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Date : 20040126

Dossier : A-603-02

Référence : 2004 CAF 34

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE CHEF PERRY BELLEGARDE, EN SON NOM ET EN CELUI

DE TOUS LES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS ET DES BANDES INDIENNES DE LA SASKATCHEWAN;

LE PREMIER VICE-CHEF GREGORY AHENAKEW, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS ET DES BANDES INDIENNES DE LA SASKATCHEWAN;

LE CHEF LOUIS JOSIE, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION DENESULINE DE HATCHET LAKE;

LE CHEF BARRY AHENAKEW, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION AHTAHKAKOOP;

LE CHEF CLIFFORD STARR, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE STAR BLANKET;

LE CHEF MARCEL HEAD, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE SHOAL LAKE, ET

LE CHEF EDWARD J. MARTEN, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION DENESULINE DE FOND-DU-LAC

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                            intimé

                               Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan), le 14 janvier 2004.

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                    LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                 LE JUGE STRAYER

                                                                                                                                LE JUGE ROTHSTEIN


Date : 20040126

Dossier : A-603-02

Référence : 2004 CAF 34

CORAM :       LE JUGE STRAYER

LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

LE CHEF PERRY BELLEGARDE, EN SON NOM ET EN CELUI

DE TOUS LES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS ET DES BANDES INDIENNES DE LA SASKATCHEWAN;

LE PREMIER VICE-CHEF GREGORY AHENAKEW, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS ET DES BANDES INDIENNES DE LA SASKATCHEWAN;

LE CHEF LOUIS JOSIE, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION DENESULINE DE HATCHET LAKE;

LE CHEF BARRY AHENAKEW, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION AHTAHKAKOOP;

LE CHEF CLIFFORD STARR, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE STAR BLANKET;

LE CHEF MARCEL HEAD, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE SHOAL LAKE, ET

LE CHEF EDWARD J. MARTEN, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION DENESULINE DE FOND-DU-LAC

                                                                                                                                                       appelants

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                            intimé

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW


[1]                 Les appelants croient que certains aspects de la Loi sur les armes à feu, L.C. 1995, ch. 39, ne peuvent s'appliquer à eux sans porter atteinte aux droits de chasse qui leur sont garantis par certains traités conclus par les Autochtones, de même que par l'article 35 de laLoi constitutionnelle de 1982 (annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.)). Les dispositions contestées de la Loi sur les armes à feu exigent des appelants qu'ils enregistrent les armes à feu utilisées pour la chasse et qu'ils obtiennent certains permis. Le 4 juin 2001, ils ont intenté une action visant à obtenir un certain nombre de déclarations, dont notamment une déclaration selon laquelle la Loi sur les armes à feu ne s'applique pas aux Indiens de la Saskatchewan visés par un traité.

[2]                 Par un avis de requête déposé le 22 mars 2002, les appelants visaient à obtenir, en attendant l'issue de leur action, une mesure de redressement provisoire sous la forme d'une « injonction interlocutoire de nature constitutionnelle » qui interdirait à la Couronne d'appliquer la Loi sur les armes à feu ou le Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, aux appelants, ou d'en assurer l'observation à leur encontre, relativement à l'achat, à la possession ou à l'utilisation d'une « arme à feu ordinaire » ou de munitions, au sens précisé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783, en vue de l'exercice de leurs droits de chasse et de prédation ancestraux préexistants ou que la Couronne a promis de respecter dans les traités.

[3]                 Dans un jugement daté du 31 octobre 2002, un juge de la Cour fédérale a rejeté la demande d'injonction. Ses motifs sont maintenant répertoriés : Premières nations et des bandes indiennes de la Saskatchewan c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no 1517 (QL), 223 F.T.R. 64. Il s'agit d'un appel de cette décision.


[4]                 La décision d'accorder ou de refuser une injonction interlocutoire en est une de nature discrétionnaire qui ne pourra pas être renversée en appel en l'absence d'une erreur de droit ou d'une erreur de fait manifeste et dominante. Il n'est pas contesté que les principes applicables sont ceux énoncés dans l'arrêt Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110. Cette affaire a confirmé le critère à trois volets bien connu pour une injonction interlocutoire : (1) une question importante à juger, (2) un préjudice irréparable et (3) la prépondérance des inconvénients. En l'espèce, le juge a tenu compte du droit applicable et a rejeté la requête en injonction interlocutoire au motif que les appelants n'avaient pas démontré qu'ils subiraient un préjudice irréparable si l'injonction interlocutoire n'était pas accordée et que leur action était accueillie. Étant venu à cette conclusion, il n'a pas examiné la question de la prépondérance des inconvénients.

[5]                 Une injonction ressemblant à celle recherchée en l'espèce a été accordée dans la décision N.T.I. c. Canada (Attorney General), 2003 NUCJ 01, sur la requête de Nunavut Tunngavik Incorporated, représentant les bénéficiaires inuit de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Dans cette affaire, on avait conclu à un préjudice irréparable eu égard à la preuve concernant les difficultés auxquelles les Inuits faisaient face, en particulier ceux des régions éloignées, pour se conformer à la Loi sur les armes à feu. Il y avait également des éléments de preuve selon lesquels il pourrait y avoir un risque de disettes dans certaines collectivités si la chasse était restreinte en raison du non-respect de la Loi sur les armes à feu. Je ne me prononce pas sur le bien-fondé de cette décision. Je constate toutefois que de tels éléments de preuve n'ont pas été présentés en l'espèce.


[6]                 Il ne ressort pas du dossier que les appelants font face à plus de difficultés que toute autre personne pour se conformer à la Loi sur les armes à feu. Selon mon interprétation de l'argument des appelants, ils ne s'opposent pas à l'enregistrement ni à la délivrance de permis en tant que tels. Au contraire, ils se conformeraient à des exigences d'enregistrement et de délivrance de permis semblables dans l'ensemble à celles de la Loi sur les armes à feu si elles étaient imposées par une autorité autochtone. Fondamentalement, les appelants croient que s'ils se conformaient aux exigences de la Loi sur les armes à feu actuellement en vigueur, ils participeraient ou acquiesceraient à une violation des dispositions de certains traités conclus par les Autochtones parce que, selon eux, le gouvernement fédéral ne peut imposer de telles exigences sans violer certaines dispositions des traités. Par conséquent, le préjudice irréparable invoqué par les appelants devant la présente Cour est de la nature d'un affront apparent aux traités.

[7]                 En première instance, le juge a reconnu qu'il y avait un risque que les appelants subissent un certain préjudice s'ils ne peuvent pas chasser jusqu'à l'issue de leur action sans se conformer à la Loi sur les armes à feu. Il a toutefois conclu que le préjudice occasionné par la perte d'une ou de plusieurs saisons de chasse ne serait pas irréparable, parce qu'il pourrait y être remédié par l'octroi de dommages-intérêts ou par d'autres réparations pouvant être accordées au cas où l'action des appelants serait accueillie. Il pouvait raisonnablement, au vu du dossier, tirer cette conclusion et cela justifiait sa décision de rejeter la requête en injonction interlocutoire.


[8]                 Toutefois, même si j'étais prête à accepter la prétention des appelants selon laquelle la conformité à la Loi sur les armes à feu occasionnerait une atteinte irréparable à un droit issu d'un traité, je conclurais qu'aucune injonction interlocutoire ne devrait être accordée parce que, en l'espèce, l'intérêt public de permettre aux représentants du gouvernement d'administrer la Loi sur les armes à feu comme bon leur semble l'emporte sur l'objectif des appelants de contester la constitutionnalité de cette loi. Pour en arriver à cette conclusion, je suis guidée par le passage suivant de l'arrêt Metropolitan Stores (à la page 149) :

En bref, je conclus que, lorsque l'autorité d'un organisme chargé de l'application de la loi fait l'objet d'une attaque fondée sur la Constitution, aucune injonction interlocutoire ni aucune suspension d'instance ne devrait être prononcée pour empêcher cet organisme de remplir ses obligations envers le public, à moins que l'intérêt public ne soit pris en considération et ne reçoive l'importance qu'il mérite dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients. [...]

et également par ce passage de l'arrêt RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, aux pages 348 et 349 :

C'est la troisième étape du critère, celle de l'appréciation de la prépondérance des inconvénients, qui permettra habituellement de trancher les demandes concernant des droits garantis par la Charte. En plus du préjudice que chaque partie prétend qu'elle subira, il faut tenir compte de l'intérêt public. [...] Si la nature et l'objet affirmé de la loi sont de promouvoir l'intérêt public, le tribunal des requêtes ne devrait pas se demander si la loi a réellement cet effet. Il faut supposer que tel est le cas. [...]


[9]                 Bien que la Loi sur les armes à feu ait été considérablement commentée et critiquée par le public, on ne peut mettre en doute qu'elle a pour objet d'améliorer la sécurité publique en régissant l'accès aux armes à feu : Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu (Can.), [2000] 1 R.C.S. 783. Il existe un intérêt public considérable dans le maintien d'une loi valablement édictée et conçue pour la protection du public. Si et dans quelle mesure la Loi sur les armes à feu est susceptible d'atteindre cet objectif ne constitue pas une question qui peut ou qui devrait être tranchée à ce stade. L'octroi d'une injonction interlocutoire, comme l'ont demandé les appelants, créerait un vide juridique relativement à la possession et à l'utilisation d'armes à feu. À mon avis, les opinions sincères des appelants quant à l'étendue de leurs droits de chasse ne peuvent l'emporter sur l'intérêt public à ce qu'un tel vide soit évité.

[10]            À mon avis, le présent appel devrait être rejeté avec dépens.

                 « K. Sharlow »                  

            Juge

« Je souscris aux présents motifs

      B. L. Strayer, juge »

« Je souscris aux présents motifs

     Marshall Rothstein, juge »

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      A-603-02

INTITULÉ :                                                                  LE CHEF PERRY BELLEGARDE, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS ET DES BANDES INDIENNES DE LA SASKATCHEWAN;

LE PREMIER VICE-CHEF GREGORY AHENAKEW, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES MEMBRES DES PREMIÈRES NATIONS ET DES BANDES INDIENNES DE LA SASKATCHEWAN;

LE CHEF LOUIS JOSIE, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION DENESULINE DE HATCHET LAKE;

LE CHEF BARRY AHENAKEW, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION AHTAHKAKOOP;

LE CHEF CLIFFORD STARR, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE STAR BLANKET;

LE CHEF MARCEL HEAD, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION CRIE DE SHOAL LAKE, ET

LE CHEF EDWARD J. MARTEN, EN SON NOM ET EN CELUI DE TOUS LES AUTRES MEMBRES DE LA NATION DENESULINE DE FOND-DU-LAC

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                                           SASKATOON (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 14 JANVIER 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                      LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                   LES JUGES STRAYER ET ROTHSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                                LE 26 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Delia Opekokew

POUR LES APPELANTS                               

Mark Kindrachuk

POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Opekokew, Johnstone-Clarke

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LES APPELANTS                               

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR L'INTIMÉ


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