morte, il y a toujours des litiges actuels entre les parties, notamment le droit des Gitwilgyoots d’être consultés séparément par la Couronne, plutôt que sous l’égide des Lax Kw’Alaams et des Metlakatla, comme cela semble avoir été le cas par le passé. Le juge de la Cour fédérale a refusé de se prononcer sur ces questions parce que les éléments de preuve dont il disposait étaient déficients. Le fait d’autoriser l’instruction de la demande de contrôle judiciaire sur cette question en l’absence d’un litige actuel équivaudrait à un renvoi sur la question de la gestion interne de la Nation Coast Tsimshian. La Cour n’est pas prête à accepter ce rôle, même si elle en a la compétence. Il s’agit d’une question qui soulève encore des interrogations.

[29]  Yahann soutient que la Cour devrait instruire le présent appel parce que la décision de la Cour fédérale constituera un précédent, ce qui aura des conséquences sur les droits futurs des parties entre elles et vis-à-vis de la Couronne. Cet argument n’est pas fondé. Comme le démontre l’analyse détaillée de la décision de la Cour fédérale présentée plus haut dans les présents motifs, la Cour fédérale a uniquement examiné la question de savoir si Yahaan était habilité à déposer son avis de demande à titre de représentant. La Cour n’a tiré aucune conclusion sur le droit des diverses parties d’être consultées par la Couronne. En conséquence, il n’est pas nécessaire que la Cour déroge à la décision de la Cour fédérale.

[30]  Yahaan soulève une question connexe, qui consiste à savoir si ces questions devraient être jugées sur dossier plutôt qu’à la suite d’une audience devant la Cour. Yahaan s’appuie sur l’arrêt Amgen Inc. c. Apotex Inc., 2016 CAF 196, 487 N.R. 202 (Amgen), de notre Cour pour appuyer la proposition selon laquelle les requêtes en vue de faire rejeter un appel devraient être instruites par le tribunal qui instruit l’appel si des esprits raisonnables pourraient diverger d’opinion sur l’issue de la requête.

[31]  À mon sens, des esprits raisonnables seraient d’accord pour dire que la demande de contrôle judiciaire de Yahaan est maintenant théorique. Il n’y a aucun litige factuel relativement à la cessation du projet par PNW et aux mesures qu’elle a prises pour donner effet à cette cessation. La possibilité que le projet reprenne est, tout au plus, hypothétique. Puisque ces questions sont réglées, il ne reste qu’à décider si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire un appel théorique.

[32]  Les facteurs à examiner pour décider si la Cour devrait instruire une affaire en dépit de son caractère théorique ont été soulevés dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342, 57 D.L.R. (4e) 231. Ces facteurs comprennent les dangers de trancher une question qui ne fait état d’aucun réel débat contradictoire, l’économie des ressources judiciaires obtenue en permettant aux tribunaux de trancher seulement les cas qui doivent être tranchés et l’obligation de la Cour de ne pas empiéter sur le rôle du législateur. Le rôle de la Cour est juridictionnel et non législatif; elle tranche des litiges réels entre des parties opposées qui se présentent devant la Cour.

[33]  Bien qu’il puisse exister un réel débat contradictoire entre Yahaan et les Lax Kw’Alaans et les Metlakatla concernant leurs droits et obligations mutuels dans le cadre des consultations avec la Couronne, l’obligation de consultation est liée aux faits : Rio Tinto Alcan Inc. c. Carrier Sekani Tribal Council, 2010 CSC 43, au paragraphe 36, [2010] 2 R.C.S. 650; Gitxaala Nation c. Canada, 2016 CAF 187, au paragraphe 173, 485 N.R. 258. Dans le cas qui nous occupe, le contexte factuel à l’origine de l’obligation de consultation revendiquée a changé de sorte que tout débat contradictoire équivaudrait à un renvoi sur la question des droits et obligations respectifs des Kw’Alaams et de la bande Metlakatla. Ce n’est pas le rôle de notre Cour.

[34]  En ce qui concerne l’économie des ressources judiciaires, le cas qui nous occupe n’est pas récurrent, mais bien d’une brève durée. Les affaires environnementales dans lesquelles le caractère adéquat de la consultation avec les Premières Nations du Canada a été soulevé n’ont pas été brèves du tout. En l’espèce, si la question des rôles respectifs des protagonistes vis-à-vis de la Couronne se présente de nouveau, nous aurons le temps de nous pencher sur cette question à ce moment‑là.

[35]  Enfin, si la Cour se risquait de formuler une opinion sur les droits et obligations respectifs des Gitwilgyoots, des Lax Kw’Alaams et des Metlakalta dans l’abstrait et non dans le but de décider comment ces droits et obligations auraient un effet sur la résolution d’un litige en particulier, elle se trouverait à empiéter sur le champ de compétence du législateur.

[36]  Pour tous ces motifs, j’exercerais donc mon pouvoir discrétionnaire de ne pas instruire l’appel. J’accueillerais la requête en vue de faire rejeter l’appel au motif qu’il est théorique et je rejetterais l’appel.

[37]  En ce qui concerne la requête en suspension de l’audition de l’appel, je suis d’avis que les intérêts de la justice sont mieux servis si la Cour se penche sur cette affaire maintenant plutôt que de la laisser en suspens pendant un certain temps pour qu’au final, les parties présentent ultérieurement une autre requête en annulation. En conséquence, la requête visant le sursis de l’instance est rejetée, au moyen d’une ordonnance distincte.

[38]  Puisque cette décision évitera à toutes les parties de payer les dépens pour donner suite à l’appel et faire valoir l’appel, chaque partie assumera ses propres dépens à l’égard des présentes requêtes. Les dépens de l’appel suivront l’issue de la cause.

V.  CONCLUSION

[39]  La requête déposée par la bande indienne des Lax Kw’Alaams, représentée par son maire John Helin, et par John Helin, en son nom et au nom de tous les membres des neuf tribus de Lax Kw’Alaams, en vue d’obtenir une ordonnance rejetant l’appel sera accueillie, et l’appel sera rejeté avec dépens.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord

David Stratas, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-257-17

INTITULÉ :

YAHAAN, ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE DONALD WESLEY, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA TRIBU DES GITWILGYOOTS c. SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, PACIFIC NORTHWEST LNG LIMITED PARTNERSHIP, BANDE INDIENNE DES LAX KW’ALAAMS, REPRÉSENTÉE PAR SON MAIRE, JOHN HELIN, ET JOHN HELIN, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DES NEUF TRIBUS DE LAX KW’ALAAMS, IYOO’NS, ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE CARL SAMPSON SR., EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA TRIBU DES GITWILGYOOTS, ET LA BANDE METLAKATLA

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 FÉVRIER 2018

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Richard J. Overstall

 

Pour l’appelant

YAHAAN, ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE DONALD WESLEY, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA TRIBU DES GITWILGYOOTS

 

Judith Hoffman

Aneil Singh

 

 

Pour les INTIMéS

SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, PACIFIC NORTHWEST LNG LIMITED PARTNERSHIP, BANDE INDIENNE DES LAX KW’ALAAMS, REPRÉSENTÉE PAR SON MAIRE, JOHN HELIN, ET JOHN HELIN, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DES NEUF TRIBUS DE LAX KW’ALAAMS, IYOO’NS, ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE CARL SAMPSON ST., EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA TRIBU DES GITWILGYOOTS, ET LA BANDE METLAKATLA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Buri, Overstall

Smithers (Colombie‑Britannique)

 

Pour l’appelant

YAHAAN, ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE DONALD WESLEY, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA TRIBU DES GITWILGYOOTS

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

 

Pour les INTIMéS

SA MAJESTÉ LA REINE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, AGENCE CANADIENNE D’ÉVALUATION ENVIRONNEMENTALE, PACIFIC NORTHWEST LNG LIMITED PARTNERSHIP, BANDE INDIENNE DES LAX KW’ALAAMS, REPRÉSENTÉE PAR SON MAIRE, JOHN HELIN, ET JOHN HELIN, EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DES NEUF TRIBUS DE LAX KW’ALAAMS, IYOO’NS, ÉGALEMENT CONNU SOUS LE NOM DE CARL SAMPSON ST., EN SON NOM ET AU NOM DE TOUS LES MEMBRES DE LA TRIBU DES GITWILGYOOTS, ET LA BANDE METLAKATLA

 

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