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Date : 20180614


Dossier : A-394-17

Référence : 2018 CAF 118

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

CHRISTOPHER GARVEY

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 29 mai 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 juin 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20180614


Dossier : A-394-17

Référence : 2018 CAF 118

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LASKIN

 

 

ENTRE :

CHRISTOPHER GARVEY

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire que M. Garvey présente en vue de faire annuler la décision du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel) rendue le 22 septembre 2017 dans C.G. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2017 TSSDASR 482. La division d’appel y rejetait l’appel interjeté par M. Garvey à l’encontre de la décision, rendue le 19 janvier 2016 par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la division générale), confirmant l’inadmissibilité de M. Garvey au bénéfice de prestations d’invalidité, au motif que ce dernier n’avait pas établi qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au sens de l’article 42 du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8. Il est acquis de part et d’autre que la décision de la division d’appel ne peut être annulée que si elle est déraisonnable; il s’agit en effet de la norme de contrôle à appliquer par notre Cour, tel qu’il a été statué aux paragraphes 24 à 32 de la décision Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187.

[2]  En l’espèce, M. Garvey fait valoir deux moyens d’appel. Premièrement, il soutient que la division d’appel a conclu à tort qu’elle n’était pas habilitée à soupeser à nouveau les éléments de preuve dont disposait la division générale, laissant entendre que cette conclusion est incompatible avec les décisions rendues par la Cour fédérale dans Karadeolian c. Canada (Procureur général), 2016 CF 615 (Karadeolian), Griffin c. Canada (Procureur général), 2016 CF 874 (Griffin), et Murphy c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1208 (Murphy). Deuxièmement, il soutient que la division d’appel a commis une erreur susceptible de contrôle en appliquant incorrectement l’arrêt Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, 2003 CSC 54, [2003] 2 R.C.S. 504 (Martin), parce qu’elle n’a pas reconnu que la douleur chronique peut être débilitante, malgré l’absence d’une preuve médicale objective attestant de l’existence de cette douleur, comme il a été établi dans l’arrêt Martin.

[3]  À mon avis, aucun de ces arguments n’est fondé.

[4]  S’agissant des décisions Karadeolian, Griffin et Murphy, la Cour fédérale n’y tient pas les propos que lui prête M. Garvey. Ces décisions portent plutôt sur le critère que la division d’appel doit appliquer aux demandes de permission d’en appeler et précisent qu’il est fait droit à de telles demandes dans les cas où la division générale pourrait avoir mal interprété des éléments de preuve importants ou ne pas avoir tenu compte de tels éléments. Dans de telles circonstances, la division d’appel pourrait infirmer la décision de la division générale.

[5]  Au titre du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 (la LMEDS), la division d’appel peut modifier des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit (qui ne révèlent pas une erreur de droit isolable) tirées par la division générale, uniquement si cette dernière a tiré ses conclusions de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance. Ce critère, plus strict que la réévaluation des éléments de preuve, oblige la division d’appel à décider si les conclusions de fait tirées par la division générale étaient déraisonnables, et non si elles étaient inexactes.

[6]  Lorsqu’un tribunal tire des conclusions de fait qui contredisent carrément les éléments de preuve ou qui ne sont pas étayées par ces derniers, il peut être affirmé qu’il a tiré ses conclusions de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve portés à sa connaissance. Or, ce qui ressort des affaires Karadeolian, Griffin et Murphy c’est que la division d’appel devrait faire droit à la demande de permission d’en appeler lorsque la division générale pourrait avoir mal interprété des éléments de preuve importants ou ne pas avoir tenu compte de tels éléments; l’article 58 de la LMEDS autorise alors l’intervention de la division d’appel, puisqu’il pourrait être affirmé que cette conclusion a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve. Les causes précitées ne permettent pas d’affirmer que la division d’appel pourrait soupeser à nouveau les éléments de preuve dont disposait la division générale.

[7]  Comme la Cour l’a conclu dans l’arrêt Quadir c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 21 (Quadir), la division d’appel ne peut intervenir pour le seul motif qu’elle ne souscrit pas à l’application de règles de droit bien établies aux faits de l’affaire. Un tel désaccord ne peut être assimilé à une erreur de droit ou à une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[8]  Le défendeur laisse entendre que la décision Quadir va à l’encontre des décisions rendues par notre Cour dans Canada (Procureur général) c. Bellil, 2017 CAF 104 (Bellil), Sharma c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 48 (Sharma), Budhai c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 298 (Budhai), et Stone c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 27 (Stone). À son avis, ces décisions étayent l’argument selon lequel les conclusions mixtes de fait et de droit qui sont erronées sont susceptibles de révision par la division d’appel. Je ne puis souscrire à cette thèse, et ce, pour deux raisons.

[9]  En premier lieu, il ne ressort pas de l’arrêt Quadir que toutes les conclusions mixtes de fait et de droit tirées à mauvais droit par la division générale sont insusceptibles de révision par la division d’appel; cet arrêt indique seulement que, si de telles erreurs reposent seulement sur un désaccord quant à l’application de règles de droit bien établies aux faits de l’espèce, elles ne constituent pas des erreurs susceptibles de révision sous le régime du paragraphe 58(1) de la LMEDS. Comme je l’ai déjà mentionné, lorsqu’une erreur mixte de fait et de droit commise par la division générale révèle une erreur de droit isolable, la division d’appel peut intervenir au titre du paragraphe 58(1) de la LMEDS.

[10]  En deuxième lieu, s’agissant de Bellil, Sharma, Budhai ou Stone, notre Cour n’a indiqué dans aucune de ces décisions que le simple désaccord quant à l’application de règles de droit bien établies aux faits de l’espèce justifie une intervention au titre du paragraphe 58(1) de la LMEDS (ou au titre d’un libellé semblable contenu précédemment dans la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23). En fait, dans les décisions Bellil, Budhai et Stone, il a été conclu que l’intervention était justifiée du fait d’erreurs de droit; la décision Sharma abordait quant à elle la norme de contrôle que notre Cour doit appliquer dans le cas d’erreurs mixtes de fait et de droit qui auraient été commises par la division d’appel.

[11]  Il n’était donc pas déraisonnable que la division d’appel conclue qu’il ne lui était pas loisible de soupeser à nouveau les éléments de preuve dont disposait la division générale.

[12]  L’arrêt Martin n’appuie pas la thèse avancée par M. Garvey. La preuve qu’un demandeur souffre du syndrome de douleur chronique ne signifie pas automatiquement qu’il est admissible au bénéfice des prestations d’invalidité prévues par le Régime de pensions du Canada ou qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de l’absence de preuve médicale étayant une présumée invalidité. L’admissibilité aux prestations d’invalidité dépend plutôt de la question de savoir si le demandeur est « déclaré invalide » en application de l’article 42 du Régime de pensions du Canada, selon lequel l’invalidité doit être grave et prolongée. La division d’appel et la division générale ont toutes les deux reconnu qu’il s’agissait là du principe dominant.

[13]  De plus, la division d’appel et la division générale n’ont commis aucune erreur susceptible de contrôle dans leur examen de la demande de M. Garvey, puisque certains faits, y compris une partie de la preuve médicale, étayaient la conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas « invalide » au sens de la loi. Plus précisément, aucun professionnel de la santé (sauf un massothérapeute) n’a soutenu que M. Garvey était atteint d’une invalidité grave et prolongée à l’époque pertinente, et le neurologue qu’il a consulté était d’avis que l’état de M. Garvey s’améliorerait avec le temps. Il était donc loisible à la division d’appel de refuser de modifier la décision de la division générale et de conclure que l’arrêt Martin ne commandait pas un résultat différent.

[14]  Par conséquent, la décision de la division d’appel était raisonnable et la présente demande doit donc être rejetée. Je ne rendrais aucune ordonnance quant aux dépens, puisque le défendeur n’a pas demandé l’adjudication des dépens et qu’il ne conviendrait pas de les adjuger.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D. G. Near j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-394-17

 

 

INTITULÉ :

CHRISTOPHER GARVEY c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 mai 2018

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juin 2018

 

COMPARUTIONS :

Me Alexandra Victoros

 

Pour le demandeur

 

Me Carole Vary

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dietrich Law Office

Kitchener (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

 

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