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Date : 20180530


Dossier : A-219-16

Référence : 2018 CAF 102

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Présent :  LE JUGE STRATAS

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

OSHKOSH DEFENSE CANADA INC. et MACK DEFENSE LLC

défenderesses

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 30 mai 2018.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 


Date : 20180530


Dossier : A-219-16

Référence : 2018 CAF 102

Présent :  LE JUGE STRATAS

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

OSHKOSH DEFENSE CANADA INC. ET MACK DEFENSE LLC

défenderesses

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE STRATAS

[1]  Le Tribunal canadien du commerce extérieur a conclu que certaines plaintes concernant des marchés publics portées par Oshkosh Defense Canada contre le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux (le Ministère) étaient partiellement fondées. Plus tard, le Tribunal a recommandé que la Couronne verse à Oshkosh une indemnité de 25 337 931,79 $ et des dépens de 153 120 $.

[2]  La Cour est saisie de deux demandes de contrôle judiciaire visant la décision du Tribunal, l’une présentée par Oshkosh (dossier A-44-18) et l’autre présentée par le procureur général (dossier A-219-16). Les parties conviennent que la première devrait être suspendue en attendant l’issue de la seconde.

[3]  Oshkosh soutient que le Ministère doit maintenant exécuter la décision du Tribunal en se conformant à la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.). Plus précisément, Oshkosh veut que le Ministère fasse les paiements recommandés par le Tribunal. Elle demande une directive en ce sens, par voie de motion, dans le dossier A-44-18.

[4]  En réponse, le procureur général demande à la Cour, dans le dossier A-219-16, d’ordonner un sursis à l’exécution de la décision du Tribunal jusqu’à ce qu’elle se prononce sur le contrôle judiciaire. Le procureur général demande également une ordonnance l’autorisant à déposer un affidavit supplémentaire à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire.

[5]  La Cour présente ici ses motifs à l’égard des requêtes des parties. Une copie de ces motifs sera versée au présent dossier et au dossier A-44-18.

A.  Le cadre légal

[6]  Le paragraphe 30.18(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur dispose que, lorsque le Tribunal fait des recommandations en vertu de la Loi, l’institution fédérale concernée, en l’espèce le Ministère, doit, sous réserve des règlements, les mettre en œuvre dans toute la mesure du possible. En outre, aux termes du paragraphe 30.18(2) de la Loi, l’institution fédérale doit, par écrit et dans le délai réglementaire, faire savoir au Tribunal dans quelle mesure elle compte mettre en œuvre les recommandations et, dans tous les cas où elle n’entend pas les appliquer en totalité, lui motiver sa décision. Le délai réglementaire est actuellement de 20 jours : Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602, alinéa 13a). Lorsque l’institution fédérale a avisé le Tribunal qu’elle entend donner suite à tout ou partie des recommandations, elle dispose de 60 jours pour indiquer au Tribunal dans quelle mesure elle l’a fait : alinéa 13b) du Règlement. Oshkosh soutient que le Ministère n’a pas respecté ces dispositions.

[7]  Ni la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur ni les Règles des Cours fédérales ne prévoient une suspension automatique de l’application de ces dispositions ou de la recommandation du Tribunal. Il n’est donc pas étonnant que notre Cour ait clairement indiqué qu’une partie dans la situation du Ministère doit soit se conformer à ces dispositions, soit demander un sursis à l’exécution de la recommandation du Tribunal : Canada (Procureur général) c. Northrop Grumman Overseas Services Corporation, 2007 CAF 336, 370 N.R. 239, paragraphe 20; Canada (Procureur général) c. Symtron Systems Inc., [1999] 2 C.F. 514, 236 N.R. 143 (C.A.), paragraphes 12 et 13. Ne pas tenir compte des dispositions de la Loi ou des recommandations du Tribunal n’est pas envisageable.

B.  La requête d’Oshkosh sollicitant une directive ordonnant au Ministère d’exécuter les recommandations du Tribunal

[8]  À l’appui de sa requête, Oshkosh soutient que le Ministère a [traduction] « simplement fait fi des recommandations du [Tribunal] » : observations écrites, paragraphe 24.

[9]  Cette observation ne tient pas compte des éléments de preuve. Le Tribunal a écrit au Ministère pour lui demander s’il avait l’intention de mettre en œuvre les recommandations du Tribunal. Il a répondu qu’il mettra pleinement en œuvre les recommandations du Tribunal, sous réserve des décisions de la Cour sur les demandes de contrôle judiciaire dont elle est saisie.

[10]  Une question demeure. Oshkosh devrait-elle recevoir l’indemnité recommandée en attendant les décisions sur les demandes de contrôle judiciaire? Oshkosh le croit. Sur ce point, le procureur général semble avoir fait une concession clé en l’espèce. Dans ses observations en réponse à la requête, au paragraphe 5, il est écrit ce qui suit :

[traduction]

En l’espèce, [le Ministère] ne devrait être tenu de verser l’indemnité recommandée avant que soient tranchées les demandes de contrôle judiciaire  [...] qu’en cas de rejet de la requête du procureur général […] visant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de la recommandation du [Tribunal] relativement au montant de l’indemnité accordée pour l’occasion de profit manquée d’Oshkosh.

(Réponse du procureur général, paragraphe 5.)

[11]  À la lumière de la concession du procureur général, si ce dernier n’obtient pas le sursis demandé, j’accueillerai la requête d’Oshkosh.

[12]  Je ne me prononce pas sur la question de savoir si, dans une situation future, une institution fédérale pourrait à la fois se conformer aux dispositions de la Loi mentionnées ci‑dessus et refuser unilatéralement de mettre en œuvre une recommandation jusqu’à ce qu’une demande de contrôle judiciaire soit tranchée. Je ne me prononce pas non plus sur le cas où une institution fédérale refuserait de mettre en œuvre une recommandation et verrait sa demande de contrôle judiciaire rejetée, de sorte qu’elle aurait dû, depuis le début, mettre en œuvre la recommandation.

C.  La requête en sursis du procureur général

(1)  La nature et l’effet des décisions des décideurs administratifs

[13]  Il est bien établi en droit que les décisions des décideurs administratifs prennent effet dès leur prononcé, conformément aux modalités prévues. Il n’y a exception à cette règle qu’en cas de disposition contraire d’un texte législatif, de précision contraire du décideur administratif quant à la prise d’effet de sa décision ou d’ordonnance d’une cour de révision qui sursoit à l’exécution de la décision en attendant le contrôle judiciaire.

(2)  Les conséquences : la mesure subsidiaire à demander aux décideurs administratifs

[14]  Pour cette raison, les défendeurs dans les procédures administratives demandent souvent au décideur administratif d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour reporter la prise d’effet de toute décision défavorable afin d’en faciliter le contrôle judiciaire. C’est souvent ce que les défendeurs demandent subsidiairement à leur demande principale, soit le rejet pur et simple de la procédure administrative. Il faut prendre soin de le demander avant que le décideur administratif n’ait rendu sa décision et qu’il ne devienne functus officio : arrêt Chandler c. Alberta Association of Architects, [1989] 2 R.C.S. 848, 62 D.L.R. (4th) 577.

[15]  La plupart des décideurs administratifs disposent du pouvoir discrétionnaire, conféré de façon explicite ou implicite par leurs lois habilitantes, de retarder la prise d’effet de leurs décisions défavorables. À cet égard, plusieurs de ces décideurs ont établi dans leur jurisprudence ou dans des énoncés de politique les critères régissant l’exercice de ce pouvoir.

(3)  La position que doit prendre la cour de révision face à la décision du décideur administratif sur la prise d’effet de sa décision

[16]  Lorsqu’un décideur administratif exerce son pouvoir discrétionnaire pour retarder ou ne pas retarder la prise d’effet de sa décision — une discrétion habituellement fondée sur les faits — la cour de révision hésite à intervenir et à ordonner un sursis à l’exécution de la décision du décideur administratif. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire a normalement droit à la déférence et la Cour ne peut exercer son pouvoir d’ordonner un sursis de manière à annuler inconsidérément ce que le Tribunal a jugé approprié en fonction des faits.

[17]  Cela dit, il est possible d’ordonner le sursis à condition qu’il soit satisfait à un critère plutôt rigoureux.

[18]  Rien dans les documents portés à la connaissance de la Cour ne montre que le Ministère a demandé au Tribunal de reporter la prise d’effet de sa décision. Comme on le verra, l’omission de demander au Tribunal le report de la prise d’effet de sa décision peut influer sur l’exercice que fera la cour de révision de son pouvoir d’ordonner un sursis à l’exécution de la décision du Tribunal.

(4)  Le pouvoir de la cour de révision de surseoir à la décision du décideur administratif en attendant le contrôle judiciaire

[19]  En l’espèce, le procureur général présente une requête en sursis à l’exécution des recommandations du Tribunal alors qu’il n’a pas demandé au Tribunal de reporter la prise d’effet de sa décision.

[20]  Notre Cour peut accorder une suspension des procédures en vertu de l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. L’article 398 des Règles des Cours fédérales constitue un autre fondement à l’octroi d’un sursis dans le cas d’appels, y compris les appels prévus par la loi contre des décisions administratives.

[21]  Lorsqu’une cour qui révise une décision administrative est invitée à y surseoir en attendant le contrôle judiciaire, un critère bien connu s’applique : RJR – MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, 111 D.L.R. (4th) 385. La partie qui présente la requête doit démontrer qu’il existe une question sérieuse à trancher en contrôle judiciaire, que cette partie subira un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Elle doit satisfaire à toutes ces exigences : Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 112, 120 C.P.R. (4th) 385, paragraphes 13 et 14.

[22]  Sans doute le plus grand obstacle pour la partie qui demande le sursis est l’exigence de prouver l’existence d’un préjudice irréparable.

[23]  Le fait pour la partie qui présente la requête d’omettre de demander au décideur administratif de reporter la prise d’effet de sa décision peut entrer en ligne de compte dans l’examen par la cour de révision de la requête en sursis de l’exécution de la décision administrative et, en particulier, pour ce qui est du préjudice irréparable. Cette partie pourrait être appelée à s’expliquer. Sans explication, l’omission pourrait être considérée comme un signe que la partie qui présente la requête pensait que le préjudice qui découlerait d’une décision défavorable serait sans importance : Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, Toronto, Thomson Reuters, 2017 (édition sur feuilles mobiles mise à jour en novembre 2017), paragraphe 1.990; p. ex., arrêt Cardinal c. Cleveland Indians Baseball Company Limited Partnership, 2016 ONSC 6929, 134 O.R. (3d) 6929 aux paragraphes 69-73.

[24]  De plus, un préjudice irréparable est un préjudice inévitable qui, par sa nature, ne peut être redressé par une compensation pécuniaire : Janssen Inc, précité, paragraphe 24. Sans explication, il pourrait être jugé que la partie qui a omis de demander au décideur administratif de reporter la prise d’effet de sa décision ne s’est pas prévalue d’un moyen d’éviter le préjudice découlant d’une décision défavorable.

[25]  Enfin, pour prouver qu’il y a préjudice irréparable, la partie requérante doit établir de manière détaillée et concrète qu’elle subira un préjudice réel, certain et inévitable – et non pas hypothétique et conjectural – qui ne pourra être redressé plus tard : Première Nation de Stoney c. Shotclose, 2011 CAF 232, 422 N.R. 191, paragraphes 47 à 49; Bureau du surintendant des faillites c. MacLeod, 2010 CAF 84, 402 N.R. 341, paragraphes 14 à 22; Gateway City Church c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 126, 445 N.R. 360, paragraphes 14 à 16; Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu National), 2012 CAF 255, 440 N.R. 232, paragraphe 31; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, 268 N.R. 328, paragraphe 12; Janssen Inc. c. Abbvie Corporation, 2014 CAF 176, paragraphes 44 à 46. Le requérant qui présente des allégations plutôt que des démonstrations de preuve et « [des] hypothèses, [des] conjectures, [des] présomptions et [des] affirmations discutables non étayées par les preuves » échoue souvent à satisfaire à ce volet du critère applicable au sursis : Glooscap, paragraphe 31; Première Nation de Stoney, paragraphe 48. Le requérant qui présente « des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé » obtient souvent gain de cause : Glooscap, paragraphe 31; voir aussi les arrêts Dywidag Systems International, Canada, Ltd. c. Garford Pty Ltd., 2010 CAF 232, 406 N.R. 304, paragraphe 14, et Laperrière, paragraphe 17.

(5)  L’application de ces principes à la requête en sursis du procureur général

[26]  La requête en sursis du procureur général ne peut être accueillie, car il n’a pu prouver adéquatement l’existence d’un préjudice irréparable.

[27]  Les seuls faits que le procureur général invoque à cet égard figurent dans une seule et unique phrase, au paragraphe 35 de son affidavit : [traduction] « L’intimée Oshkosh se décrit comme une filiale d’Oshkosh Corporation, une société américaine. »

[28]  En soi, ce n’est pas la preuve d’un préjudice irréparable. Ce n’est pas la preuve que les sommes versées à Oshkosh seront envoyées à sa société mère aux États-Unis. Ce n’est pas non plus la preuve que, si cette situation devait se produire et que le procureur général devait obtenir gain de cause à l’issue du contrôle judiciaire, la société mère aux États-Unis ne voudrait pas ou ne pourrait pas remettre l’argent à Oshkosh.

[29]  Oshkosh a déposé des éléments de preuve indiquant qu’il n’y a aucune probabilité de préjudice irréparable. Sa société mère possède un actif important. Le groupe Oshkosh vend ses produits à des gouvernements dans le monde entier, et ses activités se chiffrent à plusieurs milliards de dollars. Il est [traduction] « absurde » de penser qu’il risquerait sa réputation internationale en conservant arbitrairement de l’argent appartenant au gouvernement du Canada. Pour faire bonne mesure, la société mère d’Oshkosh s’est engagée, si elle reçoit l’argent, à le rembourser en cas d’annulation de la décision du Tribunal.

[30]  Dans ses observations écrites, le procureur général fait valoir que, s’il obtient gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, [traduction] « des fonds publics d’un montant important auront été versés à Oshkosh et la Couronne pourrait ne pas être en mesure de les récupérer ». Même si je considérais cette observation comme un élément de preuve – ce que je ne puis faire – elle serait conjecturale et abstraite. La partie qui présente la requête en sursis a le fardeau de produire des éléments de preuve précis et détaillés établissant la probabilité d’un préjudice irréparable.

[31]  Je note que, si Oshkosh recevait des fonds en application de la décision du Tribunal et les transférait hors de la juridiction en sachant que, dans quelques mois, elle pourrait devoir les rembourser, il existe des recours en droit civils et en droit pénal pour redresser la situation. Le droit des créances est assez musclé. Des recours civils peuvent également être ouverts, y compris, en l’espèce, une action fondée sur l’engagement pris par la société mère. Certes, le procureur général subira quelques inconvénients s’il doit se tourner vers ces recours, mais c’est en partie parce qu’il n’a pas demandé au Tribunal de reporter la prise d’effet de sa décision en attendant le contrôle judiciaire. Incidemment, cette omission tend à soutenir l’idée que le procureur général lui‑même n’a pas jugé que le préjudice qui pourrait en découler serait important : il n’était pas nécessaire de se protéger contre l’effet immédiat de la décision du Tribunal.

[32]  Dans ses observations écrites, le procureur général soutient également que, si la Couronne verse à Oshkosh la somme accordée par le Tribunal et si le procureur général obtient gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, notre Cour ne pourra pas ordonner à Oshkosh de rembourser la Couronne. Le procureur générale se réfère aux pouvoirs conférés à la Cour par le paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7. Au titre de ce paragraphe, notre Cour n’a pas le pouvoir d’accorder des dommages-intérêts.

[33]  Il est vrai qu’on ne peut demander en contrôle judiciaire des dommages-intérêts pour négligence dans la prise d’une décision par un décideur administratif : Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585, paragraphe 26; Al-Mhamad c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), 2003 CAF 45, 120 A.C.W.S. (3d) 351; Paradis Honey Ltd. c. Canada, 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446, paragraphe 151; Lessard-Gauvin c. Canada (Attorney General), 2016 CAF 172, paragraphe 8. On ne peut demander des dommages‑intérêts que par voie d’action, sauf exception rare et très limitée : voir l’arrêt Hinton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 215, [2009] 1 R.C.F. 476, paragraphes 45 à 50, et la discussion à ce sujet dans l’arrêt Paradis Honey, paragraphe 151.

[34]  Toutefois, certaines des mesures visées au paragraphe 18(3) peuvent avoir pour effet direct que soit ordonné le paiement des sommes. Un exemple est le bref de mandamus dans l’arrêt D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, 459 N.R. 167.

[35]  De plus, lors de l’annulation de décisions administratives, on peut également ordonner le remboursement des sommes versées en application des décisions annulées. Il n’y a rien de mal à en faire une modalité du jugement. Supposons qu’un décideur administratif ordonne à une personne de verser une certaine somme à une autorité publique. Cette personne paie la somme et présente ensuite une demande de contrôle judiciaire afin d’obtenir l’annulation de la décision qui l’avait obligée à payer. La cour de révision conclut en faveur de la personne et annule la décision. Assurément, la cour de révision peut inclure dans son jugement une modalité exigeant le remboursement de cette personne. Cette modalité ne fait que mettre en mots la conséquence inexorable de l’annulation de la décision, dissipe utilement tout doute à ce sujet et empêche qu’un plaideur débouté récalcitrant refuse à tort de rembourser l’argent.

[36]   Le fondement en est l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales ainsi que les pouvoirs dont jouit la Cour à titre de tribunal d’equity. Aux termes de l’alinéa 18.1(3)b), notre Cour peut « déclarer nul[le] ou illégal[e], ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement » une décision. Elle peut ajouter les « directives qu’elle estime appropriées ». L’article 4 de la Loi sur les Cours fédérales dispose que notre Cour est un « tribunal […] d’equity » et les mesures prévues à l’alinéa 18.1(3)b) renvoient au « bref de certiorari » de l’equity : Loi sur les Cours fédérales, paragraphe 18(1).

[37]  Les cours fédérales assortissent fréquemment leurs jugements annulant des décisions administratives de conditions. Je ne vois aucune raison pour laquelle elles ne pourraient pas les assortir de modalités ayant pour effet de défaire les mesures prises, comme le paiement d’argent, en application de la décision. Après tout, il est équitable que, si une décision administrative est annulée, les parties se retrouvent dans la position qui était la leur avant que soit rendue la décision annulée. Voir, généralement, D. Stratas, The Canadian Law of Judicial Review : Some Doctrine and Cases (26 mars 2018) (en ligne : https://ssrn.com/abstract=2924049), pages 111 et 112.

[38]  Il est vrai que, si le défendeur dans le contrôle judiciaire a remis à un tiers l’argent qu’il a reçu en application de la décision administrative, il pourrait être incapable de se conformer à l’ordonnance de la cour de révision qui lui enjoindrait de rembourser le demandeur. Ce dernier pourrait toujours se prévaloir des recours du droit des créances ou intenter une action civile pour obtenir réparation. Mais, grâce au jugement qui exige le remboursement du demandeur, ce dernier dispose d’un autre outil pratique : les dispositions des Règles des Cours fédérales concernant l’exécution forcée des ordonnances.

[39]  Par conséquent, pour les motifs qui précèdent, la requête en sursis visant la décision du Tribunal est rejetée. Tel qu’il a été mentionné plus haut, en l’espèce, le procureur général s’est engagé, si le sursis lui était refusé, à verser l’indemnité recommandée par le Tribunal. En conséquence, je donne la directive demandée par Oshkosh.

D.  La requête en dépôt d’un affidavit supplémentaire

[40]  Le procureur général demande l’autorisation de déposer un affidavit supplémentaire à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, en vertu de l’article 312 des Règles.

[41]  Au départ, en tant que juge des requêtes, je dois décider si je trancherai la requête moi-même ou si j’en confierai l’examen à la formation qui entendra la demande de contrôle judiciaire. Les principes qui régissent l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire sont les suivants :

Le moment auquel la Cour doit trancher une requête est une question discrétionnaire : Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 11. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est guidé par l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, afin « d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». Dans le cas de demandes de contrôle judiciaire, la directive au paragraphe 18.4(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, à savoir que la Cour « statue à bref délai et selon une procédure sommaire », peut également influer sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire.

Notre Cour tranche généralement les requêtes en se fondant sur les documents déposés par les parties : article 369 des Règles. Par contre, lorsqu’il y a des ambiguïtés ou des éléments complexes, ou lorsque cela est opportun pour d’autres raisons, la Cour peut demander des observations orales. Dans de telles circonstances, le principe de l’économie des ressources judiciaires peut faire qu’il soit préférable de renvoyer la requête à la formation qui entendra l’appel, à moins que, pour une raison quelconque, il y ait urgence ou qu’il y ait d’autres raisons de trancher la requête immédiatement.

Une requête peut être tranchée sur-le-champ si l’issue de celle-ci est claire ou évidente. Les principes d’efficacité et d’économie des ressources judiciaires l’appuient : Collins c. La Reine, 2014 CAF 240, au paragraphe 6; Canadian Tire Corp. Ltd. c. P.S. Partsource Inc., 2001 CAF 8. Par contre, si on peut raisonnablement avoir des opinions divergentes sur l’issue de la requête, la décision devrait être laissée à la formation qui entendra l’appel : McKesson Canada Corporation c. La Reine, 2014 CAF 290, au paragraphe 9; Nation Gitxaala c. La Reine, 2015 CAF 27, au paragraphe 7. Parfois, la qualité, la nouveauté ou le caractère incomplet des observations fait en sorte qu’il est judicieux de laisser à la formation qui entendra l’appel le soin de trancher la requête : Nation Gitxaala, précité, aux paragraphes 9 à 12.

(Amgen Canada Inc. c. Apotex Inc., 2016 CAF 196, 487 N.R. 196, paragraphes 8 à 10.)

[42]  En l’espèce, j’estime que les questions soulevées par la requête sont claires et simples. Il n’est pas nécessaire de la laisser au jugement la formation qui statuera sur la demande de contrôle judiciaire.

[43]  La Cour a établi le critère applicable à l’autorisation d’un affidavit supplémentaire sous l’article 312 dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l’énergie, 2014 CAF 88, aux paragraphes 4 à 6 :

[…] [A]fin d’obtenir une ordonnance fondée sur l’article 312 des Règles, les demanderesses doivent satisfaire à deux exigences préliminaires :

(1)  La preuve doit être admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Comme il est bien établi en droit, le dossier dont est saisie la cour de révision est habituellement composé des documents dont était saisi le décideur. Il y a cependant des exceptions à ce principe. Voir les décisions Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, [2000] 1 C.F. 135, aux pages 144-145 (C.A.); Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22.

(2)  L’élément de preuve doit être pertinent à une question que la cour de révision est appelée à trancher. Par exemple, certaines questions ne peuvent pas être soulevées pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 654.

En supposant que les demanderesses satisfont à ces deux exigences préliminaires, elles doivent aussi convaincre la Cour qu’elle doit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire rendre l’ordonnance visée à l’article 312 des Règles. La Cour exerce son pouvoir discrétionnaire sur le fondement des éléments de preuve dont elle dispose et en appliquant les principes pertinents.

Dans l’arrêt Holy Alpha and Omega Church of Toronto c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 101, au paragraphe 2, la Cour énonce les principes censés la guider dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 312 des Règles. Elle pose certaines questions qui permettent d’établir si une ordonnance fondée sur l’article 312 des Règles servirait l’intérêt de la justice :

a)  Est-ce que la partie avait accès aux éléments de preuve dont elle demande l’admission au moment où elle a déposé ses affidavits en application de l’article 306 ou 308 des Règles, selon le cas, ou aurait-elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable?

b)  Est-ce que la preuve sera utile à la Cour, en ce sens qu’elle est pertinente quant à la question à trancher et que sa valeur probante est suffisante pour influer sur l’issue de l’affaire?

c)  Est-ce que l’admission des éléments de preuve entraînera un préjudice important ou grave pour l’autre partie?

[44]  Le procureur général soutient que l’affidavit est recevable puisqu’il servira à l’appui d’une question d’équité procédurale. Il n’est pas recevable sur ce fondement. Outre les paragraphes généraux (paragraphes 10 et 18) qui présentent des renseignements généraux sur la procédure devant le Tribunal, renseignements dont dispose déjà la Cour, l’affidavit ne porte pas sur la procédure suivie ou non par le Tribunal qui est la source des doutes quant à l’équité procédurale soulevés dans l’avis de demande.

[45]  L’affidavit que l’on cherche à ajouter porte plutôt sur le bien-fondé d’une question dont le Tribunal a été saisi : le bien-fondé de la décision du Tribunal concernant les essais de vitesse sur pente et les paramètres utilisés lors des essais de véhicules. Cet élément de preuve aurait dû être soumis au Tribunal afin que celui-ci, en tant que juge des faits et juge du fond, puisse l’évaluer. En temps normal, on ne peut faire juger de nouveau  une affaire sur le fond en présentant de nouveaux éléments de preuve devant la cour de révision. Cette dernière n’est pas juge du fond. Sous réserve d’exceptions limitées, elle ne fait qu’examiner la façon dont le décideur administratif a évalué le fond. Voir, généralement, Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, 428 N.R. 297, paragraphe 19.

[46]  Je prends également note que le Tribunal a radié à l’audience un affidavit qui était substantiellement le même. Qui plus est, même si l’affidavit était recevable, il aurait pu être produit plus tôt, conformément à l’article 306 des Règles, en faisant preuve de diligence raisonnable. De plus, je souscris en grande partie aux observations présentées par Oshkosh, aux paragraphes 44 à 64 de ses observations écrites en réponse.

[47]  Pour les motifs qui précèdent, je rejette la requête du procureur général en autorisation de déposer un affidavit supplémentaire.

E.  Dispositif

[48]  Je rendrai une ordonnance conforme aux présents motifs. Les parties s’entendent sur certaines autres questions comme la nature du dossier à déposer devant cette Cour, la suspension du dossier A-44-18 en attendant la décision sur le dossier A-219-16 et le calendrier du dossier A-219-16. L’ordonnance portera également sur toutes ces questions et sera versée aux deux dossiers de la Cour.

« David Stratas »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-219-16

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. OSHKOSH DEFENSE CANADA INC. ET MACK DEFENSE LLC

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 mai 2018

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Derek Rasmussen

Alexandre Kaufman

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Gerry Stobo

Marc McLaren-Caux

Cynthia Wallace

 

Pour LADÉFENDERESSE oshkosh defense canada inc.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureur général du Canada

 

Pour L’APPELANT

 

Cassidy Levy Kent (Canada) LLP

Ottawa (Ontario)

 

Pour LA DÉFENDERESSE oshkosh defense canada inc.

 

Conlin Bedard LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

MACK DEFENSE LLC

 

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