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Date : 20180508


Dossier : A-31-17

Référence : 2018 CAF 89

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

NATION CRIE BIGSTONE

demanderesse

et

NOVA GAS TRANSMISSION LTD. ET
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

et

OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

intervenant

Audience tenue à Calgary (Alberta), le 30 octobre 2017.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 mai 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

 


Date : 20180508


Dossier : A-31-17

Référence : 2018 CAF 89

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

NATION CRIE BIGSTONE

demanderesse

et

NOVA GAS TRANSMISSION LTD. ET
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

et

OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1]  La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre du décret C.P. 2016-962 (le décret) pris par le gouverneur en conseil le 28 octobre 2016. Ce décret donnait instruction à l’Office national de l’énergie (l’Office) de faire une déclaration en matière d’évaluation environnementale concernant la réalisation du projet d’agrandissement du réseau de Nova Gas Transmission Ltd. (NGTL, Nova ou la Société) de 2017 dans le nord de l’Alberta (le projet), ainsi que de délivrer le certificat d’utilité publique GC-126 (le CUP ou le certificat) autorisant les travaux de construction et d’exploitation du projet. L’autorisation est subordonnée aux conditions du certificat qui figurent dans le CUP (les conditions), lesquelles sont jointes à l’annexe III du rapport GH-002-2015 de l’Office national de l’énergie relativement à NOVA Gas Transmission Ltd. (le rapport de l’Office) (Dossier de la demanderesse (DD), vol. 6, p. 1031 à 1048).

[2]  La demanderesse, la Nation crie Bigstone (la demanderesse ou la Nation Bigstone), sollicite notamment des ordonnances portant que le Canada a manqué à son obligation constitutionnelle et à son obligation de common law de la consulter et de prendre à son égard des mesures d’accommodement, que la Couronne a délégué irrégulièrement son obligation d’évaluer les effets du projet sur l’environnement et sur les droits de la Nation Bigstone garantis par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 (les droits garantis par l’article 35) et que le gouverneur en conseil a délivré à mauvais droit un décret non conforme à la Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. 1985, ch. N‑7 (la Loi sur l’Office) et par ailleurs déraisonnable parce qu’il n’a pas fourni à l’appui des motifs ou des motifs suffisants et ne l’a pas publié dans la Gazette du Canada. La demanderesse sollicite une ordonnance portant que le décret est inexécutoire, nul et non avenu et que la décision d’approuver le projet est suspendue, de même qu’une ordonnance portant annulation du décret et du certificat. La Nation Bigstone sollicite, subsidiairement, une ordonnance obligeant la Couronne à entamer avec elle des consultations, sous la surveillance de la Cour et sous réserve de conditions précises et détaillées.

[3]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la demande avec dépens. J’estime que la Couronne s’est convenablement acquittée de son obligation de consulter la Nation Bigstone et de prendre à son égard des mesures d’accommodement et il n’y a pas lieu, selon moi, de modifier la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet.

I.  Rappel des faits

[4]  La demanderesse est une Première Nation de l’Alberta qui compte environ 7 752 membres. Il s’agit également d’une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, et ses membres font partie des « peuples autochtones » au sens du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Elle utilise et occupe des terres situées dans le centre-nord de l’Alberta (le territoire de la Nation Bigstone) depuis une époque antérieure à celle où la Couronne a affirmé sa souveraineté. C’est sur son territoire que la Nation Bigstone exerce ses activités, observe ses pratiques et suit ses coutumes et ses traditions, dont la chasse, la pêche et la cueillette. Ces traditions sont essentielles à la survie des membres de cette nation, ainsi qu’à la préservation de ses habitudes de vie et de sa culture distinctes.

[5]  Vers le 14 août 1899, les ancêtres de la Nation Bigstone et la Couronne ont conclu le Traité no 8, qui vise une partie du territoire de la Nation Bigstone et prévoit des droits de cueillette et de gouvernance sur ce territoire (les droits de Bigstone issus d’un traité). La Nation Bigstone revendique des droits non éteints garantis par l’article 35, qui protègent son territoire, ainsi que des droits de cueillette et de gouvernance, contre toute ingérence et atteinte de la part de la Couronne. Nul ne conteste que le projet est situé sur le territoire de la Nation Bigstone. Dans les motifs de l’ordonnance qu’il a rendue dans le cadre de la présente instance (2017 FCA 54), le juge André Scott a reconnu que [traduction] « [l]e tronçon Pelican Lake est situé directement dans les limites du territoire de la Nation Bigstone et traverse carrément trois aires identifiées de répartition d’une espèce menacée, le caribou des forêts boréales » et que « le caribou des forêts boréales représente pour la Nation Bigstone un élément important et significatif » (par. 3 et 49).

[6]  Le 15 décembre 2014, Nova, une filiale en propriété exclusive de TransCanada PipeLines Limited, a présenté à l’Office une description de projet, déclenchant ainsi l’examen réglementaire fédéral du projet en question. Ce dernier, d’une valeur de 1,29 milliard de dollars, vise l’agrandissement du réseau existant de Nova Gas Transmission Ltd. dans le nord de l’Alberta en vue de permettre la réception et la livraison du gaz naturel non corrosif. Il prévoit la construction de 230 kilomètres de nouveaux pipelines, en cinq tronçons distincts doublant les pipelines existants de NGTL, ainsi que l’ajout de deux stations de compression. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur l’un de ces cinq tronçons, d’une longueur d’environ 56 kilomètres, qui comprend le doublement de la canalisation latérale Liege no 2, dans le tronçon Pelican Lake. Ce tronçon est situé entièrement sur des terres publiques provinciales et longe des emprises et d’autres perturbations linéaires existantes sur 93 p. 100 du tracé.

[7]  Pour la réalisation du projet, il était nécessaire d’obtenir un CUP, conformément aux articles 31, 52 et 54 de la Loi sur l’Office. Comme le projet comportait plus de 40 kilomètres de nouveaux pipelines, il s’agissait également d’un « projet désigné » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 2012, ch. 19 (la LCEE); cela étant, l’Office était tenu de procéder à une évaluation environnementale en application de l’article 52 de la LCEE (voir aussi les articles 2 et 4 du Règlement désignant les activités concrètes, DORS/2012-147, ainsi que l’article 46 de son annexe).

[8]  Étant un « grand projet de ressources » au sens de la Directive du cabinet sur l’amélioration du rendement du régime de réglementation pour les grands projets de ressources du Canada (DD, vol. 14, p. 2371 à 2378), le projet relevait de l’initiative du Bureau de gestion des grands projets (le BGGP) du Canada. Ce dernier a coordonné la démarche globale que le Canada a suivie sur le plan de la consultation des groupes autochtones pour le projet parmi les ministères fédéraux intéressés, ce qui a mené à l’Entente de projet pour le projet d’agrandissement du réseau de NGTL en 2017 en Alberta (DD, vol. 14, p. 2549 à 2558). Cette démarche globale relative à la consultation des groupes autochtones a été intégrée dans la mesure du possible au processus d’audience de l’Office. Le processus de consultation a été mené en quatre phases.

A.  Phase I : La phase de mobilisation précoce

[9]  Avant de déposer sa demande de projet, NGTL est entrée en contact avec la Nation Bigstone et d’autres groupes autochtones et les a consultés, comme l’exige le Guide de dépôt de l’Office, sections 3-3 à 3‑11 (DD, vol. 15, p. 2666 à 2674). La liste des groupes autochtones susceptibles d’être touchés a été intégrée à la description du projet (DD, vol. 14, p. 2509) et, le 17 février 2015, l’Office a contacté les groupes autochtones susceptibles d’être touchés, dont la Nation Bigstone, et leur a fourni des informations sur le projet ainsi que sur le processus d’examen. Dans une lettre jointe à cet envoi, le BGGP précisait qu’il [traduction« comptait se fonder sur le processus d’audience publique de l’Office, dans la mesure du possible, pour s’acquitter de son obligation de consulter les groupes autochtones » (dossier de Nova (DN), vol. 1, p. 234 à 242) et la façon dont il entendait le faire. D’autres appels téléphoniques et courriels ont été échangés entre l’Office et la Nation Bigstone, et l’Office a rencontré cette dernière le 29 avril 2015 pour lui fournir des informations sur le projet (DD, vol. 17, p. 2944 à 2970).

B.  Phase II : La phase de l’audience de l’Office

[10]  Le 31 mars 2015, Nova a présenté une demande officielle à l’Office et a déposé une demande d’approbation pour la construction et l’exploitation du projet. Étaient joints à cette demande une évaluation des répercussions environnementales et socioéconomiques ainsi qu’un résumé des contacts établis jusque-là par la Société avec les groupes autochtones, dont la Nation Bigstone (DD, vol. 1, p. 122 à 198). Une fois la demande de projet jugée en état, l’Office a délivré le 29 mai 2015 un avis d’audience et de demande de participation (DN, vol. 1, p. 317 à 328). Dans sa décision no 1, l’Office a accordé le statut d’intervenant à un certain nombre de parties, dont la Nation Bigstone (DD, vol. 2, p. 205 à 230). Par l’entremise de son Programme d’aide financière aux participants, l’Office a versé 27 000 $ à la Nation Bigstone afin de lui permettre de participer à l’audience à titre d’intervenante.

[11]  Le 31 juillet 2015, l’Office a délivré l’ordonnance d’audience GH-002-2015, qui établissait le processus d’audience publique. En sa qualité d’intervenante, la Nation Bigstone a pu déposer des preuves écrites, présenter des preuves traditionnelles orales, poser par écrit des questions sur les éléments de preuves présentés par NGTL et d’autres intervenants, présenter des requêtes et répondre à d’autres, et présenter des observations finales. La Nation Bigstone a participé à chaque étape pendant la durée de l’audience, qui a eu lieu de juillet 2015 à mars 2016.

[12]  La Nation Bigstone a transmis 197 demandes d’informations à NGTL, présentées en deux lots. Par voie de requête déposée auprès de l’Office, elle a tenté d’obliger NGTL à produire d’autres réponses, mais l’Office a conclu que les réponses fournies par NGTL aux demandes d’informations de la Nation Bigstone étaient suffisantes (DD, vol. 4, p. 689 à 692). La Nation Bigstone a présenté un groupe de quatre aînés à Edmonton le 4 novembre 2015 (DD, vol. 4, p. 549 à 589), et elle a déposé des preuves écrites, dont une étude intitulée Bigstone Cree Nation Traditional Use Study : TransCanada NGTL 2017 – Interim Report (l’étude intérimaire sur les usages traditionnels) et une étude intitulée Review of Appendix 9-I Preliminary Caribou Habitat Restoration and Offset Mitigation Plan (DD, vol. 4, p. 615 à 688). Enfin, elle a déposé des observations écrites portant, entre autres, sur les éléments suivants : les effets du projet sur ses droits ancestraux et issus d’un traité, ses préoccupations au sujet du caribou des forêts boréales (le caribou), de l’habitat du caribou ainsi que des usages traditionnels des terres et des ressources, ses préoccupations quant aux effets cumulatifs sur son territoire traditionnel, les lacunes perçues sur le plan des consultations et les commentaires sur l’ébauche de conditions (DD, vol. 5, p. 758 à 780). En janvier 2016, elle a présenté une version révisée de son étude intérimaire sur les usages traditionnels : Bigstone Cree Nation Traditional Use Study : TransCanada NGTL 2017 – Final Report (l’étude finale sur les usages traditionnels).

[13]  Tant avant que pendant le processus de l’Office, NGTL a eu des contacts directs avec la Nation Bigstone. Huit réunions ont eu lieu, la Nation Bigstone a été invitée à fournir des commentaires sur les informations préliminaires, elle a participé à trois études biophysiques de NGTL et elle a reçu des fonds de 225 000 $ pour mener une étude sur les usages traditionnels et procéder par ailleurs à d’autres activités de mobilisation liées au projet.

C.  Phase III : La phase des recommandations de l’Office

[14]  Le 1er juin 2016, l’Office a publié son rapport, dont la version française est d’une longueur de 219 pages. Il a recommandé que le gouverneur en conseil approuve le projet, sous réserve de 36 conditions. Il a conclu que les consultations entreprises et proposées par NGTL convenaient à la portée et à l’ampleur du projet et que les groupes autochtones susceptibles d’être touchés avaient reçu des informations suffisantes sur le processus et avaient eu des occasions suffisantes de faire part de leurs points de vue (rapport de l’Office, p. 74 et 75; DD, vol. 6, p. 931 et 932). Il a également exprimé l’avis que les effets du projet sur l’usage des terres et des ressources à des fins traditionnelles ne seraient vraisemblablement pas importants, même s’il se souciait des effets cumulatifs du projet. Il a ajouté que les effets éventuels du projet sur les droits et les intérêts des groupes autochtones seraient convenablement atténués, compte tenu de la nature et de la portée du projet, des engagements pris par NGTL, des mesures d’atténuation et des exigences réglementaires proposées, ainsi que des conditions énoncées par l’Office (rapport de l’Office, p. 89 et 90; DD, vol. 6, p. 944 et 945).

[15]  S’agissant de son évaluation environnementale, l’Office a conclu que « suffisamment de méthodes de conception et mesures d’atténuation courantes ont été proposées pour atténuer la plupart des effets environnementaux négatifs éventuels relevés » (rapport de l’Office, p. 120; DD, vol. 6, p. 972). Il a également conclu que NGTL appliquait un certain nombre de pratiques exemplaires connues pour atténuer les effets environnementaux négatifs éventuels associés à la présence d’espèces en péril, de plantes et de biocénoses rares, de mauvaises herbes et de zones humides (rapport de l’Office, p. 120; DD, vol. 9, p. 973). Quant à l’analyse des effets cumulatifs, l’Office a pris acte des efforts faits par NGTL pour que le tracé du pipeline suive les emprises existantes et réduise la création de nouvelles perturbations, surtout dans les aires de répartition du caribou; il a dit s’attendre à ce que la Société respecte les périodes critiques établies pour éviter de causer des effets néfastes au caribou (rapport de l’Office, p. 142 et 143; DD, vol. 6, p. 993 et 994). Compte tenu des effets cumulatifs importants sur le caribou dans la région par suite des perturbations directes et indirectes de l’habitat, l’Office a exigé que tous les effets résiduels sur l’habitat du caribou soient pris en considération et neutralisés (rapport de l’Office, p. 153; DD, vol. 6, p. 1002).

[16]  L’Office a imposé à NGTL un certain nombre de conditions, dont les plus importantes sont les suivantes : un tableau de suivi des engagements (condition 5), un plan de protection de l’environnement (condition 6), une version révisée du Plan de rétablissement de l’habitat du caribou et de mesures compensatoires (condition 7), un rapport concernant les études restantes sur l’usage des terres à des fins traditionnelles (condition 8), la preuve qu’elle a reçu des autorités provinciales les permis patrimoniaux requis, ainsi que les autorisations connexes (condition 10), un plan de participation des Autochtones à la surveillance des travaux de construction (condition 12), un rapport résumant les activités de participation menées par NGTL avec tous les groupes autochtones susceptibles d’être touchés (condition 13), les divers programmes et manuels concernant la construction, l’exploitation, l’entretien et la sécurité (condition 15), le calendrier des travaux de construction (condition 16), des rapports d’étape sur la construction (condition 18), des plans d’essais hydrostatiques (condition 25), un rapport sur le rétablissement de l’habitat du caribou et un compte rendu de situation (condition 31), un programme de surveillance du rétablissement de l’habitat du caribou et des mesures compensatoires (condition 32), des rapports de surveillance du caribou (condition 33), un rapport sur la mise en œuvre des mesures compensatoires pour l’habitat du caribou (condition 34), de même que des rapports sur la surveillance postérieure à la construction (condition 36) (rapport de l’Office, p. 182 à 195; DD, vol. 6, p. 1031 à 1044).

D.  Phase IV : La phase subséquente au rapport de l’Office

[17]  Le 2 juin 2016, soit le lendemain de la publication du rapport de l’Office, le BGGP, dans une lettre adressée à la Nation Bigstone, a fait part de l’intérêt du Canada à la consulter directement et a fait savoir que la Couronne considérait que son obligation de consultation se situait à l’extrémité supérieure du continuum de la consultation. Pour s’assurer du sérieux des consultations de la Couronne, le gouverneur en conseil, le 17 juin 2016, a prorogé de deux mois le délai prescrit par la loi pour que le Canada rende sa décision sur le projet. La Nation Bigstone s’est vu accorder des fonds d’un montant maximal de 8 500 $ pour prendre part aux consultations postérieures à l’audience. Le BGGP s’est efforcé d’organiser une réunion dès la mi-juillet, mais la Nation Bigstone n’a pas pu y prendre part en raison d’un [traduction« processus de restructuration organisationnelle »; des représentants du BGGP et de l’Office ont fini par rencontrer des représentants de la Nation Bigstone le 24 août et le 1er septembre 2016. À ces réunions, on a invité la Nation Bigstone à discuter des questions en suspens ainsi que des mesures d’accommodement proposées. Le 20 septembre 2016, le BGGP a présenté à la Nation Bigstone, pour commentaires, une ébauche du Rapport sur la consultation et l’accommodement de la Couronne (le RCAC), accompagnée d’une ébauche d’annexe concernant précisément la Nation Bigstone (l’annexe relative à la Nation Bigstone). Les 27 et 30 septembre 2016, le BGGP a écrit à la Nation Bigstone pour lui demander ses commentaires et il a prorogé le délai, d’abord au 29 septembre 2016, puis au 11 octobre 2016. Le 3 octobre 2016, la Nation Bigstone a informé le Canada qu’elle souhaitait faire des commentaires sur l’ébauche du RCAC; le 24 octobre 2016, n’ayant eu aucune autre nouvelle de la Nation Bigstone, le BGGP a mis la dernière main à l’ébauche du RCAC et à l’annexe relative à la Nation Bigstone. Le 25 octobre 2016, le chef Gordon T. Auger a demandé la tenue d’une réunion entre les dirigeants de la Nation Bigstone et le BGGP et a suggéré au BGGP d’envisager de demander une prorogation des délais en vigueur. Cette lettre est restée sans réponse.

[18]  En se fondant sur son analyse des informations disponibles, la Couronne s’attendait à ce que sa conduite envisagée ait un effet minime sur les droits garantis par l’article 35 à la Nation Bigstone et elle a jugé que les conditions énoncées par l’Office pour assurer la construction et l’exploitation sécuritaires du projet atténueraient les effets négatifs éventuels. La Couronne croyait aussi s’être acquittée de son obligation de consulter la Nation Bigstone.

[19]  Le 28 octobre 2016, le gouverneur en conseil a pris le décret donnant instruction à l’Office de délivrer un certificat à NGTL pour la réalisation du projet, sous réserve des conditions énoncées à l’annexe III du rapport de l’Office. Dans le préambule de ce décret, il est expliqué que le gouverneur en conseil est arrivé à sa conclusion après avoir examiné les préoccupations et les intérêts des groupes autochtones, se disant convaincu que ces préoccupations et ces intérêts avaient fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées et que le processus de consultation était compatible avec l’honneur de la Couronne. Il a aussi souscrit à la recommandation de l’Office, à savoir que, si la Société se conformait à toutes les conditions, le projet présenterait un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, et qu’il n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. Enfin, le gouverneur en conseil a estimé que « le projet renforcerait l’infrastructure de transport du gaz naturel pour un approvisionnement en gaz naturel adéquat et faciliterait, au plan environnemental, l’exploitation durable des ressources » (DD, vol. 1, p. 16).

[20]  Le 4 novembre 2016, l’Office a délivré le certificat. Le 10 décembre 2016, le décret a été publié dans la Gazette du Canada, accompagné d’une note explicative. Cette note ne fait pas partie du décret contesté, mais elle permet de comprendre le contexte qui l’entoure. Il est utile de mentionner que le gouverneur en conseil a estimé que NGTL avait évalué correctement les effets du projet sur l’infrastructure existante, comme les routes et les chemins. Le gouverneur en conseil a également conclu que les mesures d’atténuation que proposait NGTL pour limiter les perturbations au caribou étaient satisfaisantes, compte tenu des préoccupations soulevées par Environnement et Changement climatique Canada. Le gouverneur en conseil a signalé la volonté de NGTL de continuer de communiquer avec les groupes autochtones. Il a également pris en compte les conditions énoncées par l’Office pour répondre aux préoccupations de Santé Canada à l’égard du bruit associé au projet et des effets de ce bruit sur la santé humaine, la prorogation de délai de deux mois accordée par la Couronne pour permettre la tenue de consultations plus approfondies ainsi que le questionnaire en ligne visant à mesurer l’intérêt du public envers le projet. Quinze personnes ont répondu à ce questionnaire et ont fourni 47 réponses, dont la majorité était en faveur du projet.

[21]  Le 7 décembre 2016, la Nation Bigstone a déposé un avis de demande d’autorisation de contrôle judiciaire du décret (DD, vol. 22, p. 3880). L’autorisation a été accordée par la juge Johanne Gauthier le 19 janvier 2017. Le même jour, faisant état d’une atteinte possible à ses droits ancestraux et issus d’un traité, ainsi que de risques pour le caribou, la Nation Bigstone a demandé que l’Office [traduction« rende sur-le-champ une ordonnance d’arrêt de travail concernant le [doublement] » (DD, vol. 11, p. 1890). Le 22 décembre 2016, l’Office a rejeté cette demande au motif que celle‑ci ne soulevait aucune question n’ayant pas déjà été examinée (DN, vol. 3, p. 877 et 878). Le 15 février 2017, la Nation Bigstone a demandé à notre Cour de prononcer une injonction interlocutoire, requête que le juge André Scott a rejetée le 17 mars 2017 (DN, vol. 3, p. 880).

II.  Question en litige

[22]  La présente demande soulève une seule question de fond : la Couronne s’est-elle acquittée convenablement de son obligation de consulter la Nation Bigstone et de prendre les mesures d’accommodement qui s’imposaient, le cas échéant?

III.  Analyse

A.  Le régime législatif

[23]  Aux paragraphes 92 à 127 de l’arrêt Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187 (Nation Gitxaala), la Cour d’appel a résumé avec justesse le régime législatif balisant l’approbation de la construction de pipelines qui a été établi par le législateur dans la Loi sur l’Office. Je m’abstiendrai donc de me livrer au même exercice et je me concentrerai plutôt sur les circonstances du cas qui nous occupe.

[24]  En bref, l’article 31 de la Loi sur l’Office dispose qu’une compagnie qui souhaite construire une section (ou un tronçon) de pipeline demande à l’Office de lui délivrer un certificat. Après avoir établi que la demande de projet est en état, l’Office publie un avis d’audience et de demande de participation en vue de la tenue d’une audience publique destinée à évaluer le projet; dans le cas présent, l’avis a été publié le 29 mai 2015. Le 31 juillet 2015, l’Office a rendu l’ordonnance d’audience GH-002-2015, suivie de mises à jour procédurales, par lesquelles il a établi le processus d’audience publique comportant la liste des questions à examiner lors de l’évaluation du projet et a invité tous les intervenants autochtones qui souhaitaient le faire à lui faire part de leur intention de présenter des preuves traditionnelles orales (DD, vol. 2, p. 231 à 279). L’Office a tenu l’audience publique principalement par écrit; dans le cadre du processus, il a reçu des éléments de preuve à deux reprises, des demandes d’informations à maintes reprises, des lettres de commentaires et des observations finales et, en dernier lieu, NGTL a présenté une réplique. Le seul élément oral de l’audience a été la présentation, en octobre et en novembre 2015, de preuves traditionnelles orales par les intervenants autochtones (DN, vol. 1, p. 208).

[25]  Le 1er juin 2016, l’Office a publié son rapport. Selon le paragraphe 52(1) de sa loi constitutive, il doit énoncer dans ce rapport sa recommandation quant à la délivrance du certificat et les conditions s’y rattachant, le cas échéant. Le paragraphe 52(2) énumère les facteurs sur lesquels il doit fonder sa recommandation, dont « les conséquences sur l’intérêt public que peut, à son avis, avoir la délivrance du certificat ou le rejet de la demande » (alinéa 52(2)e) de la Loi sur l’Office). Étant donné que les doublements de section de pipeline proposés par NGTL pour le projet s’étendaient collectivement sur une longueur de plus de 40 kilomètres, le projet était un « projet désigné » au sens du paragraphe 2(1) de la LCEE et l’Office, en tant qu’autorité responsable, devait établir un rapport contenant l’évaluation environnementale suivant le paragraphe 52(3) de la Loi sur l’Office.

[26]  L’Office a conclu que le projet présentait un caractère d’utilité publique, tant pour le présent que pour le futur, comme l’exige le paragraphe 52(1). Il en est arrivé à cette conclusion après examen non seulement des facteurs énoncés au paragraphe 52(2) de la Loi sur l’Office, mais aussi des éléments énoncés aux articles 5 et 19 de la LCEE. L’Office a également énoncé 36 conditions qu’il estimait utiles, dans l’intérêt public, si le gouverneur en conseil lui donnait instruction de délivrer un certificat autorisant le projet, suivant l’alinéa 52(1)b) de la Loi sur l’Office. De l’avis de l’Office, grâce à ces conditions ainsi qu’aux modalités de protection de l’environnement et aux mesures d’atténuation mises en œuvre par NGTL, le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants. Ces conditions avaient été communiquées au préalable à tous les participants à l’audience, qui ont ensuite été invités à transmettre leurs commentaires.

[27]  Après le dépôt par l’Office de son rapport, le gouverneur en conseil peut, par décret, lui donner instruction de délivrer un certificat et de l’assortir des conditions énoncées dans le rapport, ou rejeter la demande de certificat (paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office). Le décret doit être pris dans les trois mois suivant la remise du rapport, à moins que le gouverneur en conseil proroge ce délai en application du paragraphe 54(3) de la Loi sur l’Office. En l’espèce, le délai a été prorogé de deux mois, jusqu’au 1er novembre 2016. Le gouverneur en conseil aurait pu également demander à l’Office de réexaminer sa recommandation ou toute condition, ou les deux (paragraphe 53(1) de la Loi sur l’Office).

[28]  La Couronne, par l’entremise du BGGP, a consulté les groupes autochtones au sujet de la recommandation de l’Office dans le but de comprendre les effets du projet passés sous silence dans le rapport et les conditions de l’Office, les possibilités d’atténuation de ces effets et, le cas échéant, les mesures d’accommodement à prendre. Dans le Rapport sur la consultation et l’accommodement de la Couronne publié le 14 octobre 2016, le BGGP a décrit le processus de consultation que la Couronne avait entrepris auprès des groupes autochtones, il a fait état des points de vue des groupes autochtones sur l’incidence possible de la conduite de la Couronne sur leurs droits, il a expliqué les conclusions de la Couronne au sujet de l’incidence éventuelle de sa conduite sur les droits garantis par l’article 35 et il a exposé les mesures d’accommodement proposées pour pallier les effets éventuels sur les droits des Autochtones. Il a conclu que les conditions proposées par l’Office répondaient aux préoccupations exprimées par les groupes autochtones et que les mesures d’accommodement prises à cet égard convenaient.

[29]  Le 28 octobre 2016, le gouverneur en conseil a, en vertu de l’alinéa 54(1)a) de la Loi sur l’Office, pris le décret donnant instruction à l’Office de délivrer le CUP GC-126 à Nova, sous réserve des conditions énoncées dans le rapport de l’Office. Il a aussi décidé, conformément au sous-alinéa 31(1)a)(i) de la LCEE, que, compte tenu de ces conditions, le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants et il a donné à l’Office instruction de faire une déclaration en ce sens (alinéa 31(1)b) de la LCEE).

[30]  C’est sur cette décision que porte la présente demande de contrôle judiciaire. Selon le régime législatif édicté par la Loi sur l’Office et la LCEE, le gouverneur en conseil est le seul décideur. L’Office (et, dans une moindre mesure, le BGGP) recueille des renseignements, procède à des consultations, à des analyses et à des évaluations et formule une recommandation. Il n’exerce, ni avant ni après la prise du décret par le gouverneur en conseil, aucun pouvoir indépendant ou discrétionnaire. C’est donc dire que la présente demande n’est axée que sur le décret; la Nation Bigstone a contesté à juste titre la validité juridique de cette décision.

B.  La norme de contrôle applicable

[31]  Les parties conviennent que la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique à toute décision discrétionnaire relevant du gouverneur en conseil en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office. Comme l’a indiqué notre Cour au paragraphe 154 de l’arrêt Nation Gitxaala, la décision discrétionnaire du gouverneur en conseil de prendre le décret donnant instruction à l’Office de délivrer un CUP à Nova était « fondée sur des considérations de politique et d’intérêt public très larges appréciées en fonction de critères polycentriques, subjectifs ou vagues et était influencée par ses opinions sur les considérations d’ordre économique, culturel et environnemental et par l’intérêt public général ». Cela étant, le gouverneur en conseil dispose d’une très grande marge de manœuvre. En l’espèce, la décision du gouverneur en conseil était manifestement fondée sur des considérations de politique et d’intérêt public vagues, comme l’exige la Loi sur l’Office, et elle commande une grande déférence.

[32]  Il n’est nul besoin en l’espèce de déterminer l’étendue des issues possibles acceptables au vu des faits et du droit. Je reconnais qu’une majorité de la Cour suprême a rejeté l’idée que la norme de la raisonnabilité peut être étalonnée et donc élargie ou restreinte en fonction d’une échelle mobile, suivant la nature de la décision faisant l’objet du contrôle (Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, par. 18 et 73, [2016] 1 R.C.S. 770). Il suffit de réitérer, comme l’a fait la Cour suprême dans cette affaire, qu’une décision raisonnable « s’adapte au contexte » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, par. 59, [2009] 1 R.C.S. 339) et doit donc « s’apprécie[r] dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » (Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, par. 18, [2012] 1 R.C.S. 5). Je laisse à d’autres le soin d’établir comment ces deux démarches (c.-à-d. délimiter à un niveau conceptuel la marge de manœuvre accordée à un arbitre ou apprécier la norme de la raisonnabilité en fonction du contexte particulier faisant l’objet du contrôle) diffèrent en pratique.

[33]  Quoi qu’il en soit, notre Cour n’est pas appelée à décider si le décret est raisonnable au regard des principes du droit administratif, mais plutôt si la Couronne s’est acquittée de son obligation constitutionnelle de consultation et d’accommodement. Les parties reconnaissent que la norme de la décision correcte est la norme de contrôle applicable aux conclusions relatives à l’existence, à la teneur et à la portée de l’obligation de consultation, de même qu’à l’importance des revendications de droits ancestraux ou issus d’un traité et à l’effet de l’atteinte, dans la mesure où elles peuvent être isolées des questions de fait. Comme l’a reconnu la Cour suprême dans l’arrêt Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au paragraphe 61, [2004] 3 R.C.S. 511 (Nation haïda), les questions de cette nature sont certes des questions de droit, mais elles sont néanmoins tributaires d’une évaluation des faits.

[34]  À l’inverse, la norme de la raisonnabilité s’applique au contrôle du caractère suffisant du processus de consultation et d’accommodement, car il s’agit d’une question mixte de fait et de droit. Il doit donc y avoir une analyse à la fois juridique et factuelle lorsque la revendication autochtone paraît de prime abord fondée et que la gravité de l’effet sur le droit ancestral ou issu de traité sous-jacent est grave (Nation haïda, par. 62 et 63). À cette étape, la Cour s’attachera au processus lui-même, et non à l’issue concrète du processus de consultation et d’accommodement. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Nation haïda, au paragraphe 62, « [l]a perfection n’est pas requise »; il est satisfait à l’obligation de consultation si le gouvernement a fait des efforts raisonnables pour informer et consulter. Voir aussi Nation Gitxaala, aux paragraphes 182 à 185; Première Nation des Ahousaht c. Canada (Pêches et Océans), 2008 CAF 212, au paragraphe 54; Canada c. Première nation de Long Plain, 2015 CAF 177, au paragraphe 133, [2015] A.C.F. no 961 (QL); Première Nation des Dénés Yellowknives c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148, au paragraphe 56, [2015] A.C.F. no 829 (QL); Hamlet of Clyde River c. TGS-NOPEC Geophysical Company ASA (TGS), 2015 CAF 179, au paragraphe 47, arrêt infirmé pour d’autres motifs par 2017 CSC 40.

C.  L’existence, la teneur et la portée de l’obligation de consultation

[35]  En l’espèce, la Couronne a reconnu qu’elle avait l’obligation de consulter la Nation Bigstone, étant donné que cette dernière avait établi l’existence de droits issus d’un traité et que l’effet éventuel du projet sur ses droits et ses intérêts serait [traduction« modéré à élevé ». Sur ce fondement, elle a évalué l’étendue de cette obligation à « l’extrémité supérieure de l’échelle du continuum » (DD, vol. 21, p. 3664 et 3665). La question de l’existence ou de l’étendue de l’obligation de consultation n’est pas en litige. Nul ne conteste non plus qu’une consultation approfondie comporte habituellement la possibilité de présenter des observations et de participer officiellement à la prise de décisions ainsi qu’un exposé des motifs écrits montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et ont eu une incidence sur la décision (Nation Gitxaala, par. 174).

[36]  Néanmoins, la Nation Bigstone a tenté de faire valoir que la Couronne avait commis une erreur de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, car elle a conclu que l’obligation de consultation exclut les consultations portant sur des droits de gestion de prime abord importants se rapportant au caribou. La Nation Bigstone a soutenu que cet aspect de ses droits ancestraux et issus d’un traité ne figurait pas dans le rapport de l’Office et que le RCAC et les consultations du BGGP n’avaient pas répondu de manière sérieuse aux éléments de preuve qu’elle avait présentés à cet égard.

[37]  Tout d’abord, le rapport de l’Office traite bel et bien des préoccupations de la Nation Bigstone au sujet de l’habitat du caribou. Aux pages 151 et 152 du rapport de l’Office (DD, vol. 6, p. 1001 et 1002), il est fait expressément mention des préoccupations de la Nation Bigstone (et d’autres Premières Nations) ainsi que des mesures qui ont été prises pour rétablir l’habitat du caribou et ses populations. Le RCAC n’est peut-être pas aussi explicite, mais cela n’est pas suffisant en soi pour conclure que le BGGP n’a accordé aucune attention à la question; en fait, il y a peut-être bien d’autres raisons pour lesquelles le RCAC n’en fait aucune mention, comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs. En tout état de cause, je conviens avec Nova que la plainte de la Nation Bigstone soulève des questions au sujet du caractère suffisant des consultations, et non de leur étendue ou de leur profondeur. La Nation Bigstone est peut‑être bien insatisfaite du caractère suffisant des consultations, de la manière dont celles-ci ont été menées, de leur intégralité et de la réponse des représentants de la Couronne, mais il n’y a certainement pas eu d’ambiguïté quant à la nécessité de procéder à des consultations, à la portée de cette obligation ainsi qu’à la nature et à l’effet des droits ancestraux et issus d’un traité de la Nation Bigstone.

[38]  Examinons maintenant les arguments de la Nation Bigstone ayant trait au caractère suffisant et adéquat des consultations, au regard de la norme de la raisonnabilité.

D.  Le caractère suffisant et adéquat du processus de consultation et d’accommodement

1)  Les consultations de la phase IV ont été trop tardives

[39]  Selon la Nation Bigstone, le processus de consultation mené au cours de la phase IV posait problème à plusieurs égards. Tout d’abord, elle soutient que la Couronne a publié le RCAC avant d’obtenir ses commentaires, l’ébauche ne lui ayant été communiquée que dix-huit jours avant que le BGGP y mette la dernière main. Toutefois, il ressort d’une lecture attentive du dossier que la Nation Bigstone a disposé d’un court délai non pas parce que la Couronne a mené le processus en toute hâte mais parce que la Nation Bigstone n’a pas agi avec diligence. Rappelons que la Couronne a communiqué avec la Nation Bigstone par courriel le 2 juin 2016, soit le lendemain de la publication du rapport de l’Office, pour entreprendre les consultations postérieures aux recommandations et l’informer de l’existence du programme d’aide financière. Le 16 juin et le 24 juin 2016, la Couronne a tenté de nouveau d’entrer en contact avec la Nation Bigstone pour organiser une réunion (RCAC, DD, vol. 21, p. 3665). Même si la Couronne n’a pas réussi à organiser une telle réunion, la Nation Bigstone a tout de même transmis sa demande d’aide financière au BGGP le 24 juin 2016, ce qui tendrait à indiquer qu’elle était au courant de la première tentative faite par la Couronne pour tenir une réunion le 2 juin 2016. Ce n’est que le 5 juillet 2016, après une autre tentative faite par la Couronne le même jour pour organiser une réunion, que la Nation Bigstone a répondu qu’elle [traduction« subissait à ce moment un processus de restructuration organisationnelle » (DD, vol. 19, p. 3293).

[40]  La semaine suivante, la Couronne a tenté en vain de joindre la personne-ressource dont le nom lui avait été transmis initialement par la Nation Bigstone, puis elle a tenté d’entrer en contact avec une autre personne que la Nation Bigstone avait indiquée comme personne-ressource (DD, vol. 19, p. 3295). Enfin, le 11 et le 18 juillet 2016, la Couronne a dû entrer en contact avec l’entreprise qui avait mené l’étude sur les usages traditionnels pour le compte de la Nation Bigstone afin de connaître le nom du responsable de la participation aux consultations (DD, vol. 19, p. 3295, 3340 et 3341). À cause de toutes ces tentatives infructueuses pour entrer en contact avec la Nation Bigstone, la première réunion a eu lieu près de trois mois après la publication du rapport de l’Office, soit le 25 août 2016. À cette occasion, la Couronne a remis une copie d’un exposé portant sur les consultations de la Couronne en lien avec le projet. Cet exposé contenait un échéancier indiquant que la Couronne solliciterait des commentaires sur le RCAC en septembre 2016 et que la décision du gouverneur en conseil serait rendue au début de novembre (parce que le gouverneur en conseil avait prorogé de deux mois le délai prévu par la loi pour rendre sa décision sur la recommandation de l’Office).

[41]  Dans son mémoire, la Nation Bigstone écrit qu’elle a demandé une seconde réunion (qui a eu lieu le 1er septembre 2016) parce que la première avait été organisée [traduction] « en toute hâte ». Il semble toutefois, d’après un courriel que le représentant de la Nation Bigstone a envoyé au BGGP, que la réunion avait été organisée en toute hâte à cause de ce représentant (DD, vol. 19, p. 3387). De plus, ce même représentant s’est absenté pendant la seconde réunion et a été remplacé par un autre, même s’il avait lui-même proposé l’heure et le lieu de la réunion. Il s’agit là d’une preuve manifeste de l’absence de participation sérieuse de la Nation Bigstone au processus.

[42]  Certes, le délai accordé à la Nation Bigstone (et à toutes les autres Premières Nations prenant part au processus) pour formuler des commentaires sur l’ébauche du RCAC était serré. Cette ébauche a été communiquée le 20 septembre 2016, et le délai initial pour la présentation des commentaires était le 26 septembre 2016. Pourtant, ce délai a été prorogé à deux reprises, d’abord au 29 septembre 2016, puis au 11 octobre 2016. La Nation Bigstone a informé par écrit le BGGP le 3 octobre 2016 de son intention de lui transmettre ses commentaires avant l’expiration de ce délai; or, elle n’en a pas fourni avant que le RCAC soit finalisé le 14 octobre 2016.

[43]  Compte tenu de cette chronologie, la Nation Bigstone ne peut pas se plaindre sérieusement de ne pas avoir été consultée de manière importante après la publication du rapport de l’Office. Les deux parties ont disposé d’environ quatre mois pour tenir des consultations, mais rien n’a été fait pendant les trois premiers à cause de l’inaction de la Nation Bigstone. Le 25 octobre 2016, le chef de la Nation Bigstone, Gordon T. Auger, a communiqué par écrit avec le BGGP pour lui faire part de son [traduction] « intérêt à prendre part au processus de consultation fédéral concernant le Projet d’agrandissement du réseau de NGTL en 2017 », demander la tenue d’une [traduction] « réunion immédiate » et lui recommander de solliciter une prorogation de délai, à défaut de quoi la Couronne manquerait [traduction] « à son obligation de consultation ». Enfin, le chef a tenu à souligner que la [traduction] « Nation Bigstone [était] résolue à utiliser toutes les voies de recours prévues par la loi pour freiner la réalisation du projet et prévenir toute atteinte à ses droits et titres ou tout préjudice irréparable à la Nation » (DD, vol. 7, p. 1157 à 1159). Pendant des semaines, la Nation Bigstone s’est murée dans le silence, n’a pas répondu aux courriels et n’a jamais transmis de commentaires, comme elle s’était engagée à le faire; cette lettre revêt donc un caractère fallacieux et fait fi d’une appréciation objective et équitable de la conduite des parties. La demande a été présentée nettement trop tard, et la Couronne a eu raison de ne pas accepter une prorogation de délai, étant donné surtout qu’elle en avait déjà accordé une de deux mois.

2)  L’aide financière accordée était insuffisante

[44]  Deuxièmement, la Nation Bigstone soutient que le manque de fonds a empêché la tenue de consultations sérieuses au cours de la phase IV. Cet argument est à mon avis sans fondement. Tout d’abord, mentionnons que la Nation Bigstone a obtenu le montant maximal de fonds, soit 8 500 $, pour prendre part aux consultations postérieures à l’audience. Ce montant s’ajoutait aux 27 000 $ que l’Office lui avait versés à titre d’aide financière aux participants (DD, vol. 14, p. 2360) et aux quelque 225 000 $ versés par NGTL pour financer la participation de la Nation Bigstone au projet (DA, vol. 13, p. 2313).

[45]  De plus, la Couronne n’est nullement tenue de fournir une aide financière. Les deux causes que les avocats de Bigstone ont invoquées à l’appui d’une telle obligation ne revêtent manifestement pas beaucoup de poids (Platinex Inc. c. Kitchenuhmaykoosib Inninuwug First Nation, [2007] O.J. No 2214, [2007] 3 C.N.L.R. 221 (C.S. Ont.) (Platinex); Première nation Dene Tha’ c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2006 CF 1354, [2006] A.C.F. no 1677 (QL), décision confirmée par 2008 CAF 20, [2008] A.C.F. no 444 (QL)). Il s’agit tout au plus d’un seul facteur parmi d’autres qui serviront à évaluer le sérieux des consultations ou, comme il est indiqué dans la décision Platinex, [traduction] « le financement adéquat est essentiel à la tenue de consultations équitables et équilibrées » (par. 27). En l’espèce, la Nation Bigstone n’a même pas essayé de montrer en quoi le présumé manque de fonds avait eu une incidence sur sa participation au processus de consultation et quels fonds supplémentaires auraient été nécessaires. En fait, la Nation Bigstone a renvoyé une entente de financement dûment signée deux mois après l’approbation de sa demande, après s’être fait rappeler à deux reprises (le 8 août et le 20 septembre 2016) qu’elle avait dépassé le délai fixé pour le faire (soit le 27 juillet 2016) (DD, vol. 19, p. 3344 et 3400).

3)  Les consultations n’ont pas été sérieuses

[46]  La Nation Bigstone prétend également que les consultations menées au cours de la phase IV n’ont pas été efficaces ni convenablement gérées et elle soutient que les réunions n’étaient qu’un échange d’informations, qu’elles n’ont pas permis de répondre à ses préoccupations et qu’elles ne lui ont pas fourni un moyen d’amorcer des discussions sérieuses sur des questions à régler propres au projet. Or ces prétentions ne sont ni justifiées ni étayées par le dossier.

[47]  Il ne fait aucun doute que la Couronne était tenue de consulter la Nation Bigstone et d’autres groupes autochtones touchés par le projet. Cette obligation découle de l’honneur de la Couronne, et elle prend naissance lorsque cette dernière a connaissance concrètement ou par imputation de l’existence possible de droits garantis par l’article 35 et qu’elle envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur ces droits (Nation haïda, par. 35, et Nation Gitxaala, par. 171 et 172). Nul ne conteste non plus que le gouverneur en conseil, quand il examine sous le régime de la Loi sur l’Office un projet de construction de pipeline qui peut avoir une incidence sur les droits garantis par l’article 35, doit veiller à ce que le Canada se soit acquitté de son obligation de consultation avant d’autoriser la délivrance, par l’Office, d’un certificat (Nation Gitxaala, par. 168 et 237).

[48]  En l’espèce, le Canada a déjà reconnu que son obligation de consultation se situe à l’extrémité supérieure du continuum, car la Nation Bigstone a établi l’existence de droits issus d’un traité à titre de signataire du Traité no 8, que l’atteinte éventuelle est d’une importance considérable et que le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de telles circonstances, le processus de consultation pourrait comporter la possibilité pour les groupes autochtones susceptibles d’être touchés de présenter des observations et de participer au processus décisionnel, ainsi qu’un exposé des motifs écrits montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et ont eu une incidence sur la décision (Nation haïda, par. 44, et Nation Gitxaala, par. 174).

[49]  L’obligation de consultation n’est pas d’une portée illimitée et ne confère à aucune Première Nation un droit de veto. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Nation haïda, la Couronne n’est pas tenue à la perfection; dans la mesure où des efforts raisonnables ont été faits pour informer et consulter, il aura été satisfait à l’obligation de consultation (Nation haïda, par. 62, et Nation Gitxaala, par. 184). Au vu du dossier soumis à la Cour, je suis d’avis que la consultation de la Nation Bigstone, considérée dans son ensemble, a revêtu un caractère véritable et suffisant et, partant, a permis à la Couronne de s’acquitter de son obligation, même en fonction du critère le plus strict.

a)  Le gouverneur en conseil s’est fondé à mauvais droit sur le processus de l’Office

[50]  Soulignons d’emblée que le gouverneur en conseil pouvait se fonder sur le processus de l’Office pour s’acquitter, en partie du moins, de son obligation de consultation. Comme la demanderesse l’a elle-même reconnu, la Couronne pouvait déléguer à l’Office les aspects procéduraux du processus de consultation et se fonder sur le processus réglementaire pour s’acquitter, en tout ou en partie, de cette obligation. Il va sans dire que la Couronne doit prendre d’autres mesures pour s’acquitter de son obligation dans les cas où le processus réglementaire ne permet pas de mener à un processus de consultation ou d’accommodement suffisant (Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, par. 22, [2017] 1 R.C.S. 1069 (Clyde River)). La Cour suprême s’est exprimée ainsi dans cet arrêt :

Elle pourrait devoir combler les lacunes soit au cas par cas, soit de manière plus systématique au moyen de modifications législatives ou réglementaires […]. Elle pourrait également exiger la présentation d’observations à l’organisme de réglementation, demander le réexamen de la décision ou solliciter le report de l’audience afin de mener d’autres consultations dans le cadre d’un processus distinct avant que la décision ne soit rendue.

[Références omises]

Voir aussi les arrêts Chippewas of the Thames First Nation c. Pipelines Enbridge Inc., 2017 CSC 41, au paragraphe 44, [2017] 1 R.C.S. 1099 (Chippewas), Nation haïda, au paragraphe 53, et Nation Gitxaala, au paragraphe 178.

[51]  Le Canada a informé très tôt la Nation Bigstone qu’il entendait se fonder sur le processus de l’Office pour s’acquitter en partie de son obligation de consultation. Dans l’Entente de projet pour le Projet d’agrandissement du réseau de NGTL en 2017 en Alberta, signée en septembre 2015, le Canada a clairement indiqué qu’il se fonderait, dans la mesure du possible, sur le processus de l’Office pour s’acquitter de toute obligation de consultation relative au projet (DD, vol. 15, p. 2556). Le 15 février 2015, le directeur général des Opérations du BGGP, M. Jim Clarke, a communiqué par écrit avec le chef de la Nation Bigstone, Gordon T. Auger, pour informer la Nation des plans de consultation du Canada :

[traduction]

Pour ce qui est du Projet d’agrandissement du réseau de NGTL en 2017, la Couronne se fondera sur le processus d’audience publique de l’Office national de l’énergie (Office), dans la mesure du possible, en vue de s’acquitter de son obligation de consultation. Ce processus servira donc à relever, à examiner et à régler les effets négatifs éventuels du projet sur les droits ancestraux et issus d’un traité. Ce processus offre aux groupes autochtones et aux autres parties touchées un moyen ouvert, exhaustif et participatif de faire état de leurs préoccupations et de leurs intérêts à l’égard d’un projet envisagé.

[…]

Le gouvernement du Canada encourage tous les groupes autochtones dont les droits établis ou revendiqués pourraient être touchés par le projet à présenter à l’Office une demande de participation au processus d’audience publique.

DD, vol. 17, p. 2916 et 2917.

[52]  Il était raisonnable que la Couronne se fonde sur ce processus pour consulter la Nation Bigstone et d’autres groupes autochtones touchés. Il est de jurisprudence constante que les processus réglementaires existants sont raisonnables et constituent un moyen pratique d’entreprendre des consultations et qu’il incombe aux groupes autochtones de recourir à de tels processus s’ils souhaitent exprimer leurs préoccupations (Clyde River, par. 22; Chippewas, par. 44; Première nation Tlingit de Taku River c. Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, par. 40, [2004] 3 R.C.S. 550 (Taku River); Beckman c. Première nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, par. 39, [2010] 3 R.C.S. 103; Nation Gitxaala, par. 175 et 176). Il ressort d’un examen du dossier que le processus de l’Office a été structuré de façon à favoriser la consultation importante et sérieuse des Autochtones. La Nation Bigstone a bel et bien reçu de nombreuses informations sur le projet, elle a obtenu une aide financière pour prendre part aux consultations de la Couronne et elle a participé activement au processus d’audience. À titre d’intervenante, elle a déposé ses études intérimaire et finale sur les usages traditionnels, de même qu’une étude technique sur le caribou. Elle a aussi présenté des demandes d’informations à deux reprises, déposé des requêtes écrites, transmis des preuves orales traditionnelles et présenté des observations finales. Elle a manifestement eu amplement l’occasion d’exprimer ses préoccupations à l’égard du projet et de discuter des moyens possibles de répondre à ses préoccupations.

[53]  Les nombreuses mesures d’accommodement imposées à NGTL dans les conditions révèlent que l’Office a réellement tenu compte des droits et des préoccupations de la Nation Bigstone. En particulier, celle-ci a demandé que NGTL confirme qu’un plan d’intervention en cas d’accident serait présenté et elle a demandé à NGTL de s’engager à faire régulièrement le point sur l’état d’avancement du plan. Après avoir pris en compte les mesures que NGTL proposait en matière de préparatifs d’urgence, l’Office les a jugées convenables et a imposé des conditions à cet égard (rapport de l’Office, p. 44; DD, vol. 6, p. 905). La Nation Bigstone se souciait également de la contamination éventuelle des aliments traditionnels, des plantes médicinales et des cultures vivrières, de la perte de l’habitat et des éventuels effets environnementaux cumulatifs du projet. L’Office a tenu compte de ces observations et de celles d’autres Premières Nations et il est arrivé à la conclusion que les effets du projet sur l’usage traditionnel des terres ne seraient vraisemblablement pas importants et qu’il serait possible de les atténuer convenablement en mettant en œuvre les engagements de NGTL, les mesures d’atténuation proposées et les exigences réglementaires prescrites, de même que les conditions énoncées par l’Office (rapport de l’Office, p. 74, 83 et 84; DD, vol. 18, p. 935, 944 et 945).

[54]  La principale préoccupation de la Nation Bigstone semble avoir trait à l’effet éventuel du projet sur le caribou et son habitat. Cette Nation, ainsi que d’autres groupes autochtones, a fait part de ses préoccupations au sujet de la version préliminaire du Plan d’atténuation par des mesures compensatoires et de rétablissement de l’habitat du caribou de NGTL pour le projet, ainsi que des effets cumulatifs sur le caribou. L’Office a traité en détail de ces questions dans son rapport (rapport de l’Office, p. 129 à 143; DD, vol. 18, p. 3190 à 3204), et il a formulé sept conditions (les conditions 6, 7, 18, et 31 à 34) au sujet du rétablissement de l’habitat, des mesures de compensation, des activités de surveillance, des rapports et des effets cumulatifs, ainsi que des engagements de NGTL à l’égard de la mise en œuvre de mesures d’atténuation exemplaires.

b)  Les conditions constituent une délégation illicite à l’Office de l’obligation de consultation

[55]  Dans son mémoire des faits et du droit, la Nation Bigstone soutient qu’un grand nombre des conditions énoncées par l’Office sont de nature prospective et prévoient des consultations à venir et qu’elles constituent donc une délégation illicite à l’Office de l’obligation de consultation. Invoquant l’arrêt Nation Gitxaala, au paragraphe 237, elle fait valoir la nécessité pour la Couronne de s’acquitter de l’obligation de consultation avant que le gouverneur en conseil donne à l’Office l’autorisation de délivrer un certificat.

[56]  Voilà une objection facile à régler. La Loi sur l’Office indique clairement que le rôle de l’Office ne consiste pas simplement à évaluer les projets de construction de pipeline et à rendre des ordonnances ou à délivrer des certificats pour la construction et l’exploitation de tels projets; il consiste aussi à superviser la construction, l’exploitation et la cessation d’exploitation. Il s’agit d’un processus dynamique, qui n’est pas figé dans le temps. En fait, l’Office joue un rôle réglementaire permanent pour ce qui est de l’infrastructure pipelinière assujettie à la réglementation fédérale, en veillant au respect des exigences et à l’application des mesures de sécurité et de protection de l’environnement (voir, par exemple, les articles 13, 21, 48, 49, 51.1 et 136 de la Loi sur l’Office). En conséquence, la possibilité pour l’Office d’imposer des conditions qui obligent le promoteur du projet à soumettre d’autres informations à son examen ou à son approbation à un stade ultérieur ne diminue en rien sa responsabilité d’avoir en main suffisamment d’informations à la fin de l’audience pour formuler une recommandation assortie de conditions auxquelles le certificat devrait être assujetti.

[57]  Il en va de même des évaluations environnementales. Vu la nature permanente et dynamique des projets de grande taille et l’étape initiale du processus à laquelle ces évaluations ont lieu, il est manifestement raisonnable de recommander d’autres études permettant de recueillir de plus amples informations. Cette possibilité est effectivement envisagée à l’alinéa 29(1)b) de la LCEE, selon lequel l’autorité responsable de l’évaluation environnementale d’un projet désigné nécessitant la délivrance d’un certificat visé à l’article 54 de la Loi sur l’Office est explicitement habilitée à formuler des recommandations sur le programme de suivi qui doit être mis en œuvre pour le projet. Commentant une disposition semblable qui figure dans la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37, à l’article 38, notre Cour s’est exprimée en ces termes :

Finalement, on nous demande de conclure que la commission a irrégulièrement délégué certaines de ses fonctions lorsqu’elle a recommandé que certaines autres études et rapports en cours destinés à l’Office national de l’énergie soient réalisés avant, pendant et après les travaux de construction. Cet argument démontre que les requérants comprennent mal la fonction de la commission, qui joue simplement un rôle de cueillette d’éléments d’information et de formulation de recommandations. La Cour se refuse de modifier à la légère l’opinion de la Commission suivant laquelle elle disposait de suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir s’acquitter de cette fonction « le plus tôt possible au stade de la planification du projet, avant la prise d’une décision irrévocable » (voir le paragraphe 11(1)). De par sa nature, le rôle de la commission consiste à faire des prévisions et il n’est pas étonnant que la loi envisage explicitement la possibilité de programmes « de suivi ». D’ailleurs, compte tenu de cette tâche, nous doutons qu’on puisse jamais en arriver à une évaluation environnementale définitive et infaillible.

Alberta Wilderness Assn c. Express Pipelines Ltd. [1996] A.C.F. no 1016 (QL), par. 14 (C.A.F.).

[58]  À l’évidence, l’autorité responsable, pour les besoins de la LCEE, doit avoir en main assez d’informations pour formuler une recommandation sur le projet désigné, compte étant tenu de la mise en œuvre de toute mesure d’atténuation qu’elle peut énoncer dans son rapport. Toutefois, en vertu de l’article 54 de la Loi sur l’Office et du paragraphe 31(1) de la LCEE, il appartient au gouverneur en conseil de rendre la décision et de décider, en fonction des informations en sa possession, si le projet est conforme à l’intérêt public et s’il est susceptible ou non d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants et si ces effets peuvent être justifiés.

[59]  Je suis donc d’avis que les conditions prévues dans le rapport de l’Office ne sont pas assimilables à une délégation inadmissible et illicite de l’obligation de consultation. Le gouverneur en conseil pouvait se fonder sur un processus de réglementation et d’évaluation environnementale existant pour s’acquitter de son obligation, et il est arrivé à sa propre conclusion en se fondant sur les preuves, la recommandation et les mesures d’atténuation proposées qui lui ont été soumises, y compris les informations découlant des consultations menées au cours de la phase IV. Par ailleurs, l’obligation de consultation et d’accommodement de la Couronne ne prend pas fin une fois que l’autorisation a été donnée; elle subsiste aux stades ultérieurs du processus de mise en œuvre. Comme la Cour suprême l’a reconnu dans l’arrêt Taku River, au paragraphe 45, l’approbation de projet est « simplement l’étape du processus qui permet la mise en œuvre du projet » (voir aussi Nation Gitxaala, au paragraphe 177). On peut s’attendre à ce que la Couronne réponde, pendant toute la durée du projet, aux préoccupations des Premières Nations qui ne sont pas réglées ou qui sont nouvelles.

c)  Les réunions avec la Couronne étaient assimilables à un échange d’informations plutôt qu’à une consultation sérieuse, les préoccupations de la Nation Bigstone n’ayant de ce fait pas été examinées convenablement

[60]  La Nation Bigstone a également fait valoir que les consultations qui ont eu lieu après la publication du rapport de l’Office n’étaient pas sérieuses, car les réunions n’étaient qu’un échange d’informations et elles n’ont pas permis de répondre aux préoccupations de la Nation ni d’engager de véritables discussions sur des questions à régler. La Nation Bigstone n’a fourni aucune précision à l’appui de ces allégations, et il n’en ressort pas du dossier.

[61]  Selon les comptes rendus que le BGGP a préparés à la suite des deux réunions tenues entre les représentants du Canada et de la Nation Bigstone, la Couronne semble à l’évidence avoir été ouverte à des suggestions de mesures d’accommodement et d’atténuation. Les principales préoccupations et questions que la Nation Bigstone a soulevées ont été explicitement énoncées, mais cette dernière n’a proposé aucune mesure d’accommodement ou d’atténuation possible qui aurait dissipé ses craintes.

[62]  En outre, aux dires de la Nation Bigstone, le BGGP n’a pas facilité la tenue d’une réunion entre Environnement Canada ou Ressources naturelles Canada et ses représentants. Là encore, si cette réunion n’a pas eu lieu c’est, semble-t-il, parce que la Nation Bigstone ne l’a jamais demandée. Dans une lettre envoyée à la Nation Bigstone et à d’autres Premières Nations le 2 juin 2016 (le lendemain de la publication du rapport de l’Office), le directeur des Opérations du BGGP a proposé d’inviter des représentants d’autres ministères fédéraux à participer à de prochaines réunions [traduction] « suivant les sujets de discussion que vous mentionnerez » (DD, vol. 19, p. 3266). La Nation Bigstone ne s’est jamais prévalue de cette offre. Il convient également de signaler que le BGGP fait partie de Ressources naturelles Canada.

[63]  Qui plus est, la Nation Bigstone prétend que l’annexe relative à Bigstone contient une liste incomplète de ses préoccupations et ne montre pas de quelle façon ses données scientifiques et ses connaissances autochtones ont été intégrées dans les processus décisionnels. Cet argument est facile à réfuter. Comme il a été mentionné au paragraphe 17 des présents motifs, le 20 septembre 2016, le BGGP a écrit à la Nation Bigstone et lui a fourni une copie de l’ébauche du RCAC et de l’annexe relative à Bigstone pour qu’elle l’examine et la commente; malgré les deux prorogations de délai accordées, la Nation Bigstone n’y a pas répondu. Par ailleurs, rien n’indique que la Nation Bigstone a expressément soulevé la question de l’effet éventuel du projet sur le caribou à l’une ou l’autre des réunions, un sujet qui, dit-elle maintenant, suscite de sérieuses préoccupations. À cela s’ajoutent le temps que la Nation Bigstone a mis à répondre aux demandes de réunions de la Couronne et la tenue d’une rencontre pour la première fois près de trois mois après que la Couronne l’a contactée; force est de conclure que la Nation Bigstone ne s’est pas acquittée de sa part de responsabilité. Comme l’a déclaré la Cour suprême dans l’arrêt Nation haïda, au paragraphe 42 : « les deux parties sont tenues de faire montre de bonne foi ».

4)  Les motifs fournis sont insuffisants

[64]  De l’avis de la Nation Bigstone, il n’est pas possible de savoir, à la lumière du décret, de la note explicative et du RCAC, si ses droits ancestraux et issus d’un traité ont été pris en compte et de quelle façon ils ont influencé le décret. Ce décret est la seule preuve présentée à notre Cour — un élément important du dossier montrant ce qui a constitué le fondement de la décision du gouverneur en conseil n’en fait pas partie, car il s’agit de renseignements confidentiels du Conseil privé au sens de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5 —, et il ne fait pas état de toutes les préoccupations que la Nation Bigstone a exprimées pendant le processus d’audience de l’Office ou par la suite. Quant à la note explicative, il ne s’agit pas d’une [traduction] « évaluation des effets sur les droits en cause » et des mesures d’accommodement possibles, mais plutôt, de l’avis de la Nation Bigstone, d’un simple résumé du processus suivi jusqu’à la date de la décision du gouverneur en conseil. Le RCAC, par contre, ne peut pas montrer que le gouverneur en conseil a tenu dûment compte des droits ancestraux et issus d’un traité qui sont en cause, car il a été rédigé par le BGGP et ne peut traiter que des questions qui ont été examinées jusqu’à ce que le gouverneur en conseil rende sa décision.

[65]  Il est incontestable qu’une consultation approfondie nécessite des explications écrites susceptibles de montrer que les préoccupations des groupes autochtones ont été dûment prises en compte et de révéler l’incidence que ces préoccupations ont eue sur la décision du gouverneur en conseil (Nation haïda, par. 44, Nation Gitxaala, par. 314). En l’espèce, il n’a pas été satisfait à cette exigence. Le gouverneur en conseil pouvait à juste titre fonder sa décision sur le rapport de l’Office et sur le RCAC. Il est bien établi qu’il n’est pas nécessaire qu’un décideur administratif motive ses conclusions à l’égard de chacune des questions que soulèvent les parties et qu’il peut se fonder sur les rapports d’autres organismes administratifs et y souscrire (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, par. 16, [2011] 3 R.C.S. 708; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, par. 44). En fait, le gouverneur en conseil a explicitement indiqué, dans le préambule du décret, que sa décision d’autoriser le projet reposait sur le rapport de l’Office et le RCAC.

[66]  Le décret qui est l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire ne présente pas la même lacune que celui qui était contesté dans Nation Gitxaala. Dans cette affaire, notre Cour a conclu que le décret était lacunaire, en ce sens qu’il ne contenait qu’un seul attendu à propos de l’obligation de consultation faisant simplement état de la tenue d’un processus de consultation. Dans le cas qui nous occupe, le décret indique sans équivoque que le Canada s’est acquitté de son obligation. Le quatrième « attendu » est ainsi libellé :

Attendu que le gouverneur en conseil est convaincu, après examen des préoccupations et des intérêts des groupes autochtones identifiés dans le Rapport sur la consultation et l’accommodement de la Couronne […] que le processus de consultation est compatible avec l’honneur de la Couronne et que les préoccupations et intérêts ont fait l’objet de mesures d’accommodement appropriées.

DD, vol. 1, p. 16.

[67]  Cet énoncé ne laisse place à aucune ambiguïté. Il est évident que le gouverneur en conseil a tenu compte de son obligation de consultation et, s’il y a lieu, d’accommodement, et qu’il estime s’en être acquitté. La note explicative, bien qu’elle ne fasse pas partie du décret, fournit des précisions à l’égard de cette clause préliminaire. Elle indique que la Couronne s’est fondée sur le processus d’examen de l’Office et ses propres activités consultatives pour s’acquitter de son obligation de consultation. Elle précise ensuite :

Pour évaluer l’adéquation de la consultation et l’accommodement de la Couronne, Ressources naturelles Canada (RNCan) a préparé un Rapport sur la consultation et l’accommodement de la Couronne (RCAC). Ledit rapport comprend une analyse des questions soulevées, les mesures d’atténuation proposées, la réponse de l’Office et les conditions qu’elle imposerait. Le RCAC documente le processus de consultation de la Couronne auprès des groupes autochtones, les questions soulevées, les effets potentiels sur les droits autochtones et les mesures d’atténuation.

DD, vol. 21, p. 3742.

[68]  De ce fait, il ne peut pas être affirmé, comme dans l’arrêt Nation Gitxaala, que rien n’indique que le gouverneur en conseil a reçu des informations au sujet du processus de consultation. La note explicative résume le processus de consultation, les préoccupations exprimées par les groupes autochtones ayant participé au processus de l’Office, les conclusions de l’Office, ainsi que les consultations qui ont eu lieu au cours de la phase postérieure à la publication du rapport de l’Office.

[69]  Il ne peut pas non plus être affirmé, comme au paragraphe 317 de l’arrêt Nation Gitxaala, que le RCAC « n’a pris aucune décision concernant le titre ancestral ou les droits autochtones et n’a donné aucune explication sur la façon dont ces droits non appréciés avaient influé, le cas échéant, sur sa décision voulant que le projet n’aurait pas d’incidence négative sur les intérêts des groupes autochtones qui font usage des terres, des eaux ou des ressources dans la région visée par le projet ». Une lecture attentive de ce rapport montre que la Couronne : 1) a expliqué son analyse portant sur la solidité des revendications et la profondeur des consultations à l’égard de chacun des groupes autochtones susceptibles d’être touchés par le projet, dont la Nation Bigstone, 2) a circonscrit et évalué les éléments de preuve concernant le point de vue des Autochtones sur leurs préoccupations principales, 3) a pris en considération les éléments de preuve des Autochtones qui ont été présentés dans le cadre du processus de l’Office ainsi que d’autres éléments de preuve présentés par la suite, et 4) a traité de chacune des préoccupations exprimées par les groupes autochtones et a analysé l’incidence de chacune sur les décisions de la Couronne concernant le projet.

[70]  Compte tenu du rapport de l’Office et des motifs détaillés de la Couronne (par l’entremise du BGGP), motifs sur lesquels le gouverneur en conseil s’est expressément fondé dans le décret, il ne peut raisonnablement être soutenu que le gouverneur en conseil n’a pas fourni de motifs suffisants. La décision ne plaît peut‑être pas à la Nation Bigstone, mais il ne s’agit pas là du critère qui permet de décider si la Couronne s’est acquittée de l’obligation de consultation, laquelle ne peut se muer en une obligation de parvenir à une entente, ce qui équivaudrait alors à un droit de veto. Comme l’a déclaré sans ambages la Cour suprême dans Nation haïda (par. 62) : « [l]e gouvernement doit déployer des efforts raisonnables pour informer et consulter. Cela suffit pour satisfaire à l’obligation ».

[71]  Dans Nation Gitxaala, notre Cour a conclu son analyse de l’obligation de fournir des motifs en ces termes :

Si la consultation de la phase IV avait été adéquate, si les motifs donnés par les fonctionnaires du Canada durant le processus de consultations avaient été adéquats et si le décret faisait référence et adoptait ce processus ainsi que les motifs donnés pendant sa tenue, même de façon générique, les exigences des motifs auraient pu être rencontrées. […]

Nation Gitxaala, par. 324.

Je suis absolument convaincu qu’en l’espèce, il a été satisfait à toutes ces exigences.

5)  La Couronne n’a pas tenu compte des préoccupations de la Nation Bigstone

[72]  En dernier lieu, la Nation Bigstone prétend que la Couronne n’a pas tenu suffisamment compte de ses préoccupations se rapportant aux incidences du projet sur le caribou et son habitat, ainsi que sur l’usage traditionnel des terres et des ressources. S’appuyant sur l’étude intérimaire sur les usages traditionnels qu’elle a déposée auprès de l’Office, la Nation Bigstone soutient avoir demandé les mesures d’accommodement suivantes :

[traduction]

a) d’autres rencontres avec la Nation Bigstone en vue d’évaluer les effets et de mettre au point des mesures d’accommodement; b) la mise en application de connaissances autochtones dans le cadre de la mise au point des plans et des programmes de surveillance et des plans de remise en état; c) une entente sur la tenue d’autres études et évaluations; d) un appui envers un agent de liaison avec la Société qui serait au service de la Nation Bigstone; e) la création et la mise en œuvre d’un programme de surveillance communautaire; f) la formation d’un groupe de travail multilatéral axé sur le rétablissement du caribou des forêts boréales; et g) la création de stratégies de gestion réduisant au minimum le risque d’incidence pour la faune et les droits de récolte.

Mémoire des faits et du droit révisé de la demanderesse, par. 80. DD, vol. 4, p. 685-688.

[73]  À l’évidence, le Canada avait non seulement l’obligation de consulter, mais aussi celle de prendre des mesures d’accommodement en vue de répondre dans une large mesure aux préoccupations légitimes de la Nation Bigstone. Comme l’a déclaré la Cour suprême au paragraphe 25 de l’arrêt Taku River, « [l]a volonté de répondre aux préoccupations est un élément clé tant à l’étape de la consultation qu’à celle de l’accommodement ». Dans certains cas, des consultations sérieuses peuvent obliger la Couronne à changer la voie qu’elle se proposait de suivre en vue de répondre aux préoccupations des Autochtones et d’éviter de causer un préjudice irréparable ou de réduire au minimum les effets de l’atteinte.

[74]  En l’espèce, NGTL a pris un certain nombre d’engagements pour protéger le caribou et son habitat : 1) établir un plan de rétablissement de l’habitat du caribou et des mesures compensatoires; 2) faire en sorte que les travaux de construction aient principalement lieu l’hiver de façon à éviter les périodes d’activités restreintes du caribou; 3) inclure, en plus d’autres mesures favorables à la faune, des mesures d’atténuation supplémentaires concernant expressément les aires de répartition du caribou. Ces engagements ont été consignés par l’Office dans son rapport (DD, vol. 6, p. 992 et 993) et sont exécutoires aux termes de la condition 5 (DD, vol. 6, p. 1032); il en est également question dans le RCAC, à la page 34 (DD, vol. 21, p. 3656).

[75]  La Couronne a également expressément souscrit, dans le RCAC, aux sept conditions que l’Office avait proposées pour atténuer les effets directs sur le caribou et son habitat (voir le paragraphe 54 des présents motifs) et elle a fait en sorte que l’Office délivre le CUP GC‑126 sous réserve de ces conditions. La Couronne a reconnu que la protection du caribou est de la plus haute importance, vu qu’il s’agit d’une espèce menacée au sens de la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29, et elle a conclu son analyse de la question en ces termes :

La Couronne estime que les conditions 6, 7, 18, 31, 32, 33 et 34 du certificat de l’ONE permettront de s’assurer pertinemment de la réduction au minimum et de l’atténuation des effets possibles sur le caribou et l’habitat du caribou. Plus précisément, NGTL est tenu de déposer et de mettre à exécution un rapport sur le rétablissement de l’habitat du caribou, un programme de surveillance du rétablissement de l’habitat du caribou et de mesures compensatoires, des rapports de surveillance du caribou et un rapport sur la mise en œuvre des mesures compensatoires pour l’habitat du caribou. NGTL est également tenu de déposer des rapports d’étape sur la construction qui traitent notamment de la manière dont NGTL évitera, dans la mesure du possible, de travailler sur le Projet pendant les périodes restreintes afin de réduire les effets sur les femelles en gestation et leurs faons. D’autres engagements comprennent des mesures d’atténuation particulières pour les aires de répartition du caribou et la poursuite des discussions avec le ministère de l’Environnement et des Parcs de l’Alberta sur la détermination des emplacements de compensation prioritaires.

De plus, dans l’éventualité où les activités de rétablissement et de compensation ne réussissent pas, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique pourrait prendre des mesures supplémentaires en vertu de la Loi sur les espèces en péril afin de protéger l’habitat critique dans les terres provinciales, y compris l’habitat du caribou. S’il est approuvé, un décret de protection peut arrêter les activités de mise en valeur dans la région alors que des mesures supplémentaires de conservation sont mises en place.

RCAC, p. 39 et 40; DD, vol. 21, p. 3657 et 3658.

[76]  Compte tenu de ce qui précède, conjugué à la décision de la Nation Bigstone de ne pas participer proactivement au processus postérieur aux consultations de l’Office, à son omission d’évoquer expressément la question des effets éventuels du projet sur le caribou à l’une ou l’autre des réunions avec le BGGP et de son défaut de se prévaloir de la possibilité de fournir des commentaires sur l’ébauche du RCAC, je suis d’avis que la Nation Bigstone n’a pas établi que ses préoccupations n’ont pas été prises en compte et que des mesures d’accommodement connexes n’ont pas été prises. Considéré dans son ensemble, le processus de consultation a donné lieu à des efforts raisonnables pour informer et consulter et pour prendre des mesures d’accommodement, ainsi que l’exigent les obligations fiduciales de la Couronne.

IV.  Conclusion

[77]  Au vu de la conclusion que j’ai tirée, je ne commenterai pas les observations supplémentaires de NGTL selon lesquelles la Nation Bigstone a déposé sa demande de contrôle judiciaire dans le but inavoué de tirer parti des négociations en vue d’obtenir des chances de conclure des marchés dans le cadre du projet et que, de toute façon, cette demande est sans objet. Je dirai simplement que les déclarations que la Nation Bigstone souhaitait obtenir au sujet des prétendus manquements de la Couronne à ses obligations n’étaient pas sans objet, même si la construction du projet dans le territoire traditionnel de la Nation était terminée, car le projet a une longue durée de vie et ces déclarations auraient pu avoir une incidence sur les interactions et les négociations à venir entre la Couronne et les groupes autochtones.

[78]  Je propose que la demande soit rejetée avec dépens. Comme les parties veulent présenter des observations sur le montant des dépens, je propose, si elles sont incapables de s’entendre sur ce montant, qu’elles présentent leurs observations de la manière suivante. Dans un délai de sept jours suivant le prononcé des présents motifs, les défendeurs doivent soit informer la Cour de leur intention de ne pas présenter d’observations sur les dépens (auquel cas aucun jugement distinct ne sera rendu), soit signifier et déposer des observations d’une longueur maximale de trois pages, à double interligne. Ils peuvent y demander qu’il soit fait masse des dépens et autres débours. Dans un délai de sept jours suivant la signification des observations, la demanderesse peut présenter une réponse d’une longueur maximale de trois pages, à double interligne.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

D. G. Near, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Andrée Morin, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-31-17

 

INTITULÉ :

NATION CRIE BIGSTONE c. NOVA GAS TRANSMISSION LTD., procureur général du Canada ET OFFICE NATIONAL DE L’ÉNERGIE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 octobre 2017

motifs du jugement :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE NEAR

DATE DES MOTIFS :

LE 8 MAI 2018

COMPARUTIONS :

Me Kennedy Bear Robe

Me Robin Dean

Me Amyn Lalji

pour LA demanderesse

Me Olivia Dixon

Me Sander Duncanson

POUR LA défenderesse

NOVA GAS TRANSMISSION LTD.

Me Bruce Hughson

Me Susan Eros

POUR LE défendeur

procureur général du Canada

Me Mark Watton

Me Jana Nicholson

POUR L’INTERVENANT

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson LLP

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA demanderesse

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

POUR LA défenderesse

NOVA GAS TRANSMISSION LTD.

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

POUR LE défendeur

procureur général du Canada

Office national de l’énergie

Calgary (Alberta)

POUR L’INTERVENANT

 

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