Date : 20180629
Dossier : A-456-16
LE JUGE BOIVIN
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PIERRE POMERLEAU
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Audience tenue à Montréal (Québec), le 16 avril 2018.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 juin 2018.
LE JUGE BOIVIN
LE JUGE DE MONTIGNY
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Date : 20180629
Dossier : A-456-16
LE JUGE BOIVIN
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PIERRE POMERLEAU
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[2]
Cette nouvelle cotisation requalifie, par le jeu de la règle générale anti-évitement (RGAÉ) prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) ch. 1 (5e suppl.) (la LIR), les conséquences fiscales découlant d’un rachat d’actions détenues par l’appelant et impose entre ses mains un dividende tel qu’il aurait été réputé et imposé si l’article 84.1 n’avait pas été contourné par la planification mise en œuvre à cette fin.
[3]
Au soutien de son appel, l’appelant fait valoir que le juge de la CCI a conclu à tort qu’il y avait eu évitement fiscal abusif au sens du paragraphe 245(4). Subsidiairement, l’appelant prétend que l’imposition du dividende n’a pas pour effet de déterminer les attributs fiscaux « de façon raisonnable dans les circonstances »
au sens du paragraphe 245(5) et que le juge de la CCI a commis une erreur en omettant de se prononcer sur cette question.
[4]
Sa Majesté la Reine (la Couronne ou l’intimée) prétend pour sa part que ni l’une ni l’autre de ces prétentions pourrait justifier notre intervention.
[5]
Pour les motifs exposés ci-après, je suis d’avis que l’appel devrait être rejeté. D’une part, le juge de la CCI a correctement cerné l’objet et l’esprit de l’article 84.1; dès lors il devient apparent que le rachat orchestré par l’appelant donne lieu à un résultat qui va à l’encontre de la raison d’être de cette disposition. Par ailleurs, l’appelant n’a pas réussi à démontrer que l’imposition du dividende de l’ordre de 994 628 $ en vertu du paragraphe 245(5) est déraisonnable, compte tenu de l’abus constaté.
[6]
Les dispositions législatives pertinentes à l’analyse sont reproduites dans l’annexe jointe aux présents motifs.
LES FAITS
[7]
L’appelant est président d’Hervé Pomerleau Inc., une société québécoise qui exerce ses activités dans le domaine de la construction. En 2004, l’appelant voulait se faire verser les fonds nécessaires par cette société afin de lui permettre de construire un chalet (motifs, paragraphe 14).
[8]
Après consultation auprès d’un cabinet de comptables, une planification a été proposée afin de minimiser l’impact fiscal de l’encaissement envisagé. Cette planification s’articulait autour de la préservation du prix de base rajusté (PBR) de certaines actions de Groupe Pomerleau Inc. (Groupe Pomerleau), l’unique actionnaire d’Hervé Pomerleau Inc.
[9]
Le capital-actions de Groupe Pomerleau était détenu par les membres de la famille Pomerleau. Les actions que détenaient l’appelant, sa mère ainsi que ses frères et sœurs (Gaby, Élaine et Francis) étaient celles de catégorie F. Ils étaient devenus propriétaires de ces actions en 1989 suite à un gel successoral lors duquel ils ont utilisé le roulement prévu au paragraphe 85(1) afin de céder leurs actions de catégorie A en contrepartie d’actions de catégorie F de Groupe Pomerleau. En disposant ainsi des actions de catégorie A, l’appelant, sa mère et sa sœur se sont prévalus de la déduction pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(2.1) et par conséquent n’ont payé aucun impôt sur le gain en capital réalisé suite à cette disposition. Selon le paragraphe 85(1), le produit de disposition des actions de la catégorie A est devenu le PBR des actions de catégorie F de Groupe Pomerleau, de sorte que les gains à l’égard desquels la déduction avait été réclamée se retrouvaient dorénavant dans le PBR des actions de catégorie F de Groupe Pomerleau.
[10]
Afin de mettre en œuvre la planification proposée par le cabinet de comptables, la mère de l’appelant lui a d’abord donné la moitié des actions de catégorie F qu’elle détenait. Comme ils étaient des personnes liées au sens de la LIR, le PBR de ces actions entre les mains de l’appelant était réputé égal à leur juste valeur marchande (JVM) au moment du don, soit 195 128 $ (voir l’alinéa 69(1)c)).
[11]
L’appelant et sa sœur Gaby ont ensuite transféré la totalité de leurs actions de catégorie F à une société de portefeuille du nom de P Pom Inc. (P Pom), laquelle était détenue à part entière par l’appelant. En contrepartie, des actions de catégories A et G de P Pom leur ont été émises. Cet échange d’actions s’est aussi effectué dans le cadre du roulement prévu au paragraphe 85(1); la somme convenue à cette fin correspondait au PBR des actions de catégorie F de Groupe Pomerleau. Les parties ayant choisi d’allouer la somme convenue uniquement aux actions de catégorie G de P Pom, le PBR provenant des actions de catégorie F de Groupe Pomerleau était dorénavant entièrement reflété dans les actions de catégorie G de P Pom tandis que le PBR des actions de la catégorie A de P Pom s’établissait à 0.
[12]
Gaby a ensuite cédé toutes les actions qu’elle détenait dans P Pom à l’appelant. Le fait que ce transfert s’est effectué sans contrepartie et qu’ils soient membres d’une même famille a provoqué l’application des alinéas 69(1)b) et 69(1)c). L’appelant fut donc réputé avoir acquis ces actions à un coût égal à leur JVM, soit 999 184 $ en ce qui a trait aux actions de catégorie A, et 407 600 $ en ce qui trait aux actions de catégorie G. Le PBR des actions de catégorie A de P Pom que détenaient l’appelant est ainsi passé de 0 à 999 184 $.
[13]
Il est utile de préciser que la ministre ne remet pas en question cette partie de l’augmentation du PBR des actions de catégorie A de P Pom puisqu’elle représente un montant sur lequel l’impôt fut payé.
[14]
Il n’en est pas de même pour le PBR des 1 010 328 actions de catégorie G de P Pom que l’appelant détenait à ce stade, lequel s’établissait à 1 010 328 $. Ce PBR faisait auparavant partie du PBR des actions de catégorie F de Groupe Pomerleau et représente des montants à l’égard desquels la déduction pour gains en capital avait été réclamée par l’appelant, sa mère et sa sœur.
[15]
P Pom a par la suite procédé au rachat des actions de catégorie G au prix égal à leur JVM, soit 1 010 328 $. Leur capital versé se chiffrant à 15 700 $, l’application du paragraphe 84(3) a provoqué un dividende réputé de 994 628 $ et la réalisation d’une perte en capital de 994 628 $ (voir à cet effet le paragraphe 84(3) lu de pair avec la définition de « produit de disposition »
à l’article 54). Cette perte fut cependant réputée nulle en application de l’alinéa 40(3.6)a) et a été ajoutée au PBR des actions de catégorie A détenues par l’appelant dans le capital-actions de P Pom en application des alinéas 40(3.6)b) et 53(1)f.2). Ainsi, le PBR de ces actions est passé de 999 184 $ à 1 993 812 $.
[16]
Telle était la situation lorsque l’appelant a cédé ses actions de catégorie A de P Pom à Gestion Pierre Pomerleau Inc. (Gestion), société de portefeuille dont il était l’unique actionnaire. Cette cession a eu lieu en contrepartie des actions de catégories A et C de Gestion. Le transfert s’est encore effectué par voie de roulement, conformément au paragraphe 85(1). La somme convenue correspondait au PBR des actions de catégorie A de P Pom, et l’appelant a choisi, en application de cette disposition, d’allouer ce PBR aux actions de catégorie C de Gestion. Par conséquent, le capital versé des actions de catégorie C de Gestion a été établi au même montant – c.-à-d. : 1 993 812 $.
[17]
Les actions de catégorie C de Gestion ont par la suite été rachetées pour un montant égal à leur capital versé mettant ainsi la somme de 1 993 812 $ entre les mains de l’appelant à titre de remboursement de capital.
[18]
Afin d’obtenir ce résultat, l’appelant a dû éviter l’application de l’article 84.1 (Entente partielle sur les faits, Dossier d’appel, Vol. 1, onglet f, page 6, paragraphe 17). Cette disposition prévoit, entre autres, que le capital versé des actions émises en contrepartie des actions cédées dans le cadre d’un échange d’actions (respectivement les « nouvelles actions »
et les « actions concernées »
selon le libellé de l’article 84.1) est égal au plus élevé du capital versé des actions concernées ou de leur PBR. Aux fins de ce calcul, le PBR des actions concernées doit être réduit lorsque leur PBR déterminé par ailleurs est constitué de sommes à l’égard desquelles une déduction pour gains en capital a été réclamée antérieurement par le contribuable ou une personne liée au contribuable. Cependant, la soustraction prévue à cette fin à l’alinéa 84.1(2)a.1) n’a eu aucun effet en l’espèce en raison de l’application combinée des alinéas 40(3.6)a), 40(3.6)b) et 53(1)f.2) provoquée par la planification mise en œuvre par l’appelant.
- La nouvelle cotisation
[19]
Selon la ministre, ce résultat, même si conforme au texte de l’alinéa 84.1(2)a.1), va à l’encontre de sa raison d’être parce qu’à même la somme de 1 993 812 $ reçue par l’appelant lors du rachat des actions de catégorie C de Gestion, 994 628 $ représentent un montant à l’égard duquel la déduction pour gains en capital avait été réclamée et sur lequel l’impôt n’avait donc pas été payé.
[20]
En émettant la nouvelle cotisation, la ministre a reconnu que le PBR des actions de catégorie A de P Pom (c.-à-d. : les actions concernées) ne représentait pas un « […] montant à l’égard duquel une déduction [avait] été demandée en vertu de l’article 110.6 […] »
(sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii)). Ce montant représentait plutôt la perte refusée suite au dividende réputé puisque c’est cette perte qui a été ajoutée au PBR des actions de catégorie A de P Pom en application de l’alinéa 40(3.6)b).
[21]
La nouvelle cotisation établie par la ministre a pour effet de modifier les conséquences fiscales découlant du rachat d’actions en employant ce montant comme facteur de réduction dans le calcul prévu au sous-alinéa (ii) de l’alinéa 84.1(2)a.1), rendant ainsi l’appelant redevable de l’impôt sur un dividende réputé de 994 628 $ en vertu de l’effet combiné de l’alinéa 84.1(1)a) et du paragraphe 84(3).
[22]
Après qu’elles furent ratifiées, l’appelant porta les nouvelles cotisations en appel devant la Cour canadienne de l’impôt.
LA DÉCISION DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT
[23]
L’appelant ayant admis qu’il a mis en œuvre une série d’opérations d’évitement laquelle a abouti à l’obtention d’un avantage fiscal, la seule question que le juge de la CCI avait à trancher était de savoir s’il y avait eu abus des dispositions législatives ayant permis d’atteindre cet avantage (motifs, paragraphes 32 et 45).
[24]
Se penchant d’abord sur le texte de l’article 84.1, le juge de la CCI a constaté que cette disposition s’applique lorsqu’un particulier résidant au Canada transfère des actions d’une société canadienne en faveur d’une autre société canadienne avec laquelle il a un lien de dépendance et que les deux sociétés sont rattachées par suite de cette opération. Dans ce cas, l’article 84.1 modifie les conséquences fiscales qui découlent de l’opération (motifs, paragraphe 51).
[25]
L’article 84.1 a pour effet « soit de réduire le capital versé des nouvelles actions […], soit de réputer un dividende imposable pour le cédant dans la mesure où la contrepartie autre qu’en actions et/ou capital versé des nouvelles actions excède le plus élevé du capital versé ou du PBR des actions concernées immédiatement avant la disposition »
(motifs, paragraphe 52).
[26]
Les conséquences découlant de l’article 84.1 sur les nouvelles actions sont établies en fonction du PBR des actions concernées tel que modifié par les alinéas 84.1(2)a) et a.1). L’alinéa a.1) a pour effet de soustraire de leur PBR toute somme à l’égard de laquelle une déduction pour gains en capital a été réclamée au titre du paragraphe 110.6(2.1), soit par le cédant ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance (motifs, paragraphes 53 et 54).
[27]
En l’espèce, l’alinéa 84.1(2)a.1) n’a pas eu d’application malgré le fait que près de la moitié du PBR des actions de catégorie A de P Pom (c.-à-d. : 994 628 $) provenait d’un montant à l’égard duquel une déduction pour gains en capital avait été réclamée. Le juge de la CCI, s’en remettant à la position commune des parties à cet égard, explique que c’est l’interaction entre les alinéas 40(3.6)a), 40(3.6)b) et 53(1)f.2) qui a fait en sorte que les actions de catégorie A de P Pom ne tombaient plus sous le coup du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) (motifs, paragraphes 56 et 57).
[28]
Abordant ensuite « l’analyse contextuelle »
, le juge de la CCI a conclu que le contexte législatif pertinent était le régime législatif portant sur l’imposition des sociétés et de leurs actionnaires et celui qui a trait au calcul du capital versé. En ce qui a trait à l’imposition des sociétés, le juge de la CCI a d’abord noté que la distribution des surplus d’une société s’effectue par voie de dividende. Quand l’actionnaire est une société, le dividende est inclus et ensuite déduit. Quand l’actionnaire est un particulier, le dividende est majoré et inclus dans son revenu et un crédit d’impôt est accordé eu égard à l’impôt déjà payé par la société. Il est ainsi donné effet au principe d’intégration, car on impose essentiellement de même façon les revenus générés avec ou sans l’entremise d’une société (motifs, paragraphes 60 à 63).
[29]
Selon le juge de la CCI, il existe un régime clair selon lequel le surplus d’une société doit être distribué aux actionnaires par voie de dividende et imposé comme tel, à moins que la somme représente un remboursement de capital (motifs, paragraphe 64). Lorsque la distribution se fait autrement, les articles 84.1 et 212.1, de pair avec le paragraphe 85(2.1) entrent en jeu pour assurer un traitement qui s’assimile à celui applicable lorsque l’actionnaire reçoit le surplus sous forme de dividende (motifs, paragraphe 64).
[30]
À l’opposé, le capital versé qui provient de fonds libérés d’impôt peut être retiré d’une société sur une base libre d’impôt (motifs, paragraphes 65 et 66). Les articles 84.1 et 212.1 sont des règles anti-évitement spécifiques qui empêchent qu’un contribuable puisse bénéficier des liens de dépendance afin de retirer en franchise d’impôt des sommes qui excèdent le capital versé (motifs, paragraphe 67).
[31]
Après avoir revu l’historique de l’article 84.1 (motifs, paragraphes 70 à 75), le juge de la CCI complète son analyse en ces termes (motifs, paragraphe 78) :
[…] il ressort de l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique que l’objet ou l’esprit de l’article 84.1 de la Loi est d’empêcher qu’un contribuable puisse, au moyen de transactions avec des personnes avec lesquelles il y a un lien de dépendance, s’adonner au dépouillement de surplus d’une société grâce à l’utilisation de la déduction pour gains en capital ou de la valeur libre d’impôt au jour de l’évaluation [...].
[32]
Le juge de la CCI a ainsi conclu que l’objet et l’esprit de l’article 84.1 ont été contournés en l’espèce : malgré le fait qu’une partie du PBR des actions de catégorie A de P Pom provenait entièrement d’un montant à l’égard duquel une déduction pour gains en capital avait été réclamée, l’appelant a évité l’application de l’alinéa 84.1(2)a.1) en isolant le PBR des actions de catégorie F de Groupe Pomerleau dans des actions de catégorie G de P Pom et ensuite en provoquant une perte en capital afin d’augmenter le PBR des actions de catégorie A de P Pom (motifs, paragraphes 81, 84 et 85). En conséquence, la somme de 994 628 $ provenant du surplus de Gestion a été distribuée à l’appelant en franchise d’impôt, ce qui contrecarre l’objet et l’esprit de l’article 84.1 (motifs, paragraphes 81, 83 et 87).
THÈSES DES PARTIES
- L’appelant
[33]
L’appelant s’attaque à cette dernière conclusion en évoquant trois motifs principaux. Premièrement, il prétend que la série d’opérations s’inscrit dans le cadre du transfert intergénérationnel d’une entreprise familiale et que l’objet et l’esprit de l’article 84.1 n’ont pas pour effet d’empêcher le dépouillement de surplus dans ce contexte. L’historique législatif de l’article 84.1 ainsi que certains documents extrinsèques sont cités au soutien de cette prétention.
[34]
L’ancien article 138A, que l’appelant décrit comme étant un « prédécesseur de l’article 84.1 »
, accordait au ministre un pouvoir discrétionnaire lui permettant de contrer le dépouillement de surplus abusif. En 1974, l’Agence du revenu du Canada (ARC) a indiqué que cette disposition ne serait pas appliquée lorsqu’un contribuable vendait la totalité des actions qu’il détenait dans une société autrement que dans le cadre d’une vente simulée (mémoire de l’appelant, paragraphe 40). Les auteurs Heward Stikeman et Robert Couzin ont aussi constaté qu’à compter de 1975, il était permis de croire que ce pouvoir ne serait pas exercé à l’égard de certaines opérations visant les membres d’une même famille (mémoire de l’appelant, paragraphe 41).
[35]
Dans la même veine, l’appelant fait remarquer que, dans le document budgétaire publié par le ministère des Finances en 1977, le ministre explique que les règles applicables au dépouillement de surplus auraient « un champ d’application considérablement restreint »
(mémoire de l’appelant, paragraphe 42). Lorsque l’article 84.1 a été modifié en 1985 par suite de l’introduction de l’exonération du gain en capital, cette politique de retenue est demeurée la même (mémoire de l’appelant, paragraphes 43 à 46).
[36]
Finalement, à peu près au même moment, l’ARC réitérait sa position selon laquelle l’article 84.1 ne serait pas appliqué à certaines opérations entre personnes ayant un lien de dépendance, par exemple, quand un père vend une entreprise à son fils qui participe à son exploitation. L’appelant fait valoir que, même si l’ARC a catégoriquement écarté cette politique dans la foulée de la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans Descarries c. La Reine, 2014 CCI 75 [Descarries], il n’en demeure pas moins qu’elle reflète l’objet et l’esprit de l’article 84.1, qui sont de permettre le transfert intergénérationnel d’une entreprise familiale (mémoire de l’appelant, paragraphes 48 à 50).
[37]
Dans un deuxième temps, l’appelant soutient que le PBR des actions de catégorie A de P Pom a été augmenté par l’effet du paragraphe 40(3.6) et non pas en raison d’une cristallisation de la déduction pour gains en capital, comme le prétend l’intimée. Si le législateur avait voulu que le sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) ait pour effet de réduire le PBR d’une action dans ces circonstances, il aurait modifié la LIR en conséquence (mémoire de l’appelant, paragraphes 53 et 54).
[38]
Selon l’appelant, l’article 84.1 doit être interprété avec retenue, à la lumière du principe de l’exclusion implicite. Il s’en remet à cet égard à la décision de la Cour suprême dans l’affaire Copthorne Holdings Ltd. c. Canada, 2011 CSC 63, [2011] 3 R.C.S. 721 [Copthorne] où elle a reconnu que certaines dispositions de la LIR ont une portée qui ne va pas au-delà de leur libellé (mémoire de l’appelant, paragraphe 58). Il en découle que la thèse de l’exclusion implicite peut s’appliquer même si la RGAÉ est en jeu (mémoire de l’appelant, paragraphe 59).
[39]
D’ailleurs, dans l’affaire Canada c. Collins & Aikman Canada Inc., 2010 CAF 251, [2011] 1 C.T.C. 250 [Collins & Aikman], la présente Cour a confirmé que « le principe de l’exclusion implicite s’applique à l’article 84.1 de la Loi »
(mémoire de l’appelant, paragraphe 64). Il faut alors respecter la portée limitée de cet article. Si le législateur avait voulu que le sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) s’applique après une augmentation qui résulte de l’application du paragraphe 40(3.6), il aurait trouvé les mots pour le dire. Selon l’appelant, utiliser la RGAÉ pour élargir la portée du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) va à l’encontre des principes bien établis par la jurisprudence (mémoire de l’appelant, paragraphe 64).
[40]
Enfin, l’appelant prétend que la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Descarries est basée sur un raisonnement problématique et ne devrait pas guider l’analyse. D’abord, le juge saisi de cette affaire n’a pas fait le survol de l’historique législatif de l’article 84.1. S’il avait effectué ce survol, il n’aurait pu faire autrement que de constater que l’article 84.1 ne s’applique pas dans le contexte d’un véritable transfert intergénérationnel d’une entreprise familiale (mémoire de l’appelant, paragraphes 77 à 79). Le juge de la CCI n’a pas non plus appliqué la thèse de l’exclusion implicite en interprétant l’article 84.1 contrairement à ce qui est dit dans l’affaire Collins & Aikman (mémoire de l’appelant, paragraphe 83).
[41]
Reprenant essentiellement les mêmes critiques, l’appelant prétend que la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Desmarais c. La Reine, 2006 CCI 44 [Desmarais] est aussi erronée et n’aurait pas non plus dû être suivie par le juge de la CCI (mémoire de l’appelant, paragraphes 84 à 94).
[42]
Finalement, dans l’hypothèse où cette Cour en venait à la conclusion qu’il y a eu évitement fiscal abusif, l’appelant prétend que les ajustements résultant de la nouvelle cotisation ne sont pas raisonnables parce qu’ils donnent lieu à une double imposition (mémoire de l’appelant, paragraphe 96). Cette double imposition résulterait du fait qu’une perte en capital a été réputée nulle selon l’alinéa 40(3.6)a) et que la nouvelle cotisation a eu pour effet d’imposer entre les mains de l’appelant un dividende réputé sur ces fonds (mémoire de l’appelant, paragraphes 95 à 97). Selon l’appelant, « le produit de disposition des actions devrait être réduit par l’effet de la Loi afin que la perte soit conservée »
(mémoire de l’appelant, paragraphe 101). Le juge de la CCI aurait fait erreur en ne se prononçant pas sur cette question (mémoire de l’appelant, paragraphes 95 et 100)
- L’intimée
[43]
Selon l’intimée, la thèse de l’exclusion implicite sur laquelle l’appelant s’appuie a été clairement rejetée par la Cour suprême dans Copthorne. Dans cette affaire, le juge Rothstein a expliqué que, lorsque la ministre invoque la RGAÉ, elle reconnaît que l’opération en cause est conforme au libellé de la loi, mais prétend qu’elle va à l’encontre de son objet et de son esprit. C’est donc la raison d’être des dispositions en cause qui doit faire l’objet de l’analyse dans le contexte de la RGAÉ, et non pas le sens littéral du texte (mémoire de la Couronne, paragraphes 33 à 36 et 40). Ce disant, l’intimée reconnaît qu’il est possible que l’objet et l’esprit de certaines dispositions soient circonscrits par leur libellé. Selon elle, l’article 84.1 n’est pas parmi celles-ci (mémoire de la Couronne, paragraphe 37).
[44]
Contrairement à ce qu’affirme l’appelant, la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Collins & Aikman n’a pas utilisé le principe de l’exclusion implicite pour limiter l’application de l’article 84.1. La Cour a plutôt conclu que l’opération en cause ne tombait pas sous le coup de l’article 212.1 et qu’il fallait respecter la portée circonscrite de cette disposition (mémoire de la Couronne, paragraphe 38).
[45]
Selon l’intimée, c’est à bon droit que le juge de la CCI a conclu que l’objet de l’article 84.1 est « d’empêcher qu’un contribuable puisse, au moyen de transactions avec des personnes avec lesquelles il a un lien de dépendance, s’adonner au dépouillement de surplus d’une société grâce à l’utilisation de la déduction pour gains en capital ou de la valeur libre d’impôt au jour d’évaluation »
(mémoire de l’intimée, paragraphe 41). Le fait que la série d’opérations aurait été entreprise pour effectuer un transfert intergénérationnel n’a aucun impact sur les conditions d’application de l’article 84.1 (mémoire de la Couronne, paragraphe 42).
[46]
L’article 84.1 est une règle anti-évitement qui s’applique lorsqu’un particulier transfère des actions détenues dans une société résidente au Canada à une autre société canadienne avec laquelle le cédant a un lien de dépendance et, immédiatement après le transfert d’actions, les sociétés sont rattachées (mémoire de l’intimée, paragraphe 45). Lorsque ces conditions sont remplies, l’article 84.1 prévoit que le capital versé des actions émises en contrepartie des actions concernées (soit les « nouvelles actions »
) sera limité au plus élevé du capital versé des actions concernées ou de leur PBR tel que modifié par le paragraphe 84.1(2) (mémoire de l’intimée, paragraphe 48). Le sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) a pour effet de soustraire au PBR des nouvelles actions le montant de la déduction pour gains en capital réclamée par le cédant ou par une personne avec laquelle il a un lien de dépendance lors d’une disposition antérieure des actions concernées ou d’actions auxquelles elles ont été substituées (mémoire de la Couronne, paragraphes 47, 48 et 49).
[47]
En l’espèce, le sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) ne s’est pas appliqué malgré le fait que 994 628 $ du PBR des actions concernées provenaient indirectement de fonds à l’égard desquels une déduction pour gains en capital avait été réclamée (mémoire de la Couronne, paragraphe 51). En effet, le PBR des actions de catégorie A de P Pom provenait du PBR des actions de catégorie G de P Pom, qui lui-même provenait des actions de catégorie F de Groupe Pomerleau (mémoire de l’intimée, paragraphe 52).
[48]
Selon l’intimée, le contexte législatif pertinent en l’espèce comprend le régime de la LIR en matière d’imposition des sociétés et de leurs actionnaires et le régime de la LIR en matière de capital versé. Le premier implique deux paliers d’imposition. La société est imposée sur son revenu, et l’actionnaire est imposé lors de la réception d’une distribution de la société (mémoire de la Couronne, paragraphe 56).
[49]
Lorsque la distribution se fait par voie de dividende à un actionnaire qui est une société, le dividende est inclus et ensuite déduit de son revenu. Quand l’actionnaire est un particulier, un système de majoration et de crédit s’enclenche afin de prélever l’impôt exigible en tenant compte cependant de celui déjà payé par la société. Ce mécanisme assure une certaine neutralité fiscale en imposant de même façon tout revenu, qu’il soit gagné directement ou par l’entremise d’une société (mémoire de la Couronne, paragraphes 54 à 59).
[50]
Lorsque la distribution des surplus d’une société se fait autrement que par voie de dividendes, la LIR impose les sommes reçues de la même de façon qu’un dividende, à moins qu’il ne s’agisse d’un remboursement de capital (mémoire de la Couronne, paragraphe 60). Le capital versé investi en contrepartie des actions émises lors de la formation d’une société provient des fonds sur lesquels l’impôt a déjà été payé, ce qui explique pourquoi ces fonds peuvent être retournés à l’actionnaire en franchise d’impôt. Cependant, les sommes qui excèdent le capital versé ainsi constitué ne peuvent être retournées à l’actionnaire sans être imposées. Les articles 84.1 et 212.1 ont pour but de garantir cet objectif. La réduction du capital versé qui découle de leur application fait en sorte qu’un actionnaire ne peut retirer à l’abri du fisc une somme supérieure à l’investissement initial de fonds libérés d’impôts (mémoire de la Couronne, paragraphes 61 à 63).
[51]
En l’espèce, l’appelant a réussi à contrecarrer cet objectif par l’utilisation abusive qu’il a faite du paragraphe 40(3.6) (mémoire de la Couronne, paragraphe 79). Les PBR élevés des actions provenant de gains à l’égard desquels la déduction pour gains en capital avait été réclamée ont été « isolés sur une seule catégorie d’actions »
lesquelles ont ensuite été rachetées afin de déclencher une perte en capital assujettie aux règles du paragraphe 40(3.6) (mémoire de la Couronne, paragraphe 81). L’appelant a alors pu majorer le PBR des actions de catégorie A de P Pom et les échanger contre des actions avec un capital versé égal à leur PBR, ce qui lui a permis d’éviter l’application du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii).
[52]
Finalement, l’intimée soumet que l’argument subsidiaire de l’appelant ne saurait non plus être retenu. La nouvelle cotisation a pour seul effet de supprimer l’avantage fiscal obtenu. À cette fin, l’appelant fut réputé avoir reçu un dividende qui élimine l’avantage fiscal qu’il aurait autrement obtenu (mémoire de la Couronne, paragraphe 83).
[53]
La question entourant les attributs fiscaux des actions restantes et la préservation d’une perte éventuelle n’était pas en litige devant le juge de la CCI, et aucune preuve n’a été présentée au soutien d’un tel ajustement. Ce n’est qu’au moment de la réplique que la question a été soulevée (mémoire de la Couronne, paragraphe 84). L’intimée ajoute – citant les paragraphes 55 à 59 de la décision de notre Cour dans l’affaire Triad Gestco Ltd. c. Canada, 2012 CAF 258, [2014] 2 R.C.F. 199 – que la question est hypothétique et qu’il est trop tard pour la faire valoir (mémoire de l’intimée, paragraphe 85).
ANALYSE
[54]
L’analyse fondée sur la RGAÉ suscite trois questions : y a-t-il eu avantage fiscal? Dans l’affirmative, les opérations qui ont procuré cet avantage sont-elles des opérations d’évitement? Dans l’affirmative, ces opérations sont-elles abusives? (Copthorne, paragraphe 33 citant Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601 [Trustco], paragraphes 18, 21 et 36).
[55]
L’appelant a reconnu que la réception du montant de 994 628 $ en franchise d’impôt lors du rachat des actions de catégorie C de Gestion constitue un avantage fiscal et que cet avantage est le fruit d’opérations d’évitement. La seule question à trancher est donc de savoir si le juge de la CCI a eu raison de conclure que ce résultat va à l’encontre de l’objet et de l’esprit de l’article 84.1.
[56]
Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante (Trustco, paragraphe 44; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [Housen], paragraphe 37). Cependant, l’analyse relative à l’abus s’effectue en deux étapes. Il s’agit d’abord de déterminer l’objet et l’esprit des dispositions en cause et de décider ensuite si l’avantage fiscal obtenu contrecarre ces dispositions compte tenu de l’interprétation qui leur est donnée (Trustco, paragraphe 44). La première étape fait appel à un exercice d’interprétation législative (Copthorne, paragraphe 70) qui doit s’effectuer indépendamment de la deuxième étape, de sorte que la norme de la décision correcte s’applique (Trustco, paragraphe 44, Housen, paragraphes 8 à 37).
[57]
Finalement, il est utile de rappeler que selon la RGAÉ, la méthode textuelle, contextuelle et téléologique unifiée vise à établir l’objet et l’esprit des dispositions en cause, ce qui exige que la Cour s’interroge sur leur raison d’être. En effet, il est possible que cette approche permette de dégager un sens qui ne ressort pas de la seule signification des mots eux-mêmes (Copthorne, para. 70, Trustco, para. 65). À cet égard, le fardeau de démontrer que l’approche analytique préconisée en vertu de la RGAÉ permet de dégager un sens plus large que celui révélé par les mots eux-mêmes appartient à la Couronne.
- Capital versé et PBR
[58]
Avant d’aborder l’analyse de l’objet et de l’esprit de l’article 84.1 comme tel, il est utile de se pencher brièvement sur les deux notions fondamentales qui sous-tendent cette disposition, soit le capital versé des actions et leur PBR entre les mains de l’actionnaire.
[59]
Comme l’explique la Cour suprême dans l’affaire Copthorne, le capital versé, tel qu’il est défini au sous-alinéa 89(1)b)(iii), est au départ égal au capital déclaré calculé selon le droit des sociétés en vertu duquel la société émettrice a obtenu sa charte (Copthorne, paragraphes 75 et 76). En l’occurrence, toutes les sociétés en cause ont été incorporées en vertu de la Loi sur les compagnies, R.L.R.Q., c. C-38, et sont depuis 2011 régies par la Loi sur les sociétés par actions, R.L.R.Q., c. S-31.1 (La Loi sur les sociétés).
[60]
Le capital déclaré – dénommé « compte de capital-actions émis et payé »
en vertu de la Loi sur les sociétés – représente essentiellement l’investissement effectué par un actionnaire dans une société calculé en termes d’argent. Cet investissement doit être répertorié séparément pour chaque catégorie d’actions. Lorsque des actions additionnelles d’une catégorie d’actions sont émises, la contrepartie reçue s’ajoute au capital déclaré de la catégorie et, si cette contrepartie est autre que monétaire – par exemple lorsqu’elle consiste en des actions –, la JVM de cette contrepartie s’ajoute au capital déclaré (Loi sur les sociétés, articles 68, 69 et 70).
[61]
L’alinéa 89(1)a) précise que le capital versé d’une action résulte de la division du capital versé de la catégorie par le nombre d’actions émises. Il s’ensuit que, pour les fins de la LIR, le capital versé est le même pour tous les actionnaires qui les détiennent.
[62]
Le PBR d’une action donnée se distingue à ce chapitre puisqu’il peut varier d’un actionnaire à l’autre. Au départ, le capital versé d’une action et son PBR seront les mêmes puisque selon la LIR le PBR de tout bien, incluant une action, est égal à son coût tel que reflété par le prix payé pour l’obtenir (article 54). Par contre, si un actionnaire subséquent acquiert l’action à un coût plus élevé que son prix d’émission, ce dernier aura à l’égard de l’action transigée un PBR plus élevé. Dans ces circonstances, le capital déclaré de la société émettrice n’augmentera pas pour autant, puisque c’est l’actionnaire initial, et non pas la société, qui reçoit le prix payé pour l’action. Il s’ensuit qu’un actionnaire peut détenir des actions dont le capital versé et le PBR ne seront pas les mêmes.
[63]
Tout comme elle le fait à l’égard de l’investissement initial effectué en contrepartie d’actions nouvellement émises, la LIR présuppose que le coût d’acquisition d’un bien – c.-à-d. : son PBR initial – a été acquitté au moyen de sommes qui ont été assujetties à l’impôt. Par la suite, les seules modifications permises en vertu de l’article 53 s’effectuent en fonction d’opérations ou d’évènements imposables. C’est donc qu’en principe, le PBR est constitué de montants qui ont été assujettis à l’impôt.
- Article 84.1
[64]
Le but recherché par l’article 84.1 est d’empêcher que des montants qui n’ont pas été assujettis à l’impôt puissent être utilisés afin de permettre à des actionnaires de retirer des surplus d’une société. Au départ, les montants qui peuvent être retirés en franchise d’impôt sont limités par le capital versé (Copthorne, paragraphe 95). Cependant, comme la Cour suprême a également expliqué, le capital versé, après l’apport initial, peut être augmenté par des montants qui n’ont pas été assujettis à l’impôt (Copthorne, paragraphe 96). C’est pourquoi le sous-alinéa 89(1)b)(iii) prévoit par voie de renvoi, qu’une fois établi selon le droit des sociétés applicable, le capital versé est sujet à plusieurs ajustements à la baisse afin d’exclure de son calcul tout montant qui n’a pas été assujetti à l’impôt. L’article 84.1 est l’une de ces mesures. Elle a pour mission d’empêcher que soient ajoutés au capital versé d’une catégorie d’actions des montants issus d’opérations entre personnes ayant un lien de dépendance lesquels n’ont pas été assujettis à l’impôt (Copthorne, aux paragraphes 95 et 96).
[65]
L’article 84.1 s’applique lorsqu’un particulier résidant au Canada transfère des actions d’une société canadienne (les actions concernées) à une autre société canadienne dans des circonstances où le particulier et la société à laquelle ces actions sont transférées ne traitent pas à distance et où les deux sociétés sont des « sociétés affiliées »
au sens du paragraphe 186(4) immédiatement après le transfert. Dans l’hypothèse où les actions concernées comportent un gain en capital et sont transférées à leur JVM pour une contrepartie constituée par des actions nouvellement émises (les nouvelles actions) , l’alinéa 84.1(1)a) a pour effet d’établir le capital versé des nouvelles actions au plus élevé du capital versé ou du PBR des actions concernées. En l’absence de cette disposition, le capital versé des nouvelles actions correspondrait à la JVM des actions concernées au moment de l’échange, ce qui permettrait au détenteur des nouvelles actions d’obtenir une distribution libre d’impôt jusqu’à concurrence de cette JVM lors du rachat des nouvelles actions, même si seule la moitié de la valeur accrue de l’action concernée avait été assujettie à l’impôt. La logique qui sous-tend cet ajustement repose sur le fait que tel qu’exposé précédemment, le capital versé et le PBR des actions concernées ne comporteront que des montants qui ont été assujettis à l’impôt. Ainsi, en prévoyant que le capital versé d’une nouvelle action s’établit au plus élevé de ces deux montants, l’alinéa 84.1(1)a) a pour effet de préserver le coût assumé par l’actionnaire tout en limitant les sommes qui peuvent être retirées en franchise d’impôt lors du rachat des nouvelles actions à celles qui ont été assujetties à l’impôt.
[66]
Il existe cependant deux situations où le PBR d’une action concernée pourra exceptionnellement comprendre des montants qui n’ont pas été assujettis à l’impôt. L’alinéa 84.1(2)a.1) cible ces deux situations. La première, visée au sous-alinéa (i), est celle où le PBR de l’action concernée constate une augmentation de valeur qui était déjà accrue et établie au 31 décembre 1971 (le jour de l’évaluation des gains pré-1972), et la deuxième, visée au sous-alinéa (ii), est celle où le PBR de l’action concernée est constitué de montants à l’égard desquels l’exonération pour gains en capital, en vigueur depuis 1985, a été réclamée.
[67]
Afin d’empêcher que des montants représentés par cette valeur accrue ou reflétant l’exonération réclamée puissent faire croître le capital versé d’une nouvelle action reçue dans le cadre d’un échange d’actions, l’alinéa 84.1(2)a.1) modifie le PBR de l’action concernée (ou d’une action qui lui a été substituée) en soustrayant ces montants de son calcul aux fins du paragraphe 84.1(1). En l’occurrence, c’est cette soustraction prévue au sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) qui n’a pu s’opérer et qui a donné lieu à l’avantage fiscal.
- La série d’opérations
[68]
Ayant identifié la raison d’être de l’article 84.1, il y a lieu de revoir les étapes finales de la série d’opérations et de se pencher de façon particulière sur les dispositions utilisées pour éviter l’application du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii).
[69]
L’appelant a d’abord provoqué l’application du paragraphe 84(3). Cette disposition a la même vocation que l’article 84.1, soit faire en sorte que seul le capital versé, tel qu’ajusté selon la LIR, puisse être retiré d’une société en franchise d’impôt. Lorsque des actions sont rachetées à un prix qui excède leur capital versé ainsi ajusté, le paragraphe 84(3) a pour effet de réputer un dividende égal à l’excédent. En l’espèce, l’opération du paragraphe 84(3) fut enclenchée puisque le capital versé des actions de catégorie G de P Pom équivalait à 15 700 $ et le prix de rachat correspondait à leur JVM, soit 1 010 328 $ de sorte qu’un dividende de 994 628 $ fut réputé, de même qu’une perte du même ordre représentée par la différence entre le PBR de ces actions (1 010 328 $) et leur « produit de disposition »
calculé après avoir soustrait le dividende réputé (15 700 $) (Voir à cet égard la définition de « produit de disposition »
à l’article 54).
[70]
Cette perte fut provoquée sachant qu’elle serait réputée nulle aux termes de l’alinéa 40(3.6)a). Le paragraphe 40(3.6) est une autre mesure anti-évitement qui a pour effet de différer une perte réalisée par un contribuable à la suite d’une disposition d’actions en faveur d’une société qui lui est affiliée, et ce, tant et aussi longtemps qu’une disposition à l’extérieur du groupe affilié n’a pas lieu. Ce but est atteint en réputant la perte nulle (alinéa 40(3.6)a)) et en rajoutant la perte refusée au PBR des actions d’une catégorie donnée de la société affiliée détenues par le contribuable immédiatement après la disposition (alinéa 40(3.6)b)). L’alinéa 53(1)f.2) confirme que la somme ainsi ajoutée fait partie du PBR des actions désignées à cette fin. La perte est donc préservée et pourra être réalisée lors d’une disposition ultérieure de ces actions, en l’occurrence, les actions de catégorie A de P Pom.
[71]
C’est cette série d’opérations qui a fait en sorte que le « montant »
auquel réfère le sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) n’en n’est plus un « à l’égard duquel une déduction a été demandée en vertu de l’article 110.6 »
, mais représente plutôt la perte réputée provoquée par l’appelant. Une interprétation classique de cette disposition mène indubitablement à cette conclusion compte tenu de la présomption irréfragable créée par l’alinéa 40(3.6)a) qui fait de la perte réputée une réalité. Il s’ensuit que le sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) n’a pu réduire le PBR des actions de catégorie A de P Pom (les actions concernées) et, de façon concomitante, que l’alinéa 84.1(1)a) n’a pas réduit le capital versé des actions de catégorie C de Gestion (les nouvelles actions). En fin de compte, ceci a permis à l’appelant de retirer 994 628 $ en franchise d’impôt à la suite du rachat des actions de catégorie C par Gestion.
- Rappel de la position des parties
[72]
La ministre prétend que permettre que soient inclus dans le calcul du PBR des actions de catégorie A de P Pom des montants à l’égard desquels l’exonération pour gains en capital a été réclamée contrecarre l’objet et l’esprit du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii).
[73]
L’appelant répond qu’il est possible, dans certains cas, que l’objet et l’esprit d’une disposition n’aillent pas au-delà de son libellé. En pareil cas, le texte est déterminant parce qu’il correspond à la raison d’être de la disposition et l’explique entièrement (Copthorne, paragraphe 110). L’essentiel des arguments soulevés par l’appelant repose sur cette possibilité. Selon lui, l’objet et l’esprit de l’article 84.1 sont limités par son texte. Or, ce texte – et plus précisément celui du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) – ne prévoit pas que le PBR des actions concernées soit diminué par des sommes qui résultent de l’application du paragraphe 40(3.6). En l’occurrence, le montant de 994 628 $ provient de ce paragraphe et non pas d’une déduction réclamée en vertu de l’article 110.6. Même si cette somme est composée, à son origine, de fonds à l’égard desquels la déduction pour gains en capital a été réclamée, elle ne peut plus être traitée comme telle suite à l’interposition du paragraphe 40(3.6).
[74]
Invoquant le principe de l’exclusion implicite, l’appelant ajoute que la soustraction du montant de 994 628 $ du PBR des actions de catégorie A de P Pom ne serait justifiée que si le législateur avait prévu de façon expresse, comme il l’a fait à l’égard d’une déduction pour gains en capital réclamée en vertu de l’article 110.6, que le PBR d’une action concernée doit être réduit lorsqu’il provient d’une perte refusée et réputée nulle aux termes du paragraphe 40(3.6) (mémoire de l’appelant, paragraphe 55).
- Ce pourquoi l’appel ne saurait réussir
[75]
J’aborde d’abord l’argument selon lequel l’objet et l’esprit de l’article 84.1 ne vont pas au-delà de son libellé. Tel que dit précédemment, il est possible que l’objet et l’esprit d’une disposition soient pleinement et entièrement révélés par son texte, mais encore faut-il qu’une analyse axée sur l’objet et l’esprit de la disposition appuie cette interprétation (Copthorne, paragraphe 111). En l’occurrence, une analyse axée sur l’objet et l’esprit de l’article 84.1 démontre que cette disposition a une portée qui va au-delà de son texte.
[76]
J’écarte d’emblée l’argument selon lequel la décision de notre Cour dans Collins & Aikman aurait établi que la portée de l’article 84.1 est, en tout état de cause, limitée par le principe de l’exclusion implicite. Dans cette affaire, la Cour a rejeté, séance tenante, l’argument – soulevé pour la première fois en appel – selon lequel l’article 212.1 devait, avec l’article 84.1, être pris en compte dans l’analyse portant sur l’abus. Selon la Couronne, l’article 212.1 était devenu pertinent même si une société reliée à l’intimée était devenue non-résidente en 1961, bien avant la mise en œuvre de la série d’opérations en cause, et avant même que l’article 212.1 ne fasse partie de la LIR. C’est en rejetant cet argument que la Cour a affirmé que la « portée limitée »
des articles 84.1 et 212.1 était le fruit d’un « choix […] délibéré »
(Collins & Aikman, paragraphe 4). Ces mots avaient pour effet de rejeter l’argument tel que formulé par la Couronne; ils n’ont pas la portée générale que leur attribue l’appelant.
[77]
Quel est donc l’objet et l’esprit de l’article 84.1? Selon l’analyse qui précède, l’objet et l’esprit de cette disposition, ou sa raison d’être, est d’empêcher que des sommes qui n’ont pas été assujetties à l’impôt puissent servir à retirer des surplus d’une société en franchise d’impôt. Le paragraphe 84.1(2) procède de cet esprit en ciblant les montants qui, tout en faisant partie du PBR des actions concernées, n’ont pas été assujettis à l’impôt et en les excluant du calcul du capital versé des nouvelles actions. À cette fin, le sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii) exige que l’on aille au-delà du PBR des actions concernées – ou des actions pour lesquelles elles furent substituées – et que l’on s’interroge sur la provenance des fonds qui le constituent afin de voir s’ils ont été assujettis à l’impôt.
[78]
L’appelant prétend que le lien entre le PBR des actions de catégorie A de P Pom et les montants sur lesquels la déduction pour gains en capital a été réclamée a été brisé puisque ces montants trouvent maintenant leur origine dans la perte réputée nulle en vertu de l’alinéa 40(3.6)b). Cependant, si l’on s’en remet à l’objet et à l’esprit du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii), ce qui importe est le lien entre les montants qui n’ont pas été assujettis à l’impôt et l’utilisation qui est faite de ces montants pour obtenir une distribution libre d’impôt. Cette interprétation découle de la raison d’être de cette disposition qui, je le rappelle, est d’empêcher que des sommes sur lesquelles l’impôt n’a pas été payé entrent dans le calcul du capital versé de l’action concernée et soient utilisées pour extraire des surplus sur une base libre d’impôt lors du rachat de la nouvelle action reçue en échange.
[79]
Cette raison d’être a été contrecarrée par le plan mis en œuvre par l’appelant. À même la somme de 1 993 812 $ qu’il a retirée, 994 628 $ représentaient des sommes à l’égard desquelles aucun impôt n’avait été payé. L’interposition planifiée du dividende réputé prévu au paragraphe 84(3) et de la perte réputée en vertu de l’alinéa 40(3.6)a) n’affectent en rien le fait que le montant de 994 628 $ continue de représenter une somme sur laquelle l’impôt n’a jamais été payé.
[80]
Je ne peux non plus souscrire à l’argument de l’appelant selon lequel l’article 84.1, lorsqu’interprété selon son objet et son esprit, révélerait une intention de faire exception à son application lorsqu’il s’agit d’un transfert intergénérationnel d’entreprises familiales. Comme nous l’avons vu, cette disposition empêche que des personnes ayant un lien de dépendance puissent profiter de la proximité de leur relation afin de retirer de leur société en franchise d’impôt des fonds qui, au moment de leur apport, n’avaient pas été assujettis à l’impôt (Copthorne, paragraphe 95). Rien dans le libellé ou l’objet et l’esprit de cette disposition ne laisse entrevoir une quelconque intention d’écarter de sa portée de tels retraits lorsqu’ils sont orchestrés par les membres d’une même famille.
[81]
Ceci étant dit, je crois utile de préciser qu’il est possible, dans certains cas, que l’article 84.1 ait un effet punitif dans le contexte d’un transfert intergénérationnel lorsque, par exemple, une entreprise est cédée par voie d’une vente d’actions à leur JVM à une société contrôlée par l’héritier de l’entreprise. Dans un tel cas, le cédant serait assujetti à l’impôt sur un dividende réputé alors qu’il aurait réalisé un gain en capital si l’acheteur avait été un étranger.
[82]
Cette situation particulière, si elle devait se présenter dans le contexte d’une analyse effectuée en fonction de la RGAÉ, pourrait possiblement mener à une interprétation qui empêche une application punitive de l’article 84.1. Cette situation n’est cependant pas celle qui nous occupe.
[83]
J’en viens donc à la conclusion que c’est à bon droit que le juge de la CCI a conclu que le retrait de la somme de 994 628 $ à même les surplus de Gestion sans qu’un impôt soit perçu va à l’encontre de l’objet et de l’esprit de l’article 84.1 et, plus précisément, du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii).
- Argument alternatif
[84]
Enfin, l’argument alternatif de l’appelant selon lequel le prélèvement de l’impôt sur un dividende de l’ordre de 994 628 $ n’est pas une façon « raisonnable »
de supprimer l’avantage fiscal obtenu ne saurait non plus réussir. L’appelant prétend qu’en ne se prononçant pas sur cette question, le juge de la CCI a « converti […] une règle visant à reporter l’utilisation d’une perte en capital en une règle réduisant à néant une perte en capital. »
(mémoire de l’appelant, paragraphe 98). Selon l’appelant, « le produit de disposition des actions devrait être réduit par l’effet de la Loi afin que la perte soit conservée »
(mémoire de l’appelant, paragraphe 101). Le paragraphe 60 de la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Descarries est cité au soutien de l’ajustement demandé.
[85]
Il n’y a pas lieu de donner suite à cet argument puisque la perte en question a été conservée. Il est vrai que suite à la soustraction par la ministre de la somme de 994 628 $ dans le calcul du PBR des actions de catégorie A de P Pom en vertu du sous-alinéa 84.1(2)a.1)(ii), le montant de la perte n’est plus représenté dans le PBR de ces actions, mais il l’est dans le PBR des actions de catégorie A de Gestion. C’est ce qui découle du rachat par Gestion des actions de catégorie C détenues par l’appelant de pair avec l’ajustement effectué par la ministre et l’application conséquente des alinéas 40(3.6)a) et b), 84.1(1)a), du paragraphe 84(3) et de la définition de « produit de disposition »
à l’article 54.
[86]
Le juge de la CCI n’avait donc pas à donner suite à l’argument alternatif de l’appelant.
- Disposition
[87]
Je rejetterais l’appel avec dépens.
« Je suis d’accord
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« Je suis d’accord
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ANNEXE
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A-456-16
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PIERRE POMERLEAU c. SA MAJESTÉ LA REINE
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LE JUGE BOIVIN
LE JUGE DE MONTIGNY
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LE 29 JUIN 2018
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Angelo Nikolakakis
Rachel Robert
Maude Lussier-Bourque
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EY Cabinet d’avocats s.r.l./ S.E.N.C.R.L.
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Sous-procureure générale du Canada
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