LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ
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Audience tenue à Montréal (Québec), le 26 septembre 2017.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 23 mai 2018.
LA JUGE GAUTHIER
LA JUGE TRUDEL
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Date : 20180523
LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ
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I.
INTRODUCTION :
[1]
M. Gandhi Jean Pierre (le demandeur) demande le contrôle judiciaire du rejet par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) de la plainte pour abus de pouvoir qu’il a déposée après avoir appris que sa candidature au poste de commissaire de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) n’avait pas été retenue à l’étape de la présélection en raison de son manque d’expérience pertinente récente.
[2]
Le demandeur remet en question un certain nombre d’éléments du processus de nomination de la CISR ainsi que le refus de la Commission d’intervenir. Or, comme je l’expliquerai, le demandeur conteste principalement la justesse des notes attribuées à deux postes dans le système d’immigration. Plus précisément, il soutient qu’une note trop élevée a été attribuée au poste d’agent d’examen des risques avant renvoi (agent d’ERAR), alors qu’une note trop faible a été attribuée à celui d’agent d’immigration, soit le poste qu’il a occupé pendant la plus grande partie de sa carrière. Il fait valoir que cette évaluation de ces postes, qu’il qualifie d’erronée, est pertinente puisqu’elle figure au nombre des outils d’évaluation fournis aux comités de présélection.
[3]
La Commission a entendu les témoignages des personnes qui ont élaboré les outils de présélection et évalué la candidature du demandeur. Elle a conclu, après avoir tenu compte de ces éléments de preuve et de sa propre marge d’intervention limitée, que le demandeur n’avait pas fait la preuve d’un abus de pouvoir par la CISR pendant le processus de présélection ou, plus particulièrement, lors de l’évaluation de la candidature du demandeur.
[4]
Je ne suis pas convaincu que la Commission a commis une erreur déterminante. Par conséquent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.
II.
LES FAITS
[5]
Les faits suivants sont tirés de la décision de la Commission (2016 CRTEFP 62 (Motifs)).
[6]
En février 2011, en prévision d’importantes modifications à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) (LIPR), la CISR a lancé un processus de recrutement pour pourvoir à quelque 115 nouveaux postes de commissaires de la SPR. Elle estimait alors que les personnes nommées devraient être en mesure de procéder à l’audition de demandes d’asile à la mi‑décembre 2011.
[7]
L’« annonce de possibilité d’emploi »
établissait quatre types de « qualifications d’expérience »
, dont deux seulement s’appliquent en l’espèce :
[…]
*Si un candidat(e) rencontre plus d’une des qualifications d’expérience, il peut être considéré comme un atout. Les candidat(e)s doivent démontrer comment ils rencontrent toutes les qualifications dans leurs applications.
** Récente est définie comme l’expérience acquise dans les derniers cinq (5) ans.
(Dossier du défendeur, pages 55 à 57)
[8]
La CISR a fait appel à une trentaine de ses gestionnaires et les a répartis en comités de présélection. Pour les aider dans leur prise de décisions, elle leur a fourni un document de référence précisant la méthode d’évaluation des candidatures et la marche à suivre en cas de doute. Les parties pertinentes du document de référence sont reproduites ci-après :
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De plus, il a été décidé d’ajouter une annexe au document de référence afin d’assurer la cohérence des décisions prises à l’étape de la présélection. Cette annexe faisait état des catégories d’emplois et des fonctions pouvant satisfaire à l’exigence de l’expérience pertinente. Les parties applicables de ce document sont reproduites ci‑après :
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(Dossier du défendeur, pages 81-82 [en caractères gras dans l’original])
[10]
M. Pattee, secrétaire général de la CISR, a indiqué dans son témoignage que ces documents avaient été préparés pour servir de guide aux comités de présélection, mais qu’ils n’étaient pas contraignants. En effet, les comités de présélection devaient examiner attentivement chaque dossier afin de vérifier si le candidat répondait aux exigences essentielles du poste, puis consigner leur évaluation dans le formulaire de présélection.
[11]
Le dossier de candidature de M. Jean Pierre comprenait son curriculum vitae et une lettre d’accompagnement détaillée dans laquelle il mettait en évidence l’expérience qu’il avait acquise pendant ses douze années de travail à CIC. Voici les grandes lignes des points abordés :
Loi et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés
- J’ai fait de multiples entrevues ayant mené à des décisions sur l’admissibilité des demandeurs au Canada.
- J’ai évalué la recevabilité des revendications du statut de réfugié au Canada.
- J’ai évalué le droit à la résidence permanente ou temporaire au Canada des demandeurs.
Expérience de recherches ou d’enquêtes en immigration
- Certaines recherches ou enquêtes ont mené à l’évaluation d’équivalences criminelles en vertu du code criminel canadien.
Expérience dans un contexte quasi judiciaire
- À titre d’agent ERAR, mon rôle consiste, dans un processus quasi-judiciaire, à évaluer et prendre des décisions en fonction des critères d’admissibilité pour obtenir la protection au Canada. En certaines occasions une audience quasi judiciaire peut être nécessaire en vertu de l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [DORS/2002-227] (le Règlement).
[Sic pour l’ensemble de la citation]
(Dossier du défendeur, pages 67-68)
FONCTION : Agent d’immigration, de citoyenneté, de visas et d’évaluation des risques avant renvoi :
[Sic pour l’ensemble de la citation]
[13]
Dans son curriculum vitae, le demandeur a décrit en ces termes ses fonctions d’agent d’ERAR :
- Faire de la recherche et de l’analyse sur les conditions de pays et évaluer les risques qu’encourreraient les demandeurs advenant un retour dans leur pays.
- Faire au besoin des audiences quasi-judiciaires afin d’évaluer la crédibilité et de compléter nos recherches et notre étude de cas en fonction des principes de justice naturelle.
- Évaluer et prendre des décisions sur des demandes comportant des considérations humanitaires notamment des risques de menace à la vie.
- Prendre connaissance et appliquer les différentes législations et jurisprudences pertinentes à nos décisions.
[Sic pour l’ensemble de la citation]
(Dossier du défendeur, pages 69 à 74)
[14]
M. Morin, avocat général et gestionnaire, Services juridiques de la CISR à Vancouver, a évalué la candidature du demandeur. Il a conclu que le demandeur satisfaisait aux exigences en matière de scolarité, mais n’avait que quatre mois d’expérience de la prise de décisions dans un contexte quasi judiciaire, et ne satisfaisait à aucune des autres exigences liées à l’expérience. Il a également conclu que le demandeur avait acquis son expérience de la prise de décisions dans le cadre de son travail d’agent d’ERAR entre novembre 2010 et la date de l’évaluation, soit en février 2011. Il était d’avis que les autres antécédents de travail du demandeur ne révélaient pas d’autre expérience de la prise de décisions dans un contexte quasi judiciaire. Comme il a été indiqué, les candidats devaient avoir acquis douze mois d’une telle expérience au cours des cinq dernières années.
[15]
M. Morin a également tenu compte de l’expérience du demandeur dans la réalisation de recherches ou d’enquêtes en immigration. Il a conclu que le demandeur avait acquis quatre mois d’expérience en recherche dans l’exercice de ses fonctions d’agent d’ERAR (motifs, par. 39).
[16]
Dans le formulaire de présélection qu’il a rempli, M. Morin s’est exprimé ainsi au regard du critère « prise de décisions dans le cadre d’un processus quasi judiciaire »
: [traduction] « Aucune.
Agent d’ERAR depuis novembre 2010; pas assez d’expérience “récente”. »
M. Morin a également inscrit la mention « Aucune »
en regard de l’expérience acquise dans la réalisation de recherches et d’enquêtes dans un contexte quasi judiciaire ou en immigration.
[18]
Lorsqu’il a été informé du rejet de sa candidature, il a demandé un réexamen. Il a alors appris pour la première fois à la lumière de la réponse qui lui a été fournie que l’expression « expérience récente »
s’entendait d’une expérience acquise sur une période de douze mois au cours des cinq dernières années. Il a également appris l’existence du document de référence et de l’annexe, qui lui ont été transmis à sa demande.
[19]
Quelque temps plus tard, le demandeur a déposé une plainte pour abus de pouvoir au titre de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L. C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13) (la LEFP).
III.
LE CADRE LÉGISLATIF
[20]
Selon la LEFP, les nominations dans la fonction publique doivent être fondées sur le mérite :
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L’employeur a le droit d’établir les normes de qualification applicables à un poste :
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[22]
Le choix des méthodes d’évaluation relève de la Commission :
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(LEFP, articles 30, 31, 36, 47, 77)
IV.
LA DÉCISION À L’ÉTUDE
[25]
Dans sa décision, la Commission a analysé trois questions importantes :
A.
L’employeur a-t-il abusé de son pouvoir en élaborant et en utilisant des outils d’évaluation qui contenaient des erreurs?
(1)
L’annonce de possibilité d’emploi était inadéquate parce qu’elle ne définissait pas le nombre d’années d’expérience requises pour satisfaire à la définition d’« expérience récente ».
[27]
La Commission s’est appuyée sur la décision de la Cour fédérale dans Lavigne c. Canada (Sous-ministre de la Justice), 2009 CF 684, au paragraphe 66, (Lavigne), selon laquelle l’employeur peut établir des critères de sélection et que leur non-publication ne vicie pas le processus (motifs, par. 49). La Commission a également conclu que le paragraphe 30(2) et l’article 36 de la LEFP donnaient aux gestionnaires une importante marge de manœuvre pour ce qui est de l’établissement des normes de qualification et du choix des méthodes d’évaluation.
[28]
La Commission a également invoqué Lavigne comme précédent à l’appui de la thèse selon laquelle l’établissement de normes de qualification et l’évaluation des candidats relèvent de l’employeur et que ni la Commission ni la Cour ne devraient substituer leur opinion à la décision de ce dernier. Par conséquent, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour statuer sur la justesse de l’exigence d’au moins douze mois d’expérience acquise au cours des cinq dernières années (motifs, par. 57). Dans son témoignage, M. Pattee a indiqué qu’il a été jugé nécessaire de fixer cette exigence afin d’assurer la sélection de candidats aptes à faire le travail dès leur nomination. La Commission a conclu que l’explication de M. Pattee était logique et que, partant, l’annonce de possibilité d’emploi n’était pas inadéquate du fait qu’elle ne contenait pas de définition de l’expression « l’expérience récente »
(motifs, par. 62).
(2)
L’annonce de possibilité d’emploi était inadéquate parce qu’elle ne définissait pas les expressions « quasi judiciaire ou judiciaire » ou « recherche en immigration ».
[30]
Le document de référence fait état d’un certain nombre de tribunaux quasi judiciaires. En ce qui concerne la « recherche en immigration »
, le document de référence précise que la réalisation de telles recherches doit constituer une partie importante des fonctions du candidat. De l’avis de la Commission, le document de référence et l’annexe ont simplement mis en évidence la nature de l’expérience recherchée dans l’annonce de possibilité d’emploi. Par conséquent, la Commission a conclu que ce dernier document n’était pas inadéquat parce qu’il ne définissait pas les expressions « quasi judiciaire ou judiciaire »
ou « recherche en immigration »
(motifs, par. 62).
(3)
L’annexe était inadéquate, car elle précisait que les agents d’ERAR rendent des décisions de nature quasi judiciaire alors que les agents d’immigration rendent des décisions de nature administrative.
[31]
La Commission a ensuite abordé la prétention du demandeur selon laquelle l’annexe est inadéquate parce qu’elle précise que les agents d’ERAR rendent des décisions de nature quasi judiciaire. La Commission a observé que, dans son curriculum vitae, le demandeur a fait mention de la prise de décisions quasi judiciaires dans l’exercice de ses fonctions d’agent d’ERAR (motifs, par. 64). Il a expliqué l’avoir fait après avoir entendu dire que les fonctions d’un agent d’ERAR étaient assimilables à des fonctions quasi judiciaires. Néanmoins, il a soutenu qu’il n’y avait aucune différence entre les fonctions de l’agent d’ERAR et celles de l’agent d’immigration. Selon lui, si elle qualifiait d’administratives les fonctions de l’agent d’immigration, la CISR devait également qualifier d’administratives les fonctions de l’agent d’ERAR.
[32]
Dans son témoignage, M. Pattee a indiqué qu’un agent d’ERAR peut, à l’occasion, tenir des audiences et que ce pouvoir lui est conféré par l’alinéa 113b) de la LIPR. Il a ajouté que les agents d’ERAR appliquent le même critère juridique que les commissaires de la SPR. M. Morin a lui aussi affirmé que les agents d’ERAR traitaient de certains éléments abordés par les commissaires de la SPR et que leurs décisions avaient des conséquences importantes pour les personnes intéressées puisqu’il pouvait s’agir de questions liées à la protection entre autres contre la persécution et la torture. Voilà pourquoi, selon lui, l’annexe précise que les agents d’ERAR rendent des décisions de nature quasi judiciaire.
[33]
La Commission a pris acte des prétentions du demandeur voulant que tant les agents d’ERAR que les agents d’immigration soient des délégués du ministre et exercent des pouvoirs conférés par la LIPR au ministre. La Commission a reconnu l’existence de ce point commun entre les deux postes, mais a conclu que l’employeur avait néanmoins estimé que les agents d’ERAR possédaient la qualification essentielle pour être nommés commissaires de la SPR parce que la Loi leur confère à eux, mais pas aux agents d’immigration, le pouvoir de tenir des audiences (motifs, par. 73).
[34]
La Commission a ensuite examiné la prétention du demandeur voulant que l’inclusion des agents d’ERAR dans la catégorie des décideurs quasi judiciaires – et l’exclusion des agents d’immigration de cette catégorie – soit un choix d’ordre politique. Il a soutenu que leur inclusion dans le groupe visait à les protéger d’une perte d’emploi découlant des réformes du système d’immigration. À cet égard, le demandeur a renvoyé au procès-verbal d’une réunion patronale-syndicale; les représentants de la direction ont indiqué à cette occasion que les personnes déplacées par suite des modifications qui seraient apportées à la LIPR pourraient présenter leur candidature à de nouveaux postes à CIC.
[36]
Le demandeur a également soutenu que la jurisprudence a décidé que les agents d’ERAR ne sont pas assimilables à des tribunaux administratifs quasi judiciaires; il était donc déraisonnable de fonder des décisions en matière de dotation sur la prémisse contraire. En particulier, le demandeur a invoqué les affaires Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, [2006] 3 R.C.F. 168 (Thamotharem), et Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022, [2015] 3 R.C.F. 587 (Singh), dans lesquelles la Cour fédérale a statué qu’un agent d’ERAR n’est pas un tribunal quasi judiciaire. À cet égard, la Commission a souligné que la preuve démontrait que les agents d’ERAR devaient être en mesure de tenir une audience en cas de besoin (motifs, par. 78). Par conséquent, elle a conclu que l’employeur était en droit de conclure que les agents d’ERAR possédaient les qualifications nécessaires pour exercer les fonctions d’un commissaire de la SPR.
(4)
Le document de référence et l’annexe étaient inadéquats parce qu’ils faisaient état de postes ou de fonctions pouvant ou non satisfaire aux exigences de l’annonce, ce qui constitue une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.
[37]
Comme dernier argument dans cette partie de sa plainte, le demandeur a soutenu que la distinction qui est faite dans le document de référence et dans l’annexe entre les postes qui comportent des fonctions de nature quasi judiciaire et ceux qui n’en comportent pas constituait une entrave à l’exercice par les comités de présélection de leur pouvoir discrétionnaire. Il a fait valoir que, du fait de cette distinction, il n’y a pas eu évaluation objective de son expérience d’agent d’immigration, laquelle aurait pu par ailleurs être jugée conforme à l’exigence relative à l’expérience.
[38]
S’agissant de cet argument, la Commission a affirmé ne pas pouvoir conclure que les outils d’évaluation étaient inadéquats uniquement parce qu’ils énuméraient des postes admissibles et non admissibles puisque l’employeur a le droit d’établir des lignes directrices concernant les qualifications essentielles (motifs, par. 81). La Commission a ensuite abordé la question de savoir si M. Morin ou M. Pattee s’estimait lié par le document de référence et l’annexe. Ils ont tous les deux déclaré que les comités de présélection avaient été informés du caractère non contraignant des outils d’évaluation et de l’importance de leur jugement dans l’évaluation de la pertinence de l’expérience des candidats. Dans son témoignage, M. Morin a déclaré avoir effectué un examen attentif de la lettre d’accompagnement et du curriculum vitae du demandeur et d’avoir fondé son évaluation sur ces documents.
[39]
En conséquence, la Commission a conclu que le document de référence et l’annexe n’ont pas eu pour effet de limiter le pouvoir discrétionnaire de M. Morin dans son examen de la candidature du demandeur et que rien dans la preuve ne porte à croire que M. Morin n’avait pas fait preuve d’ouverture d’esprit dans le cadre de cet examen (motifs, par. 97).
B.
L’employeur a-t-il abusé de son pouvoir en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas à la qualification concernant l’expérience de travail?
[40]
À cet égard, la Commission s’est principalement concentrée sur l’expérience de recherche du candidat. Selon le demandeur, ses douze années d’expérience en tant qu’agent d’immigration satisfaisaient à l’exigence de la « réalisation de recherches ou d’enquêtes [...] en immigration »
.
[41]
Dans son témoignage, M. Morin a indiqué avoir examiné attentivement la lettre et le curriculum vitæ du demandeur, puis avoir conclu que le demandeur ne comptait pas douze mois d’expérience de la recherche. À son avis, l’expérience du demandeur en tant qu’agent d’immigration était insuffisante puisque celui-ci n’avait pas démontré que la recherche portant sur des questions d’immigration complexes représentait la plus grande partie de son travail.
[42]
M. Morin a jugé pertinente l’expérience du demandeur à titre d’agent d’ERAR puisque ces agents doivent effectuer des recherches sur les conditions d’un pays et évaluer le risque auquel s’expose un ressortissant étranger à son retour dans son pays. Toutefois, le demandeur n’avait acquis que quatre mois d’expérience à titre d’agent d’ERAR au moment de l’évaluation de sa candidature et, de ce fait, ne satisfaisait pas à la qualification d’expérience récente.
[43]
Selon M. Morin, le demandeur a fourni des renseignements insuffisants dans sa lettre et son curriculum vitae pour permettre une évaluation adéquate de son expérience de recherche à titre d’agent d’immigration. Mentionnons, à titre d’exemple, son expérience de la recherche portant sur les documents à fournir à l’ASFC en vue de l’octroi de permis de travail. Posait également problème l’absence de détails concernant l’expérience du demandeur en matière d’évaluation des équivalences d’infractions criminelles au Canada et à l’étranger ainsi que ses recherches dans des dossiers de citoyenneté.
[44]
S’agissant de l’expérience en recherche du demandeur dans diverses bases de données (CIPC, USNIS), M. Morin a affirmé que l’extraction d’informations d’une base de données existante n’est pas nécessairement assimilable à une activité de recherche. En outre, les activités de recherche ne peuvent satisfaire à la qualification d’expérience de recherche que si elles figurent au nombre des principales fonctions d’un candidat.
[45]
La Commission a reconnu que les agents d’immigration effectuent des recherches précises dans le cadre de leurs fonctions. Cependant, le demandeur ne pouvait invoquer les éléments de preuve fournis à l’audience comme complément à sa lettre d’accompagnement et à son curriculum vitae puisque le comité de sélection n’y avait pas eu accès (motifs, par. 114). La Commission a estimé que les comités de présélection devaient évaluer les qualifications d’un candidat sur la foi des informations écrites fournies par le candidat. En l’espèce, M. Morin a affirmé que le dossier de candidature ne lui permettait pas de conclure que le demandeur avait les qualifications nécessaires. La Commission était d’avis qu’elle ne pouvait pas substituer son évaluation des qualifications du candidat à celle du comité de présélection (motifs, par. 114). Elle a statué que l’employeur n’avait pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé que le demandeur ne possédait pas les qualifications essentielles liées à l’expérience de travail.
C.
L’employeur a-t-il abusé de son pouvoir en refusant au candidat la possibilité de prendre part à l’étape suivante du processus de sélection à la suite de leurs discussions informelles
[46]
Lorsqu’il a appris que sa candidature n’avait pas été retenue, le demandeur a voulu participer à une discussion informelle pour obtenir des explications. Selon la preuve présentée à la Commission, certains des autres candidats ayant demandé des discussions informelles avaient obtenu l’annulation de la décision qui leur était défavorable. Le demandeur a fait valoir que, si l’employeur s’était arrêté à la raison d’être des discussions informelles, il aurait réévalué sa candidature en tenant compte d’autres renseignements sur le rôle des agents d’immigration.
[47]
La Commission a conclu que, bien que l’article 47 de la LEFP prévoie des discussions informelles, l’affaire Rozka c. Sous ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 0046, indique clairement que ces discussions permettent à un candidat et à l’employeur de relever et de corriger des erreurs dans le processus d’évaluation, mais elles ne constituent pas un mécanisme de réévaluation des qualifications d’un candidat (motifs, par. 141). Plus précisément, l’employeur n’est pas tenu ni n’a le droit d’examiner les nouvelles informations qui lui sont communiquées au cours des discussions informelles (motifs, par. 145). Les comités de présélection sont tenus de prendre des décisions de présélection sur la foi des dossiers de candidature et non des informations fournies ultérieurement.
[48]
En conséquence, la Commission a conclu qu’il n’y avait pas eu abus de pouvoir dans l’élaboration et l’utilisation des outils de présélection. De même, il n’y a pas eu abus de pouvoir dans l’évaluation de la candidature du demandeur.
V.
ANALYSE
[49]
Devant la Commission, le demandeur a contesté l’évaluation de son expérience de la prise de décisions et de la recherche. Devant notre Cour, le demandeur s’est concentré uniquement sur l’évaluation de son expérience de la prise de décisions. En gros, le demandeur a soutenu que ni les agents d’ERAR ni les agents d’immigration ne prennent part à un processus décisionnel de nature quasi judiciaire, de sorte que l’employeur a fait une distinction entre les deux postes qui n’est pas étayée par la preuve et qui constitue donc un abus de pouvoir.
[50]
Le demandeur a également fait valoir, s’agissant du processus de nomination, qu’il y avait eu abus de pouvoir puisque, de par sa conception, le processus favorisait les agents d’ERAR dont les fonctions devaient être transférées à la SPR dans la foulée des modifications envisagées à la LIPR (mémoire des faits et du droit du demandeur (mémoire), par. 15, 17, 26, 70). Par conséquent, l’utilisation du « contexte quasi judiciaire »
comme critère de sélection visait à favoriser les agents d’ERAR (mémoire du demandeur, par. 32). Les outils de présélection fournis aux comités de présélection indiquaient clairement que les agents d’ERAR prenaient des décisions dans un contexte quasi judiciaire, mais pas les agents d’immigration. Comme il est indiqué plus haut, le demandeur prétend que les agents d’ERAR et les agents d’immigration exercent sensiblement les mêmes fonctions. De l’avis du demandeur, les outils de présélection n’étaient pas adéquats et, partant, l’évaluation qui a été faite de sa candidature au poste annoncé n’était pas fondée sur le mérite.
[52]
Comme il a été observé dans l’affaire Access Information Agency Inc. c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 17, aux paragraphes 24 et 25, le plaideur qui souligne une multitude d’erreurs à chaque étape du processus décisionnel d’un tribunal invite la Cour à refaire le travail du tribunal administratif. Tel n’est pas le rôle de notre Cour. Nous sommes appelés à vérifier si le tribunal a rendu une décision qui, compte tenu des motifs qu’il a donnés et des éléments de preuve au dossier qui étayent ses conclusions, est conforme au droit applicable.
[53]
La norme de contrôle circonscrit notre examen de la décision de la Commission qui, en tant que tribunal spécialisé, s’est prononcée sur un élément central de sa compétence et de son domaine d’expertise. Comme notre Cour l’a déjà décidé, l’interprétation par la Commission de sa loi constitutive commande la déférence (voir Kane c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 19, aux paragraphes 36 à 38, inf. pour d’autres motifs [2012] 3 R.C.S. 398. Voir aussi McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895). Il convient également de faire montre de retenue à l’égard des conclusions de fait et des inférences de fait d’un tribunal administratif (Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, par. 40, [2015] 1 R.C.S. 161; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, par. 25, [2002] 2 R.C.S. 235). Dans Housen, il est question de la norme de contrôle à appliquer aux inférences de fait dans le contexte d’une décision rendue en première instance, mais les mêmes considérations s’appliquent au contrôle des conclusions de fait et des inférences de fait du tribunal administratif en tant que juge des faits.
[55]
La Commission a examiné les éléments de preuve présentés à l’appui de la prétention du demandeur, à savoir le procès-verbal d’une réunion patronale-syndicale au cours de laquelle un représentant de la CISR a affirmé que les employés déplacés par suite de modifications apportées à la LIPR auraient la possibilité de rester à CIC et de présenter leur candidature à des postes à la CISR (motifs, par. 77). Or la Commission n’a pas tiré la conclusion voulue par le demandeur à la lumière du procès-verbal de la réunion patronale-syndicale (motifs, par. 78). Elle a plutôt retenu l’argument de la CISR, c’est-à-dire que le processus visait à assurer la sélection de candidats qui seraient en mesure de tenir des audiences dès leur nomination (motifs, par. 57). La Commission a également reconnu qu’il appartenait à l’employeur de définir le type d’expérience qui préparerait les candidats à tenir des audiences dès leur nomination (motifs, par. 74). Enfin, la Commission a jugé que, même si les agents d’ERAR ne tiennent pas beaucoup d’audiences, la LIPR les oblige, lorsqu’ils le font, à respecter les règles de procédure applicables (voir l’article 168 du Règlement). Par conséquent, l’employeur a conclu à bon droit que ces agents seraient en mesure de tenir des audiences dès leur nomination (motifs, par. 84).
[56]
La Commission était saisie d’éléments de preuve lui permettant de conclure que l’employeur était en droit de définir les qualifications qu’il jugeait essentielles en ce qui concerne la prise de décisions. Elle n’a pas fondé sa conclusion sur la nature quasi judiciaire des fonctions des agents d’ERAR; elle a plutôt jugé que la LIPR impose l’obligation de tenir des audiences à ces agents qui sont, de ce fait, réputés compétents. Les éléments de preuve retenus par la Commission étayent ses conclusions.
[57]
La Commission a également examiné les éléments de preuve et les arguments présentés par le demandeur qui allaient à l’encontre de la position de l’employeur quant à la nature quasi judiciaire des fonctions de l’agent d’ERAR. Elle a rappelé que la jurisprudence, notamment les affaires Thamotharem et Singh, nous enseigne que les agents d’ERAR ne sont pas des décideurs quasi judiciaires (motifs, par. 81). En outre, elle savait que l’article 113 de la LIPR et l’article 167 du Règlement limitent la capacité des agents d’ERAR à tenir des audiences (motifs, par. 67). Qui plus est, elle était saisie d’éléments de preuve indiquant que les agents d’ERAR et d’immigration exercent tous les deux les fonctions de délégués du ministre, ce qui porte à croire que les agents d’ERAR ne jouissent pas d’une plus grande indépendance que les agents d’immigration (motifs, par. 69, 72, 73).
[58]
Dans ses motifs, la Commission a pris bonne note de la remise en question par le demandeur de l’exactitude de la déclaration selon laquelle les agents d’ERAR rendaient des décisions « quasi judiciaires »
. Même si elle n’a pas abordé chacun des arguments avancés, il était raisonnable pour la Commission de tirer la conclusion essentielle selon laquelle l’employeur avait le droit d’établir comme principe que l’expérience des agents d’ERAR faisait d’eux de bons candidats.
[59]
Il convient de noter que, dans son dossier de candidature, le demandeur a donné comme exemple de fonctions de décideur quasi judiciaire son expérience à titre d’agent d’ERAR. À cet égard, il n’a pas mal interprété l’annonce de possibilité d’emploi. En fait, M. Morin a accordé des points au demandeur pour cette expérience. Or, le demandeur n’avait que quatre mois d’expérience dans ce poste alors que, selon le document de référence, il lui aurait fallu douze mois d’expérience dans un poste de prise de décisions quasi judiciaires.
[60]
Le demandeur a alors fait valoir qu’en sa qualité d’agent d’immigration, il était également appelé à prendre des décisions qui étaient du même type que celles prises par les agents d’ERAR. Il a présenté à la Commission un extrait de sa description de travail qui indique qu’un agent d’immigration a le pouvoir de donner des instructions ou des ordres, d’exiger que les demandeurs se présentent à un contrôle et de décider si un demandeur doit être admis ou non au Canada.
[62]
Au bout du compte, la Commission n’a pas fondé sa décision sur les distinctions établies par l’employeur, mais plutôt sur la description de travail de l’agent d’ERAR selon laquelle celui-ci est tenu de décider s’il est nécessaire de tenir une audience pour traiter des questions de crédibilité ou d’autres questions complexes à trancher avant qu’il ne puisse être statué sur la demande d’un demandeur. Cette façon de faire cadre avec l’article 167 du Règlement qui précise les circonstances justifiant la tenue d’une audience. Cette disposition peut être comparée aux articles 15 et 16 de la LIPR portant sur les contrôles dans le contexte de la partie 1, qui porte sur l’immigration au Canada.
[64]
Comme nous l’avons mentionné, les outils de présélection visaient à assurer la cohérence dans l’application des critères de sélection. MM. Pattee et Morin ont indiqué dans leur témoignage que les outils de présélection devaient servir de guide et que les comités devaient faire preuve de jugement au moment de décider si le candidat possédait les qualifications essentielles du poste. M. Morin, qui a examiné la candidature du demandeur, a affirmé avoir fait preuve de jugement dans son évaluation.
[65]
La Commission a retenu ce témoignage. Le demandeur n’a présenté aucun argument selon lequel elle n’aurait pas dû le faire.
[66]
Le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 47, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir)). À cet égard, le caractère raisonnable est évalué en fonction des motifs d’un tribunal, de sorte qu’une cour de révision devrait accorder une « attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision »
(Dunsmuir, par. 48). Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 16, la Cour suprême du Canada s’est exprimée en ces termes :
Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S., 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.
[67]
Lorsque j’examine les motifs de la Commission avec une « attention respectueuse »
, je peux comprendre pourquoi la Commission a tiré de telles conclusions. La décision de la Commission appartient aux issues acceptables lorsqu’elle est interprétée à la lumière de la latitude accordée aux employeurs par la Loi et des conclusions de la Commission sur les questions de fait et de crédibilité.
[68]
En conséquence, je rejetterais la présente demande avec dépens adjugés au défendeur.
« Je suis d’accord.
Johanne Gauthier, j.c.a. »
« Je suis d’accord.
Johanne Trudel, j.c.a. »
GANDHI JEAN PIERRE c. LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ
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la juge gauthier
LA JUGE TRUDEL
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LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ
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Sous-procureure générale du Canada
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LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ
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