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Date : 19990617


Dossier : A-205-98

CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU


     Affaire intéressant la Loi de l'impôt sur le revenu

ENTRE

     LA SUCCESSION DE FEU JAN REISS,

     appelante,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.




Audience tenue à Montréal (Québec), le lundi 14 juin 1999

Jugement rendu à Montréal (Québec), le jeudi 17 juin 1999


MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :      LE JUGE DESJARDINS




Date : 19990617


Dossier : A-205-98

CORAM :      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

     Affaire intéressant la Loi de l'impôt sur le revenu

ENTRE



LA SUCCESSION DE FEU JAN REISS,


appelante,


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.




MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l'audience à Montréal le jeudi 17 juin 1999)


LE JUGE DESJARDINS

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision par laquelle la Cour canadienne de l'impôt1 a accueilli l'appel que l'appelante avait interjeté contre une nouvelle cotisation d'impôt établie par le ministre du Revenu national pour l'année d'imposition 1990.

[2]      Jan Reiss est décédé le 12 janvier 1990. Il possédait une part de 50 p. 100 dans un terrain non bâti situé à Halifax (Nouvelle-Écosse). Le juge de la Cour de l'impôt a conclu, aux fins de la détermination du gain en capital imposable réalisé par suite de la disposition réputée, que la valeur du bien-fonds était de 246 000 $ au 31 décembre 1971 (le jour de l'évaluation) et de 1 436 000 $ au moment du décès, le 12 janvier 1990.

[3]      La propriété était composée de 25,89 acres et elle était en bonne partie assujettie à un zonage résidentiel, mais environ deux acres étaient affectés à des fins commerciales2. La propriété était initialement composée d'environ 31 acres, mais 5,084 acres ont été expropriés en 1975. En 1975, l'Expropriations Compensation Board de la Nouvelle-Écosse a évalué à 18 000 $ l'acre les terrains expropriés3.

[4]      L'appelante allègue qu'en établissant la valeur du bien-fonds en 1971, le juge de la Cour de l'impôt a omis de tenir compte du montant accordé lors de l'expropriation.

[5]      Nous sommes d'accord.

[6]      Le juge de la Cour de l'impôt a dit qu'il accordait peu d'importance au montant accordé lors de l'expropriation parce qu'il s'agissait d'une " vente forcée ". En fait, il n'a pas du tout tenu compte de ce montant.

[7]      Selon la jurisprudence4, il aurait fallu tenir compte de ce montant eu égard à toutes les circonstances de l'affaire et il aurait fallu le retenir, sous réserve de l'importance à lui accorder. Les circonstances de l'affaire étaient uniques en leur genre. Un nombre peu élevé de propriétés comparables ont été vendues au cours des années contemporaines du jour de l'évaluation. D'autre part, le montant accordé lors de l'expropriation se rapportait à une ancienne partie du bien-fonds ici en cause. Le juge de la Cour de l'impôt aurait dû vérifier si le montant accordé lors de l'expropriation, en 1975, représentait en fait la valeur d'un bien-fonds assujetti à une vente forcée. En particulier, il aurait dû vérifier si le montant comportait les caractéristiques établies par la jurisprudence lorsqu'il s'agit d'accorder moins d'importance à ce genre d'évaluation5 et s'il existait des éléments étrangers qui avaient pour effet de falsifier le chiffre normalement obtenu dans le cas d'une vente sur le marché libre6, qui est réputée représenter la juste valeur marchande de la propriété. Il aurait dû tenir compte du fait que le montant accordé lors de l'expropriation avait été fixé par un tribunal spécialisé à la suite d'un long litige destiné précisément à établir la juste valeur marchande d'une partie du bien-fonds.

[8]      En rejetant carrément pareil montant, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas tenu compte de la preuve pertinente provenant d'un tribunal spécialisé et, par conséquent, il a appliqué le droit d'une façon erronée dans l'affaire dont il était saisi.

[9]      En second lieu, l'appelante allègue que le juge de la Cour de l'impôt aurait dû déduire du montant qu'il a retenu en établissant la juste valeur marchande de la propriété au 12 janvier 1990 ce qu'il en avait coûté pour amener la conduite d'égout jusqu'à la propriété en cause.

[10]      Dans ses motifs de jugement, le juge de la Cour de l'impôt a dit à deux reprises qu'il ne tenait pas compte de pareil élément séparément puisqu'il l'avait déjà fait en déterminant la valeur de la partie résidentielle et de la partie commerciale du bien-fonds.

[11]      Nous ne sommes pas entièrement convaincus qu'il l'ait fait.

[12]      Il y avait deux types de coûts en cause dans l'installation du système d'égouts. L'un se rapportait à ce qu'il en coûtait pour amener le système d'égouts au bien-fonds (les coûts ailleurs que sur place). Il y avait également les frais d'installation des stations de pompage sur certaines parties du bien-fonds, destinées à compenser l'absence d'écoulement par gravité causé par une mauvaise topographie (les coûts sur place).

[13]      L'expert de l'appelante, M. Weatherby, a conclu que la propriété valait environ 35 000 $ l'acre pour un terrain viabilisé, mais il aurait ensuite déduit de la valeur du bien-fonds un montant de 140 000 $ pour les frais ailleurs que sur place, soit environ 5 500 $ l'acre.

[14]      Dans son rapport, l'expert de l'intimée, M. Chappell, dit que les meilleurs indicateurs de la valeur de la partie résidentielle du bien-fonds en cause étaient les biens comparables 6 (dont le prix d'achat était de 28 930 $ l'acre) et 7 (dont le coût moyen était de 42 365 $ l'acre). Compte tenu de la mauvaise topographie, il fallait installer une station de pompage sur ces deux propriétés pour que les services puissent être distribués d'une façon appropriée. L'expert a ensuite conclu ce qui suit7 :

[TRADUCTION]
Les meilleurs indicateurs de la valeur de la propriété en cause sont considérés comme étant les biens comparables 6 et 7. Les deux propriétés sont situées passablement près du bien-fonds en question et faisaient l'objet d'un zonage R-1. Les valeurs de ces parcelles de terrain à l'exclusion du coût des stations de pompage d'eau d'égout, variaient de 28 930 $ l'acre à 42 365 $ l'acre, la moyenne étant de 35 647 $ l'acre.
     [...]
Les biens comparables 6 et 7 sont considérés comme constituant les meilleurs indicateurs de la valeur du bien-fonds en cause et, pour un terrain non viabilisé, leur valeur varie de 28 930 $ à 42 365 $. Cela étant, la valeur unitaire estimée du bien-fonds en cause en tant qu'emplacement déboisé, est de 35 000 $ l'acre.
     [Je souligne.]

[15]      Dans son témoignage, M. Chappell a erronément déclaré qu'il n'en coûtait rien pour amener les services aux biens-fonds (en parlant probablement des coûts ailleurs que sur place). Toutefois, à son avis, des frais devaient être engagés pour distribuer les services sur les biens-fonds8 (en parlant probablement des frais sur place).

[16]      Cela allait à l'encontre de ce que M. Weatherly avait fait. Il avait déduit de la valeur du bien-fonds, à 35 000 $ l'acre, un montant de 140 000 $ à l'égard du coût de raccordement des conduites d'égout (les coûts ailleurs que sur place).

[17]      Dans sa décision, le juge de la Cour de l'impôt a dit ce qui suit, à la page 1467 :

M. Chappell croit que les terrains considérés en l'espèce sont analogues à la partie du bien comparable 6 évaluée à 28 930 $ l'acre et à la partie du bien comparable 7 évaluée à 42 365 $ l'acre. Il a fait la moyenne de ces deux chiffres et est arrivé au montant de 35 648 $, qu'il a arrondi à 35 000 $. Toutefois, si les terrains considérés en l'espèce avaient été facilement aménageables, les valeurs plus élevées des biens comparables 6 et 7 auraient été utilisées. Concernant le bien comparable 6 utilisé par M. Chappell, une autre partie, soit précisément 10,5 acres, s'est vendue un an plus tard 300 000 $, ce qui équivaut à un prix de 28 571 $ l'acre.

[18]      Le juge a ensuite ajouté ce qui suit, aux pages 1473 et 1474 :

Pour ce qui est de l'approche fondée sur les ventes comparables, les deux parties étaient essentiellement d'accord que la valeur de la composante résidentielle du bien considéré en l'espèce au 12 janvier 1990 devrait être fixée à 35 000 $ l'acre. Je dis " essentiellement d'accord ", car je ne néglige pas le fait que l'appelante a déduit 140 000 $ des valeurs attribuées à la composante résidentielle et à la composante commerciale, pour tenir compte des frais à engager pour que le bien considéré en l'espèce soit raccordé à la canalisation municipale d'égout. Je suis convaincu que la valeur de la composante résidentielle du bien considéré en l'espèce, y compris tous les frais à engager, est de 35 000 $ l'acre au 12 janvier 1990. La valeur totale de la partie résidentielle du bien est donc de 835 500 $, c'est-à-dire 23,9 acres x 35 000 $.

[19]      Il est certain que M. Chappell a déduit certains montants pour les terrains non viabilisés et qu'il est arrivé au chiffre rond de 35 000 $ l'acre. Cependant, on ne sait pas trop ce qu'il entendait par " terrain non viabilisé " parce qu'il semble parler uniquement des coûts sur place.

[20]      En ce qui concerne l'élément commercial du bien-fonds, M. Chappell a déclaré ce qui suit9 :

[TRADUCTION]
R. Compte tenu de ce que je viens de dire, j'estimais que la valeur du bien-fonds serait de quinze dollars (15 $) s'il était possible de l'aménager simplement " de plein droit "; mais ici encore, il n'y a pas de services d'égouts. L'analyse que j'ai faite se rapportait, si vous vous rappelez les valeurs résidentielles peu élevées, aux propriétés comparables six (6) et sept (7), les terrains résidentiels; j'ai dit qu'un terrain viabilisé qui était prêt à être aménagé valait, qu'il valait quarante et un mille dollars (41 000 $) l'acre.
Et sinon, il valait trente-cinq mille dollars (35 000 $) l'acre. Il y a une différence de 14,6 p. 100. Quarante et un mille dollars (41 000 $) moins trente-cinq mille dollars (35 000 $), divisés par quarante et un mille dollars (41 000 $) donne 14,6 p. 100.
     Q. De sorte que la différence entre une propriété viabilisée...
     MONSIEUR LE JUGE :
     Q. Vous avez utilisé le même pourcentage?
     R. Exactement, j'ai appliqué le même pourcentage à la propriété en cause.
     Me MARIE-ANDRÉE LEGAULT :
     Q. De sorte que cela explique la première note.
R. Oui, j'ai donc utilisé 14 p. 100, 14,6 p. 100. J'ai réduit les quinze dollars (15 $) en tant que valeur de liquidation de 14,6 p. 100 et cela me donne, selon mes calculs, douze dollars et quatre-vingts cents (12,80 $) que vous voyez au haut de la page.

[21]      Le juge de la Cour de l'impôt a conclu ce qui suit, à la page 1474 :

Je conclus que, dans la liste de biens comparables à la composante commerciale du bien considéré en l'espèce, les terrains comparables 19 du rapport de M. Weatherby et 15 du rapport de M. Chappell sont les meilleurs indicateurs de la valeur. J'ai conclu que la composante commerciale du bien devrait être évaluée à 12 $ le pied carré. Comme j'ai déterminé que la partie commerciale totale du bien est de 86 800 pieds carrés, sa valeur totale, à 12 $ le pied carré, est de 1 041 600 $.
[...]
Je n'ai pas considéré comme élément distinct le coût de raccordement du bien considéré en l'espèce à la canalisation d'égout, évalué par M. Weatherby à 140 000 $ sur la base d'une estimation de l'entreprise Project Consultants Limited, car ce coût a été pris en compte dans ma détermination de la valeur de la composante résidentielle et de la composante commerciale des terrains considérés en l'espèce.

[22]      La même confusion règne en ce qui concerne l'élément commercial du bien-fonds.

[23]      Pour plus de clarté, étant donné que l'affaire sera renvoyée au juge de la Cour de l'impôt, en ce qui concerne le premier motif d'appel, soit l'examen du montant accordé lors de l'expropriation, nous allons également lui renvoyer l'affaire en ce qui concerne le second motif d'appel, de façon à être certains qu'il a bien tenu compte des frais ailleurs que sur place applicables au bien-fonds non viabilisé dans son analyse des chiffres que les deux témoins experts lui ont soumis relativement à la valeur des éléments résidentiel et commercial du bien-fonds.

[24]      L'appelant aura droit au dépens en appel.

[25]      L'appelant demande également que les dépens devant la Cour de l'impôt lui soient adjugés en se fondant sur le fait que, s'il a gain de cause en appel, il devrait se voir adjuger ces dépens.

[26]      Étant donné que l'affaire est renvoyée au juge de la Cour de l'impôt, nous nous attendons à ce que ce dernier examine au besoin la décision antérieure qu'il a rendue au sujet des dépens une fois qu'il aura examiné les questions de fond.

[27]      L'appel est accueilli avec dépens, la décision du juge de la Cour de l'impôt est infirmée et l'affaire est renvoyée pour nouvel examen conformément à ces motifs.


     " Alice Desjardins "

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

    

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :      A-205-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Succession de feu Jan Reiss c.

     Sa Majesté la Reine

    

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :      les 14 et 17 juin 1999


MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (juges Desjardins, Décary, Létourneau) prononcés à l'audience par le juge Desjardins


ONT COMPARU :

Mitchell Klein      pour l'appelante

Marie-Andrée Legault      pour l'intimée


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mitchell Klein      pour l'appelante

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg      pour l'intimée

Sous-procureur général

du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Voir Succession Reiss c. La Reine (1998), 98 DTC 1455 (C.C.I.).

2      Voir Succession Reiss c. La Reine, 1455, aux p. 1455 et 1473.

3      Voir Hammerling et al. v. A.G. of Nova Scotia No. 1, 15 L.C.R. 236.

4      Leblanc v. City of Halifax 39 D.L.R. (3d) 672 à la p. 687 (C.A. N.-É.).

5      The King v. Eastern Trust Co., [1945] 4 D.L.R. 563 à la p. 568 (C. de l'É.).

6      Gagetown Lumber Co. Ltd. v. The Queen and A.G. for N.B., [1957] S.C.R. 44 aux p. 55 et 56.

7      DA, vol. I aux p. 190 et 191.

8      DA, Transcription des témoignages, vol. IV aux p. 761-762.

9      DA, Transcription des témoignages, vol. IV aux p. 712 et 713.

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