Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180425


Dossier : A-5-17

Référence : 2018 CAF 82

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

 

LOREN MURRAY PEARSON

 

 

appelant

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 24 avril 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 avril 2018.

MOTIF DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR


Date : 20180426


Dossier : A-5-17

Référence : 2018 CAF 82

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

 

 

LOREN MURRAY PEARSON

 

 

appelant

 

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GAUTHIER

[1]  Loren Murray Pearson interjette appel de la décision par laquelle la juge McDonald de la Cour fédérale (2016 CF 1340) a rejeté sa demande de contrôle judiciaire d’une décision du chef d’état-major de la défense, qui agissait à titre d’autorité de dernière instance (ADI) en vertu de l’article 29.11 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 (LDN) et de l’article 7.08 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). L’ADI a rejeté deux griefs déposés relativement à la conduite de l’examen administratif (EA) et à la libération de l’appelant des Forces armées canadiennes (FAC). L’EA et la libération faisaient suite à des allégations selon lesquelles l’appelant aurait agressé sexuellement une collègue subalterne.

[2]  Il n’est pas nécessaire de décrire en détail les événements qui ont mené à l’EA et à la libération. Un nombre important de documents ont été présentés à l’ADI (plus de 800 pages), et le dossier d’appel dont nous sommes saisis ne contient pas tous ces documents.

[3]  Il suffit de décrire brièvement les deux types de procédures très distinctes auxquels ont donné lieu les actes posés par l’appelant en juin 2011 afin de situer les arguments de l’appelant dans leur juste contexte.

[4]  Au moment des allégations d’inconduite sexuelle, l’appelant était un officier du génie des systèmes de combat et avait le grade de lieutenant de vaisseau. Il avait été envoyé en mission de formation dans le Pacifique Sud à bord du NCSM Ottawa. Il a été rapatrié au Canada immédiatement après les allégations d’inconduite sexuelle et a été affecté au Quartier général de la flotte canadienne du Pacifique, à Esquimalt, puis auprès du directeur général — Gestion du programme d’équipement maritime, à Ottawa.

[5]  Par suite desdites allégations d’inconduite, deux procédures distinctes ont été entreprises à l’encontre de l’appelant. Tout d’abord, le directeur – Administration et gestion des ressources (carrières militaires) (le DAGRCM) a entrepris un EA pour décider de la mesure administrative à prendre (Directives et ordonnances administratives du ministère de la Défense (DOAD), 5019-2, EA). Deuxièmement, l’appelant a été accusé « d’agression sexuelle, d’ivresse et de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline » et renvoyé devant une cour martiale permanente (CMP), le 9 février 2012 (articles 97, 129 et 130 de la LDN, et article 271 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46).

[6]  L’appelant a plaidé coupable à l’infraction moindre de voies de fait et à l’accusation de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, et le procureur a retiré l’accusation d’ivresse. Le 26 avril 2012, la CMP l’a condamné à une amende de 8 000 $ et à un blâme (R. c. Pearson, 2012 CM 1004). Dans cette décision, la CMP a souligné que parmi les facteurs atténuants qu’elle avait examinés, le plus important était que l’accusé avait reconnu sa culpabilité (voir le paragraphe 23a)). L’appelant a interjeté appel de sa condamnation devant la Cour d’appel de la cour martiale (CACM).

[7]  Nous n’avons aucun autre renseignement concernant cette procédure, sinon que l’appelant était dûment représenté par un avocat au moins jusqu’au 25 octobre 2012.

[8]  Nous disposons également de très peu de renseignements quant aux mesures qui ont été prises, le cas échéant, dans le cadre de l’EA, entre le moment où celui‑ci a commencé, à l’été 2011, et le 26 avril 2012, lorsque la CMP a rendu sa décision.

[9]  Le 4 juin 2012, l’appelant a demandé et a obtenu une copie de la lettre qui est au cœur de la plupart des arguments soulevés devant la Cour fédérale et dans le mémoire des faits et du droit déposé en appel, tels l’atteinte aux droits que lui garantit la Charte, le manquement à l’équité procédurale et la conduite négligente et malicieuse de la part des personnes ayant participé à l’EA. Il s’agit d’une lettre du Commandant J.C. Allsopp, commandant du NCSM Ottawa, datée du 31 août 2013. Elle contient de brefs commentaires sur le rendement de l’appelant lorsqu’il était sous son commandement. Cette lettre, appelée « lettre de présentation », est reproduite pour l’essentiel au paragraphe 8 de la décision de la Cour fédérale. Devant les arguments de l’appelant, qui a fait valoir que cette lettre démontrait qu’il souffrait d’une maladie mentale ou de stress, le décideur chargé de l’EA et la Cour fédérale se sont dit en désaccord.

[10]  Il n’est pas contesté que cette lettre ne révèle rien d’autre que ce qui figurait déjà dans les notes divisionnaires prises à l’époque où l’appelant était affecté au NCSM Ottawa et auxquelles l’appelant avait déjà accès.

[11]  Les 5 juin et 8 août 2012, le DAGRCM a envoyé deux liasses de documents produits dans le cadre de l’EA à l’appelant. La première contenait une copie de la lettre de présentation. C’est dans le cadre de ces communications que l’appelant a également soutenu devant l’ADI qu’il n’avait pas été traité de manière équitable, parce qu’on ne lui a pas donné assez de temps pour déposer ses observations sur ces documents. Or, comme l’a souligné l’ADI, bien que la longue prorogation de délai demandée par l’appelant (jusqu’au 23 octobre 2012) ait été refusée, celui‑ci a obtenu de fait une prorogation qui lui donnait beaucoup plus de temps que les 15 jours prévus au règlement applicable.

[12]  Le 28 août 2012, l’appelant a déposé le premier grief dont l’ADI a finalement été saisi. Il soutenait que plusieurs personnes avaient incorrectement exercé leur pouvoir et que cette négligence avait retardé son accès à des soins de santé mentale, nui à sa vie privée et professionnelle et miné sa défense devant la CMP.

[13]  L’EA a pris fin en septembre 2012. Le DAGRCM a conclu que la preuve démontrait de façon claire et convaincante que l’appelant s’était mal conduit et qu’il avait violé la politique en matière d’inconduite sexuelle des FAC. Le DAGRCM a conclu que, conformément au motif prévu au numéro 5(f) des ORFC, [traduction] « l’appelant doit être libéré » des FAC le plus tôt possible et au plus tard le 21 octobre 2012. Cette date a été reportée au 25 octobre 2012, de sorte qu’elle coïncide avec la fin de l’emploi de l’appelant.

[14]  Le 23 octobre 2012, l’appelant a présenté un deuxième grief et la décision de l’ADI sur ce grief a fait l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Après le 25 octobre 2012, l’appelant n’était plus au service des FAC.

[15]  Le 5 avril 2013, l’appelant a renoncé à l’appel à la CACM environ deux heures après le début de l’audience. Il n’est pas contesté qu’à l’époque, la lettre de présentation était disponible et qu’il en a été question lorsque l’appelant a présenté ses observations.

[16]  L’appelant, qui n’est pas représenté par un avocat dans le présent appel, a soulevé de nombreuses questions dans son mémoire des faits et du droit. L’une d’elles portait sur le fait qu’il s’était adressé à la Cour fédérale pour que sa demande soit convertie en action. Or, à l’audience, il a reconnu qu’il n’avait pas contesté la décision par laquelle la Cour fédérale a refusé de le faire. Nous ne sommes donc pas saisis de cette question.

[17]  Lors de l’audition du présent appel, l’appelant a indiqué que ses arguments principaux étaient que l’ADI aurait dû mener une enquête plus approfondie pour savoir si sa libération avait été dûment autorisée, et qu’elle aurait aussi dû conclure que sa libération était irrégulière, parce qu’elle n’a été approuvée par le gouverneur général que le 23 mai 2013.

[18]  Il affirme que la question de savoir si sa conduite justifiait une libération n’est plus au cœur de son argumentation. En fait, il demande maintenant à la Cour de décider de la façon dont il devrait être indemnisé pour sa perte, étant donné qu’il était toujours membre des FAC entre le 26 octobre 2012 et le 23 mai 2013. À son avis, cette indemnité devrait comprendre sa solde habituelle, ainsi que ses autres avantages, tels que sa pension, rajustés en conséquence. J’examinerai donc cette question en premier.

[19]  L’appelant s’appuie sur le fait que l’ADI a décidé, dans le cadre d’un autre grief déposé le 15 octobre 2012, qu’il avait droit à une indemnité de départ, parce que le gouverneur général n’avait pas approuvé sa libération avant le 23 mai 2013. Selon lui, puisque l’ADI devait être au courant de cette décision – que l’appelant a évoquée dans ses observations sur les griefs dont nous sommes saisis – elle aurait dû pousser plus loin son enquête sur le sujet. L’appelant soutient également que l’ADI aurait dû appliquer le même raisonnement et lui accorder une somme équivalant à sa solde et à ses autres avantages pour cette période. Je ne suis pas d’accord.

[20]  Dans cette décision antérieure datée du 24 octobre 2014, l’ADI s’est appuyée sur le fait que la seule disposition permettant de ne pas accorder d’indemnité de départ (paragraphe 204.40(7) des Directives sur la rémunération et les avantages sociaux (DRAS)) s’applique au membre des FAC qui a été libéré en vertu du numéro 5(f) que si la libération a été approuvée avant que ledit membre ait terminé son « service admissible » (le 25 octobre 2012). Comme l’approbation à laquelle renvoient expressément les DRAS est celle du gouverneur général (article 15.01 des ORFC), cette disposition ne pouvait pas s’appliquer à l’appelant.

[21]  Dans ses conclusions et recommandations concernant cet autre grief (dossier d’appel, onglet 4 (22)), le comité a clairement déclaré que le « service admissible » de l’appelant s’était poursuivi jusqu’à la date de sa libération, qui était, selon lui, le 25 octobre 2012. Ainsi, on ne peut pas conclure que l’appelant nous presse.

[22]  En outre, les dispositions applicables à l’indemnité de départ semblent différentes et distinctes de celles qui s’appliquent à la « solde régulière ». C’est ce qui ressort clairement de la position adoptée par le conseiller juridique du MDN dans l’autre demande déposée par l’appelant après que ledit conseiller juridique eut refusé de régler sa demande de « solde régulière ». Il appert de la décision de la Cour dans cette autre demande (2017 CAF 191) que la position défendue par le MDN était que, selon l’article 208.31 des ORFC, l’appelant n’a pas droit à une solde, parce qu’il a effectivement cessé de servir le 25 octobre 2005.

[23]  Ainsi, je ne suis pas disposée à conclure que la seule mention de la décision sur le grief datée du 24 octobre 2014 était suffisante pour mettre en jeu la question du droit de l’appelant à sa solde régulière et aux autres avantages avant le 23 mai 2013 dans les affaires dont l’ADI était saisie en l’espèce. Je souligne que, même si j’étais parvenue à une conclusion différente, la Cour aurait simplement accordé la réparation habituelle : elle aurait renvoyé l’affaire pour examen par l’ADI.

[24]  Examinons maintenant brièvement les autres arguments de l’appelant. J’ai examiné attentivement les documents qui nous ont été présentés, y compris la transcription de l’audience devant la Cour fédérale, et je suis convaincue que la Cour fédérale a appliqué la bonne norme de contrôle aux questions dont elle était saisie, et qu’elle a appliqué cette norme correctement en concluant que l’ADI n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire. La décision de l’ADI était raisonnable.

[25]  J’ai très peu à ajouter sur ce qui a été déjà mentionné par l’ADI et la Cour fédérale en ce qui concerne les manquements à l’équité procédurale qui auraient été commis pendant l’EA. Même en supposant qu’ils ont eu lieu, ce dont je doute, ces manquements ont été corrigés par la procédure de novo qui s’est déroulée devant l’ADI. Cette dernière procédure était équitable, puisque l’appelant a eu pleinement l’occasion de présenter ses arguments et qu’il a eu accès à tous les documents nécessaires pour présenter une réponse et une défense complètes. Contrairement à ce que l’appelant a soutenu devant nous, l’ADI pouvait tenir compte de la lettre de présentation divulguée au cours de l’EA. Quoi qu’il en soit, les motifs de l’ADI montrent que cette lettre n’a joué aucun rôle important dans sa conclusion selon laquelle l’imposition d’une libération était justifiée.

[26]  Je conclus également que l’ADI et la Cour fédérale ont eu raison de conclure que le contenu de la lettre de présentation n’étaye pas les arguments de l’appelant concernant son changement de plaidoyer, la crédibilité du commandant Allsopp et la négligence avec laquelle on n’avait pas reconnu son état mental.

[27]  Il était également raisonnable pour l’ADI de souligner que l’appelant ne saurait échapper aux conséquences de sa décision de plaider coupable aux infractions moindres devant la CMP, puis de renoncer à son appel de la décision de la CMP.

[28]  Même si l’appelant maintient qu’il conteste seulement la validité de l’EA, il reste qu’un certain nombre de ses arguments visent indirectement — voire directement — la validité de la décision de la CMP. Devant l’ADI, l’appelant a demandé à celle‑ci de lui rembourser l’amende de 8 000 $ à laquelle la CMP l’a condamné et de supprimer de son dossier le blâme qui faisait partie de sa sentence. Cependant, l’ADI a dûment rejeté sa demande. Elle n’avait pas compétence pour examiner la validité de la décision de la CMP. La décision de la CMP était définitive.

[29]  Enfin, devant notre Cour, l’appelant a présenté un nouvel argument juridique fondé sur l’honneur de la Couronne. Cet argument n’a pas été soulevé devant l’ADI ou la Cour fédérale. L’appelant nous demande d’exercer notre pouvoir discrétionnaire d’examiner cet argument en appel, parce que cela constituerait un précédent utile. Je refuse de le faire. Il serait inapproprié de le faire au vu de ce dossier limité.

[30]  Il n’est pas nécessaire de commenter les autres arguments soulevés par l’appelant, sauf pour dire qu’ils ont tous été examinés et qu’aucun d’eux ne justifie notre intervention.

[31]  En conséquence de ce qui précède, je propose que le présent appel soit rejeté avec dépens fixés au montant global de 2 000 $.

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

« Je suis d’accord

David Stratas, j.c.a. »

« Je suis d’accord

D.G. Near, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA JUGE McDONALD DATÉE DU 7 DÉCEMBRE 2016, DOSSIER No T-80-16

DOSSIER :

A-5-17

 

 

INTITULÉ :

LOREN MURRAY PEARSON c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 avril 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAUTHIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 avril 2018

 

COMPARUTIONS :

Loren Murray Pearson

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Elizabeth Richards

POUR L’INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous‑procureure générale du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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