Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

    



Date : 20000524


Dossier : A-850-97

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ISAAC
         LE JUGE SEXTON

ENTRE :

     LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SHUBENACADIE


appelant


et


LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE


et


DARLENE MACNUTT, LOLITA KNOCKWOOD, JOHN B. PICTOU FILS


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, REPRÉSENTANT LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN


intimés





Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 1er décembre 1999.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le mercredi 24 mai 2000.


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR :      LE JUGE ISAAC

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STONE

     LE JUGE SEXTON




Date: 20000524


Dossier : A-850-97

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ISAAC

         LE JUGE SEXTON

ENTRE :


LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SHUBENACADIE


appelant


et


LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE


et


DARLENE MACNUTT, LOLITA KNOCKWOOD, JOHN B. PICTOU FILS


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, REPRÉSENTANT LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN


intimés



     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE ISAAC



[1]          Il s"agit d"un appel interjeté contre l"ordonnance rendue le 30 octobre 1997 par un juge des requêtes de la Section de première instance. Par cette ordonnance, le juge des requêtes a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l"appelant contre la décision rendue le 11 octobre 1995 par une formation du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal). Le Tribunal a conclu que l"appelant avait fait preuve de discrimination fondée sur la race et sur l"état matrimonial contre les personnes intimées, qui étaient plaignantes devant le Tribunal, contrairement à l"article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne1 (la LCDP). La décision de la Section de première instance est publiée dans le recueil [1998] 2 C.F. 198.

LES FAITS



[2]          Les faits sous-jacents sont exposés intégralement dans la décision publiée et, comme cela ressort de cette dernière, ils ont été examinés en profondeur par le Tribunal et par le juge des requêtes. Par conséquent, je n"estime pas nécessaire de les énoncer dans les présents motifs. Pour faciliter l"analyse, je souligne toutefois certains faits plus loin.



[3]          Au cours des années 1987 à 1996, le Conseil appelant a conclu des accords de contribution annuelle (les accords) et des accords de financement selon le mode principal avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le MAINC). Dans ces accords, le Conseil appelant s"est engagé à établir des programmes d"aide sociale selon les modalités prévues par les Lignes directrices, politiques et procédures concernant les services communautaires autochtones pour le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse (les Lignes directrices).



[4]          Dans le cadre de l"administration des programmes visés par les accords, y compris les programmes d"aide sociale, l"appelant est responsable envers le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre). Pour sa part, le ministre est responsable envers le Parlement.



[5]          Le Parlement a adopté le Régime d"assistance publique du Canada (le RAPC), qui prévoyait le partage des coûts avec les provinces des programmes de soutien du revenu. Le préambule de la Loi énonce :

Considérant que le Parlement du Canada, reconnaissant que l"instauration de mesures convenables d"assistance publique pour les personnes nécessiteuses et que la prévention et l"élimination des causes de pauvreté et de dépendance de l"assistance publique intéressent tous les Canadiens, désire encourager l"amélioration et l"élargissement des régimes d"assistance publique et des services de protection sociale dans tout le Canada en partageant dans une plus large mesure avec les provinces les frais de ces programmes,2



[6]          La partie II du RAPC s"intitule " Protection sociale des Indiens ". Le paragraphe 11(2), qui se trouve dans la partie II, autorise le ministre des Ressources humaines et le ministre responsable pour le MAINC à conclure, avec l"approbation du gouverneur en conseil, des accords avec une province pour faire bénéficier de prestations d"aide sociale provinciale les Indiens résidant habituellement avec leur bande dans une réserve, avec le consentement du Conseil de la bande.



[7]          L"article 13 prévoit qu"en l"absence d"accord de cette nature, une province n"est pas tenue de fournir de l"aide sociale aux Indiens résidant habituellement dans une réserve aux termes d"un accord général de protection sociale visé par la partie I du RAPC.



[8]          La province de la Nouvelle-Écosse n"a conclu aucun accord visé par la partie II du RAPC.



[9]          Hormis le RAPC, le Parlement n"a adopté aucune disposition législative prévoyant expressément de l"aide sociale pour les Indiens et leurs familles qui résident habituellement dans une réserve indienne. Depuis 1964, toutefois, le Conseil du Trésor a élaboré une politique autorisant le MAINC à fournir de l"aide sociale aux Indiens. Cette politique s"exprime en partie comme suit dans un document intitulé Background of the Development of the Social Assistance Program :

[TRADUCTION]
Le gouvernement fédéral a une responsabilité générale envers les Indiens aux termes de l"article 91 de l"Acte de l"Amérique du Nord britannique, qui confère au Canada compétence exclusive sur les Indiens et sur les terres réservées aux Indiens.
L"article 88 de la Loi sur les Indiens prévoit que, sous réserve des dispositions de tout traité ou de toute autre loi fédérale, toutes les lois provinciales d"application générale s"appliquent aux Indiens, sauf dans la mesure où elles sont incompatibles avec la Loi sur les Indiens.
Avant 1964, la Direction des affaires indiennes du ministère de la Citoyenneté et de l"Immigration administrait un programme d"aide sociale utilisant une structure et des taux de prestations nationaux. Des échelons d"allocation alimentaire ont été établis par le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Les bandes ayant des ressources étaient tenues de mettre de côté une partie de leurs fonds de revenus détenus en fiducie pour assumer le coût de l"aide sociale et les frais funéraires pour les membres de la bande qui étaient dans le besoin. Des problèmes d"inéquité se produisaient entre les Indiens vivant dans une réserve et ceux vivant hors réserve et entre les Indiens et les non-Indiens relativement aux services fournis.
La délibération du Conseil du Trésor numéro 627879, datée du 16 juillet 1964, a autorisé le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à adopter les taux et modalités d"aide sociale provinciaux et municipaux aux fins de l"octroi d"une protection sociale aux Indiens.
L"expression " Protection sociale " était interprétée en 1964 de manière traditionnelle et correspondait à la protection sociale fournie par les municipalités, à l"aide générale fournie par les provinces, à l"aide sociale, etc. À cette époque, la plupart des gouvernements provinciaux administraient des programmes d"aide spécialisée comme l"allocation aux aveugles, l"allocation aux handicapés et les régimes d"assistance-vieillesse, et les coûts de ces programmes étaient partagés avec le gouvernement fédéral. Certaines provinces administraient et finançaient des programmes d"allocations aux mères et en faisaient bénéficier les Indiens résidant dans une réserve.
Le ministère a ensuite cessé d"exiger que les bandes indiennes utilisent leurs fonds pour assumer le coût de l"aide sociale, de sorte que des fonds supplémentaires étaient disponibles aux bandes pour les fins des infrastructures communautaires, du développement économique, etc.
En 1966, le Régime d"assistance publique du Canada a été adopté par le gouvernement du Canada. Cette loi prévoyait le partage des coûts des programmes de soutien du revenu. Pour être admissibles au partage des coûts avec le gouvernement du Canada, les provinces ont aboli leurs programmes d"aide spécialisés et des programmes d"aide généraux ont été mis en oeuvre.
La partie II du Régime d"assistance publique du Canada prévoit la prestation de services aux Indiens visés par un traité qui vivent dans une réserve. Jusqu"à maintenant, aucune province n"a signé un accord visé par la partie II et le ministère administre toujours le programme d"aide sociale en vertu de la délibération du Conseil du Trésor 627879, qui définit la protection sociale de façon beaucoup plus restreinte que ne l"est la définition d"assistance publique contenue dans le Régime d"assistance publique du Canada.
Le bureau national du M.A.I.N.C. fournit aux bureaux régionaux des lignes directrices ou des directives en matière de détermination des parties des programmes généraux de soutien du revenu des provinces qui doivent être intégrées en tant que parties de son programme d"aide sociale. Certaines parties des programmes des gouvernements provinciaux (les échelons de taux) s"intègrent plus facilement que d"autres (les programmes de prestations).
Puisqu"il n"y a aucune disposition législative précise prévoyant le programme d"aide sociale du M.A.I.N.C., autre que la disposition prévue par la délibération du Conseil du Trésor 627879, les services fournis demeurent limités. Des inéquités au sens large se produisent dans des domaines comme les services de protection des enfants, des soins aux enfants, de la garde de jour et des foyers de soins.3




[10]          Le Conseil appelant n"a pas le pouvoir d"adopter des règlements relatifs aux prestations d"aide sociale aux personnes résidant dans la réserve.



[11]          Le programme d"aide sociale, qui est mentionné dans les Lignes directrices, ne s"applique qu"aux personnes résidant dans une réserve indienne, soit les [traduction ] " personnes vivant sur une réserve indienne ou qui résident sur une terre dont le titre de propriété est détenu par Sa Majesté du chef du Canada "4. Il vise principalement à bénéficier aux Indiens et à leurs familles, notamment les personnes à charge, lesquelles sont définies ainsi :


[TRADUCTION] " Personne à charge " L"époux ou toute personne vivant avec le demandeur ou le bénéficiaire maritalement, ou toute personne âgée de moins de 18 ans...5



[12]          En vertu des Lignes directrices, une demande d"aide sociale est faite par le " chef de famille " au nom de toutes les personnes à charge, y compris le(la) conjoint(e). Rien n"exige que la " personne à charge " soit un Indien inscrit6.



[13]          Les Lignes directrices autorisent également l"octroi d"aide sociale à certaines catégories de non-Indiens résidant dans une réserve7.



[14]          L"intimée Darlene MacNutt (MacNutt), une Indienne inscrite et une membre de la bande indienne de Shubenacadie (la bande), est mariée à Gordon MacNutt, un non-Indien. Ils vivent ensemble avec leurs enfants dans la réserve indienne de Shubenacadie (la réserve), dans la province de la Nouvelle-Écosse, au moins depuis le 24 avril 1987, date à laquelle ils se sont mariés.



[15]          En 1987 et à chaque année jusqu"en 1991, MacNutt a fait une demande d"aide sociale auprès de l"Administration d"aide sociale de la bande. Elle a indiqué dans chaque demande ses enfants et son mari non indien comme personnes à charge. À chaque année, l"appelant a autorisé l"octroi d"aide sociale pour elle et ses enfants, mais l"a refusé pour son mari.



[16]          Le 26 août 1991, MacNutt a interjeté appel contre le refus auprès de la commission d"appel établie en vertu des Lignes directrices. La Commission d"appel a conclu que le mari de MacNutt devait figurer dans le budget de la famille et que l"aide sociale devait être versée conformément aux Lignes directrices. L"appelant a refusé d"accepter la décision de la Commission d"appel et de payer conformément à cette dernière.



[17]          En août 1991, MacNutt a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), alléguant que le refus de l"appelant de permettre l"inclusion de son mari non indien dans le budget familial pour les fins des prestations d"aide sociale équivalait à de la discrimination fondée sur l"état matrimonial et sur le sexe.



[18]          De son côté, Gordon MacNutt a fait une demande d"aide sociale auprès de la municipalité de East Hants, dans la province de la Nouvelle-Écosse, où la réserve est située. On a toutefois refusé sa demande d"aide sociale parce qu"il résidait dans la réserve. Il a interjeté appel contre le refus auprès de la Commission d"appel du ministère des Services communautaires de la Nouvelle-Écosse. La Commission d"appel a rejeté l"appel.



[19]          John B. Pictou fils (Pictou), un Indien inscrit, est membre de la bande. Il a épousé Christine Pictou, une non-Indienne, le 29 juillet 1990, dans la réserve. Ils vivent ensemble avec leurs enfants dans la réserve depuis 1990.



[20]          En juillet 1990, de même qu"en 1991, Pictou a fait une demande d"aide sociale auprès du Conseil appelant. Dans sa demande, il a indiqué ses enfants et sa femme comme personnes à charge.



[21]          Il a reçu des prestations d"aide sociale tant pour son épouse non indienne que pour ses enfants au cours des deux années.



[22]          En avril 1992, l"appelant a décidé de cesser de verser des prestations d"aide sociale aux Indiens pour leurs conjoints non indiens. Par conséquent, de mai 1992 jusqu"à maintenant, l"appelant a refusé de verser des prestations d"aide sociale à Pictou pour son épouse non indienne.



[23]          Pictou a déposé auprès de la Commission une plainte invoquant la discrimination fondée sur l"état matrimonial de la part de l"appelant.



[24]          Lolita Knockwood est une non-Indienne. Le 24 août 1985, elle a épousé Garfield Knockwood (Knockwood), un Indien inscrit qui est membre de la bande et qui réside dans la réserve. Après le mariage, ils ont continué de résider dans la réserve. Knockwood a fait des demandes d"aide sociale pour lui-même et pour son épouse après leur mariage et, à chaque occasion, il a reçu des prestations pour les deux et ce, jusqu"en mai 1992, moment où on a refusé de lui verser une prestation pour son épouse non indienne.



[25]          Comme MacNutt, Pictou et Knockwood ont interjeté appel avec succès auprès de la commission d"appel établie en vertu des Lignes directrices à l"encontre du refus de l"appelant d"accorder de l"aide sociale pour leurs conjoints non indiens, mais, depuis 1992, l"appelant refuse toujours de verser des prestations d"aide sociale pour ces derniers et de se conformer aux décisions de la Commission d"appel.



[26]          Le 24 novembre 1992, Lolita Knockwood a déposé auprès de la Commission une plainte invoquant la discrimination fondée sur l"origine nationale ou ethnique, l"état matrimonial et la race.



[27]          Le MAINC s"est expressément engagé à rembourser au Conseil appelant toute prestation d"aide sociale de base versée par ce dernier aux membres de la bande indienne pour les non-Indiens résidant dans la réserve, et il a, dans les faits, remboursé le Conseil appelant pour les prestations versées à John Pictou et à Garfield Knockwood, avant mai 1992, pour leur conjointe non indienne respective.



[28]          En temps voulu, la Commission a nommé le Tribunal pour qu"il entende les plaintes et celui-ci a rendu la décision qui a donné lieu au présent appel.

LA DÉCISION DU TRIBUNAL



[29]          Le Tribunal était chargé de l"audition des trois plaintes déposées par les personnes intimées. Toutefois, la plainte déposée par James S. Pictou II, le frère de John B. Pictou fils, qui vit également dans la réserve, a été ajournée sine die avec le consentement de toutes les parties ayant comparu devant le Tribunal. Les autres plaintes ont été entendues conjointement.



[30]          Au terme de l"audience, le Tribunal a conclu que les plaignants avaient tous démontré l"existence de discrimination à leur égard, contrairement à l"article 5 de la LCDP, et il a ordonné :

     1.      que l"appelant mette fin à la pratique discriminatoire de priver de prestations d"aide sociale les conjoints non indiens des Indiens résidant dans la réserve;
     2.      que rétroactivement au 22 mars 1991, l"appelant inclue dans le budget d"aide sociale de MacNutt l"aide sociale relative à son mari Gordon MacNutt;
     3.      que l"appelant verse des prestations d"aide sociale à Lolita Knockwood et à Christine Pictou à compter de la date de leur appel respectif auprès de la commission d"appel établie en vertu des Lignes directrices, soit le 14 mai 1992;
     4.      que le montant de 11 675,66 $ que MacNutt aurait eu droit de recevoir soit compensée par la somme de 17 514,15 $ qu"elle doit à la bande, et que l"appelant verse, relativement à MacNutt, des prestations d"aide sociale pour son mari, Gordon MacNutt, à compter de la date où une compensation équitable est opérée;
     5.      que l"appelant verse à Lolita Knockwood la somme de 5 196,80 $ en sus des autres prestations d"aide sociale habituelles auxquelles elle aurait eu droit du 11 octobre 1994 à la date de l"ordonnance, soit le 11 octobre 1995;
     6.      que l"appelant verse à Pictou la somme de 5 565,07 $ en sus des autres prestations d"aide sociale auxquelles il aurait eu droit après le 11 octobre 1994;
     7.      qu"étant donné que la décision de l"appelant de refuser d"effectuer les versements relatifs aux trois plaignants était délibérée et que tous les plaignants ont souffert sur le plan de l"estime de soit en raison de la conduite de l"appelant, que ce dernier verse, en application du paragraphe 53(3) de la LCDP, les dommages-intérêts suivants :
             Darlene MacNutt      5 000 $
             Lolita Knockwood      1 500 $
             John B. Pictou fils      1 000 $
         en plus d"un intérêt simple au taux de 5 % par année, rétroactivement au 13 mai 1987 pour MacNutt et au 14 mai 1992 pour Knockwood et Pictou8.

LE JUGEMENT RENDU PAR LA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE



[31]          Comme je l"ai déjà dit, l"appelant a présenté à la Section de première instance une demande de contrôle judiciaire contre la décision du Tribunal. La demande a été entendue par un juge des requêtes, qui l"a rejetée le 30 octobre 1997.



[32]          En rejetant les prétentions de l"appelant, le juge des requêtes a conclu :

     a)      que les conjoints non indiens vivant dans la réserve faisaient partie du " public " visé par l"article 5 de la LCDP;
     b)      que l"article 67 de la LCDP ne soustrayait pas au contrôle en matière de droits de la personne la décision du Conseil appelant touchant l"admissibilité à l"aide sociale parce que la décision n"était pas autorisée par la Loi sur les Indiens ;
     c)      qu"étant donné la preuve dont il était saisi, le Tribunal pouvait conclure qu"il n"y avait aucun motif justifiable de rejeter les plaintes faites au nom des plaignants;
     d)      que le Tribunal avait compétence pour recevoir les plaintes de violation de l"article 5 de la LCDP parce que le contrat de prestation d"aide sociale intervenu entre le MAINC et l"appelant relevait de la compétence législative du Parlement en vertu du pouvoir fédéral de dépenser;
     e)      que l"article 25 de la Charte canadienne des droits et libertés9 (la Charte) ne s"appliquait pas de façon autonome, mais qu"elle tenait lieu de bouclier protégeant les droits des Autochtones, qu"il soient ancestraux, issus de traités ou autres, contre les conséquences négatives possibles de la Charte;
     f)      que le droit d"appliquer un programme d"aide sociale financé par le gouvernement ne découlait pas d"un traité autochtone ni d"un droit ou d"une liberté propre aux peuples autochtones du Canada et que, par conséquent, l"article 25 de la Charte ne s"appliquait pas;
     g)      De façon incidente, le juge des requêtes a également conclu que le paragraphe 16(1) de la LCDP n"aidait pas l"appelant parce que, à son avis, les conjoints non indiens résidant dans la réserve étaient expressément visés par le paragraphe 3.01(2) des Lignes directrices comme des prestataires potentiels d"aide sociale10.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES



[33]          Les dispositions pertinentes de la LCDP prévoient :


2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

5. It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual,or

(b) to differentiate adversely in relation to any individual, on a prohibited ground of discrimination.

2. La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.



5. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d'installations ou de moyens d'hébergement destinés au public :

a) d'en priver un individu;

b) de le défavoriser à l'occasion de leur fourniture.

     [Non souligné dans l"original.]

16. (1) It is not a discriminatory practice for a person to adopt or carry out a special program, plan or arrangement designed to prevent disadvantages that are likely to be suffered by, or to eliminate or reduce disadvantages that are suffered by, any group of individuals when those disadvantages would be or are based on or related to the race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, marital status, family status or disability of members of that group, by improving opportunities respecting goods, services, facilities, accommodation or employment in relation to that group.

16.(1) Ne constitue pas un acte discriminatoire le fait d'adopter ou de mettre en oeuvre des programmes, des plans ou des arrangements spéciaux destinés à supprimer, diminuer ou prévenir les désavantages que subit ou peut vraisemblablement subir un groupe d'individus pour des motifs fondés, directement ou indirectement, sur leur race, leur origine nationale ou ethnique, leur couleur, leur religion, leur âge, leur sexe, leur état matrimonial, leur situation de famille ou leur déficience en améliorant leurs chances d'emploi ou d'avancement ou en leur facilitant l'accès à des biens, à des services, à des installations ou à des moyens d'hébergement.

[34]          Relativement au pouvoir du Parlement en matière d"Indiens et au pouvoir des législatures provinciales en matière d"aide sociale, la Loi constitutionnelle de 186711 prévoit :


91. It shall be lawful for the Queen, by and with the Advice and Consent of the Senate and House of Commons, to make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and for greater Certainty, but not so as to restrict the Generality of the foregoing Terms of this Section, it is hereby declared that (notwithstanding anything in this Act) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,...

.....

24. Indians, and Lands reserved for the Indians.


92. In each Province the Legislature may exclusively make Laws in relation to Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,

...

13. Property and Civil Rights in the Province.

...

16. Generally all Matters of a merely local or private Nature in the Province.

91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:

.....

24. Les Indiens et les terres réservées pour les Indiens.


92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:

...

13. La propriété et les droits civils dans la province;

...

16. Généralement toutes les matières d'une nature purement locale ou privée dans la province.

[35]          Relativement au pouvoir du Parlement de financer les programmes d"aide sociale dans les réserves indiennes, ce qui est appelé le pouvoir fédéral de dépenser, la Loi constitutionnelle de 186712 prévoit :

91...

1A. The Public Debt and Property.

....

3. The raising of Money by any Mode or System of Taxation.

106. Subject to the several Payments by this Act charged on the Consolidated Revenue Fund of Canada, the same shall be appropriated by the Parliament of Canada for the Public Service.

91...

1A. La dette et la propriété publiques.

....

3. Le prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation.

106. Sujet aux différents paiements dont est grevé par la présente loi le fonds consolidé de revenu du Canada, ce fonds sera approprié par le parlement du Canada au service public.

[36]          Les articles 15 et 25 de la Charte prévoient :


15. (1) Every individual is equal before and under the law and has the right to the equal protection and equal benefit of the law without discrimination and, in particular, without discrimination based on race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

15. (2) Subsection (1) does not preclude any law, program or activity that has as its object the amelioration of conditions of disadvantaged individuals or groups including those that are disadvantaged because of race, national or ethnic origin, colour, religion, sex, age or mental or physical disability.

25. The guarantee in this Charter of certain rights and freedoms shall not be construed so as to abrogate or derogate from any aboriginal, treaty or other rights or freedoms that pertain to the aboriginal peoples of Canada including

(a) any rights or freedoms that have been recognized by the Royal Proclamation of October 7, 1763; and

(b) any rights or freedoms that now exist by way of land claims agreements or may be so acquired.

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

15. (2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

25. Le fait que la présente charte garantit certains droits et libertés ne porte pas atteinte aux droits ou libertés " ancestraux, issus de traités ou autres " des peuples autochtones du Canada, notamment :

a) aux droits ou libertés reconnus par la proclamation royale du 7 octobre 1763;

b) aux droits ou libertés existants issus d'accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d'être ainsi acquis.

LES QUESTIONS EN LITIGE



[37]          Dans son mémoire des faits et du droit et par la plaidoirie de son avocat, l"appelant a soulevé les questions suivantes :

     a)      L"article 2 de la LCDP confère-t-il au Tribunal le pouvoir de rendre l"ordonnance qu"il a rendue?
     b)      La décision du chef et du Conseil de priver de prestations les conjoints non indiens est-elle visée par l"exception prévue par l"article 67 de la LCDP?
     c)      Le Tribunal a-t-il commis une erreur en définissant le " public " pertinent selon l"article 5 de la LCDP?
     d)      La LCDP est-elle sans effet en raison de l"effet combiné des articles 15 et 25 de la Charte?
     e)      La bande effectue-t-elle de la promotion sociale au sens du paragraphe 15(2) de la Charte?
     f)      Si un non-Indien n"a pas de permis ministériel pour vivre dans la réserve, peut-il néanmoins invoquer un droit fondé sur la résidence dans la réserve?


[38]          Au terme de la plaidoirie de l"avocat de l"appelant, la Cour a décidé de n"entendre les arguments de l"avocat des intimés que sur les première, quatrième et cinquième questions parce qu"elle estimait ne pas avoir besoin de l"aide de l"avocat des intimés relativement aux autres questions. Avec égards, je suis d"avis que, pour les motifs prononcés par le juge des requêtes, les autres questions ne sont pas fondées.



[39]          Je restreins donc mon analyse à ces trois questions.

ANALYSE



[40]          Je me prononce sur les quatrième et cinquième questions avant d"aborder la première.



[41]          Relativement à la quatrième question, l"appelant prétend que si la Cour devait conclure que l"article 5 de la LCDP s"applique à elle et que le Tribunal avait compétence pour se prononcer sur les plaintes, il reste que l"article 5 de la LCDP est incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte, interprété à la lumière de l"article 25 de la Charte, et qu"il est donc sans effet.



[42]          L"argument de l"appelant sur cette question est difficile à suivre et, selon moi, totalement dénué de fondement. L"essentiel de l"argument se trouve aux paragraphes 52, 53 et 54 de son mémoire des faits et du droit, que je reproduis ci-dessous pour en faciliter la référence :

[TRADUCTION]
52. Le professeur Pentney a également examiné la signification de l"expression " [autres] droits ou libertés [...] des peuples autochtones ", qui commence à la p. 55. Il a souligné que les " droits spéciaux ou uniques protégés par ce renvoi dans l"art. 25 pouvaient être divisés en deux grandes catégories : la catégorie constitutionnelle et la catégorie législative ou de common law ". Il a étayé cette dernière catégorie à la p. 56 :
     Les divers droits et libertés conférés par la loi et par la common law qui sont propres aux peuples autochtones sont naturellement visés par l"expression " [autres] droits ou libertés " figurant à l"art. 25. La source législative la plus importante de ces droits est la Loi sur les Indiens , bien que d"autres exemples de droits prévus par la loi qui sont propres aux peuples autochtones se trouvent facilement [citant le règlement sur les pêches des Territoires du Nord-Ouest].
À la note de bas de page 130, à la p. 56, le professeur Pentney a donné comme exemple de droit de common law qui est propre aux peuples autochtones : " mariage et adoption coutumiers ".
53. Ce que l"analyse du professeur Pentney démontre, selon notre prétention, est que peu importe la source invoquée pour expliquer la personnalité juridique de la bande ainsi que sa capacité de contracter, de recevoir un pouvoir délégué et d"administrer un programme d"aide sociale, qu"il s"agisse de la Loi sur les Indiens , d"une souveraineté autochtone inhérente fondée sur des droits ancestraux ou issus de traités ou de la reconnaissance par la common law, le gouvernement de la bande est un droit ou liberté spécial ou unique qui est propre aux peuples autochtones. Et l"exercice même du droit en l"espèce vise à maintenir le caractère autochtone distinct. À ce titre, le pouvoir et son exercice bénéficient de la protection de l"art. 25. Et l"art. 25 exige que l"art. 15 soit interprété à la lumière de l"art. 25, c.-à-d., que les notions normales d"égalité soient ajustées pour protéger le droit ou la liberté de la bande de gouverner au nom des Indiens. Dans la mesure où la LCDP ne joue pas ce rôle, elle est incompatible avec les exigences constitutionnelles de l"art. 15, interprété à la lumière de l"art. 25.
54. Il faut souligner le fait que toutes les parties admettent le droit, le statut, la capacité et le pouvoir du chef et du Conseil de la bande indienne de Shubenacadie, siégeant en tant que gouvernement de la bande, relativement à l"administration d"un programme d"aide sociale. Cette honorable Cour a souligné dans Batchewana, précité, au par. 5, que : " La fonction du chef et des conseillers de la bande consiste de façon générale à administrer les affaires courantes de la réserve et à prendre des décisions au sujet des terres et de l"argent de la bande, sous réserve de l"autorisation du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre) ". Par l"entremise de leur chef et de leur Conseil élus, les membres de la bande ont la capacité juridique unique de se gouverner eux-mêmes. La capacité juridique d"utiliser cette forme unique de gouvernement constitue sans aucun doute un " droit ou liberté des peuples autochtones du Canada ". À ce titre, elle bénéficie de la protection de l"art. 25 de la Charte. Ce " bouclier "protège la bande contre l"effet de nivellement des notions d"égalité qui sous-tendent le par. 15(1) de la Charte des droits et la LCDP. Le maintien du caractère autochtone distinct constituait l"objet essentiel de l"art. 25. Fournir une protection dans une affaire comme la présente était la mission fondamentale de l"art. 25. Il serait ironique que cet article n"accomplisse pas maintenant cette tâche essentielle.
     [Non souligné dans l"original.]



[43]          J"estime que la réponse à la prétention de l"appelant comporte trois volets. Premièrement, l"article 25 de la Charte a été jugé constituer un bouclier qui protège les droits qui y sont mentionnés contre les conséquences négatives possibles des autres droits garantis par la Charte. La Cour a expliqué l"objet de cet article dans Corbiere et al. c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) et al. :

L"article 25 joue un rôle différent de celui du paragraphe 35(1) parce qu"il ne peut être appliqué de façon indépendante. Il joue plutôt le rôle d"un [traduction] " mécanisme de protection qui fait en sorte que les autres droits garantis par la Charte ne portent pas atteinte aux droits ancestraux, issus de traités ou autres des peuples autochtones ". [Voir la note de bas de page 35] Si le droit de limiter le droit de vote aux seuls membres de la bande qui vivent dans une réserve était reconnu comme un droit ancestral au sens du paragraphe 35(1), l"article 25 aurait pour effet de garantir que ce droit n"est pas affaibli par application du paragraphe 15(1). [Voir la note de bas de page 36] Nous en sommes toutefois arrivés à la conclusion que l"existence d"un tel droit n"avait pas été établie.13

Cet article n"aurait pu être invoqué comme moyen de défense que s"il avait été jugé que la conduite de l"appelant avait contrevenu au paragraphe 15(1) de la Charte. Ce n"est pas le cas en l"espèce.



[44]          Deuxièmement, les personnes intimées ont indiqué dans leurs plaintes que le refus de l"appelant de leur verser des prestations d"aide sociale contrevenait à l"article 5 de la LCDP. Étant donné qu"elles n"ont pas allégué que l"appelant avait contrevenu à l"article 15 de la Charte, l"article 25 de la Charte ne s"applique pas en l"espèce. Troisièmement, l"appelant n"a pas fait la preuve du droit unique dont il affirme l"existence et qui serait visé par l"article 25 selon lui.



[45]          Ce que la preuve révèle, c"est qu"en vertu de l"accord de financement selon le mode principal, l"appelant a accepté d"exécuter l"obligation de distribuer les versements d"aide du gouvernement du Canada conformément aux modalités de l"accord et des Lignes directrices. J"estime qu"il est difficile de comprendre comment cette obligation pourrait être devenue, par le simple passage du temps, un droit constitutionnel protégé par l"article 25.



[46]          Le Tribunal a conclu que :

[...] le chef et le conseil de la bande indienne de Shubenacadie, une fois qu"ils ont signé l"accord de financement selon le mode principal, n"ont pas le pouvoir discrétionnaire de priver de prestations d"aide sociale les non-autochtones admissibles vivant dans la réserve. Cet accord oblige la bande à respecter les lignes directrices incorporées par renvoi dans ledit accord et ces lignes directrices elles-mêmes exigent " le traitement équitable de toutes les personnes qui résident dans la réserve "14.
     [Non souligné dans l"original.]

L"appelant ne conteste pas cette conclusion.



[47]          Quant à la cinquième question, à savoir si la conduite de l"appelant constitue de la promotion sociale au sens du paragraphe 15(2) de la Charte, je peux seulement dire que la question présume qu"on a conclu à la violation du paragraphe 15(1). J"ai déjà dit qu"il n"y avait eu aucune allégation et aucune conclusion en ce sens. En conséquence, je suis d"avis, avec égards, que cette question n"est pas pertinente et qu"elle totalement dénuée de fondement.



[48]          J"aborde maintenant la prétention de l"appelant quant à la première question, à savoir que l"article 2 de la LCDP ne confère pas au Tribunal le pouvoir de rendre l"ordonnance qu"il a rendue.



[49]          Le juge des requêtes a répondu à cette question par l"affirmative. Il a d"abord conclu que peu importe que la disposition relative à l"octroi d"aide sociale aux non-Indiens résidant dans la réserve relève de la compétence législative fédérale ou provinciale, les dépenses fédérales relatives à l"aide sociale en l"espèce relevaient de la compétence législative du Parlement et que, par conséquent, l"article 2 de la LCDP conférait compétence au Tribunal. Il a ensuite conclu que la compétence du Tribunal en matière de distribution par le Conseil de la bande des fonds destinés à l"aide sociale ne constituait pas de la " réglementation " d"une matière provinciale puisque le Conseil de la bande est un organisme constitué par le Parlement au moyen de la Loi sur les Indiens et qu"il est soumis à la LCDP sauf indications contraires du Parlement. Dans la présente affaire, le Parlement n"a donné aucune indication contraire.



[50]          Relativement à cette question, l"appelant prétend que le Tribunal n"avait pas compétence pour rendre l"ordonnance qu"il a rendue en l"espèce.




[51]          Cet argument s"articule ainsi. L"aide sociale est une matière relevant de la compétence législative provinciale en vertu des paragraphes 92(13) et 92(16) de la Loi constitutionnelle de 1867 ; par conséquent, la compétence législative du Parlement ne peut pas l"englober. Il s"ensuit donc que l"article 2 de la LCDP ne s"applique pas aux faits de l"espèce, de sorte que la Commission n"avait pas le pouvoir de recevoir la plainte et que le Tribunal n"avait pas compétence, sur le plan constitutionnel, pour rendre une ordonnance enjoignant le versement de prestations d"aide sociale aux non-Indiens.



[52]          L"appelant prétend également que l"absence de compétence du Tribunal découle des raisons suivantes : Premièrement, étant donné que les personnes à qui l"aide sociale a été refusée sont toutes des non-Indiens, la compétence législative du Parlement ne s"applique pas à elles; deuxièmement, étant donné que l"aide sociale aux résidents non indiens d"une réserve constitue une matière législative relevant de la compétence provinciale, la Constitution ne confère pas au Parlement le pouvoir d"utiliser ce qui est appelé son pouvoir de dépenser pour fournir de l"aide sociale aux non-Indiens vivant dans la réserve.



[53]          Relativement à cette question, l"intimé le Procureur général du Canada, se fondant sur les arrêts de la Cour suprême du Canada YMHA Jewish Community Centre of Winnipeg Inc. c. Brown15 et Renvoi relatif au régime d"assistance publique du Canada (C.-B.)16, prétend que le Parlement pouvait utiliser son pouvoir de dépenser pour fournir du financement dans des matières sur lesquelles il n"avait pas compétence pour légiférer en vertu de la Constitution. Par conséquent, même si, comme le prétend l"appelant, l"aide sociale en l"espèce relevait de la compétence provinciale, l"octroi d"aide sociale pouvait s"appuyer, au plan constitutionnel, sur le pouvoir de dépenser du Parlement.



[54]          Pour leur part, la Commission et les personnes intimées prétendent que la Commission avait compétence pour recevoir les plaintes et que le Tribunal avait compétence pour statuer sur les plaintes dans la présente affaire parce que l"octroi d"aide sociale s"appuie sur le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 ou sur le pouvoir fédéral de dépenser. Elles prétendent que, dans un cas ou l"autre, l"aide sociale en cause en l"espèce était conçu principalement pour le bénéfice des Indiens vivant dans une réserve et de leurs personnes à charge. Le fait que certaines personnes à charge étaient des non-Indiens ne change rien à l"indianité essentielle du programme. En conséquence, le refus de l"appelant d"accorder l"aide sociale relative aux conjoints non indiens en l"espèce est une matière relevant de la compétence du Parlement au sens de l"article 2 de la LCDP. La Commission avait donc compétence pour recevoir les plaintes de violation de l"article 5 de la LCDP tandis que le Tribunal avait compétence pour se prononcer à leur sujet.



[55]          Le juge des requêtes a fondé sa décision sur le pouvoir de dépenser mais, pour les motifs qui suivent, je préfère fonder ma conclusion que le Tribunal avait compétence pour statuer sur les plaintes déposées en application de l"article 5 de la LCDP sur le pouvoir conféré au Parlement par le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 .



[56]          Il ressort du document intitulé Background of the Development of the Social Assistance Program, que j"ai reproduit précédemment, que le gouvernement du Canada a décidé en 1964, par l"entremise des membres du Conseil du Trésor, de fournir de l"aide sociale aux Indiens vivant dans une réserve et à leurs familles. Ce document indique que cela a été fait dans l"exercice de ses fonctions constitutionnelles. Il ne fait également aucun doute que le programme a été conçu pour améliorer la situation des Indiens et de leurs familles.



[57]          La preuve démontre que, à la lumière du procès-verbal pertinent du Conseil du Trésor, le MAINC a conclu des accords de financement selon le mode principal et a préparé des accords régissant la distribution des prestations d"aide sociale qui sont entièrement financées par le gouvernement du Canada.



[58]          De plus, dans le présent appel, les demandeurs d"aide sociale sont tous des Indiens inscrits

qui sont membres de la bande. Ils ont reçu des prestations pour eux-mêmes et leurs enfants, mais on les leur a refusées pour leurs conjoints non indiens qui résidaient avec eux dans la réserve. À mon humble avis, le refus de verser des prestations aux demandeurs indiens relativement à leurs conjoints ne peut pas transformer ce qui est en fait un programme visant à améliorer la situationdes peuples autochtones (matière relevant de la compétence constitutionnelle du Parlement) en une matière relevant de la compétence provinciale simplement parce que des conjoints non indiens sont en cause.



[59]          Il faut souligner que le programme est conçu pour le bénéfice des Indiens. Seuls les Indiens qui sont membres de la bande et qui résident habituellement dans la réserve ont le droit de faire une demande de prestations pour eux-mêmes et pour leurs personnes à charge, qui doivent également résider habituellement dans la réserve.



[60]          Selon moi, il s"ensuit qu"un programme qui vise à promouvoir l"indianité et qui ne s"applique que sur le territoire de la réserve peut s"appuyer sur le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 en tant que programme relatif aux Indiens et aux terres réservées aux Indiens.



[61]          Avec égards, je suis donc d"avis que le Tribunal avait compétence pour rendre l"ordonnance qu"il a rendue.



[62]          Pour l"ensemble de ces motifs, je suis d"avis de rejeter l"appel avec dépens.

     " Julius A. Isaac "

     Le juge Isaac, J.C.A.

" Je souscris aux présents motifs

A.J. Stone, J.C.A. "

" Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton J.C.A. "

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.





Date : 20000524


Dossier : A-850-97

Ottawa (Ontario), le 24 mai 2000.


PRÉSENTS :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ISAAC

         LE JUGE SEXTON


ENTRE :


LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE SHUBENACADIE


appelant


et


LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE


et


DARLENE MACNUTT, LOLITA KNOCKWOOD, JOHN B. PICTOU FILS


et


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, REPRÉSENTANT LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN


intimés


     JUGEMENT

     L"appel est rejeté avec dépens.


     " A.J. Stone "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION D"APPEL


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              A-850-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      LE CHEF ET LE CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE

                     DE SHUBENACADIE c. CCDP

LIEU DE L"AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L"AUDIENCE :          Le 1er décembre 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE STONE

EN DATE DU :              24 mai 2000

ONT COMPARU :

Bruce H. Wildsmith, c.r.                  POUR L"APPELANT
René Duval                          POUR L"INTIMÉE LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

Michael Donovan                      POUR L"INTIMÉ LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bruce H. Wildsmith, c.r.                  POUR L"APPELANT
Barss Corner (Nouvelle-Écosse)             
René Duval                          POUR L"INTIMÉE LA COMMISSION
Commission canadienne des droits de la personne      CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
Morris Rosenberg                      POUR L"INTIMÉ LE PROCUREUR
Sous-procureur général du Canada              GÉNÉRAL DU CANADA
__________________

1      L.R.C. (1985), ch. H-6.

2      L.R.C. (1985), ch. c-1.

3      D.A., vol. XVII, aux pp. 2908 à 2910.

4      Ibid., à la p. 2792.

5      Ibid., à la p. 2791.

6      Ibid., à la p. 2828.

7      Ibid., à la p. 2825.

8      D.A., vol. I, aux pp. 136 à 139.

9      Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, étant l"annexe B de la Loi sur le Canada, 1982 , (R.-U.) 1982, ch. 11.

10      D.A., vol. I, aux pp. 5 à 37.

11      (R.-U.), 30 & 31 Victoria, ch. 3.

12      Ibid., et voir Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 3rd. ed. (Toronto: Carswell, 1992), à la p. 150.

13      [1996], 206 N.R. 85, à la p. 96.

14      D.A., vol. I, à la p. 92.

15      [1989] 1 R.C.S. 1532, aux pp. 1548 et 1549.

16      [1991] 2 R.C.S. 525, à la p. 564.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.