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Date : 20180510


Dossier : A-238-16

Référence : 2018 CAF 92

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

M. GÁBOR LUKÁCS

appelant

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et BRITISH AIRWAYS PLC

intimés

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 23 avril 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 mai 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

 

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20180510


Dossier : A-238-16

Référence : 2018 CAF 92

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

M. GÁBOR LUKÁCS

appelant

et

OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et BRITISH AIRWAYS PLC

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE WOODS

[1]  M. Gábor Lukács interjette appel de la décision no 91-C-A-2016 rendue par l’Office des transports du Canada (l’Office) le 23 mars 2016, qui a trait à l’obligation de British Airways de libeller certaines conditions de transport dans un tarif. Dans la présente affaire, le libellé concerne l’indemnisation des passagers aériens pour refus d’embarquement à bord d’un aéronef de British Airways en provenance de l’Union européenne et à destination du Canada. Dans la décision faisant l’objet du présent appel, l’Office a déterminé que le libellé proposé par British Airways est conforme à une précédente ordonnance de l’Office (décision no 49-C-A-2016).

A.  Contexte

[2]  Aux termes des règlements canadiens, un transporteur aérien qui offre un service de transport international doit déposer auprès de l’Office un tarif qui indique les conditions de transport, notamment la politique du transporteur quant aux « indemnités pour refus d’embarquement à cause de sur réservation ». Les conditions doivent être établies clairement et être justes et raisonnables. Si un transporteur ne se conforme pas aux conditions libellées, l’Office peut enjoindre au transporteur de prendre des mesures correctives et de verser des indemnités (articles 110, 111, 113.1 et 122 du Règlement sur les transports aériens, DORS/88-58).

[3]  L’affaire a débuté le 30 janvier 2013 lorsque M. Lukács a déposé auprès de l’Office une plainte officielle concernant le libellé du tarif de British Airways. La partie de la plainte qui est visée par le présent appel concerne le caractère raisonnable de la règle 87(B)(3)(B) du tarif, qui traite du montant de l’indemnité à verser pour refus d’embarquement.

[4]  Dans sa lettre de plainte, M. Lukács prétend que la règle 87(B)(3)(B) est déraisonnable pour trois motifs : (1) l’indemnité devrait être offerte à un taux fixe; (2) la règle 87(B)(3)(B) ne révèle peut-être pas précisément la politique de British Airways dans la mesure où la politique est rendue obligatoire par les règlements européens, en particulier par le règlement (CE) no 261/2004; et (3) la politique restreint de façon déraisonnable la possibilité pour les passagers de solliciter d’autres mesures de réparation.

[5]  Le 17 janvier 2014, l’Office a rendu sa décision à l’égard de la plainte (décision no 10-C-A-2014). Relativement au caractère raisonnable de la règle 87(B)(3)(B), l’Office a déterminé que l’indemnisation prévue pourrait être déraisonnable et a ordonné à British Airways de justifier sa thèse selon laquelle l’Office ne devrait pas exiger de mesures correctives.

[6]  Après cette décision, l’Office a rendu plusieurs autres décisions traitant de différents aspects de la plainte. Un appel a également été interjeté devant notre Cour (Lukács c. Canada (Office des transports), 2015 CAF 269).

[7]  Le présent appel concerne deux des décisions subséquentes de l’Office, à savoir les décisions no 49-C-A-2016 et no 91-C-A-2016.

[8]  Dans la décision no 49-C-A-2016, rendue le 18 février 2016, l’Office devait décider si le tarif de British Airways satisfait aux exigences canadiennes s’il n’indique pas l’indemnisation pour les vols en provenance de l’Union européenne. L’Office a déterminé que le tarif doit énoncer l’indemnisation pour ces vols et a ordonné que le tarif soit modifié afin qu’il « reflète le régime proposé par Air Canada ».

[9]  En réponse à cette ordonnance, British Airways a demandé à l’Office de décider si le libellé qu’elle proposait d’ajouter à son tarif était conforme à la décision no 49-C-A-2016. Le libellé proposé est ainsi rédigé en partie (dossier d’appel, p. 10) :

[traduction]

Règle 87(B)(3)

(C)  Montant de l’indemnisation à accorder pour les vols de l’Union européenne à destination du Canada

(I) Sous réserve des dispositions de l’alinéa (b)(3)(a) de la présente règle, le transporteur offre des dommages-intérêts relativement au retard à l’arrivée au point de destination occasionné par un refus d’embarquement involontaire d’un montant en espèces ou l’équivalent de 300 euros pour un retard de 0 à 4 heures et de 600 euros pour un retard de plus de 4 heures.

[…]

[10]  Dans la décision no 91-C-A-2016, l’Office a déterminé que le libellé proposé est conforme à la décision no 49-C-A-2016.

[11]  M. Lukács a sollicité l’autorisation d’interjeter appel de la décision no 91-C-A-2016. Notre Cour la lui a accordée sur le fondement d’une question précise, à savoir [traduction] « si l’inclusion des exceptions figurant dans la règle 87(B)(3)(A) du tarif proposé entraîne la non-conformité du tarif à l’ordonnance de l’Office des transports du Canada dans la décision no 49-C-A-2016 ».

[12]  Les exceptions à la règle 87(B)(3)(A), auxquelles référence est faite ci-dessus, font partie des conditions d’admissibilité à l’indemnisation. Ce sous-alinéa précède le sous-alinéa (B), qui traite du montant de l’indemnité – l’objet de la plainte originale. La partie pertinente de la règle 87(B)(3) est reproduite ci-dessous (dossier d’appel, alinéas 37 et 38).

[traduction]

(3)  et le transporteur responsable d’un tel retard indemnisera ce passager s’il ne fournit pas la place confirmée comme suit :

(A)  CONDITIONS DE PAIEMENT D’UNE INDEMNISATION

Sous réserve des exceptions du présent sous-alinéa, le transporteur offrira au passager le montant d’indemnisation précisé au sous-alinéa (B) si :

(I)  le passager qui détient un billet pour une place réservée confirmée se présente pour le transport à l’heure et au lieu prévus, …

[…]

Exception 1 :   Le passager ne sera pas admissible à une indemnisation si le vol à bord duquel il détenait une place réservée confirmée ne peut l’accommoder pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(AA)  le gouvernement réquisitionne des places,

(BB)  pour des raisons opérationnelles ou de sécurité, l’aéronef a été remplacé par un autre de moindre capacité.

Exception 2 :  Le passager ne sera pas admissible à une indemnisation s’il se voit offrir un accommodement ou un siège dans une section de l’aéronef autre que celle précisée sur son billet, sans frais supplémentaires, mais il est admissible à un remboursement approprié si le nouveau siège se trouve dans une section de l’aéronef où le prix est moins élevé.

(B)  MONTANT DE L’INDEMNISATION À VERSER

[…]

B.  Analyse

[13]  M. Lukács prétend que la décision no 91-C-A-2016 n’est pas raisonnable parce que le libellé proposé, que l’Office a jugé conforme à la décision no 49-C-A-2016, ne se conforme pas au régime proposé par Air Canada, comme il était exigé. Plus précisément, British Airways propose des exceptions à l’indemnisation, alors que le régime proposé par Air Canada n’en prévoit pas.

[14]  L’affaire exige de déterminer si l’Office, dans la décision no 91-C-A-2016, a commis une erreur dans son interprétation de l’une de ses décisions antérieures. Vu la nature de l’appel, la norme de contrôle de la décision raisonnable devrait s’appliquer, compte tenu de l’expertise de l’Office en la matière (Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, aux para. 88 et 99).

[15]  Malheureusement, les exceptions à l’indemnisation figurent dans une disposition autre que celle qui a été remise en question dans la plainte officielle. La plainte sollicitait l’annulation de la règle 87(B)(3)(B). Pour autant que je sache, la règle 87(B)(3)(A) n’a jamais été attaquée dans l’une ou l’autre des instances précédentes qui sont connexes à la présente affaire. Par conséquent, British Airways n’a pas eu la possibilité de faire valoir son point de vue quant à cette disposition.

[16]  Il est utile d’examiner l’économie du tarif actuel de British Airways. Les règles 87(B)(3)(A) et (B) sont des sous-alinéas d’une disposition qui traite de l’indemnisation pour refus d’embarquement. L’objet de ces sous-alinéas est indiqué par leurs titres respectifs : le sous-alinéa (A) traite des [traduction] « conditions de paiement d’une indemnisation » et le sous-alinéa (B) traite du [traduction] « montant de l’indemnisation à verser ». Comme nous l’avons mentionné, la plainte officielle avait pour seul objet le sous-alinéa (B).

[17]  Selon les prétentions de M. Lukács, les exceptions à l’indemnisation qui figurent au sous-alinéa (A) ne devraient pas s’appliquer aux vols en provenance de l’Union européenne, et le régime proposé par Air Canada ne les prévoit pas. S’il existe possiblement de bons arguments l’appuyant, la prétention va au-delà de la plainte traitée par l’Office. Par conséquent, il serait raisonnable que l’Office ne tienne pas compte des exceptions du sous-alinéa (A) et qu’il décide que ses décisions connexes  antérieures ne visent que le sous-alinéa (B).

[18]  Dans les circonstances, il serait raisonnable que l’Office conclue que le libellé proposé par British Airways est conforme à la décision no 49-C-A-2016 puisque la décision tient compte du montant de l’indemnité, et non des conditions de paiement. Bien que la décision no 49-C-A-2016 n’ait pas été explicitement restreinte de cette façon, il serait raisonnable que l’Office conclue que cette restriction est implicite, étant donné le contexte du différend.

[19]  Par conséquent, je suis d’avis que la décision no 91-C-A-2016 de l’Office était raisonnable et je rejetterais l’appel.

[20]  Quant aux dépens, M. Lukács a demandé que la Cour lui accorde ses débours puisque l’appel constitue un litige d’intérêt public et n’est pas frivole. Je serais d’accord et j’accorderais à M. Lukács ses débours devant notre Cour, et condamnerais British Airways Plc, l’intimée, à les payer. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des débours, ceux-ci devraient être taxés par la Cour. Étant donné que la participation de l’Office des transports du Canada a été limitée dans le présent appel, il ne devrait pas être condamné aux dépens.

« Judith M. Woods »

j.c.a.

« Je suis d’accord

Wyman W. Webb, j.c.a. »


LE JUGE RENNIE (Motifs dissidents)

[21]  Mes collègues ont conclu que l’examen de la plainte déposée auprès de l’Office des transports du Canada visait strictement le montant de l’indemnité à verser lorsqu’un passager se voit refuser l’embarquement et qu’il n’incluait pas les situations dans lesquelles l’indemnité ne serait pas versée. Malheureusement, je ne suis pas de cet avis.

[22]  La question en l’espèce est de savoir si le tarif révisé de British Airways est conforme à l’ordonnance de l’Office. Tout doute ou toute ambiguïté sur la réponse à cette question doit être levé, avant tout, à la lumière des motifs de l’Office et de sa caractérisation de la question en litige. Compte tenu de l’historique de cette plainte, il faut examiner la décision précédente rendue par l’Office au sujet de la même plainte (décision no 49-C-A-2016). Sur cette base, j’estime que l’appel devrait être accueilli, et ce pour quatre raisons.

[23]  Premièrement, suivant une interprétation ordinaire de la précédente décision, British Airways n’a pas fait ce que cette ordonnance lui disait de faire. Au paragraphe 18 de la décision no 49-C-A-2016, l’Office ordonne à British Airways de modifier son tarif « conformément à son choix d’adopter le régime proposé par Air Canada dans le cadre des instances relatives à la décision no 442-C-A-2013, y compris l’incorporation par renvoi du règlement (CE) no 261/2004 ».

[24]  À l’égard des vols en provenance de l’Union européenne, le tarif déposé par Air Canada et approuvé par l’Office est ainsi libellé : « … Air Canada mettra en application les dispositions des lois suivantes : […] règlement de la CE no 261/2004… ».

[25]  Le règlement (CE) no 261/2004 prévoit une exception à l’obligation de verser l’indemnisation seulement s’il est raisonnablement justifié de croire à un risque pour la santé, la sûreté ou la sécurité. Aucune exception n’est prévue pour des « raisons opérationnelles ». British Airways a repris le régime d’indemnisation d’Air Canada dans la mesure où il prévoit les montants à verser après certains retards, mais son tarif prévoit une exception pour « raisons opérationnelles » qui ne figure pas dans celui d’Air Canada.

[26]  Deuxièmement, l’Office a toujours parlé d’un « régime » d’indemnisation pour refus d’embarquement. Si l’Office avait voulu limiter la portée de son ordonnance au montant à verser, il aurait utilisé le mot « montant » et n’aurait pas invariablement et uniformément parlé d’un « régime ».

[27]  Je passe maintenant à la troisième raison. Dans la décision qu’il a rendue précédemment dans la même affaire, l’Office a expressément indiqué ce qu’il considérait comme étant en litige dans les instances. Au paragraphe 13, l’Office écrit :

Dans les circonstances du cas présent, British Airways a choisi d’appliquer le régime d’indemnisation proposé par Air Canada dans le cadre des instances relatives à la décision no 442-C-A-2013. Le régime d’indemnisation pour refus d’embarquement qui apparaît dans le tarif d’Air Canada établit clairement la politique du transporteur, qui comprend non seulement l’indemnisation précise qui a été proposée, mais aussi le règlement (CE) no 261/2004 incorporé par renvoi. Par conséquent, le choix de British Airways, à savoir le régime d’indemnisation proposé par Air Canada, comprend non seulement des montants d’indemnisation précis proposés pour des vols en provenance, mais aussi le contexte dans lequel ces montants sont établis, qui comprend une disposition tarifaire qui incorpore par renvoi le règlement (CE) no 261/2004.

[Non souligné dans l’original.]

[28]  Selon l’Office, le litige portait sur plus que le montant de l’indemnisation en cas de refus d’embarquement.

[29]  Enfin, il est déraisonnable de croire qu’un « régime pour refus d’indemnisation » a été créé par une obligation de verser certaines indemnités, s’il existe parallèlement un droit général et illimité de ne pas accorder d’indemnisation lorsque l’embarquement est refusé « pour des raisons opérationnelles ». Il ne fait aucun doute que l’exception est générale :

[traduction]

EXCEPTION 1 :  Le passager ne sera pas admissible à une indemnisation si le vol à bord duquel il détenait une place confirmée ne peut l’accommoder pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

(aa) le gouvernement réquisitionne des places; ou

(bb) pour des raisons opérationnelles ou de sécurité, l’aéronef a été remplacé par un autre de moindre capacité.

[30]  L’avocat a eu du mal à indiquer dans quelles circonstances l’embarquement serait refusé pour toute raison autre que des raisons opérationnelles ou de sécurité. Je ne crois pas qu’il faille interpréter l’ordonnance de l’Office d’une manière qui viendrait contrecarrer son intention déclarée, qui était de traiter de l’indemnité à verser lorsque l’embarquement est refusé, ce qui inclut raisonnablement toute exception à cette obligation.

[31]  Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de l’Office et je renverrais l’affaire à celui-ci pour réexamen selon les présents motifs.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-238-16

APPEL DE LA DÉCISION NO 91-C-A-2016 RENDUE PAR L’OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA LE 23 MARS 2016

INTITULÉ :

M. GÁBOR LUKÁCS c. OFFICE DES TRANSPORTS DU CANADA et BRITISH AIRWAYS PLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

23 avril 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE WOODS

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

MOTIFS DISSIDENTS :

LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

LE 10 mai 2018

COMPARUTIONS :

M. Gábor Lukács

POUR SON PROPRE COMPTE

Allan Matte

Pour l’intimé, l’Office des transports du Canada

Carol E. McCall

Pour l’intimée, British Airways Plc

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Office des transports du Canada

Direction des services juridiques

Gatineau (Québec)

Pour l’intimé, l’Office des transports du Canada

Paterson, MacDougall LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée, British Airways Plc

 

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