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Date : 20010313

Dossier : A-257-98

                                                                                                                  Référence : 2001 CAF 58

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                   SHARON BOWCOTT, au nom du conseil de bande

                        de la BANDE INDIENNE DES TSAWWASSEN, et les membres

         de la BANDE INDIENNE DES TSAWWASSEN, également connue sous le nom de

                                        PREMIÈRE NATION DES TSAWWASSEN

                                                                                                                                          appelantes

                                                                          - et -

                                                     MINISTRE DES FINANCES,

                                          MINISTRE DE L'ENVIRONNEMENT et

                                            VANCOUVER PORT CORPORATION

                                                                                                                                                intimés

                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                                                    (Prononcés à l'audience tenue à

                                  Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 mars 2001)

LE JUGE LINDEN

[1]                Il s'agit de l'appel d'une ordonnance de la Section de première instance qui a rejeté deux demandes de contrôle judiciaire relatives aux deux décisions suivantes :


1.          La décision du ministre des Finances du 23 février 1995 approuvant l'emprunt effectué par la Vancouver Port Corporation (VPC) auprès de la Société pour l'expansion des exportations, en vertu de l'article 127 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, pour la construction du terminal Deltaport;

2.          la décision du ministre de l'Environnement du 19 décembre 1995 concluant que l'art. 48 de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37 (la LCÉE) ne confère pas le pouvoir de renvoyer le projet Deltaport à un médiateur en vertu de l'article 29 de la Loi.

En raison de ces deux décisions, l'appelante soutient qu'une évaluation environnementale doit être faite en vertu de l'article 5 de la LCÉE.

Les faits

[2]                L'appelante Sharon Bowcott était le chef élu de la Première nation des Tsawwassen (PNT), qui constitue une bande au sens de la Loi sur les Indiens. Cette bande d'environ 300 personnes détient une réserve d'environ 640 acres dans le détroit de Georgie, dans une région appelée Roberts Bank et située dans l'estuaire du fleuve Fraser.


[3]                La Vancouver Port Corporation (VPC) est une société d'État au sens de la Loi sur la gestion des finances publiques qui exploite notamment des installations portuaires à Roberts Bank, lesquelles ont été construites en 1970. Au début, il y avait seulement un terminal de port charbonnier d'environ 49 acres lié à la terre par un pont-jetée de quatre kilomètres. Cette installation a été agrandie de façon périodique. Elle se composait initialement de quatre aires, dont deux servaient pour le charbon en vrac tandis que les deux autres n'étaient pas exploitées. Dans les années 90, il a été proposé d'installer un terminal à conteneurs dans une des aires (le projet).

[4]                Ce projet de nouveau terminal à conteneurs a été approuvé par le conseil d'administration de la VPC le 17 novembre 1992, la construction a commencé en septembre 1993 et le terminal a été achevé en juin 1997, un peu plus tard que prévu.

[5]                Lorsque la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale est entrée en vigueur en janvier 1995, la construction du projet était en cours depuis 16 mois. Du coût total estimé du projet – 180 millions de dollars – environ 80 millions de dollars avaient déjà été dépensés ou engagés en janvier 1995.

[6]                Aucune évaluation environnementale du projet n'a été effectuée en vertu de la nouvelle LCÉE ou du régime qui l'a précédée, soit le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (DLDPÉEE). La VPC a décidé d'y aller de son propre examen puisqu'elle considérait ne pas être tenue de se conformer à l'un ou l'autre de ces régimes en raison du fait qu'elle était une société d'État. (Voir l'article 8 de la Loi)


[7]                La PNT s'y oppose en prétendant que ses intérêts n'ont jamais été convenablement pris en considération lors d'un examen, même si elle admet avoir rencontré la VPC à plusieurs reprises au fil des années pour discuter de ses préoccupations. De plus, il y a eu de nombreux avis au sujet de ces ouvrages, qui n'ont pas été réalisés en secret.

Analyse

[8]                Il a été convenu par l'avocat de l'appelante que la question préliminaire à trancher dans le présent appel consistait à savoir si le projet de terminal à conteneurs constituait un « projet » assujetti à la LCÉE. L'article 5 de la LCÉE prescrit une évaluation environnementale relativement à certains « projets » énumérés. Il n'est pas contesté que s'il n'y a aucun « projet » auquel la LCÉE s'applique, les autres motifs d'appel ne sont pas pertinents. Cette question préliminaire sera donc examinée dès le départ.

[9]                Le juge de la demande a conclu qu'aucune évaluation environnementale n'était requise aux termes de la LCÉE parce que le « projet » en question n'était pas visé par la définition de « projet » figurant au paragraphe 2(1) de la LCÉE. Cette définition énonce en partie :

« projet » Réalisation – y compris l'entretien, la modification, la désaffectation ou la fermeture – d'un ouvrage ou proposition d'exercice d'une activité concrète, non liée à un ouvrage, ...


[10]            Les motifs du juge de la demande expliquent qu'étant donné que la Loi exige que les évaluations soient terminées « avant la prise d'une décision irrévocable » et « le plus tôt possible au stade de la planification » d'un projet, la LCÉE « n'est censée s'appliquer qu'aux projets qui n'en étaient, à compter du 19 janvier 1995, qu'à l'étape préliminaire, et à l'égard desquels aucune décision irrévocable n'avait été prise » . Puisque la construction du projet en question avait commencé avant l'entrée en vigueur de la LCÉE en janvier 1995, le juge a conclu que ce projet ne constituait pas un « projet » au sens de la LCÉE, de sorte qu'aucune évaluation environnementale n'était requise en vertu de cette loi.

[11]            Nous ne pouvons voir aucune erreur dans ce raisonnement. La LCÉE tente de prévenir les effets environnementaux défavorables possibles des projets auxquels participe le gouvernement fédéral afin de garantir un développement durable. Les autorités responsables sont tenues de déterminer si un projet doit aller de l'avant et, dans l'affirmative, de quelles mesures d'atténuation il doit être assorti. Une fois qu'un projet est approuvé et que la construction est légalement commencée, cette approbation ne peut pas être réexaminée. Cela ne signifie pas que les autorités responsables ne peuvent pas superviser les projets après le début de la construction et même après la fin des travaux. Elles le peuvent. Elles doivent veiller à ce que les conditions d'approbation soient respectées et que les mesures d'atténuation soient mises en place. La définition de « projet » figurant dans la Loi, toutefois, indique clairement que les évaluations environnementales doivent être effectuées seulement en ce qui a trait aux ouvrages proposés qui en sont toujours au stade de la planification.

[12]            Il faut souligner que le Shorter Oxford English Dictionary définit ainsi le mot [traduction] « proposer » ( « to propose » ) :

[TRADUCTION]

- présenter pour examen (to put forward for consideration ...)

- présenter pour acceptation (to put forward for acceptance)


- soumettre à un tiers [...] une chose qu'on offre de faire ou qu'on souhaite être faite (to lay before another ... something which one offers to do or wishes to be done.)

[13]            Si le législateur en avait décidé autrement, cela aurait été inéquitable pour ceux qui sont chargés de la construction de projets puisque ces projets pourraient être arrêtés ou modifiés à tout moment au cours du processus de construction et peut-être même par la suite. Le législateur a fait en sorte qu'il y ait un certain caractère définitif au processus d'évaluation en définissant le mot « projet » comme il l'a fait. Il fallait éviter la rétroactivité. Le juge de la demande avait raison de reconnaître cela dans sa décision.

[14]            Nous sommes d'avis que la disposition transitoire de la LCÉE (l'art. 74) n'aide pas l'appelant. Cet article prévoit que le DLDPÉEE continue de s'appliquer relativement aux projets qui, avant l'entrée en vigueur de la LCÉE, ont été renvoyés par le ministre de l'Environnement pour examen public et pour lesquels une commission d'évaluation environnementale a été formée. L'appelante soutient qu'étant donné que le ministre n'a pris aucune mesure de ce genre, la LCÉE s'applique à ces projets. Cette prétention est sans fondement. Cet article visait à éviter qu'un nouveau régime procédural soit imposé relativement à des questions déjà sous examen en vertu du DLDPÉEE. Il ne visait pas à établir un nouveau régime d'examen, aux termes de la LCÉE, aux projets qui étaient déjà en construction, comme il a été expliqué précédemment.

[15]            L'avocat a admis que, s'il n'y avait aucun « projet » au sens de la Loi, ses arguments fondés sur le paragraphe 48(1) ne pouvaient pas être acceptés. Nous ne nous prononçons donc pas sur la validité de son argument portant sur le fond de ce paragraphe.


[16]            Comme il a été indiqué précédemment, il n'y a pas lieu que nous nous prononcions sur les autres questions soulevées par l'appelante puisque celles-ci reposent toutes sur l'applicabilité de la LCÉE, qui, comme nous l'avons conclu, ne s'applique pas parce qu'il n'y avait aucun projet au sens de la Loi.

[17]            Bien entendu, la présente décision ne porte nullement atteinte au droit des appelantes d'utiliser d'autres voies de recours en vue de remédier à ce qu'elles considèrent être des violations de leurs droits ancestraux ou d'autres droits.

[18]            L'appel est rejeté, un seul ensemble de frais étant accordé à la VPC pour le présent appel et pour l'appel en cause dans le dossier A-259-98.

« A.M. Linden »

      J.C.F.C.

Le 13 mars 2001

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                               A-257-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Sharon Bowcott et autres c. Ministre des Finances et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 12 mars 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :    Le juge Linden

EN DATE DU :                                   13 mars 2001

ONT COMPARU

Harry Slade/John Mostowich                                                     POUR LES APPELANTES

Paul Partridge                                                                            POUR L'INTIMÉ

Ministre de l'Environnement

Bradley Armstrong/                                                                   POUR L'INTIMÉ

Diana Valiela                                                                             Vancouver Port Corporation

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Ratcliffe & Company                                                                 POUR LES APPELANTES

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                                                      POUR L'INTIMÉ

Ministère de la Justice                                                    Ministre de l'Environnement

Vancouver (C.-B.)

Lawson Lundell Lawson & MacIntosh                           POUR L'INTIMÉE

Vancouver (C.-B.)                                                                    Vancouver Port Corporation

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