Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20180613


Dossier : A2917

Référence : 2018 CAF 117

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

ENTRE :

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

appelante

et

CORPORATION DES PILOTES DU SAINTLAURENT CENTRAL INC.

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 20 mars 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 juin 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

 


Date : 20180613


Dossier : A2917

Référence : 2018 CAF 117

CORAM :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

 

 

ENTRE :

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES

appelante

et

CORPORATION DES PILOTES DU SAINTLAURENT CENTRAL INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  L’appelante est un organisme public établi en vertu de la Loi sur le pilotage, L.R.C. 1985, ch. P14. Pour paraphraser en partie l’article 18 de la Loi, cet organisme est chargé de mettre sur pied, de faire fonctionner, d’entretenir et de gérer, pour la sécurité de la navigation, un service de pilotage efficace dans des secteurs désignés du fleuve SaintLaurent et de la rivière Saguenay. L’intimée est l’entreprise par laquelle les pilotes fournissent leurs services à l’appelante sur le fleuve SaintLaurent.

[2]  Le régime de réglementation établi en vertu de la Loi sur le pilotage et du Règlement de l’Administration de pilotage des Laurentides, C.R.C., ch. 1268 (le Règlement), énonce les circonstances dans lesquelles les navires naviguant sur le fleuve SaintLaurent et la rivière Saguenay sont tenus de recourir aux services d’un pilote. La Loi sur le pilotage établit également un cadre qui permet à l’appelante de retenir des services des pilotes au moyen d’un régime semblable à un régime de négociation collective. Aux termes de ce régime, l’intimée et l’appelante sont tenues de négocier des contrats de louage de services, qui précisent les modalités de l’embauche des pilotes. Ces contrats font l’objet de renégociation périodique, et la Loi sur le pilotage prévoit l’arbitrage des offres finales dans les cas où les parties n’arrivent pas à renégocier leur contrat de louage de services d’un commun accord.

[3]  Durant la dernière ronde de négociations, les parties au présent appel ont été tenues de recourir à l’arbitrage pour renouveler leur contrat de 20152020 et ont choisi l’honorable Pierre A. Michaud comme arbitre. Ce dernier a rendu sa sentence le 17 février 2016 et a choisi la dernière offre de l’intimée. L’appelante a demandé le contrôle judiciaire de la sentence de l’arbitre Michaud et, dans sa décision Administration de pilotage des Laurentides c. Corporation des pilotes du SaintLaurent central inc., 2016 CF 1413, rendue le 29 décembre 2016, la Cour fédérale (le juge Bell) a infirmé en partie la sentence arbitrale, a ordonné qu’une partie de la dernière offre de l’intimée soit supprimée et a renvoyé l’affaire à l’arbitre Michaud pour qu’il rende une nouvelle sentence fondée sur l’offre modifiée de l’intimée.

[4]  L’appelante interjette appel – et l’intimée forme un appel incident – du jugement de la Cour fédérale, mais les parties ont subséquemment réglé l’appel incident, qui a été abandonné. Nous sommes donc uniquement saisis de l’appel de l’appelante. Celleci cherche à faire infirmer la décision de la Cour fédérale selon laquelle l’offre de l’intimée n’était pas invalide du fait qu’elle prévoyait une clause concernant le préavis de départ de nuit que l’appelante est tenue de donner aux pilotes. L’appelante affirme puisque cette partie de l’offre de l’intimée est incompatible avec les exigences de la Loi sur le pilotage et du Règlement, est ainsi invalide et ne pouvait être retenue par l’arbitre.

[5]  Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas d’accord et je conclurais que la Cour fédérale a rejeté à juste titre l’argument de l’appelante relatif à l’invalidité. Toutefois, à la lumière du jugement rendu par la Cour fédérale, pour donner effet à cette conclusion, notre Cour doit accueillir le présent appel, annuler le jugement de la Cour fédérale et ordonner le rejet de la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant la sentence de l’arbitre Michaud. Je rendrais donc une ordonnance en ce sens. J’adjugerais également à l’intimée ses dépens devant notre Cour et la Cour fédérale puisqu’elle a eu entièrement gain de cause devant notre Cour et aurait dû avoir obtenu gain de cause sur toutes les questions devant la Cour fédérale.

I.  Le régime légal et réglementaire applicable

[6]  Pour analyser ces questions, il convient de commencer par énoncer les dispositions de la Loi sur le pilotage et du Règlement qui s’appliquent au présent appel.

[7]  Tout d’abord, en ce qui concerne la Loi sur le pilotage, l’article 15 habilite exclusivement les entreprises comme l’intimée à négocier des contrats de louage de services au nom des pilotes qui travaillent dans toute la région à l’égard de laquelle une Administration de pilotage a compétence, ou dans une partie de celleci. Les articles 15.1 à 15.3 de la Loi sur le pilotage régissent le renouvellement des contrats de louage de services et empêchent les pilotes de refuser de fournir des services après l’expiration d’un contrat. Ils sont ainsi rédigés :

Renouvellement du contrat

15.1 (1) Cinquante jours avant l’expiration d’un contrat de louage de services mentionné au paragraphe 15(2) qui ne comporte aucune disposition sur le règlement des différends à survenir au cours des négociations en vue de son renouvellement, les parties au contrat sont tenues de choisir d’un commun accord un médiateur et un arbitre, et de soumettre au médiateur toutes les questions liées au renouvellement du contrat qui demeurent en litige.

Renewal of contract

15.1 (1) Where a contract for services referred to in subsection 15(2) does not provide a mechanism for the resolution of disputes in the contract renewal process, fifty days before the contract expires, the parties to the contract shall jointly choose a mediator and an arbitrator and shall refer to the mediator all issues related to the renewal of the contract that remain unresolved.

Absence d’accord

(2) Le ministre désigne un médiateur ou un arbitre lorsque les parties ne peuvent s’entendre sur leur choix ou lorsque le médiateur ou l’arbitre qu’elles ont choisi n’est pas disponible.

No agreement

(2) The Minister shall choose the mediator or arbitrator if the parties cannot agree on one or if the one they choose is unavailable.

Médiation

(3) Le médiateur dispose d’un délai de trente jours pour amener les parties à s’entendre sur les questions qui lui ont été soumises; une fois ce délai expiré, les parties au contrat soumettent les questions qui demeurent en litige à l’arbitre.

Mediation

(3) The mediator has thirty days in which to bring the parties to agreement on the outstanding issues, at the end of which time the parties to the contract shall refer all of the remaining outstanding issues to the arbitrator.

Dernières offres

15.2 (1) Chaque partie au contrat est tenue de faire parvenir à l’arbitre — ainsi qu’à la partie adverse — sa dernière offre sur toutes les questions qui demeurent en litige, dans les cinq jours suivant la date à laquelle il en est saisi.

Final offers

15.2 (1) The parties to the contract shall each submit a final offer in respect of the outstanding issues to each other and to the arbitrator within five days after the date on which those issues are referred to the arbitrator

Décision de l’arbitre

(2) L’arbitre dispose d’un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle elles lui sont soumises pour choisir l’une ou l’autre des dernières offres dans son intégralité.

Decision of arbitrator

(2) Within fifteen days, the arbitrator shall choose one or other of the final offers in its entirety.

Conséquence de la décision

(3) La dernière offre choisie par l’arbitre est définitive et obligatoire et est incorporée au contrat de louage de services renouvelé, lequel prend effet à la date d’expiration du contrat précédent.

Effect of decision

(3) The final offer chosen by the arbitrator is final and binding and becomes part of the new contract for services that is effective on the day after the former contract expires.

Partage des honoraires

(4) Les honoraires du médiateur ou de l’arbitre sont à la charge des parties au contrat en parts égales.

Sharing of costs

(4) The parties to the contract shall share equally the cost of the fees of the mediator or arbitrator.

Maintien des activités

15.3 Il est interdit à la personne morale qui a conclu un contrat de louage de services en vertu du paragraphe 15(2) de même qu’à ses membres ou actionnaires de refuser de fournir des services de pilotage pendant la durée de validité d’un contrat ou au cours des négociations en vue du renouvellement d’un contrat.

Continuation of services

15.3 A body corporate with which an Authority has contracted for services under subsection 15(2) and the members and shareholders of the body corporate are prohibited from refusing to provide pilotage services while a contract for services is in effect or being negotiated.

[8]  L’article 20 énonce le pouvoir de réglementation d’une Administration de pilotage. Les parties pertinentes du paragraphe 20(1) prévoient ce qui suit :

Règlements généraux

20 (1) Une Administration peut, avec l’approbation du gouverneur en conseil, prendre les règlements généraux nécessaires à l’exécution de sa mission et, notamment :

Regulations

20 (1) An Authority may, with the approval of the Governor in Council, make regulations necessary for the attainment of its objects, including, without restricting the generality of the foregoing, regulations

a) établir des zones de pilotage obligatoire;

(a) establishing compulsory pilotage areas;

b) déterminer les navires ou catégories de navires assujettis au pilotage obligatoire;

(b) prescribing the ships or classes of ships that are subject to compulsory pilotage;

[…]

[…]

d) fixer, le cas échéant, le préavis que doit donner un navire de son heure d’arrivée prévue dans une zone de pilotage obligatoire ou de son heure de départ prévue d’un endroit situé dans une zone de pilotage obligatoire, ainsi que la forme du préavis;

(d) prescribing the notice, if any, to be given by a ship, of its estimated time of arrival in a compulsory pilotage area or its estimated time of departure from a place in a compulsory pilotage area and the manner of giving the notice;

[…]

[…]

k) imposer, outre l’exigence prévue au paragraphe 25(1), les circonstances dans lesquelles un navire doit avoir à son bord un pilote breveté ou le titulaire d’un certificat de pilotage;

(k) prescribing the conditions, in addition to anything provided by subsection 25(1), under which a ship shall have a licensed pilot or holder of a pilotage certificate on board;

l) fixer le nombre minimal de pilotes brevetés ou de titulaires de certificats de pilotage qui doivent se trouver à bord d’un navire;

(l) prescribing the minimum number of licensed pilots or holders of pilotage certificates that shall be on board ship at any time; and

[9]  L’article 17 de la Loi sur le pilotage habilite une Administrations de pilotage à adopter des règlements administratifs régissant ses activités. Les sousalinéas 17(1)b)(i) et (ii) indiquent que par ces règlements, l’Administration peut déléguer à quiconque certains de ses pouvoirs, sauf celui de prendre un règlement administratif ou général. Ainsi, en vertu de cette disposition, il est interdit à une Administration de subdéléguer son pouvoir de réglementation.

[10]  L’article 25 de la Loi sur le pilotage interdit à quiconque de conduire un navire à l’intérieur d’une zone de pilotage obligatoire si la personne n’est pas un pilote breveté. Aux termes de l’article 47 de la Loi, la violation de cette disposition constitue une infraction punissable, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, par une amende maximale de cinq mille dollars.

[11]  L’article 26 de la Loi sur le pilotage habilite le capitaine d’un navire à relever le pilote de ses fonctions et d’assurer luimême la conduite du navire à l’intérieur d’une zone de pilotage obligatoire s’il a des motifs raisonnables de croire que les actes du pilote mettent le navire en danger.

[12]  Le Règlement énonce les zones de pilotage obligatoires dans le fleuve SaintLaurent et la rivière Saguenay et prévoit le genre de navires dont la conduite à l’intérieur de ces zones doit être assurée par un pilote ainsi que le nombre de pilotes requis.

[13]  Les articles 8 et 10 du Règlement régissent le type de préavis de départ que les navires doivent donner à l’intérieur d’une zone de pilotage obligatoire. Ils sont ainsi rédigés :

8 Le propriétaire, le capitaine ou l’agent d’un navire qui doit quitter un poste dans la zone de pilotage obligatoire pour une raison quelconque, sauf pour effectuer un déplacement, doit, en appelant un centre d’affectation des pilotes,

8 The owner, master or agent of a ship that is to depart from a berth in the compulsory pilotage area for any purpose, other than making a movage, shall, by calling a pilot despatch centre,

a) donner un premier préavis de 12 heures de l’heure prévue du départ du navire; et

(a) give a first notice of its estimated time of departure 12 hours before its estimated time of departure; and

b) donner un dernier préavis d’au moins quatre heures pour confirmer ou corriger l’heure de départ prévue.

(b) give a final notice confirming or correcting its estimated time of departure at least four hours before the estimated time.

[…]

[…]

10 (1) Nonobstant les articles 8 et 9, le propriétaire, le capitaine ou l’agent d’un navire qui doit quitter un port ou y effectuer un déplacement peut, dans les huit heures qui suivent le moment où il a donné le premier préavis visé à l’alinéa 8a) ou au sous‑alinéa 9(1)a)(i), donner un deuxième préavis pour confirmer ou corriger l’heure prévue du départ du navire d’une zone de pilotage obligatoire ou du déplacement du navire dans une telle zone.

10 (1) Notwithstanding sections 8 and 9, the owner, master or agent of a ship that is to depart or make a movage may within eight hours after having given the first notice referred to in paragraph 8(a) or subparagraph 9(1)(a)(i), give a second notice confirming or correcting the estimated time of departure from or movage in any compulsory pilotage area.

(2) Lorsqu’un deuxième préavis a été donné à l’égard d’un navire conformément au paragraphe (1), le départ ou le déplacement du navire doit avoir lieu dans les 12 heures qui suivent le moment où ce préavis a été donné.

(2) Where a second notice has been given in respect of a ship pursuant to subsection (1), the time of departure or movage of that ship shall not be later than 12 hours from the time that notice was given.

II.  Contexte de l’arbitrage des différends

[14]  Gardant ce cadre à l’esprit, je me penche maintenant sur les questions dont était saisi l’arbitre Michaud. L’une d’elles portait sur le préavis de départ de nuit que l’appelante doit donner aux pilotes. Cette question concerne la sécurité et les heures de travail maximales, qui préoccupent les parties depuis un certain temps.

[15]  Durant la ronde de négociations ayant abouti au contrat de louage de services de 20122015, les parties ont intégré la lettre d’entente no 1 à leur contrat. Elle prescrit la durée maximale des voyages qui peuvent être effectués de façon sécuritaire par un seul pilote. Les parties y conviennent de mettre sur pied un comité mixte, formé de deux représentants de chaque partie ainsi que d’un président neutre. Le comité est chargé d’engager un expertconseil ainsi que de se pencher sur la durée maximale des voyages et les questions connexes et de faire des recommandations à ce sujet. La lettre d’entente prévoit que, dans l’éventualité où l’expertconseil recommande de réduire la durée maximale des voyages, qui était alors de 11 heures, le comité ferait des recommandations sur les modalités visant l’affectation d’un deuxième pilote. La lettre indique également ce qui suit :

7.  À défaut d’entente entre les Parties sur les suites à donner aux conclusions auxquelles en seront venues la majorité des membres du comité, ces questions feront l’objet de négociations à l’occasion du renouvellement du contrat, avant ou avec le médiateur. Le cas échéant le sélectionneur de l’offre finale devra tenir compte, dans sa décision, des conclusions du comité.

(Affidavit de Fulvio Fracassi, pièce FF37, Contrat de service de pilotage, Dossier d’appel (D.A.), Volume 8, p. 1460)

[16]  Le comité mixte a fait plusieurs recommandations après réception du rapport de l’expertconseil. Le comité a notamment recommandé que le préavis de départ de nuit soit donné aux pilotes au plus tard à 18 h et que les modifications aux heures de départ soient limitées pour veiller à ce qu’un préavis d’au moins 12 heures soit donné avant un départ de nuit. Les parties n’étaient pas en mesure de s’entendre sur la mise en œuvre de ces recommandations dans leur contrat de services de 20152020, et la question n’était pas réglée quand elles se sont présentées devant l’arbitre Michaud. Durant l’arbitrage, les parties ont cité des témoins experts sur des questions liées à la fatigue, à la sécurité et aux rythmes circadiens. Les experts des deux parties ont approuvé les recommandations du comité mixte.

[17]  Dans sa dernière offre, l’intimée inclut une clause visant à mettre en œuvre partiellement les recommandations susmentionnées du comité mixte. Son offre prévoit ce qui suit :

2.  À l’exception d’un déplacement dans le port de Montréal et le port de Québec, l’Administration met en vigueur au plus tard le 1er janvier 2017 une procédure d’affectation des pilotes en conformité avec la décision du Comité sur la recommandation #2A de l’Étude de risques, à l’effet que les pilotes ne pourront pas être affectés pour un départ d’un poste (à l’exclusion de l’écluse de SaintLambert) entre 22h00 et 8h59 si l’heure prévue d’embarquement n’est pas confirmée avant 18h00, à moins d’entente particulière ou de situation d’urgence liée à la navigation.

3.  L’heure d’embarquement prévue au paragraphe 2 pourra être repoussée une (1) seule fois d’un maximum de deux (2) heures, au moins quatre (4) heures avant l’heure d’embarquement prévue.

(Affidavit de Fulvio Fracassi, pièce FF27, Document des offres finales présenté par Corporation des pilotes du SaintLaurent central inc., Lettre d’entente no. 13, D.A., Volume 6, p. 1210)

[18]  Pour sa part, l’appelante était d’avis que les deux recommandations du comité mixte ne pouvaient être incorporées dans le contrat de louage de services parce qu’elles seraient incompatibles avec les articles 8 et 10 du Règlement. Dans son offre, l’appelante a donc simplement proposé de demander la modification du Règlement pour donner effet en partie aux recommandations du comité mixte. La dernière offre de l’appelante prévoit ce qui suit :

1.  L’Administration propose, dépose et présente auprès du gouverneur en conseil, avec pour objectif qu’il approuve, un projet de modification du Règlement de l’Administration de pilotage des Laurentides :

a)  qui clarifie le règlement afin qu’il reflète la pratique générale actuelle en matière de préavis de départ ;

b)  qui prévoit que le propriétaire, le capitaine ou l’agent d’un navire qui doit quitter un poste dans la circonscription no 1 entre 22 h 00 et 07 h 00, pour une mission de pilotage autre qu’un déplacement dans le port de Montréal, en plus des exigences fixées actuellement par ce Règlement, confirme ou corrige son heure de départ avant 18 h 00, sujet à ce qu’il puisse la modifier une seule fois au plus tard quatre (4) heures avant l’heure de départ prévue ;

c)  qui prévoit l’ajout de critères à appliquer dans l’exercice du pouvoir de l’Administration de refuser les préavis de 12 heures abusifs ou inutilement répétitifs ;

(Affidavit de Fulvio Fracassi, pièce FF1, Offre finale présentée par l’Administration de pilotage des Laurentides, D.A, Volume 1, pp. 7778)

[19]  Une autre question en litige devant l’arbitre concernait l’abus par certains armateurs du pouvoir qui leur est conféré par l’article 26 de la Loi sur le pilotage. Les parties ont déposé en preuve des éléments selon lesquels certains armateurs faisaient systématiquement en sorte que leur capitaine assure la conduite du navire et relève le pilote de ses fonctions chaque fois que le navire entrait au bassin ou en sortait, même si la sécurité n’était aucunement compromise. Pour régler ce problème, l’intimée a inclus les dispositions suivantes dans sa dernière offre :

Annexe B

11.02  Le pilote doit demeurer à bord jusqu’à ce que sa mission de pilotage ait été accomplie et que le navire soit dans une situation offrant toutes garanties de sécurité, ou qu’un autre pilote l’ait remplacé. Dans le cas d’une relève par le capitaine aux termes de l’article 26(1) de la Loi, le pilote doit demeurer à bord du navire jusqu’à l’avènement d’une des circonstances prévues à l’article 11.01 de la présente annexe, mais n’assume aucune responsabilité pour la sécurité du navire. Dans ce dernier cas, l’Administration requiert le rapport prévu à l’article 26 de la loi et en remet copie sans délai à la Corporation. Lorsque l’Administration est informée qu’un capitaine a relevé un pilote pour des motifs autres que ceux prévus à l’article 26(1) de la Loi, elle prend, le cas échéant, les mesures nécessaires pour que cesse immédiatement cette pratique et pour éviter une récidive de la part du capitaine et/ou de l’armateur.

Annexe C

9.02  Le pilote doit demeurer à bord jusqu’à ce que sa mission de pilotage ait été accomplie et que le navire soit dans une situation offrant toutes garanties de sécurité, ou qu’un autre pilote ait remplacé. Dans le cas d’une relève par le capitaine aux termes de l’article 26(1) de la Loi, le pilote doit demeurer à bord du navire jusqu’à l’avènement d’une des circonstances prévues à l’article 9.01 de la présente annexe, mais n’assume aucune responsabilité pour la sécurité du navire. Dans ce dernier cas, l’Administration requiert le rapport prévu à l’article 26 de la loi et en remet une copie sans délai à la Corporation. Lorsque l’Administration est informée qu’un capitaine a relevé un pilote pour des motifs autres que ceux prévus à l’article 26(1) de la Loi, elle prend, le cas échéant, les mesures nécessaires pour que cesse immédiatement cette pratique et pour éviter une récidive de la part du capitaine et/ou de l’armateur.

(Affidavit de Fulvio Fracassi, pièce FF27, Document des offres finales présenté par la Corporation des pilotes du SaintLaurent central inc., Annexe B, art. 1102, et Annexe C, art. 9.02, D.A., Volume 6, pp. 12011202)

[20]  Devant l’arbitre, l’appelante était d’avis que ces dispositions ne pouvaient pas être retenues non plus puisque, selon elle, elles étaient incompatibles avec le pouvoir discrétionnaire dont elle dispose pour déterminer l’existence de violations à la Loi sur le pilotage et à y remédier.

III.  La décision de l’arbitre Michaud

[21]  Comme je le mentionne plus haut, l’arbitre Michaud a choisi la dernière offre de l’intimée. Dans ses motifs, il a examiné et rejeté les arguments de l’appelante concernant la validité de l’offre de l’intimée, s’appuyant sur les décisions Pilotes du SaintLaurent Central Inc. c. Administration de pilotage des Laurentides, [2002] A.C.F. no 1118, 2002 CFPI 846 (Pilotes CF), et Corporation des pilotes du Bas SaintLaurent c. Administration de pilotage des Laurentides, [1999] J.Q. no 5368, no 50005012157991 (Pilotes CS), dans lesquelles des arguments semblables avaient été rejetés.

[22]  Plus précisément, dans l’affaire Pilotes CF, le juge Pelletier (alors juge de la Cour fédérale) conclut que la sentence de l’arbitre de droits peut être homologuée et exécutée par la Cour fédérale même si elle est fondée sur une clause dans le contrat de louage de services indiquant que deux pilotes sont affectés à un navire lorsque la sécurité de la navigation le requiert. Dans cette affaire, les parties ne s’entendaient pas sur la nécessité de deux pilotes pour certains types de navires, et l’affaire a été renvoyée à un arbitre de droits conformément à la clause d’arbitrage prévue dans le contrat de louage de services. L’arbitre s’est rallié à la corporation des pilotes, concluant que dans les circonstances, deux pilotes étaient requis.

[23]  Dans cette affaire, comme en l’espèce, l’appelante a fait valoir que la clause en question dans le contrat de louage de services ne pouvait être exécutée pour des raisons d’ordre public puisque, selon elle, la clause lui retirait le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le Règlement et l’habilite à déterminer les situations où deux pilotes sont requis pour des raisons de sécurité. La Cour fédérale a rejeté cet argument, soulignant qu’il n’y avait pas forcément de conflit entre les dispositions du Règlement et le contrat de louage de services sur cette question et que le régime légal établi en vertu de la Loi sur le pilotage prévoit que l’appelante agirait par voie de contrat, mais qu’elle pouvait aussi agir par voie de règlement. De plus, la Cour fédérale réprouvait les positions contradictoires de l’appelante, qui a conclu le contrat de louage de services pour tenter de se désister par la suite d’une de ses clauses. La Cour fédérale a fait les remarques suivantes à cet égard :

[48]  Elle a négocié un contrat qui contient une clause d’arbitrage qui accorde à l’arbitre la compétence de trancher tout litige ou mésentente découlant de l’application ou l’interprétation du contrat. Il faut croire que l’Administration a négocié les termes de ce contrat de bonne foi. Il ne lui appartient pas de prétendre par la suite qu’elle n’avait pas la capacité de conclure le contrat qu’elle a négocié.

[24]  Pareillement, dans l’affaire Pilotes CS, la Cour supérieure du Québec confirme la compétence d’un arbitre de droits de faire appliquer une clause contractuelle qui définit les critères permettant de déterminer la saison de navigation d’hiver durant laquelle le double pilotage est nécessaire. Dans cette affaire également, l’appelante faisait valoir que la clause contractuelle en question ne pouvait être appliquée pour des raisons d’ordre public puisque, selon elle, elle allait à l’encontre du pouvoir discrétionnaire que lui confère le Règlement qui lui permet de fixer les limites de la saison de navigation d’hiver. Elle a également fait valoir que la sentence arbitrale nuisait aux droits des tiers armateurs et que, pour cette raison, elle était également contraire à l’ordre public. La Cour supérieure du Québec a rejeté ces arguments.

[25]  Dans la décision arbitrale dont nous sommes saisis, l’arbitre Michaud, après avoir pris connaissance de ces précédents, conclut ce qui suit : « Ces deux décisions [paraissent] disposer de la question à bon droit et m’amènent à rejeter l’argument d’irrecevabilité de l’[appelante] quant aux offres de [l’intimée]. » (au paragraphe 33). Il indique également que les dispositions du Règlement en question n’ont pas empêché les parties de négocier de multiples modifications à leur contrat de louage de services relativement aux affectations de travail « puisque l’affectation des pilotes est contractuelle » (également au paragraphe 33).

[26]  Ayant conclu qu’il pouvait envisager l’offre de l’intimée, l’arbitre Michaud explique à l’aide de brefs motifs, comme il est habituel de le faire dans des cas de cette nature, pourquoi il estimait que la dernière offre de l’intimée devait être choisie. À propos des points qui nous intéressent dans l’appel, il souligne les clauses de la lettre d’entente no 1 figurant dans le contrat de louage de services de 20122015 exigeant qu’il tienne compte de la recommandation du comité mixte, ainsi que du fait que les parties, par l’intermédiaire du comité mixte, avaient souscrit aux recommandations du comité après avoir consacré des ressources importantes à l’embauche des experts. L’arbitre Michaud juge également plus raisonnable la position de l’intimée sur la façon de gérer les départs de nuit puisque le résultat selon l’offre de l’appelante était incertain et dépendait de l’issue du processus réglementaire. En ce qui concerne la question des capitaines de navires qui relèvent les pilotes de leurs fonctions, l’arbitre Michaud indique que l’offre de l’intimée était préférable puisqu’elle remédiait à un problème qui était mis en évidence par la preuve des deux parties.

IV.  La décision de la Cour fédérale

[27]  Comme je l’ai indiqué, devant la Cour fédérale, l’appelante a fait valoir que l’arbitre ne pouvait retenir l’offre de l’intimée puisque les clauses concernant le préavis de départ de nuit et la relève des pilotes étaient incompatibles avec le Règlement et constituaient une subdélégation interdite du pouvoir de réglementation conféré à l’appelante et au gouverneur en conseil par la Loi sur le pilotage.

[28]  En examinant ces questions, la Cour fédérale a décidé que la norme de la décision raisonnable s’appliquait à la sentence de l’arbitre Michaud dans son ensemble.

[29]  Quant à savoir si la conclusion de l’arbitre – selon laquelle il pouvait choisir les clauses sur le préavis de départ de nuit dans l’offre de l’intimée – était raisonnable, la Cour fédérale conclut qu’il était loisible à l’arbitre de trancher en ce sens pour plusieurs raisons. Premièrement, la Cour fédérale indique que, au cours de ses négociations avec l’intimée ayant abouti à la lettre d’entente no 1 dans le contrat de louage de services de 20122015, l’appelante aurait dû savoir que cette question pouvait être renvoyée à l’arbitrage. Deuxièmement, la Cour fédérale conclut, comme le juge Pelletier dans la décision Pilotes CF, que l’appelante peut satisfaire à ses obligations légales par contrat ou par règlement. Troisièmement, la Cour fédérale estime qu’il n’y avait aucun conflit entre les clauses prévues dans l’offre de l’intimée et les dispositions du Règlement sur le préavis de départ de nuit puisque les premières ne sont pas différentes de celles qui figurent actuellement dans le contrat de louage de services qui circonscrivent de manière semblable l’affectation des pilotes. La Cour fédérale a donc décidé de ne pas intervenir relativement à cette partie de la sentence arbitrale.

[30]  Toutefois, la Cour fédérale arrive à la conclusion contraire en ce qui a trait aux clauses prévues dans l’offre de l’intimée qui concernent la relève du pilote par l’armateur pour des raisons injustifiées. La Cour fédérale conclut que l’offre de l’intimée sur ce point est invalide puisqu’elle usurpait le pouvoir discrétionnaire de l’appelante qui l’habilite à choisir le moyen et le moment d’assurer le respect de l’article 26 de la Loi sur le pilotage.

[31]  Par conséquent, la Cour fédérale accueille en partie la demande de contrôle judiciaire, déclare invalides les parties de l’offre de l’intimée qui portent sur la relève des pilotes, annule la sentence arbitrale et renvoie l’affaire à l’arbitre Michaud avec instruction de choisir entre les dernières offres, en précisant que la dernière offre de l’intimée devrait être modifiée pour en supprimer les passages déclarés invalides par la Cour.

[32]  Les parties ont convenu de ne pas donner effet au jugement de la Cour fédérale dans l’attente de l’issue du présent appel.

V.  La thèse des parties devant notre Cour

[33]  L’appelante soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en n’ordonnant pas la sélection de son offre car, selon elle, la Cour fédérale a conclu à tort que l’offre de l’intimée n’était pas invalide.

[34]  Les observations écrites et orales de l’appelante font fi en grande partie de la norme de contrôle que la Cour fédérale et notre Cour devaient appliquer à la sentence de l’arbitre Michaud et portent surtout sur les circonstances dans lesquelles un organisme créé par une loi ayant un pouvoir de réglementation peut validement conclure un contrat sur des matières susceptibles de faire l’objet d’un règlement. L’appelante s’appuie sur divers extraits de doctrines ainsi que sur les décisions suivantes de la Cour d’appel du Québec et de la Cour supérieure du Québec : CarletonsurMer (Ville de) c. Lacroix & Fils ltée, 2014 QCCA 1345; Giroux c. Centre hospitalier régional de TroisRivières (CHRTR), 2014 QCCA 1405; Centre hospitalier régional de TroisRivières (CHRTR) c. Giroux, 2012 QCCA 613, [2012] R.J.Q. 679; Association des radiologistes du Québec c. Rochon, ès qualités Ministre de la Santé et des Services sociaux, [1997] R.J.Q. 1642, EYB 199700454 (C.S.Q.) jugement confirmé en appel, 50009004803979, EYB 199911398 (C.A.Q.); Produits alimentaires Jacques et Fils Inc. c. Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec, [2004] J.Q. no 13205, REJB 200481157 (C.A.Q.); Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2718 c. Lavoie, 2006 QCCS 1384, à l’appui des arguments suivants : (1) une autorité publique ne peut se lier par contrat à l’égard d’une matière qu’elle doit ou peut réglementer; (2) elle ne peut par contrat convenir d’exercer à l’avenir son pouvoir de réglementation d’une façon précise; et (3) elle ne peut, sans le pouvoir légal nécessaire, subdéléguer son pouvoir de réglementation.

[35]  L’appelante affirme que ces interdictions n’ont pas été respectées en l’espèce puisque l’offre de l’intimée est incompatible avec les articles 8 et 10 du Règlement, car elle exige que les navires fournissent des préavis de départ de nuit plus longs que ceux exigés par le Règlement. Bien que l’appelante reconnaisse que les modifications proposées par l’intimée au contrat de louage de services ne s’appliquent pas directement aux armateurs, elle affirme que notre Cour doit néanmoins tenir compte des conséquences pratiques de l’offre. Selon elle, si l’offre de l’intimée est intégrée au contrat de louage de services, les armateurs devront fournir des préavis de départ de nuit plus longs pour s’assurer que des pilotes soient affectés aux navires dans la zone de pilotage obligatoire où les modifications proposées par l’intimée s’appliqueront. L’appelante tente d’établir une distinction entre l’espèce et les décisions Pilotes CF et Pilotes CS en faisant valoir que dans ces décisions, contrairement à l’espèce, les clauses contractuelles en question n’étaient pas directement incompatibles avec le Règlement.

[36]  Selon l’appelante, le Règlement doit avoir préséance sur les clauses prévues dans un contrat de louage de services puisque, autrement, son pouvoir de prendre des règlements est indûment subdélégué à l’intimée et à l’arbitre. À l’appui de cet argument, en plus des sources susmentionnées, l’appelante invoque la mise en garde suivante de l’Office des transports du Canada (l’OTC) dans sa décision no 645W2002 du 29 novembre 2002, où il affirme :

Le ministre des Transports a […] indiqué clairement que l’Administration ne devrait pas inclure dans les contrats de service des dispositions relatives au pouvoir de réglementation que lui confère la Loi sur le pilotage.

L’Administration devrait mener un examen complet de toutes les dispositions contractuelles pour s’assurer du retrait de toutes les dispositions relatives au pouvoir de réglementation, conformément à la directive du Ministre. L’inclusion de ces dispositions dans les contrats de service est une délégation inappropriée des pouvoirs de l’Administration aux corporations de pilotes. Ce faisant, l’Administration a limité les mesures qu’elle peut prendre ou les changements qu’elle peut apporter, au moyen de modifications aux règlements, pourtant prévus par la Loi sur le pilotage.

[37]  L’appelante affirme également que le fait que les armateurs n’ont pas participé à l’arbitrage et qu’on leur a refusé l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre (dans la décision Association des armateurs canadiens c. Administration de pilotage des Laurentides, 2016 CF 1007) étaye davantage son assertion selon laquelle la sentence de l’arbitre était déraisonnable puisqu’elle nuisait aux armateurs et que ces derniers n’ont aucun moyen de se faire entendre sur les questions tranchées par l’arbitre.

[38]  Par conséquent, l’appelante demande à la Cour d’annuler le jugement de la Cour fédérale et la sentence de l’arbitre et de décider d’inclure son offre au contrat de louage de services de 20152020 des parties.

[39]  L’intimée convient avec l’appelante pour dire que le jugement de la Cour fédérale devrait être infirmé, mais pour des raisons complètement différentes. Elle affirme que la Cour fédérale aurait dû rejeter la demande de contrôle judiciaire relativement à la question qui est toujours en litige et, partant, la demande dans son ensemble. À l’appui de sa thèse, l’intimée soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

[40]  L’intimée affirme également que la sentence de l’arbitre Michaud est raisonnable puisqu’il n’existe aucun conflit entre son offre et le Règlement, qui porte sur des sujets connexes, mais distincts. Elle souligne également plusieurs autres clauses des offres actuelles et des anciens contrats de louage de services des parties qui, selon elle, rappellent la partie contestée de son offre puisqu’elles prévoient également des exigences qui vont au-delà du libellé du Règlement.

[41]  L’intimée soutient également qu’il était totalement raisonnable pour l’arbitre Michaud de fonder sa sentence sur les décisions Pilotes CF et Pilotes CS, qui sont semblables au cas qui nous occupe. Elle fait également valoir que les diverses sources invoquées par l’appelante ne sont pas pertinentes puisqu’elles portent sur des dispositions légales différentes et des situations où il y avait effectivement un conflit entre une clause contractuelle et les exigences d’un règlement ou une subdélégation inadmissible du pouvoir de réglementation. L’intimée affirme que rien de tout cela ne s’est produit en l’espèce, compte tenu du régime légal, qui exige la négociation d’un contrat de louage de services qui peut être conclu au moyen du processus d’arbitrage des dernières offres et qui peut comporter des clauses sur des matières susceptibles d’être décidées par voie réglementaire.

VI.  Analyse

[42]  En examinant les arguments qui précèdent, la Cour doit appliquer l’analyse prescrite par la Cour suprême dans l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 4547 (Agraira), c’estàdire que nous devons décider si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle et, dans l’affirmative, si elle l’a appliquée correctement. Ainsi, contrairement à la démarche adoptée par l’appelante, il faut commencer par déterminer la norme de contrôle applicable à la sentence de l’arbitre Michaud.

A.  La norme de contrôle

[43]  Comme nous l’avons dit aux parties à l’audience, la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable. Il en est ainsi pour plusieurs raisons.

[44]  Premièrement, la jurisprudence applicable a établi la norme. L’arrêt Dunsmuir c. NouveauBrunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), et plusieurs arrêts subséquents de la Cour suprême prévoient que si la jurisprudence a établi de manière satisfaisante la norme de contrôle, cette dernière doit être choisie et il n’est pas nécessaire d’entreprendre une analyse complète pour arrêter la bonne norme (Dunsmuir, par. 57, 62; Agraira, par. 4849; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, par. 2122).

[45]  La sentence de l’arbitre Michaud est une décision en matière de relations de travail puisqu’elle établit les modalités du contrat de louage de services entre les parties, qui ressemble à une convention collective. La jurisprudence est on ne peut plus claire : les décisions des arbitres en droit du travail commandent la déférence et doivent être contrôlées au regard de la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, par. 68; NorMan Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, par. 42; Wilson c. Énergie atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, par. 15).

[46]  Cette déférence vise également les décisions des arbitres sur l’étendue de leur propre compétence, comme le conclut la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 1617, et notre Cour dans les arrêts Amos c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 38, par. 2833, et Alliance de la Fonction publique du Canada c. Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, 2009 CAF 223, [2010] 3 R.C.F. 219, par. 5052 (Assoc. des pilotes fédéraux du Canada). De plus, dans l’arrêt Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, [2017] 2 R.C.S. 3, par. 31-34 (Guérin), la Cour suprême vient de confirmer que la norme de la décision raisonnable s’applique aussi aux décisions d’autres genres d’arbitres constitués par une loi sur l’étendue de leur compétence.

[47]  Fait peutêtre plus pertinent encore, plusieurs tribunaux ont appliqué la norme de la décision raisonnable aux sentences d’arbitres des différends portant sur la faculté d’accepter l’offre d’une partie qui serait incompatible avec les dispositions de la loi habilitante du tribunal – précisément la question qui se pose en l’espèce.

[48]  Par exemple, dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c. Sénat du Canada, 2011 CAF 214 (A.F.P.C. c. Le Sénat), une affaire qui ne peut être distinguée de la présente espèce sur cette question, notre Cour applique la norme de la décision raisonnable à une sentence arbitrale rendue en vertu de la Loi sur les relations de travail au Parlement, L.R.C. 1985, ch. 33 (2e suppl.) (la LRTP). Dans la sentence en question, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) a rejeté la proposition du syndicat d’inclure dans la convention collective une clause exigeant que le Sénat du Canada annonce les postes vacants au sein de l’unité de négociation. La Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour examiner cette proposition compte tenu du paragraphe 55(2) de la LRTP, qui exclut du champ des sentences arbitrales les questions portant sur la nomination, l’avancement ou la mutation d’employés. Faisant remarquer qu’il n’y avait aucun précédent sur la norme de contrôle applicable dans ce contexte, le juge Mainville, s’exprimant au nom de la Cour, a effectué une analyse complète avant d’arrêter la norme de contrôle de la décision raisonnable et a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel la question faisait intervenir une « véritable question de compétence » (par. 18-31).

[49]  Dans le même sens, dans les décisions Ontario Refrigeration and Air Conditioning Contractors Assn. v. United Assn. of Journeymen and Apprentices of the Plumbing and Pipefitting Industry of the United States and Canada, Local 787, 2016 ONCA 460, 402 D.L.R. (4th) 63, par. 4462; et National Gypsum (Canada) Ltd. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2014 CF 869, [2014] A.C.F. no 1293, par. 3150, la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour fédérale, respectivement, ont appliqué la norme de la décision raisonnable aux sentences des arbitres des différends sur l’étendue de leur compétence. La Cour d’appel du Québec a également appliqué la norme de la décision raisonnable à la sentence d’un arbitre des différends (Shawinigan (Ville de) c. Association des policierspompiers de ShawiniganSud, 2011 QCCA 1089, [2011] J.Q. no 6896).

[50]  Compte tenu de ce qui précède – et particulièrement de l’arrêt A.F.P.C. c. Le Sénat de notre Cour, qui nous lie la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

[51]  À titre subsidiaire, s’il était nécessaire de faire une analyse en vue d’arrêter la norme de contrôle, le résultat serait le même. Selon le cadre actuel pour déterminer la norme de contrôle applicable en droit administratif établi par l’arrêt Dunsmuir et la jurisprudence subséquente de la Cour suprême du Canada, une présomption veut que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision d’un décideur administratif qui interprète sa loi constitutive ou tout autre texte de loi étroitement lié à son mandat. Cette présomption peut être réfutée de deux façons.

[52]  D’une part, la présomption peut être réfutée si la question faisant l’objet du contrôle appartient à l’une des quatre catégories de questions auxquelles la norme de la décision correcte s’applique : (1) une question constitutionnelle (autre que la question de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire viole la Charte ou ne respecte pas les valeurs consacrées par la Charte); (2) une question qui revêt une importance capitale pour le système juridique et qui est étrangère au domaine d’expertise du décideur; (3) la délimitation des compétences respectives de décideurs administratifs concurrents; ou (4) une question touchant « véritablement » à la compétence (Dunsmuir, par. 5861; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 26; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 18; Front des artistes canadiens c. Musée des beauxarts du Canada, 2014 CSC 42, [2014] 2 R.C.S. 197, par. 13; McLean c. ColombieBritannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 22 (McLean); Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, par. 24 (Edmonton East (Capilano)).

[53]  D’autre part, si la question n’appartient pas à l’une de ces quatre catégories, la présomption peut tout de même être réfutée à la lumière de facteurs contextuels, dont la raison d’être du décideur, la nature de la question en cause, l’expertise du décideur et l’existence d’une clause privative. L’existence d’une telle clause milite en faveur de la norme de la décision raisonnable. Les trois premiers facteurs contextuels, soit la raison d’être du tribunal, la nature de la question en cause et l’expertise du tribunal, sont interreliés et permettent de décider si la nature de la question examinée est telle que le législateur entendait la voir tranchée par le décideur administratif plutôt que par une cour de justice. Le rôle assigné par la loi au décideur administratif et la relation entre la question tranchée et l’expertise institutionnelle du décideur par opposition à celle d’une cour de justice constituent des indices de l’intention du législateur (Dunsmuir, par. 64; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, par. 1516; McLean, par. 22; Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161, par. 3540; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 46).

[54]  Si l’on transpose ce qui précède au cas qui nous occupe, la seule catégorie appelant la norme de la décision correcte qui pourrait s’appliquer en l’espèce est celle de la compétence. L’appelante fait valoir que l’arbitre a tranché une question de cette nature puisqu’il a statué sur sa faculté de retenir l’offre de l’intimée. Je ne suis pas d’accord; je crois que la sentence de l’arbitre ne fait pas intervenir une question touchant véritablement à la compétence, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, comme tel que ce concept a été défini dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada et de notre Cour en matière de droit administratif.

[55]  Dans sa jurisprudence postérieure à l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada indique à plus d’une reprise qu’une telle question touchant « véritablement » à la compétence ne se présente que très rarement (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 39 (Alberta Teachers’); Edmonton East (Capilano), par. 26; Société RadioCanada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, par. 39; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45, [2015] 3 R.C.S. 219, par. 27; Guérin, par. 32). En effet, la Cour suprême n’a jamais conclu à l’existence d’une telle question depuis l’arrêt Dunsmuir. De même, selon notre Cour, si elles existent, ces questions sont très rares (A.F.P.C. c. Le Sénat, par. 23-26; Assoc. des pilotes fédéraux du Canada, par. 41-48; Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, par. 39-46; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Canada, 2018 CAF 58, par. 78-83 et 174).

[56]  Dans l’arrêt Alberta Teachers’, le juge Rothstein, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, indique que les questions de compétence ne se posent habituellement pas lorsque le tribunal interprète l’étendue du pouvoir que lui confère sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, précisant au paragraphe 34 :

[…] sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.

[57]  Dans l’arrêt Guérin, le juge Wagner (maintenant juge en chef) et le juge Gascon, s’exprimant au nom de la majorité, soulignent également que les questions touchant « véritablement » à la compétence et appelant la norme de la décision correcte sont très rares et, citant l’arrêt Dunsmuir, ils rappellent que « [c]ette catégorie de questions doit s’entendre “au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question” » (au paragraphe 32).

[58]  En l’espèce, la question de compétence énoncée par l’appelante ne concerne pas le pouvoir de l’arbitre de connaître de la question, mais plutôt son pouvoir d’accorder réparation et d’opter pour l’offre d’une des deux parties – l’essence même de la question qu’il est habilité par la Loi sur le pilotage à trancher. Conformément aux directives énoncées par la Cour suprême dans les arrêts Alberta Teachers’ et Guérin, cette question n’en est pas une qui touche véritablement à la compétence et commande la norme de la décision correcte.

[59]  De même, les facteurs contextuels militent fortement en faveur de la norme de la décision raisonnable en l’espèce. Il existe une clause privative au paragraphe 15.2(3) de la Loi sur le pilotage, qui prévoit que la décision arbitrale comme celle en l’espèce est « définitive et obligatoire ». Cette disposition milite en faveur de l’application de la norme de la décision raisonnable.

[60]  Plus important encore, la nature des questions renvoyées à un arbitre des différends en application de la Loi sur le pilotage mène à la conclusion que la norme de contrôle de la décision raisonnable devrait s’appliquer. En effet, les sentences des arbitres des différends commandent encore plus la déférence que les autres décisions en droit du travail. Invariablement, les arbitres des différends disposent d’un vaste pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit de fixer les modalités du contrat qui lie les parties, et leurs sentences sont presque toujours des décisions de principe et soulèvent rarement des questions de droit. Ces indices révèlent que les sentences de ces arbitres commandent la déférence (Dunsmuir, par. 53; Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers’ Union, Local 92, 2004 CSC 23, [2004] 1 R.C.S. 609, par. 18; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 57-58).

[61]  Qui plus est, les questions soulevées devant un arbitre des différends sont étrangères au domaine d’expertise institutionnelle des cours de justice, mais relèvent fort bien de la compétence des arbitres en droit du travail. Bon nombre d’arbitres énoncent les critères qu’ils doivent appliquer pour déterminer leur sentence en matière de l’arbitrage de différends et concluent que cette dernière devrait reproduire, dans la mesure du possible, le résultat auquel les parties seraient parvenues en négociant directement, si elles avaient été en mesure d’arriver à une entente sans recourir à l’arbitrage (voir, par exemple, Canadian National Railway and Teamsters Canada Rail Conference, Re, 101 C.L.A.S. 145, [2010] C.L.A.D. No. 20 (Arb. Can.), par. 514; Yukon (Government) v. P.S.A.C., 75 C.L.A.S. 344 (Arb. Can.), par. 9; Air Canada and ACPA, Re, 112 C.L.A.S. 40 (Arb. Can.), par. 56; Bradley Air Services Ltd. and CAW, Local 2002, Re, 114 C.L.A.S. 165 (Arb. Can.), par. 44).

[62]  Le principe selon lequel la sentence devrait reproduire le résultat auxquelles les parties seraient arrivées, n’eût été l’arbitrage, consiste essentiellement à se demander laquelle des positions des parties est la plus raisonnable. Pour ce faire, il faut examiner des points comme : les antécédents de négociations entre les parties et leurs comportements antérieurs; la nécessité démontrée d’intégrer une clause demandée; la viabilité économique de l’employeur, du moins dans le secteur privé, et la fréquence de clauses semblables dans d’autres ententes comparables. Ce genre de questions constituent l’ordinaire des arbitres en droit du travail, alors qu’une cour de justice est rarement appelée à les examiner.

[63]  De plus, l’importance du caractère définitif, qui soustend la nécessité de faire preuve de déférence à l’égard des sentences arbitrales généralement, est particulièrement vive en matière d’arbitrage de différends. Ce genre de litiges doit être réglé plus vite encore que les autres pour éviter des conflits de travail, puisque les parties agissent en vertu d’une convention expirée jusqu’à ce que l’arbitre de différends rende sa sentence. Le législateur était sensible à la nécessité d’agir avec rapidité dans la Loi sur le pilotage, tant en établissant le processus d’arbitrage des dernières offres, qui est souvent plus rapide que de mandater à l’arbitre de trancher chaque question, qu’en fixant un délai serré pour l’arbitrage aux articles 15.1 et 15.2 de la Loi sur le pilotage.

[64]  Par conséquent, tant la jurisprudence que l’analyse permettant d’arrêter la norme de contrôle m’amènent à examiner la sentence de l’arbitre Michaud au regard de la norme de la décision raisonnable.

B.  La décision de l’arbitre Michaud étaitelle raisonnable?

[65]  Ayant déterminé la norme de contrôle applicable, je suis maintenant tenue par l’arrêt Agraira de me mettre à la place du juge de la Cour fédérale pour voir si la décision de l’arbitre Michaud était raisonnable. Comme je l’ai déjà dit, il a tiré deux genres de conclusions dans sa sentence sur la question en litige. Premièrement, il s’est attaché à savoir s’il lui était interdit d’opter pour l’offre de l’intimée du fait qu’elle était incompatible avec le Règlement et en raison du rôle conféré à l’appelante et au gouverneur en conseil par la Loi sur le pilotage en matière de réglementation. Deuxièmement, après avoir décidé qu’il lui était loisible d’accepter l’offre de l’intimée, l’arbitre Michaud s’est demandé s’il devait en décider ainsi.

[66]  L’appelante ne conteste que la première de ces deux conclusions et affirme que, même si la norme de la décision raisonnable est appliquée, la sentence de l’arbitre Michaud devrait être annulée puisqu’il n’existe qu’une seule façon d’interpréter les dispositions législatives et réglementaires en question, c’estàdire celle soutenue par l’appelante.

[67]  Je ne suis pas d’accord. Contrairement à ce qu’affirme l’appelante, j’estime que l’analyse du caractère raisonnable doit commencer par l’examen de la sentence arbitrale; la question consiste non pas à savoir comment le tribunal pourrait interpréter les clauses en litige, mais à savoir si l’interprétation de l’arbitre était raisonnable. Pour évaluer cette question, nous devons examiner, conformément aux directives de la Cour suprême, les motifs donnés par l’arbitre ainsi que la sentence rendue pour décider si les motifs sont justifiés, transparents et intelligibles, et si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicable (Dunsmuir, au paragraphe 47). Les critères de l’intelligibilité et de la transparence concernent principalement les motifs, alors que celui de la justification porte surtout sur la décision.

[68]  L’appelante ne conteste pas l’intelligibilité et la transparence de la sentence de l’arbitre Michaud; d’ailleurs l’appelante ne le pourrait pas, puisque la sentence répond manifestement à ces critères. L’arbitre a fourni des motifs logiques et compréhensibles pour justifier sa décision et, par conséquent, ce volet du caractère raisonnable est respecté.

[69]  De même, je suis d’avis que la sentence peut se justifier. Contrairement à ce qu’affirme l’appelante, j’estime qu’il était loisible à l’arbitre de conclure que les décisions Pilotes CF et Pilotes CS étaient déterminantes et de refuser de suivre les diverses décisions qu’elle a invoquées. En examinant cette question selon la norme déférente de la décision raisonnable, notre Cour ne devrait pas mettre l’accent sur la question de savoir si nous conclurions que les décisions Pilotes CF et Pilotes CS se distinguent de l’espèce, mais plutôt sur celle de savoir s’il était raisonnable pour l’arbitre de conclure qu’aucune distinction ne pouvait être établie. Autrement dit, nous devons nous demander s’il existe un argument justifiant la décision de l’arbitre de s’appuyer sur ces décisions.

[70]  À mon sens, la décision de l’arbitre de s’appuyer sur les décisions Pilotes CF et Pilotes CS était justifiée. Elles portent sur les mêmes dispositions législatives et sur des dispositions réglementaires très semblables, ainsi que sur le même genre d’arguments que ceux invoqués par l’appelante en l’espèce. Ainsi, il était raisonnable pour l’arbitre de fonder sa sentence sur ces décisions. De plus, contrairement à ce qu’affirme l’appelante, il n’y a aucune contradiction entre les clauses de l’offre de l’intimée et les articles 8 et 10 du Règlement qui établirait une distinction entre les décisions Pilotes CF et Pilotes CS et la présente espèce. Le contrat de louage de services régit les rapports entre les parties et énonce les circonstances dans lesquelles les pilotes peuvent être tenus de travailler. Les articles 8 et 10 du Règlement régissent le genre de préavis que l’armateur doit donner à l’appelante, ce qui est différent. Certes, si le préavis donné aux pilotes diffère de celui que l’armateur doit donner, cela pourrait compliquer un peu les choses, mais les modalités de l’offre de l’intimée ne violent pas le Règlement pour autant, puisqu’elles portent sur des matières différentes.

[71]  Il convient également de souligner, comme l’ont fait l’arbitre et la Cour fédérale, que dans leur contrat de louage de services et durant cette ronde de négociations, les parties ont accepté des clauses ou se sont fait imposer des clauses qui sont semblables aux passages contestés de l’offre de l’intimée en ce qu’elles prévoient d’autres exigences que celles prescrites par le Règlement. Par exemple, les parties ont accepté ou se sont fait imposer des clauses concernant :

  • d’autres limites sur les départs de nuit susceptibles de retarder l’heure de départ d’un navire audelà de l’avis de départ que le Règlement oblige l’armateur à donner (voir, par exemple, l’affidavit de Fulvio Fracassi, pièces FF92 et FF93, art. 6.06 du contrat de services, D.A. Volume 9, p. 1846 et Volume 10, p. 1850; pièce FF95, arts. 8.06 et 8.09 du contrat de services, D.A., Volume 10, pp. 18591860);
  • l’exigence que deux pilotes soient présents pour certains voyages même si le Règlement ne l’exige pas (voir, par exemple, l’affidavit de Fulvio Fracassi, pièce FF6, art. 7.03 du contrat de services, D.A., Volume 3, p. 487);

  • des limites sur les heures de transit pour certains navires audelà de celles prévues par le Règlement (voir, par exemple, l’affidavit de Fulvio Fracassi, pièce FF6, art. 8.05 a) du contrat de services, D.A., Volume 3, p. 520; Pièce FF97, arts. 8.04, 8.05 et 8.16 du contrat de services, D.A., Volume 10, pp. 18701871).

[72]  Ainsi, par leurs propres actions, les parties ont accepté que des matières régies par le Règlement puissent aussi être régies par des clauses de leur contrat de services, qui dans certains cas énoncent des exigences qui s’ajoutent à celles prévues par le Règlement. De même, certaines de ces clauses ont déjà été retenues à l’issue de l’arbitrage de différends entre les parties. Par conséquent, cette pratique révèle que la décision d’inclure une clause semblable dans le contrat de louage de services de 20152020 était raisonnable.

[73]  L’arbitre Michaud n’était pas non plus tenu d’examiner les diverses décisions invoquées par l’appelante. Elles se distinguent de l’espèce puisqu’elles portent sur des situations ou des régimes légaux très différents qui, contrairement à la Loi sur le pilotage, ne prévoient pas l’imposition de conditions de travail par un arbitre. Qui plus est, une décision comme celle en l’espèce peut être confirmée, au regard de la norme de la décision raisonnable, même si l’arbitre n’a pas examiné chaque argument soulevé par une partie, comme le confirme la Cour suprême du Canada dans les arrêts Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. TerreNeuveetLabrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 16; et Construction Labour Relations c. Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, [2012] 3 R.C.S. 405, par. 3. Ainsi, non seulement les décisions invoquées par l’appelante se distinguent de l’espèce, mais l’arbitre Michaud n’était pas tenu d’y faire référence dans sa décision.

[74]  Enfin, ce n’est pas parce que l’autorisation d’intervenir a été refusée aux armateurs dans la présente demande de contrôle judiciaire et qu’ils n’ont pas comparu devant l’arbitre que la décision de l’arbitre est déraisonnable, puisque les deux questions ne sont pas du tout liées.

[75]  Par conséquent, à l’instar de la Cour fédérale, je conclurais qu’il était raisonnable pour l’arbitre de conclure qu’il ne lui était pas interdit d’accepter l’offre de l’intimée du fait des clauses portant sur le préavis de départ de nuit que l’appelante doit donner aux pilotes.

VII.  Dispositif proposé

[76]  Passons à l’issue du présent appel. Cette question est compliquée puisque la Cour fédérale n’a pas tranché la question des préavis de départ de nuit de la même façon que la question de la relève des pilotes par les capitaines de navire.

[77]  À mon sens, il est impossible de parvenir à des conclusions différentes sur ces deux questions, et la Cour fédérale a donc commis une erreur dans la décision qu’elle a rendue sur la deuxième question. En fait, la thèse de l’appelante sur la question de la relève des pilotes est encore plus faible que celle faisant l’objet du présent appel puisqu’elle n’est même pas en mesure de relever une disposition dans la Loi sur le pilotage ou le Règlement qui lui confère un quelconque rôle relativement à la mise en application de l’article 26 de la Loi sur le pilotage. Par conséquent, la conclusion selon laquelle l’arbitre a traité de cette question de façon déraisonnable n’est pas fondée, ce qui me mène à la conclusion que la sentence arbitrale devrait être rétablie et que le présent appel devrait être accueilli en conséquence.

[78]  J’estime qu’il convient de faire quelques commentaires sur la réparation choisie par la Cour fédérale afin de guider les tribunaux à l’avenir, bien que le règlement de la présente instance ne l’exige pas à strictement parler.

[79]  L’arbitrage des dernières offres – parfois appelé arbitrage « baseball » – force les parties à réduire l’écart entre elles autant que possible puisque l’arbitre est chargé d’évaluer laquelle des deux offres est la plus raisonnable. Si une partie adopte une position déraisonnable sur une question en litige, ou adopte une position qui ne peut se défendre en vertu de la loi ou de l’entente régissant l’arbitrage, elle risque de tout perdre. Cette technique augmente ainsi la probabilité d’un règlement consensuel.

[80]  L’arbitrage des dernières offres se distingue du processus plus traditionnel d’arbitrage des différends, qui autorise l’arbitre à se pencher sur chaque question à tour de rôle. Dans le deuxième cas, l’arbitre est libre de choisir la position de l’une ou l’autre des parties sur une question donnée ou peut déterminer un résultat se situant entre les deux ou différent de la position des parties sur chaque question en litige. On reproche à ce type d’arbitrage de miner la libre négociation collective, particulièrement dans les secteurs où l’on sait que l’arbitrage constitue une issue possible dès le début des négociations. Dans ces circonstances, les parties sont moins enclines à chercher un compromis si elles savent que l’arbitre peut leur en imposer. (Voir, par exemple, S.A. Bellan, « Final offer Selection : Two Canadian Case Studies and an American Digression » (1975), 13 Osgoode Hall L.J. 851, aux pp. 871873; James Robbins et Aminah Hanif, « Interest Arbitration in Ontario » (2015), 28 Can J. Admin. L. & Prac. 81, aux pp. 8384; Charles J. Morris, « The Role of Interest Arbitration in a Collective Bargaining System » (1976), 1 Indus. Rel. L.J. 427, aux pp. 464466; Arnold M. Zack, « Final Offer Selection—Panacea or Pandora’s Box » (1974), 19 N.Y.L.F. 567, à la p. 573).

[81]  L’ordonnance réparatrice de la Cour fédérale a eu pour effet de convertir le processus d’arbitrage des dernières offres en arbitrage de différends habituel puisqu’elle en a supprimé la particularité essentielle, à savoir le risque qu’une partie perde si son offre comporte une composante inadmissible ou déraisonnable. Ce genre d’ordonnance ne devrait pas être rendue, puisqu’elle mine totalement le processus d’arbitrage des dernières offres. En fait, si le tribunal conclut qu’il était déraisonnable pour l’arbitre d’accepter l’offre d’une partie, la seule ordonnance qu’il peut rendre est d’accepter l’offre de l’autre partie, puisque l’arbitrage des dernières offres exige le rejet de l’ensemble de l’offre d’une partie si celleci comporte une clause inadmissible.

[82]  Compte tenu de ce qui précède, il s’ensuit que j’accueillerais le présent appel, j’annulerais le jugement de la Cour fédérale et, rendant l’ordonnance qui aurait dû être rendue par la Cour fédérale, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant la sentence de l’arbitre Michaud. Comme l’intimée a eu entièrement gain de cause devant notre Cour et aurait dû obtenir gain de cause sur toutes les questions devant la Cour fédérale, je lui adjugerais ses dépens devant notre Cour et devant la Cour fédérale.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Marc Noël j.c. »

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A2917

 

INTITULÉ :

ADMINISTRATION DE PILOTAGE DES LAURENTIDES c. CORPORATION DES PILOTES DU SAINTLAURENT CENTRAL INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 mars 2018

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

LE JUGE EN CHEF NOËL

LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 JUIN 2018

 

 

COMPARUTIONS :

Me Patrick Girard

Me Patrick Desalliers

 

Pour l’appelante

 

Me André L. Baril

Me Diana Theophilopoulos

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman Elliott S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour l’appelante

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

Pour l’intimée

 

 

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