Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180504


Dossier : A-437-16

Référence : 2018 CAF 87

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LOUIS DREYFUS COMMODOTIES CANADA LTD.

appelante

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

intimée

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 mars 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 mai 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

 


Date : 20180504


Dossier : A-437-16

Référence : 2018 CAF 87

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

 

 

ENTRE :

LOUIS DREYFUS COMMODOTIES CANADA LTD.

appelante

et

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I.  Aperçu

[1]  L’appelante, Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd. (LDC), interjette appel d’un jugement de la Cour fédérale du Canada rendu par le juge O’Reilly le 25 octobre 2016 (Compagnie des chemins de fer nationaux  c. Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd, 2016 CF 1190 ). La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimée à l’encontre de la sentence d’un arbitre concernant un contrat sur le niveau de services entre l’appelante et l’intimée, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (la sentence arbitrale).

II.  Énoncé des faits

[2]  L’appelante vend et expédie des grains. L’intimée est une compagnie ferroviaire nationale, et la seule à fournir des services dans la région où sont situées les installations de l’appelante. N’ayant pas réussi à s’entendre sur les modalités du contrat pour la campagne agricole 2015-2016, les parties ont présenté une demande d’arbitrage à l’Office des transports du Canada (l’Office) qui a renvoyé l’affaire à un arbitre conformément à la partie IV de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch.10 (Loi).

III.  Sentence arbitrale

[3]  Les parties ont demandé à l’arbitre d’établir un contrat sur le niveau de services régissant leur relation pendant la campagne agricole 2015-2016. L’arbitre a imposé des conditions à respecter par les parties, y compris 1) l’approvisionnement futur en wagons pour les besoins continus de LDC en matière de transport de grains 2) une norme de rendement et 3) une clause de force majeure.

[4]  En ce qui concerne l’approvisionnement futur en wagons pour les besoins continus de LDC en matière de circulation de grains, l’arbitre a imposé une condition selon laquelle l’intimée était tenue de fournir au moins 250 wagons par semaine aux installations de l’appelante, sauf pendant la semaine de Noël :

[traduction] À l’exception de la semaine de Noël, le CN est tenu de fournir aux installations au moins 250 wagons par semaine selon les commandes que LDC passe auprès du CN. Le CN fournira des wagons aux installations précisées dans les commandes de LDC jusqu’à un endroit par semaine, à chacune des installations de Kegworth, Aberdeen et Dawson Creek.

(Sentence arbitrale, p. 8)

[5]  En fixant cette condition, l’arbitre  conclut que la possibilité pour l’intimée de rationner les wagons qu’elle fournit à ses clients pendant les périodes de pointe ne constitue pas un élément obligatoire d’un contrat sur le niveau de services. L’arbitre [traduction] «  rejette la notion selon laquelle le rationnement constitue une pratique commerciale courante d’une compagnie de chemin de fer », en donnant l’explication suivante :

[traduction] Le CN soutient essentiellement que l’article 169.37 exige que je maintienne le statu quo, ce que je n’admets pas. Je n’admets pas non plus que la proposition selon laquelle ma décision à l’égard du présent arbitrage amènera le CN à ne pas respecter ses obligations en matière de services envers les autres expéditeurs.

[Souligné dans l’original.]

(Sentence arbitrale, p. 6)

[6]  Plus précisément, l’arbitre tire la conclusion de fait suivante : [traduction] « [c]ompte tenu de cette prévision, la demande de wagons du CN devrait [...] être moins élevée » qu’au cours des années précédentes (sentence arbitrale, p. 6). Il fournit l’explication suivante : [traduction] « [...] Je suis d’avis que le CN devrait disposer de suffisamment de wagons pour en fournir 250 chaque semaine aux installations au cours de la période pendant laquelle ma décision sera en vigueur, sans que cela ait une incidence sur ses obligations envers les autres expéditeurs », et il conclut que ce nombre de wagons est commercialement équitable et raisonnable pour les deux parties (sentence arbitrale, p. 6 et 7).

[7]  Le contrat sur le niveau de services établi par l’arbitre comprend également une clause relative à la norme de rendement  exigeant que l’intimée livre 90 % des wagons commandés par l’appelante dans un délai de trois semaines, et 100 % des wagons commandés dans un délai de trois mois :

[traduction] Le CN est tenu de livrer aux installations 90 % des wagons commandés par LDC dans les trois semaines suivant la date à laquelle les wagons doivent être fournis, et de livrer aux installations la totalité des wagons commandés par LDC dans un délai de trois mois suivant la date à laquelle les wagons doivent être fournis.

(Sentence arbitrale, p. 9)

[8]  Finalement, le contrat sur le niveau de services établi par l’arbitre comprend une clause de force majeure qui reprend le Tarif 9000 de l’intimée, à deux exceptions près :

[traduction] Les obligations du CN et de LDC sont assujetties à la clause de force majeure contenue dans le Tarif 9000 du CN, en vigueur depuis le 1er avril 2015, à l’exception des cas suivants qui, pour les besoins de la présente sentence, ne constituent pas des cas de force majeure :

  Changements à l’équipement et à la disponibilité du personnel

  Entretien courant des installations et de l’équipement

(Sentence arbitrale, p. 10)

[9]  L’intimée a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale à l’encontre de la sentence de l’arbitre.

IV.  Décision de la Cour fédérale

[10]  La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire et renvoyé l’affaire à un autre arbitre. Elle a conclu que la sentence de l’arbitre était déraisonnable, parce que ce dernier avait fait fi de certaines prescriptions de la loi. Elle s’exprime ainsi :

[35] [j]e conclus que la décision de l’arbitre était déraisonnable. En éliminant la possibilité pour la compagnie de chemin de fer de rationner les wagons lorsque les circonstances le justifient, l’arbitre a fait abstraction des obligations du CN envers les autres expéditeurs et de ses restrictions en matière d’exploitation, deux facteurs obligatoires établis par la loi. 

(Décision de la Cour fédérale, par. 35)

[11]  L’appelante a déposé un avis d’appel à la Cour le 22 novembre 2016.

V.  Questions en litige

[12]  Je formulerais ainsi la question soulevée :

  1. La sentence de l’arbitre était-elle raisonnable?

VI.  Question préliminaire : le caractère théorique

[13]  Avant de me prononcer sur le fond de l’affaire, je traiterai d’abord de la question préliminaire du caractère théorique. Le contrat sur le niveau de services en l’espèce était en vigueur pendant la campagne agricole 2015-2016, et aucune des parties n’invoque une inexécution du contrat. Il n’y a donc aucun litige actuel (Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 (Borowski)).

[14]  La Cour peut cependant, à sa discrétion, examiner l’affaire sur le fond, malgré l’absence de litige actuel (Borowski). La question est soulevée dans le contexte d’une relation contradictoire continue entre les parties, et je suis d’avis qu’il s’agit d’une utilisation convenable des ressources judiciaires. L’intimée conclut des contrats sur le niveau de services avec de nombreux expéditeurs chaque année. En outre, l’arbitrage sur le niveau de services n’a été mis en place qu’en 2013, et nous disposons de peu de jurisprudence des cours fédérales portant sur la question dont nous sommes saisis. Je suis donc d’avis qu’il est opportun que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour entendre la présente affaire afin de fournir des repères en la matière.

VII.  Norme de contrôle

[15]  En appel d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale, la Cour doit décider 1) si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et 2)  si la Cour fédérale a appliqué cette norme correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36,  par. 45, [2013] 2 R.C.S. 559; Canada (Agence du revenu) c. Telfer, 2009 CAF 23,  par. 18).

VIII.  Discussion

A.  Le juge de la Cour fédérale a-t-il choisi la norme de contrôle appropriée?

[16]  La Cour fédérale a appliqué la norme de la décision raisonnable. Les deux parties conviennent que c’est la norme applicable; la Cour doit cependant parvenir à sa propre conclusion sur cette question.

[17]  La jurisprudence n’établit pas la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à l’examen de la sentence d’un arbitre nommé par l’Office des transports du Canada en vertu de la partie IV de la Loi; je dois donc effectuer une analyse pour déterminer la norme de contrôle applicable.

[18]  La norme de contrôle à laquelle est assujettie la décision d’un décideur administratif qui interprète sa loi constitutive est réputée être celle de la décision raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, par. 39, [2011] 3 R.C.S. 654; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd, 2016 CSC 47, par. 22 et 23, [2016] 2 R.C.S. 293; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, par. 46, [2015] 2 R.C.S. 3).

[19]  De plus, l’analyse des quatre facteurs énoncés par la Cour suprême du Canada (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 64, [2008] 1 R.C.S. 190) permettant de déterminer la norme de contrôle applicable révèle celle de la décision raisonnable. Premièrement, le paragraphe 169.38(2) de la Loi comporte une disposition d’inattaquabilité qui indique que la décision de l’arbitre est définitive et obligatoire :

Décision définitive

169.38 (2) La décision de l’arbitre est définitive et obligatoire. Elle est réputée, aux fins d’exécution et pour l’application de la section IV de la partie III, être un contrat confidentiel conclu entre les parties.

Decision binding

169.38 (2) The arbitrator’s decision is final and binding on the parties and is deemed, for the purposes of Division IV of Part III and its enforceability between the parties, to be a confidential contract.

Deuxièmement, le régime d’arbitrage sur le niveau de services a pour objet d’aider les compagnies de chemin de fer et les expéditeurs à conclure des contrats sur leurs obligations en matière de niveau de services (par. 169.31(1) de la Loi)). Ce processus s’effectue rapidement, soit dans un délai de 45 à 65 jours (par. 169.38(3) de la Loi)), et l’arbitre impose un contrat confidentiel qui est « [...] commercialement équitable et raisonnable pour les parties » (al. 169.38(1)c) de la Loi)). À mon avis, chacune de ces caractéristiques démontre que le législateur voulait que les arbitres règlent les différends rapidement et de manière concluante. Troisièmement, la question en l’espèce – soit le nombre de wagons qu’il convient d’attribuer à un expéditeur et la méthode par laquelle la compagnie de chemin de fer attribue ses wagons – appelle une décision factuelle et juridique précise à l’égard de laquelle il faut faire preuve d’une très grande retenue. Les contrats sur le niveau de services ne soulèvent pas de questions de droit qui intéressent l’ensemble du système juridique ni des questions étrangères au domaine d’expertise spécialisée du décideur administratif. Elles ne commandent donc pas l’application de la norme de la décision correcte. Enfin, quatrièmement, l’arbitre est en effet nommé par l’Office en raison de son expertise (par. 169.42(2) de la Loi)). J’estime qu’à la lumière de ces quatre facteurs, la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique en l’espèce.

B.  La sentence de l’arbitre était-elle raisonnable?

[20]  La question au cœur du présent appel est de savoir s’il était raisonnable pour l’arbitre de ne pas inclure dans le contrat sur le niveau de services la clause sur le rationnement proposée par l’intimée.

[21]  L’arbitrage sur le niveau de services permet à une compagnie de chemin de fer et à un expéditeur de définir les obligations en matière de services de la première à l’égard de la seconde en vertu de l’article 113 de la Loi, avec l’aide d’un arbitre (par. 169.31(1)). L’article 113 de la Loi énonce les obligations des compagnies de chemin de fer en termes généraux, applicables à l’ensemble des compagnies de chemin de fer et des expéditeurs, tandis que le contrat sur le niveau de services établi par l’arbitre précise les conditions du contrat entre une compagnie de chemin de fer et un expéditeur donnés. Si une plainte est déposée, les clauses du contrat sur le niveau de services lient l’Office dans sa décision (par. 116(2) de la Loi; voir également l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux c. Viterra Inc., 2017 FCA 6, par. 65).

[22]  L’article 169.37 et le paragraphe 169.38(1) exigent que l’arbitre examine chacun des facteurs énoncés à l’article 169.37, et élabore un contrat qui est « [...] commercialement équitable et raisonnable pour les parties » conformément au paragraphe 169.38(1) de la Loi. L’article 169.37 énonce les facteurs dont l’arbitre « tient compte » pour rendre sa décision :

Décision de l’arbitre

Arbitrator’s decision

169.37 Dans sa décision, l’arbitre établit les conditions d’exploitation visées aux alinéas 169.31(1)a), b) ou c), les modalités de fourniture des services visés à l’alinéa 169.31(1)d) ou les modalités concernant l’imposition des frais visés à l’alinéa 169.31(1)e), ou prend n’importe lesquelles de ces mesures, selon ce qu’il estime nécessaire pour régler les questions qui lui sont renvoyées. Pour rendre sa décision, il tient compte :

169.37 The arbitrator’s decision must establish any operational term described in paragraph 169.31(1)(a), (b) or (c), any term for the provision of a service described in paragraph 169.31(1)(d) or any term with respect to the application of a charge described in paragraph 169.31(1)(e), or any combination of those terms, that the arbitrator considers necessary to resolve the matters that are referred to him or her for arbitration. In making his or her decision, the arbitrator must have regard to the following:

a) du transport en cause;

(a) the traffic to which the service obligations relate;

a) des services dont l’expéditeur a besoin pour le transport en cause;

(b) the service that the shipper requires with respect to the traffic;

c) de tout engagement visé à l’alinéa 169.32(1)c) qui est contenu dans la demande d’arbitrage;

(c) any undertaking described in paragraph 169.32(1)(c) that is contained in the shipper’s submission;

d) des obligations qu’a la compagnie de chemin de fer envers d’autres expéditeurs aux termes de l’article 113, et de celles qu’elle a envers les personnes et autres compagnies aux termes de l’article 114;

(d) the railway company’s service obligations under section 113 to other shippers and the railway company’s obligations to persons and other companies under section 114;

e) des obligations que peut avoir la compagnie de chemin de fer envers une société de transport publique;

(e) the railway company’s obligations, if any, with respect to a public passenger service provider;

f) des besoins et des contraintes de l’expéditeur et de la compagnie de chemin de fer en matière d’exploitation;

(f) the railway company’s and the shipper’s operational requirements and restrictions;

g) de la possibilité pour l’expéditeur de faire appel à un autre mode de transport efficace, bien adapté et concurrentiel des marchandises en cause;

(g) the question of whether there is available to the shipper an alternative, effective, adequate and competitive means of transporting the goods to which the service obligations relate; and

h) de tout renseignement qu’il estime pertinent.

(h) any information that the arbitrator considers relevant.

[Non souligné dans l’original]

[emphasis added]

Le paragraphe 169.38(1) requiert que la décision soit « commercialement équitable et raisonnable » :

Caractéristiques de la décision

Requirements of decision

169.38(1) La décision de l’arbitre est :

169.38(1) The arbitrator’s decision must

a) rendue par écrit;

(a) be made in writing;

a) rendue de manière à être applicable aux parties pendant un an à compter de sa date, sauf accord entre elles à l’effet contraire;

(b) be made so as to apply to the parties for a period of one year as of the date of his or her decision, unless the parties agree otherwise; and

c) commercialement équitable et raisonnable pour les parties.

(c) be commercially fair and reasonable to the parties.

[nos soulignements]

[emphasis added]

[23]  L’intimée soutient qu’en ne retenant pas la clause sur le rationnement proposée, l’arbitre n’a pas tenu compte des 1) obligations de la compagnie de chemin de fer envers les autres expéditeurs (al. 169.37d)) et 2) des besoins et des contraintes de l’expéditeur et de la compagnie de chemin de fer en matière d’exploitation (al. 169.37f)).

[24]  Je ne suis pas d’accord. L’arbitre a tenu compte des alinéas 169.37d) et f) à la page 6 de sa décision :

[traduction] Selon le CN, je ne devrais pas accepter la proposition de LDC en ce qui concerne les commandes futures de wagons compte tenu de l’article 169.37 de la Loi, qui m’oblige, en rendant ma décision, à tenir compte notamment « des obligations qu’a la compagnie de chemin de fer envers d’autres expéditeurs aux termes de l’article 113 » [al. 169.37d)]  »[...] et « des besoins et des contraintes de l’expéditeur et de la compagnie de chemin de fer en matière d’exploitation » [al. 169.37f)].

[25]  En effet, l’arbitre a explicitement conclu qu’en réalité, sa décision n’amènerait pas l’intimée à manquer à ses obligations en matière de services envers les autres expéditeurs et n’exigerait pas qu’elle fournisse davantage de wagons que ne le permettent ses besoins et contraintes en matière d’exploitation. Il s’est expliqué en ces termes : [traduction] « Je ne souscris pas à la proposition selon laquelle ma décision amènera le CN à ne pas respecter ses obligations en matière de services envers les autres expéditeurs » (sentence arbitrale, p. 6) et voulant que « les éléments de preuve indiquent que le CN est en mesure de fournir des services lorsque l’Office ou l’État l’exige » (sentence arbitrale, p. 7).

[26]  De plus, rien dans la partie IV n’oblige l’arbitre à retenir la clause sur le rationnement proposée par l’intimée, et je suis d’avis qu’il était raisonnable pour l’arbitre de tenir compte des obligations de l’intimée envers les autres expéditeurs, ainsi que des besoins et des contraintes en matière d’exploitation d’une autre manière. En effet, l’arbitre constate que :

[traduction] [...] les éléments de preuve indiquent que la répartition des wagons selon la méthode de rationnement du CN n’avait jamais été représentative du nombre réel de wagons attribués par le passé aux installations de LDC. De plus, je suis d’avis que la méthode du CN est désuète pour ce qui est de déterminer la répartition des wagons dans le cadre de la campagne agricole 2015-2016.

(Sentence arbitrale, p. 6)

[27]  Comme le soutient l’appelante, la sentence de l’arbitre n’a pas eu pour effet de priver totalement l’intimée de sa capacité de rationner le nombre de wagons. L’arbitre a inclus une clause relative à la norme de rendement qui permet à l’intimée d’ajuster son approvisionnement en wagons dans la mesure où tous les wagons sont livrés dans les délais prescrits, de même qu’une clause de force majeure ayant pour effet de libérer l’intimée de ses obligations en cas de circonstances imprévisibles, indépendantes de la volonté des parties. Les deux clauses sont citées plus haut, au paragraphe 7, mais je les répète par souci de commodité. La clause relative à la norme de rendement est ainsi libellée :

[traduction] Le CN est tenu de livrer aux installations 90 % des wagons commandés par LDC dans les  trois semaines suivant la date à laquelle les wagons doivent être fournis, et de livrer aux installations la totalité des wagons commandés par LDC dans un délai de trois mois suivant la date à laquelle les wagons doivent être fournis.

(Sentence arbitrale, p. 9)

Quant à la clause de force majeure, elle est rédigée en ces termes  :

[traduction] Les obligations du CN et de LDC sont assujetties à la clause de force majeure contenue dans le Tarif 9000 du CN, en vigueur depuis le 1er avril 2015, à l’exception des cas suivants qui, pour les besoins de la présente sentence, ne constituent pas des cas de force majeure :

  Changements à l’équipement et à la disponibilité du personnel

  Entretien courant des installations et  de l’équipement

(Sentence arbitrale, p. 10)

Le Tarif 9000, incorporé à la clause de force majeure, énumère les éléments suivants :

[...] un événement imprévisible et irrésistible [...], un acte posé par un ennemi public, une guerre, une insurrection, un acte de terrorisme, un embargo, un incendie ou une explosion, un lock-out, une grève ou tout autre conflit de travail, un déraillement, ou une circonstance imprévisible hors du contrôle des parties à l’encontre de laquelle il serait déraisonnable pour la partie en cause de prendre des précautions et que la partie en cause ne pourrait éviter même en consacrant ses meilleurs efforts possibles.

Le Tarif 9000 confirme ce qui suit : « [n]i le CN ni un client ne sera tenu responsable de l’inexécution de l’une quelconque de ses obligations, dans la mesure où l’exécution est empêchée ou retardée par une cause ou une condition constituant force majeure ».

[28]  Ces deux exclusions découlent du fait que l’arbitre a reconnu que l’intimée exerce un contrôle sur les changements à l’équipement et à la disponibilité du personnel, de même que sur l’entretien courant des installations et de l’équipement (sentence arbitrale, p. 9).

[29]  La clause relative à la norme de rendement et la clause de force majeure offrent à l’intimée la flexibilité nécessaire pour qu’elle puisse ajuster le nombre de wagons qu’elle fournit à l’appelante. Il était raisonnable de la part de l’arbitre de les estimer suffisantes eu égard aux obligations de l’intimée envers les autres expéditeurs ainsi qu’aux besoins et aux contraintes des parties en matière d’exploitation, surtout compte tenu de sa conclusion de fait selon laquelle la demande de wagons serait moins élevée qu’au cours des années précédentes.

[30]  À l’audience devant la Cour, l’intimée explique la différence entre sa méthode de rationnement proposée et la norme de rendement imposée par l’arbitre. Selon sa méthode, les commandes qui dépassent son offre ne sont jamais exécutées, et les expéditeurs commandent de nouveau la totalité des wagons dont ils ont besoin la semaine suivante, alors que, selon la norme de rendement imposée par l’arbitre, les commandes qui dépassent son offre sont livrées les semaines suivantes ou les mois suivants, en plus des autres commandes. À mon avis, les deux politiques tiennent compte des obligations de l’intimée envers les autres expéditeurs et de ses besoins et contraintes en matière d’exploitation. En fait, les deux politiques mènent à un résultat analogue : elles offrent toutes les deux à l’intimée la flexibilité nécessaire pour exécuter ses commandes de wagons. Selon le dossier dont disposait l’arbitre et les circonstances particulières de l’espèce, il lui était loisible d’en privilégier une.

[31]  Je reconnais que la clause de force majeure ne tient pas compte des périodes de pointes à prévoir chaque année. Toutefois, la cause relative à la norme de rendement permet à l’intimée d’ajuster le nombre de wagons qu’elle fournit à l’appelante dans la mesure prévue dans cette clause. Il pourrait être utile à l’avenir que les arbitres précisent davantage ce qu’il convient de faire dans les situations extraordinaires, durant ces périodes de pointe, au-delà de la formule prévue dans la sentence. Je suis toutefois d’avis que la clause relative à la norme de rendement et la clause de force majeure sont adéquates en l’espèce compte tenu de la conclusion factuelle tirée par l’arbitre selon laquelle il était prévu que la demande de wagons serait moins élevée qu’au cours des années précédentes. Même l’intimée a reconnu que l’approvisionnement serait à son niveau le plus bas depuis la campagne 2003-2004 (sentence arbitrale, p. 6).

[32]  En outre, selon l’intimée,  la décision de l’arbitre n’est pas [traduction] « [...] commercialement équitable et raisonnable pour les parties », comme l’exige le paragraphe 169.38(1) de la Loi, parce qu’elle ne comprend pas la clause sur le rationnement proposée. À mon avis, une lecture objective de la sentence démontre que l’arbitre a examiné la question de savoir si la décision était commercialement équitable et raisonnable :

[traduction] J’estime qu’il est commercialement équitable et raisonnable pour les deux parties que j’oblige le CN à fournir à LDC 250 wagons chaque semaine, à l’exception de la semaine de Noël, au cours de la période pendant laquelle ma décision sera en vigueur.

(Sentence arbitrale, p. 7)

[33]  Autrement dit, l’arbitre n’a pas reconnu que le concept de rationnement devrait constituer la norme servant à déterminer les obligations en matière de services dans un contrat donné sur le niveau de services pour une campagne agricole donnée. Ce n’est guère surprenant puisque l’Office a mentionné que le rationnement ne devrait être pratiqué que dans des circonstances exceptionnelles et durant de courtes périodes (Louis Dreyfus Commodities Canada Ltd. v. CN, 3 octobre 2014, décision-lettre no 2014-10-03, numéro de cas no 14-02100, par. 60 et 61). L’arbitre a plutôt examiné les éléments de preuve dont il disposait et a rédigé une norme de rendement, qui, selon lui, était commercialement équitable et raisonnable pour les deux parties et qui pouvait être appliquée à la campagne agricole en question. Il a envisagé des circonstances imprévues en intégrant la clause de force majeure à l’entente. II a en outre inclus une norme de rendement qui prévoyait un certain manquement de la part de l’intimée dans la livraison du nombre de wagons prévus au contrat, et il a fixé le moment auquel ces wagons non livrés devaient être livrés à l’appelante. II me semble que l’arbitre a adopté une approche plus nuancée quant à la possibilité que les wagons ne puissent pas être livrés à temps, et quant au nombre de wagons figurant dans le contrat, et qu’il n’a simplement pas retenu la méthode de rationnement proposée par l’intimée à l’égard de ce contrat et de la campagne agricole en question. Ces conclusions étaient fondées sur les éléments de preuve retenus par l’arbitre, et selon moi, pouvaient être tirées et relevaient directement des tâches confiées à ce dernier par le législateur.

[34]  Dans l’ensemble, l’arbitre a examiné chacun des facteurs énumérés à l’article 169.37 et a imposé des conditions qui, selon lui, étaient commercialement équitables et raisonnables pour les parties. Il n’était pas tenu d’adopter la méthode de rationnement proposée par l’intimée, et je suis d’avis qu’il était raisonnable de sa part d’assurer une certaine flexibilité au moyen de la clause relative à la norme de rendement et de la clause de force majeure.

IX.  Conclusion

[35]  J’accueillerais l’appel, avec dépens. J’annulerais la décision de la Cour fédérale et, rendant la décision qui aurait dû être rendue, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

[36]  Les parties ont convenu que le montant des dépens, tant ceux dans l’appel que dans la demande de contrôle judiciaire, soit fixé globalement à 14 000 $. Je propose d’adjuger les dépens sur cette base.

« David G. Near »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

  Johanne Gauthier, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

  Wyman W. Webb, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉE DU 25 OCTOBRE 2016, DOSSIER NO T-1599-15

DOSSIER :

A-437-16

 

 

INTITULÉ :

LOUIS DREYFUS COMMODOTIES CANADA LTD. c. COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 mars 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE WEBB

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 mai 2018

 

COMPARUTIONS :

Forrest Hume

Alex Hudson

 

Pour l’appelante

 

Douglas C. Hodson, c.r.

Kirsten MacDonald

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DLA Piper (Canada) LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour l’appelante

 

MacPherson Leslie & Tyerman LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour l’intimée

 

 

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