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Date : 20050114

 

Dossier : A‑64‑04

 

Référence : 2005 CAF 15

 

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                                       SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                            appelante

 

                                                                             et

 

                                                       LA BANDE DE STONEY

 

                                                                                                                                                intimée

 

 

 

                                Audience tenue à Calgary (Alberta), le 16 décembre 2004.

 

                                  Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2005.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                       LE JUGE ROTHSTEIN

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                          LE JUGE MALONE


Date : 20050114

 

Dossier : A‑64‑04

 

Référence : 2005 CAF 15

 

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE MALONE

 

 

ENTRE :

 

                                                       SA MAJESTÉ LA REINE

 

                                                                                                                                            appelante

 

                                                                             et

 

                                                       LA BANDE DE STONEY

 

                                                                                                                                                intimée

 

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE ROTHSTEIN

 

INTRODUCTION

 

[1]               À la suite d’un examen de l’état de l’instance, une protonotaire de la Cour fédérale a rejeté pour cause de retard l’action de la bande de Stoney (ordonnance T‑1627‑88 du 29 juillet 2003). Un juge de la Cour fédérale a fait droit à un appel interjeté contre sa décision et a ordonné que l’action se poursuive en tant qu’instance à gestion spéciale ((2004), 245 F.T.R. 288). La Couronne a fait appel de l’ordonnance du juge.


 

LES FAITS

[2]               L’action a été déposée le 22 août 1988. Selon la déclaration, le transfert, par la Couronne à Calgary Power Company (aujourd’hui TransAlta Utilities Corporation), de trois parcelles de terre cédées serait entaché d’irrégularités. Les trois parcelles sont appelées « terres Ghost Lake », « terres Horseshoe » et « terres Kananaskis ». Les terres Horseshoe ont été transférées en 1907, les terres Ghost Lake en 1929 et les terres Kananaskis en 1914, et certaines formalités n’ont été accomplies qu’en 1947.

 

[3]               Par lettre datée du 3 novembre 1988, l’avocat de la bande avait confirmé que, bien que l’action eût été déposée, la bande n’avait pas l’intention de la mener plus loin, mais plutôt de se prévaloir du mécanisme des « revendications particulières ». Le mécanisme des « revendications particulières » n’est pas expliqué dans les documents déposés devant la Cour, mais je crois comprendre qu’il s’agit d’un mécanisme établi par la Couronne pour régler les revendications autochtones, dispensant ainsi les parties de s’en remettre aux tribunaux.

 

[4]               Les trois pièces de terre ont toutes été considérées pour le mécanisme des « revendications particulières ». Finalement, seules les terres Ghost Lake ont été acceptées dans ce mécanisme en 1989. En 1991, la revendication Ghost Lake fut réglée, et un avis de désistement fut déposé pour ces terres le 17 avril 1991.

 


[5]               En novembre 2002, un accord était conclu entre la bande de Stoney et TransAlta pour les terres Horseshoe. Ce n’est pas tout à fait clair à la lecture du dossier, mais il semble que la bande voudrait aujourd’hui présenter une revendication résiduelle contre la Couronne à propos des terres Horseshoe. La revendication relative aux terres Kananaskis demeure elle aussi non réglée.

 

[6]               Depuis le dépôt de l’avis de désistement en 1991 pour les terres Ghost Lake, la bande n’a pris aucune autre mesure pour faire avancer son action.

 

[7]               Dans une lettre datée du 10 avril 2003, l’avocat de la bande priait la Cour fédérale [traduction] « d’établir et de confirmer le statut actuel de ce dossier ». Cette lettre semble avoir incité la Cour à délivrer le 22 avril 2003 un avis d’examen de l’état de l’instance. En réponse à l’avis, la bande a déposé des conclusions écrites et, suite à une invitation explicite de la protonotaire, la Couronne a elle aussi déposé des conclusions écrites.

 


[8]               Comme on l’a dit, la protonotaire a rejeté l’action. En appel, le juge des requêtes a exercé de novo son pouvoir discrétionnaire puisque l’ordonnance de la protonotaire, qui avait rejeté l’action, soulevait une question essentielle pour l’issue finale du litige. Dans ses motifs, le juge s’est référé expressément à la décision rendue par le juge Hugessen dans l’affaire Baroud c. Canada (1998), 160 F.T.R. 91. Le juge Hugessen expliquait que, dans un examen de l’état de l’instance, la Cour doit se focaliser surtout sur les raisons pour lesquelles l’affaire n’a pas progressé davantage et se demander si ces raisons justifient le retard constaté, et elle doit s’enquérir des mesures que propose de prendre le demandeur pour hâter le déroulement de la procédure. Se fondant sur le jugement Baroud, le juge a conclu que « les raisons pour lesquelles cette action n’a pas progressé plus rapidement sont entièrement imputables à la demanderesse ». Il a estimé aussi que « les démarches que la demanderesse a proposées devant la protonotaire pour faire avancer l’instance étaient assez illusoires ».

 

[9]               Le juge a fait observer que la décision Baroud permet aussi d’affirmer que, même si un défendeur a pu être négligent et n’a pas accompli toutes ses obligations procédurales, ce sont là des considérations généralement hors de propos dans un examen de l’état de l’instance. Toutefois, il a estimé que cette affirmation ne s’appliquait pas à la présente affaire et que la conduite de la Couronne avait son importance. À son avis, le fait qu’il s’agissait d’un litige autochtone faisait intervenir deux principes qui intéressaient la relation entre les Autochtones et la Couronne (l’État) – à savoir l’obligation de fiduciaire et l’honneur de l’État.

 

[10]           Finalement, le juge a estimé que l’obligation de fiduciaire n’était pas un sujet qu’il pouvait commenter dans l’examen de l’état de l’instance. Toutefois, selon lui, la conduite de la Couronne dans le litige n’était pas conforme à la notion de l’honneur de l’État, et cela disposait de l’examen de l’état de l’instance. Il a donc fait droit à l’appel et ordonné que l’action se poursuive en tant qu’instance à gestion spéciale.

 


POINT LITIGIEUX

[11]           Il n’est pas contesté que le juge des requêtes a validement exercé son pouvoir discrétionnaire de novo dans l’appel interjeté contre l’ordonnance de la protonotaire (voir l’arrêt Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, aux pages 462 et 463 (C.A.), et l’arrêt Merck & Co. Inc. c. Apotex Inc. (C.A.F.), [2004] 2 F.C.R. 459, aux paragraphes 17 et 18 (C.A.)), et il n’est pas contesté non plus que la Cour ne peut modifier la décision discrétionnaire du juge que s’il est établi qu’il n’a pas accordé un poids suffisant à tous les facteurs pertinents (voir l’arrêt Reza c. Canada, [1994] 2 R.C.S. 394, aux pages 404 et 405) ou qu’il a pris en compte des facteurs hors de propos (voir l’arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 39, et l’arrêt Ward c. James, [1966] 1 Q.B. 273, à la page 293, lord Denning, M.R.).

 

[12]           Les points à décider sont les suivants : l’obligation de fiduciaire et le principe de l’« honneur de l’État » sont‑ils des facteurs pertinents dans l’examen de l’état d’une instance introduite par des Autochtones contre la Couronne et, dans la négative, quels sont les facteurs à prendre en compte dans un tel examen?

 

ANALYSE

Honneur de l’État


[13]           Le principe de l’honneur de l’État dérive de l’affirmation de souveraineté de la Couronne en dépit d’une occupation autochtone antérieure (voir l’arrêt Première nation des Tlingits de la rivière Taku c. Colombie‑Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, au paragraphe 24). C’est un principe fondamental qui trouve son application dans des pratiques concrètes (voir l’arrêt Nation Haida c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au paragraphe 16). Par ailleurs, ce principe est toujours en jeu dans les rapports de la Couronne avec les peuples autochtones (voir l’arrêt Haida, au paragraphe 16; R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, au paragraphe 41) et il donnera lieu à diverses obligations en diverses circonstances (voir l’arrêt Haida, au paragraphe 18).

 

[14]           Lorsque la Couronne exerce un contrôle discrétionnaire sur des intérêts autochtones précis, l’honneur de l’État donnera lieu à une obligation de fiduciaire (voir l’arrêt Haida, au paragraphe 18). Cependant, l’obligation de fiduciaire n’est pas source de responsabilité intégrale de la Couronne englobant tous les aspects de la relation entre la Couronne et la bande indienne. L’obligation de fiduciaire imposée à la Couronne n’a pas un caractère général, mais se rapporte plutôt à des intérêts autochtones particuliers (voir l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 245, au paragraphe 81).

 


[15]           L’honneur de l’État peut aussi se manifester dans l’interprétation généreuse des droits issus de traités (voir l’arrêt Mitchell c. Canada (Ministre du Revenu national), [2001] 1 R.C.S. 911, au paragraphe 138). Parce que les Indiens n’ont pas eu l’occasion d’établir leurs propres archives, le postulat est que l’approche de la Couronne dans la conclusion de traités était honorable, et c’est pourquoi les tribunaux interprètent les traités d’une manière libérale. Toutefois, des règles généreuses d’interprétation ne sont pas des largesses faites après coup. Elles consistent plutôt à rechercher l’intention commune des parties comme moyen de concilier les intérêts des Indiens et ceux de la Couronne (voir l’arrêt R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, au paragraphe 14).

 

[16]           L’honneur de l’État a aussi été considéré comme une notion utile lorsque des revendications territoriales autochtones demeurent non résolues, obligeant la Couronne à participer aux processus de négociation et, selon le cas, à consulter les groupes autochtones et à tenir compte de leurs besoins (voir l’arrêt Haida, au paragraphe 25).

 

[17]           Finalement, dans les cas d’atteinte à des droits autochtones par la Couronne, celle‑ci doit justifier sa ligne de conduite en prouvant que la réalisation d’un objectif législatif valide ne met pas en péril l’honneur de l’État (voir l’arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075, à la page 1110). La relation fiduciaire spéciale et la responsabilité publique qui en résulte doivent être les premiers facteurs à prendre en compte pour savoir si le texte législatif ou la ligne de conduite peut se justifier (voir l’arrêt Sparrow, à la page 1114). Au moment d’analyser la justification, la Couronne doit examiner les aspects se rapportant à l’atteinte minimale, à la juste indemnité dans le contexte d’une expropriation, enfin à la consultation (voir l’arrêt Sparrow, à la page 1119).

 


[18]           J’arrive à la conclusion que, s’agissant de l’honneur de l’État, les pratiques concrètes exigées de la Couronne à ce jour et précisées par la Cour suprême du Canada dans le contexte autochtone sont les suivantes : agir d’une manière qui s’accorde avec le statut de fiduciaire; interpréter d’une manière libérale les traités et documents; négocier avec les groupes autochtones et, le cas échéant, les consulter et répondre à leurs besoins, enfin justifier les objectifs législatifs lorsqu’il est porté atteinte aux droits des peuples autochtones. Cependant, je ne prétends pas qu’il s’agit là d’une liste limitative des moyens par lesquels peut se manifester l’honneur de l’État.

 

Application du principe de l’honneur de l’État par le juge des requêtes

[19]           Dans ses motifs, le juge des requêtes a appliqué le principe de l’honneur de l’État à la conduite de la Couronne dans le litige. Il n’a pas invoqué de précédents à l’appui, mais il s’est référé à un mémoire et à un commentaire d’arrêt qui concernaient l’honneur de l’État en général. En concluant que la Couronne n’avait pas agi d’une manière conforme au principe de l’honneur de l’État, il a tiré des conclusions qui apparaissent aux paragraphes 35 et 36 de ses motifs :

[35] D’après le dossier, la défenderesse a manifestement décidé de ne pas produire une défense. Elle a choisi de ne pas réunir des documents au soutien d’une défense. Elle a choisi de ne pas demander à la Cour une prorogation du délai imparti pour le dépôt d’une défense. Elle a choisi de ne pas demander une suspension de la procédure pour justifier son inaction. Finalement, elle a choisi de ne pas demander à la Cour de rendre une ordonnance rejetant cette action pour cause de délai.

 

 

[36] Pour parler dans un style familier, l’État, par l’entremise de ses représentants, a choisi « de ne pas s’en faire », en espérant que cette procédure se dissiperait d’elle‑même. Elle a choisi « de ne pas réveiller le chat qui dort ». Puis, ce n’est que lorsqu’a été déclenché l’examen de l’état de l’instance (qui, dois‑je le rappeler, n’a pas été déclenché à l’initiative de la Cour, mais plutôt en réaction à une demande de renseignements de l’avocat de la demanderesse) que la Couronne a choisi de « bondir » et d’évoquer le préjudice qu’elle subirait en raison du long délai écoulé.

 

 

 


Arguments de la bande de Stoney

[20]           Soutenant l’application, par le juge, du principe de l’honneur de l’État aux procédures d’examen de l’état de l’instance, la bande de Stoney s’est expliquée davantage dans son mémoire et dans la plaidoirie de son avocat. Si je comprends bien, les arguments de la bande sont les suivants :

1.         parce que l’action de la bande de Stoney se fonde sur le manquement de la Couronne à son obligation de fiduciaire lors de l’aliénation de la terre de réserve de la bande, cette relation fiduciaire, qui découle de l’application du principe de l’honneur de l’État, imprègne la procédure suivie dans le litige. La Couronne manque à son obligation de fiduciaire lorsqu’elle s’en remet à des défenses procédurales au lieu de reconnaître que l’affaire devrait être tranchée au fond;

2.         à défaut d’une preuve de l’obligation de fiduciaire à l’égard de la procédure suivie dans le litige, alors il y a une « analyse relationnelle » fondée sur la « confiance qui caractérise la relation » entre la bande et la Couronne. Ici encore, la Couronne ne peut pas s’en remettre à des défenses procédurales, mais doit convenir que l’affaire devrait être résolue au fond; et

3.         la doctrine des « règles généreuses d’interprétation », qui intervient aussi dans le principe de l’honneur de l’État, requiert que, dans le cas d’un pouvoir discrétionnaire exercé en vertu des règles de l’examen de l’état de l’instance, ce pouvoir soit exercé dans l’intérêt supérieur de la bande indienne.

 


Examen du principe de l’honneur de l’État

[21]           Les cas dans lesquels le principe de l’honneur de l’État est jusqu’à maintenant appliqué par la Cour suprême du Canada ne comprennent pas la conduite de la Couronne dans un litige ordinaire. J’ai beaucoup de mal à admettre les arguments avancés par la bande de Stoney, qui voudrait que les cas d’application de ce principe englobent une telle conduite.

 

[22]           Dans un litige, la Couronne n’exerce pas un contrôle discrétionnaire sur son adversaire autochtone. Il est donc difficile de voir une obligation de fiduciaire dont la Couronne serait débitrice à l’égard de la partie opposée dans la conduite du litige. Il est vrai qu’un aspect des prétentions de la bande de Stoney à l’encontre de la Couronne repose sur un présumé manquement à une obligation de fiduciaire dans le cadre de la cession et de l’aliénation d’une terre de réserve. Mais, même si une telle obligation existe, elle n’implique pas une relation fiduciaire entre la Couronne et la bande de Stoney dans la conduite du litige.

 

[23]           Ainsi qu’on peut le voir dans l’arrêt Haida, au paragraphe 18, et dans l’arrêt Wewaykum, au paragraphe 81, l’expression « obligation de fiduciaire » n’entraîne pas une relation fiduciaire universelle englobant tous les aspects de la relation entre la Couronne et la bande de Stoney. Une obligation de fiduciaire imposée à la Couronne n’existe pas d’une manière générale, mais uniquement par rapport à des intérêts autochtones précis.

 


[24]           Si je m’en tiens expressément aux pratiques suivies dans les litiges, j’estime qu’il est impossible de voir comment la conduite d’une partie dans le litige pourrait être circonscrite par une obligation de fiduciaire qu’elle aurait envers l’autre. Les litiges se déroulent selon des règles judiciaires précises qui valent pour toutes les parties. Ces règles définissent les obligations procédurales des parties. Il me semble qu’imposer une obligation additionnelle de fiduciaire à une partie ne serait pas équitable pour cette partie lorsqu’elle ferait valoir sa position ou qu’elle la défendrait. C’est là une proposition tout simplement insoutenable dans le contexte contradictoire propre aux litiges. Même lorsqu’une relation fiduciaire est admise, le fiduciaire doit pouvoir invoquer toutes les défenses à sa disposition au cours du litige.

 


[25]           L’idée avancée par la bande selon laquelle le fait pour la Couronne d’invoquer des défenses procédurales ne s’accorde pas avec l’honneur de l’État me semble contraire à la jurisprudence actuelle de la Cour suprême du Canada. Lorsque des obligations et recours en equity sont revendiqués contre la Couronne par des bandes indiennes, leur exécution est soumise aux défenses habituelles offertes par l’equity, notamment l’acquiescement et le manque de diligence (voir l’arrêt Wewaykum, aux paragraphes 108 à 110). Des délais de prescription ont été appliqués à l’encontre de recours en equity, fondés notamment sur le manquement à une obligation de fiduciaire, et déposés contre la Couronne par une bande indienne (voir l’arrêt Wewaykum, aux paragraphes 131 et 135‑136). La bande de Stoney reconnaît d’ailleurs que, selon la jurisprudence actuelle de la Cour suprême, les délais de prescription sont applicables aux instances introduites par les peuples autochtones contre la Couronne. Si une défense de prescription peut être invoquée par la Couronne, il est difficile de voir pourquoi d’autres défenses procédurales ne pourraient l’être.

 

[26]           Cependant, la bande établit une distinction entre les défenses découlant de textes législatifs, par exemple les délais de prescription, et les défenses relevant du pouvoir discrétionnaire de la Cour, par exemple l’acquiescement et le manque de diligence, lequel constitue un principe général laissant une large place à l’appréciation (voir Robert J. Sharpe, Injunctions and Specific Performance, 3e édition (Aurora : Canada Law Books Inc., 2000) au paragraphe 1.820). Puisque la Cour suprême a dit dans l’arrêt Wewaykum que les défenses offertes par l’equity, notamment l’acquiescement et le manque de diligence, peuvent être invoquées par la Couronne dans les instances introduites par les Autochtones, il s’ensuit que la Couronne devrait pouvoir invoquer toutes les défenses procédurales, qu’elles résultent d’un texte législatif ou d’un pouvoir discrétionnaire.

 


[27]           L’argument selon lequel l’honneur de l’État requiert de la Couronne qu’elle n’invoque pas de défenses procédurales semble être une tentative d’établir, pour les instances introduites par les Autochtones contre la Couronne, une nouvelle règle se rapportant aux examens de l’état des instances, aux requêtes en rejet pour retard et peut‑être aux défenses de prescription dont la Couronne pourrait par ailleurs se prévaloir. Aucun précédent introduisant une telle règle n’a été signalé à la Cour. Comme je l’ai dit, une telle manière de voir prend le contre‑pied des conclusions explicites de l’arrêt Wewaykum, selon lesquelles la Couronne peut ordinairement, dans les circonstances qui s’y prêtent, invoquer les défenses d’acquiescement et de manque de diligence, tout comme les défenses de prescription.

 

[28]           Le second argument de la bande, celui de l’analyse relationnelle, semble être tiré d’un commentaire portant sur l’arrêt R. c. Marshall, commentaire rédigé par W.W. Hurlburt (2000), 38 Alta. L. Rev. 563, et cité par le juge au paragraphe 33 de ses motifs. Dans son commentaire, Hurlburt semble faire assez peu de cas du principe de l’honneur de l’État, le qualifiant de [traduction] « notion abstraite indéfinissable exprimée en des termes presque mystiques » (à la page 573). De l’avis de Hurlburt, il vaudrait mieux se focaliser sur la relation de confiance entre la Couronne et les groupes indiens, une relation qui peut imposer à la Couronne l’obligation d’adhérer à des normes plus élevées que celles qui sont imposées par les « règles ordinaires de moralité commerciale ».

 

[29]           J’ai déjà indiqué qu’il ne serait pas équitable d’imposer à une partie les contraintes d’une obligation de fiduciaire dans sa conduite durant un litige. Même s’il existe une relation de confiance qui impose à la Couronne une obligation plus élevée que celle qui est imposée par les « règles ordinaires de moralité commerciale », la bande ne donne pas à entendre que l’obligation est plus élevée qu’une obligation de fiduciaire. Pour les raisons qui font que l’argument de la bande fondé sur l’obligation de fiduciaire doit être rejeté, je suis d’avis que l’argument de l’« analyse relationnelle » est lui aussi dépourvu de bien‑fondé.

 


[30]           Le troisième argument de la bande semble donner à entendre que le principe de l’honneur de l’État, exprimé par des règles généreuses d’interprétation, limite le pouvoir discrétionnaire que la Cour peut exercer dans un examen de l’état de l’instance. Toutefois, un tel examen ne concerne pas l’interprétation de traités, de lois ou autres instruments auxquels est appliqué le principe des « règles généreuses d’interprétation ». Il est donc difficile de voir comment le principe des règles généreuses d’interprétation pourrait avoir quelque application dans un examen de l’état de l’instance.

 

[31]           Dans un examen de l’état de l’instance, la Cour exerce un pouvoir discrétionnaire. Elle peut exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur ou à l’encontre du demandeur. La bande de Stoney fait valoir que, dans une instance introduite par un groupe autochtone contre la Couronne, les règles sont différentes et que tout pouvoir discrétionnaire doit être exercé dans l’intérêt du demandeur autochtone. S’agissant d’une instance introduite par un groupe autochtone contre la Couronne, une telle règle réduirait le pouvoir discrétionnaire de la Cour dans un examen de l’état de l’instance. Aucun précédent n’a été invoqué à l’appui d’une telle proposition.

 


[32]           Le principe de l’honneur de l’État impose des obligations à la Couronne et non à la Cour. Dans un cas qui le justifiera, la Cour imposera une obligation à la Couronne si elle estime que la ligne de conduite de la Couronne n’est pas conforme au principe de l’honneur de l’État. À moins que la Cour doive conclure que la Couronne ne peut invoquer de défenses procédurales dans une instance introduite par un groupe autochtone, proposition que j’ai déjà rejetée, il m’est impossible de voir comment ce troisième argument de la bande impose une quelconque obligation à la Couronne.

 

[33]           Je dois conclure que les motifs du juge des requêtes, pas plus que les arguments de la bande de Stoney, ne permettent nullement de prétendre que l’honneur de l’État est un facteur pertinent dans la procédure d’examen de l’état de l’instance introduite devant la Cour fédérale.

 

Le critère à appliquer dans un examen de l’état de l’instance

[34]           L’examen de l’état de l’instance est prévu dans les articles 380, 381 et 382 des Règles des Cours fédérales, DORS/2004‑283, art. 2. Dans la décision Baroud, le juge Hugessen avait estimé que la Cour devait essentiellement se focaliser sur deux questions dans un tel examen :

1.         les raisons pour lesquelles l’affaire n’a pas progressé davantage, et le point de savoir si ces raisons justifient le retard constaté; et

2.         les mesures que le demandeur propose pour hâter le déroulement de la procédure.

Il avait aussi jugé que le fait qu’un défendeur ait pu être négligent et n’ait pas rempli toutes ses obligations procédurales est généralement hors de propos.

 

[35]           La Couronne fait valoir que, en outre, le préjudice causé à un défendeur par suite d’un retard est un facteur à prendre en compte dans un examen de l’état de l’instance. Le critère exposé dans la décision Baroud ne parle pas du préjudice causé à un défendeur.

 


[36]           Un avis d’examen de l’état de l’instance est envoyé par la Cour à toutes les parties au litige, et toutes les parties ont la possibilité de présenter des conclusions à la Cour. Par conséquent, il m’est impossible de dire que le préjudice causé à un défendeur par suite d’un retard ne pourrait pas être un facteur à prendre en compte dans une procédure d’examen de l’état de l’instance.

 

[37]           Par ailleurs, dans un examen de l’état de l’instance, la Cour peut, en application de l’alinéa 382(2)a) des Règles, « exiger que le demandeur ou l’appelant donne les raisons pour lesquelles l’instance ne doit pas être rejetée pour cause de retard... » L’examen de l’état de l’instance porte donc d’abord sur l’explication donnée par le demandeur ou par l’appelant pour justifier le retard, et sur les mesures qu’il propose pour faire avancer l’affaire, ainsi qu’on peut le lire dans la décision Baroud.

 

[38]           De plus, si un défendeur ou un intimé estime que le retard lui a causé un préjudice, il a le droit, selon l’article 167 des Règles, de présenter une requête en rejet pour cause de retard. En général, je serais d’avis que, si un défendeur ou un intimé attend un avis d’examen de l’état de l’instance pour soulever un argument alléguant un préjudice, cet argument aura moins de poids que s’il est présenté dans une requête en rejet pour cause de retard.

 


[39]           En l’espèce, la Couronne a choisi de ne pas présenter de conclusions en réponse à l’avis d’examen de l’état de l’instance envoyé par la Cour. Elle n’a présenté de conclusions qu’à l’invitation expresse de la protonotaire. Si un défendeur ou un intimé ne considère pas que le préjudice est suffisamment important pour qu’il présente une requête en rejet pour cause de retard, ou à tout le moins pour qu’il dépose de sa propre initiative une réponse à un avis d’examen de l’état de l’instance, alors un poids très faible sera accordé à l’argument alléguant un préjudice.

 

[40]           Le critère de la décision Baroud a été suivi dans de nombreuses décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. Outre ce que j’ai dit à propos du préjudice causé à un défendeur ou à un intimé par suite du retard, le cas échéant, la décision Baroud expose le critère à appliquer.

 

La Cour devrait‑elle déférer à la conclusion qu’aurait tirée le juge s’il avait appliqué la règle pertinente?

[41]           Il appert des motifs du juge des requêtes qu’il a été attentif au critère de la décision Baroud et qu’il n’est tombé dans l’erreur que lorsqu’il s’en est écarté. Aux paragraphes 24 et 25 de ses motifs, il s’est exprimé ainsi :

[24] Au vu du critère exposé dans le jugement Baroud, précité, je dois conclure que les raisons pour lesquelles cette action n’a pas progressé plus rapidement sont entièrement imputables à la demanderesse. Il faut sans aucun doute rendre hommage à la demanderesse d’avoir voulu régler par la négociation les points soulevés dans l’action et d’avoir à cet égard obtenu en fait un certain succès, mais elle ne saurait pour autant être excusée d’avoir totalement ignoré l’action. La déclaration n’a pas été modifiée pour rendre compte du désistement partiel déposé en 1991. Aucune procédure n’a été introduite au nom de la demanderesse pour suspendre l’action par suite des négociations en cours. Qui plus est, aucune procédure moins formelle n’a été adoptée au nom de la demanderesse pour tenir la Cour informée des négociations en cours, ou du progrès de telles négociations. Et la preuve dont disposait la Cour ne saurait le moins du monde la convaincre que la défenderesse a été tenue au fait des négociations engagées.


 

[25] Les démarches que la demanderesse a proposées devant la protonotaire pour faire avancer l’instance étaient assez illusoires. Une modification de la déclaration s’imposait depuis longtemps. Rien n’a été présenté à la Cour montrant que la déclaration allait être modifiée pour tenir compte de l’effet du règlement négocié avec TransAlta au regard de l’une des deux revendications qui subsistaient. De plus, la demanderesse proposait que soit imposée à la défenderesse, pour les « mesures complémentaires », des échéances que l’avocate de la défenderesse juge tout à fait irréalistes et qui certainement rendaient compte d’une absence de concertation avec l’avocate de la défenderesse.

 

 

 

[42]           Le juge a exprimé l’avis que la bande était la seule responsable du retard et que ses explications ne justifiaient pas ce retard. Il n’était pas satisfait des mesures que la bande se proposait de prendre pour hâter le déroulement de l’affaire. S’il n’était pas allé plus loin, je crois qu’il aurait probablement rejeté l’action.

 

[43]           Est‑il nécessaire pour la Cour d’exercer de novo son pouvoir discrétionnaire comme si elle était à la place du juge des requêtes, ou la Cour peut‑elle simplement déférer à la conclusion qu’il semble que le juge aurait tirée s’il avait limité son analyse à l’application de la règle pertinente? Dans un cas comme celui‑ci, il n’est pas difficile de dégager et d’isoler l’erreur de droit. Par conséquent, il est assez tentant de s’en remettre à la règle que le juge aurait dû appliquer et à la conclusion qu’il aurait tirée en appliquant cette règle.

 


[44]           Cependant, la décision ici est une décision discrétionnaire. Il semblerait que le juge aurait probablement rejeté l’action compte tenu du critère de la décision Baroud, mais je ne suis pas certain qu’il serait arrivé à cette conclusion s’il avait dit que le principe de l’honneur de l’État n’était pas un facteur pertinent dans un examen de l’état de l’instance. Je ne vois pas comment il est possible pour la Cour de déférer à la décision que le juge des requêtes aurait peut‑être rendue si elle ne peut être certaine que c’est la décision qu’il aurait rendue.

 

[45]           Je crois plutôt qu’il n’existe pour la Cour que deux solutions. L’une consiste à renvoyer l’affaire au juge des requêtes pour qu’il procède de nouveau à l’examen de l’état de l’instance en appliquant le critère de la décision Baroud. L’autre consiste pour la Cour à exercer le pouvoir discrétionnaire que le juge aurait exercé en appliquant le critère de la décision Baroud.

 

[46]           Cette affaire dure depuis août 1988. La Cour a les conclusions écrites des parties. Eu égard aux circonstances, je crois qu’il ne serait pas injuste et qu’il serait plus expéditif pour la Cour de trancher cette affaire une fois pour toutes.

 

La réponse de la bande au critère de la décision Baroud

[47]           Selon les conclusions de la bande, les raisons du retard sont les suivantes :

1.         déterminer les mesures prises par les parties pour les aliénations de biens‑fonds nécessitait un examen des preuves documentaires et l’établissement de la tradition orale, une tâche que la bande qualifie de « monumentale »;


2.         la bande examinait avec diligence les questions de fond à la base de ses revendications, questions qui faisaient intervenir : des instances parallèles introduites devant la Cour fédérale et devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta; le mécanisme des « revendications particulières », qui exigeait que les instances soient laissées en suspens durant l’application du mécanisme; enfin un compromis avec TransAlta à propos des terres Horseshoe, compromis qui, en partie à cause d’un retard attribuable à la Couronne, n’a été conclu qu’en 2002; et

3.         la Cour fédérale n’a pas délivré plus tôt un avis d’examen de l’état de l’instance, alors que plusieurs avis avaient été délivrés pour des revendications territoriales incluses dans le processus des « revendications particulières » et à l’égard desquelles les instances ont pu suivre leur cours.

 

[48]           La bande a proposé :

1.         de signifier et déposer une déclaration modifiée, qu’elle a annexée à ses conclusions écrites, et qui rend compte des « progrès significatifs » accomplis par la bande dans la résolution et la clarification des points soulevés dans l’instance depuis le dépôt de la déclaration initiale; et

2.         de consulter la Cour et la Couronne afin de fixer un délai à l’intérieur duquel la Couronne devrait déposer sa défense, puis de mener l’instance ainsi que le prévoient les Règles des Cours fédérales.

 

Application du critère de la décision Baroud par la Cour

Raisons du retard


[49]           J’examinerai d’abord l’explication donnée par la bande pour justifier le retard. J’admets que l’examen des preuves documentaires et l’établissement de la tradition orale peuvent demander beaucoup de temps. Cependant, l’instance durait depuis presque quinze ans quand l’avis d’examen de l’état de l’instance a été délivré. Le travail se rapportant aux terres Ghost Lake avait pris fin en 1991, année où un compromis avait été conclu à la faveur du mécanisme des « revendications particulières ». Aucune explication n’est donnée exposant les raisons pour lesquelles une période additionnelle de douze ans a été nécessaire pour les deux autres pièces de terre. Si un demandeur dit qu’un retard de quinze ans est causé par la quantité de travail nécessaire, alors il doit donner des précisions sur le travail qu’il fallait faire et sur le temps requis à chaque étape. Je ne dis pas qu’un demandeur doit donner une abondance de détails lorsqu’il répond à un avis d’examen de l’état de l’instance. Mais, lorsqu’on est en présence d’un retard considérable de quelque quinze ans, des détails sont nécessaires. Dire simplement qu’un travail énorme a été nécessaire, ce n’est pas exposer à la Cour les raisons du retard de quinze ans.

 

[50]           Il y avait des instances parallèles devant la Cour fédérale et devant la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, mais aucune explication n’est donnée exposant les raisons pour lesquelles l’existence de telles instances serait la cause d’un retard de quinze ans dans la présente affaire.

 

[51]           Le fait que des instances soient laissées en suspens pendant que des négociations se déroulent selon le mécanisme des « revendications particulières » justifierait un report jusqu’en 1991 pour les terres Ghost Lake. Les terres Horseshoe et Kananaskis n’ont pas été acceptées dans le mécanisme des « revendications particulières » et cette raison est sans rapport avec l’instance après 1991.


 

[52]           J’admets que les négociations menées par la bande avec TransAlta dans le cas des terres Horseshoe n’ont pris fin qu’en 2002. Apparemment, un accord de principe a été conclu en 1994 entre la bande de Stoney et TransAlta. La Couronne n’était pas partie à cet accord. Mais les détails du transfert de propriété, dont certains intéressaient la Couronne, n’ont été établis qu’en 2002. C’est en partie la raison pour laquelle le compromis final entre TransAlta et la bande de Stoney n’a pris forme qu’en 2002. Mais ce fait ne permet pas de dire pourquoi l’instance introduite contre la Couronne n’a pas suivi son cours plus tôt. S’il y avait une explication indiquant pourquoi la réclamation contre la Couronne devait être suspendue jusqu’à un compromis final portant sur la réclamation contre TransAlta, ou s’il existait même une simple explication de la relation entre les négociations avec TransAlta et l’instance introduite contre la Couronne, cet argument pourrait profiter à la bande. Mais aucune explication du genre n’a été donnée.

 

[53]           Le moment auquel la Cour délivre un avis d’examen de l’état de l’instance ne sera pas en principe un facteur justifiant le retard d’un demandeur, et les circonstances dans lesquelles l’avis est délivré ne le seront pas non plus. Quoi qu’il en soit, les autres examens de l’état des instances auxquels se réfère la bande semblent se rapporter à des instances laissées en suspens jusqu’à la résolution de revendications soumises au mécanisme des « revendications particulières ». Comme je l’ai déjà dit, ni les terres Horseshoe ni les terres Kananaskis n’ont été acceptées dans ce mécanisme.


 

Mesures proposées pour accélérer le déroulement de l’affaire

[54]           En ce qui a trait aux mesures particulières proposées par la bande, la seule modification de fond apportée à la déclaration est l’élimination de la revendication territoriale Ghost Lake. Aucune indication n’est donnée de ce qu’ont été les « progrès significatifs » que la bande a accomplis pour résoudre et clarifier les aspects se rapportant aux terres Horseshoe et Kananaskis. S’il y a eu des éclaircissements à propos des terres Horseshoe à la suite du compromis conclu avec TransAlta, ces éclaircissements n’apparaissent pas dans la déclaration modifiée. La déclaration modifiée ne donne aucune indication de la manière dont le compromis conclu avec TransAlta a pu influer sur la revendication relative aux terres Horseshoe. Il n’y a aucune indication d’un quelconque éclaircissement ou changement en ce qui a trait aux terres Kananaskis.

 

[55]           Consulter la Cour et la Couronne sur d’autres procédures suppose au départ qu’une déclaration modifiée adéquate est déposée. La déclaration modifiée qui est proposée par la bande ne reflète pas ce que, d’après la bande, elle est censée établir. Je ne puis en déduire qu’une approche insouciante de la part de la bande, une approche qui semble s’accorder avec celle qu’elle a adoptée durant de nombreuses années, et ne pas s’accorder avec une intention de faire évoluer sérieusement l’instance.

 

[56]           Il m’apparaît que la bande n’a pas rempli les conditions du critère de la décision Baroud.


 

La conduite de la Couronne devrait‑elle être prise en compte?

[57]           Le critère de la décision Baroud dit que la négligence d’un défendeur dans l’accomplissement d’obligations procédurales est généralement hors de propos dans un examen de l’état de l’instance. À l’évidence, la conduite d’un défendeur qui abuse ou induit en erreur un demandeur ou qui incite ou exhorte d’une autre manière un demandeur à ne pas faire avancer promptement l’instance sera toujours pertinente dans un examen de l’état de l’instance et pourra être soulevée par le demandeur lorsque celui‑ci exposera les raisons du retard. Les faits constatés par le juge des requêtes au regard des agissements de la Couronne dans la présente affaire n’apportent pas la preuve d’une telle conduite.

 

[58]           D’abord, le juge des requêtes a dit que la Couronne avait choisi de ne pas déposer une défense. Cependant, il appert implicitement de la preuve que la bande de Stoney s’était engagée à ne pas prendre d’autres mesures dans l’instance sans en informer la Couronne. Un tel engagement n’est pas inhabituel dans un litige où un demandeur exerce d’autres recours. Dans ces conditions, il n’était nullement déraisonnable pour la Couronne de ne pas déposer de défense.

 

[59]           Deuxièmement, le juge des requêtes a dit que la Couronne avait choisi de ne pas réunir les documents nécessaires à sa défense. Cependant, la Couronne n’était pas tenue de consacrer du temps et des frais à cette tâche puisque la bande n’allait pas prendre d’autres mesures sans l’en informer.


 

[60]           Troisièmement, le juge des requêtes a dit que la Couronne n’avait pas sollicité une prorogation du délai de dépôt de sa défense. Cependant, il n’était pas nécessaire pour elle de solliciter une telle prorogation puisque la bande de Stoney s’était engagée à lui signifier les autres mesures qu’elle prendrait éventuellement dans le litige. Pour la même raison, la Couronne n’avait aucune raison de solliciter une suspension de l’instance contrairement à ce qu’a laissé entendre le juge.

 

[61]           S’agissant de la lenteur de l’évolution d’un litige, l’incitation suppose de la part d’un défendeur un acte qui fait que le demandeur ne prendra pas de mesures pour faire avancer la procédure. En principe, dans un examen de l’état de l’instance, l’inertie ou le silence d’un défendeur n’équivaudra pas en soi à une incitation. L’inertie de la Couronne constatée par le juge des requêtes n’a pu inciter la bande à faire preuve de lenteur. Rien ne prouve que la Couronne a induit en erreur ou a abusé la bande, ou l’a d’une autre manière encouragée à différer de faire avancer la procédure.

 


[62]           Le juge des requêtes a dit aussi que la Couronne avait choisi de ne pas solliciter auprès de la Cour une ordonnance rejetant l’action pour cause de retard, décidant plutôt « de ne pas s’en faire », puis de « bondir » sur la procédure d’examen d’état de l’instance. Je ne vois pas comment l’on peut dire que la Couronne a choisi de « bondir », compte tenu des circonstances de cette affaire. La Couronne n’a pas au départ présenté de conclusions dans l’examen de l’état de l’instance et elle n’y est intervenue qu’à l’invitation de la protonotaire. Elle a présenté des conclusions exposant les raisons pour lesquelles l’action devrait être rejetée. La présentation de telles conclusions par la Couronne ne constituait pas un procédé déloyal ni un autre comportement déplacé.

 

DISPOSITIF

[63]           Je suis d’avis que, quand la Couronne est défenderesse dans une instance introduite par une bande indienne, l’honneur de l’État n’est pas un facteur à prendre en compte dans un examen de l’état de l’instance. Si l’on applique le bon critère juridique d’un examen de l’état de l’instance, je suis d’avis que l’appel devrait être accueilli et l’action rejetée. La Couronne a droit à ses dépens, devant la Cour d’appel fédérale et devant la Cour fédérale.

 

                                                                        « Marshall Rothstein »           

                                                                                                     Juge                         

 

« Je souscris aux présents motifs

Robert Décary »

 

« Je souscris aux présents motifs

B. Malone »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jacques Deschênes, LL.B.


                           COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :               A‑64‑04

 

INTITULÉ :            SA MAJESTÉ LA REINE c. LA BANDE DE STONEY

 

LIEU DE L’AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE : LE 16 DÉCEMBRE 2004

 

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE ROTHSTEIN

 

Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE DÉCARY

LE JUGE MALONE

 

DATE DES MOTIFS : LE 14 JANVIER 2005

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jolaine Antonio

Bruce Piller                                                     POUR L’APPELANTE

 

Tibor Osvath

Mark Maxwell                                                 POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Morris A. Rosenberg

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                            POUR L’APPELANTE

 

Rae et Compagnie

Calgary (Alberta)                                            POUR L’INTIMÉE

 

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