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Date: 19990629


Dossier: A-764-95

CORAM:      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     MONT-SUTTON INC.,

     intimée.

     Audience tenue à Montréal (Québec), le mercredi, 16 juin 1999

     Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le mardi, 29 juin 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT:      LE JUGE DESJARDINS

     LE JUGE DÉCARY


Date: 19990629


Dossier: A-764-95

CORAM:      LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     MONT-SUTTON INC.,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

[1]      La corporation, Mont-Sutton Inc. (corporation), a-t-elle droit pour les années d'imposition 1986 à 1989:

a)      à la déduction pour amortissement prévue à la catégorie 17 de l'Annexe II du Règlement de l'impôt sur le revenu (Règlement), au motif que ses pistes de ski sont, par suite de leur construction et aménagement, des biens amortissables?;
b)      au crédit au titre des bénéfices provenant de la fabrication et de la transformation au Canada d'articles destinés à la location, prévu à l'article 125.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Loi), au crédit d'impôt à l'investissement prévu au paragraphe 127(5) de la Loi pour la fabrication ou la transformation de marchandises à louer, et à la déduction pour amortissement prévue à la catégorie 29 du Règlement pour des biens qu'elle a acquis pour la fabrication ou la transformation de marchandises destinées à la location aux motifs qu'elle fabrique de la neige artificielle dont elle se sert abondamment pour enneiger les pistes de ski et qu'elle loue ces pistes enneigées aux adeptes du ski alpin?

[2]      Voilà les deux questions qui nous sont soumises par la voie de l'appel de Sa Majesté la Reine et de l'appel incident de Mont-Sutton Inc.

[3]      La réponse à la première question dépend de l'interprétation de la clause c) qui identifie certains des biens amortissables de la catégorie 17 et qui se lit pour la partie pertinente:

     Les biens qui autrement seraient compris dans une autre catégorie de la présente annexe et qui sont constitués par
     a)
     b)

Property that would otherwise be included in another class in this Schedule that is

a)

b)

     c) un chemin, un trottoir, une piste d'envol, un parc de stationnement, une aire d'emmagasinage ou une semblable construction en surface.

c) a road, sidewalk, airplane runway, parking area, storage area or similar surface construction.

[4]      Quant à la seconde question, qui est celle qui fait l'objet de l'appel incident, la réponse trouve sa source dans l'interprétation de la définition de "bénéfices de fabrication et de transformation au Canada" selon le paragraphe 125.1(3) de la Loi, celle de "bien admissible" prévue au paragraphe 127(9) de la Loi et celle de biens compris dans la catégorie 29 de l'annexe II du Règlement. La partie pertinente de ces dispositions en litige se lit:

     Art. 125.1(3) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article,
     "bénéfices de fabrication et de transformation au Canads" S'agissant des bénéfices de fabrication et de transformation au Canada d'une société pour une année d'imposition, la partie du total des montants dont chacun est le revenu que la société a tiré pour l'année d'une entreprise exploitée activement au Canada, déterminé en vertu des règles établies à cette fin par règlement pris sur recommandation du ministre des Finances, qui doit s'appliquer à la fabrication ou à la transformation au Canada d'articles destinés à la vente ou à la location.

Art. 125.1(3) In this section,

"Canadian manufacturing and processing profits" of a corporation for a taxation year means such portion of the total of all amounts each of which is the income of the corporation for the year from an active business carried on in Canada as is determined under rules prescribed for that purpose by regulation made on the recommendation of the Minister of Finance to be applicable to the manufacturing or processing in Canada of goods for sale or lease;

     "fabrication ou transformation" Ne sont pas visés par ces termes:
     l) toute fabrication ou transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location, si, pour une année d'imposition d'une société à l'égard de laquelle l'expression s'applique, moins de 10% de son revenu brut tiré de toutes les entreprises exploitées activement au Canada provenait:
         (i) de la vente ou de la location d'articles qu'elle a fabriqués ou transformés au Canada,

"manufacturing or processing" does not include

(l) any manufacturing or processing of goods for sale or lease, if, for any taxation year of a corporation in respect of which the expression is being applied, less than 10% of its gross revenue from all active businesses carried on in Canada was from

     (i) the selling or leasing of goods manufactured or processed in Canada by it, and
     Art. 127(9)
     "bien admissible" Relativement à un contribuable, bien (à l'exclusion d'un bien d'un ouvrage approuvé et d'un bien certifié) qui est:

Art. 127(9)

"qualified property" of a taxpayer means property (other than an approved project property or a certified property) that is

     a) soit un bâtiment visé par règlement, dans la mesure où le contribuable l'a acquis après le 23 juin 1975;

(a) a prescribed building to the extent that it is acquired by the taxpayer after June 23, 1975, or

     b) soit une machine ou du matériel visés par ràglement et que le contribuable a acquis après le 23 juin 1975,
     qui, avant l'acquisition, n'a été utilisé à aucune fin ni acquis pour être utilisé ou loué à quelque fin que ce soit, et:
     c) soit qu'il compte utiliser au Canada principalement à l'une des fins suivantes:
         (i) la fabrication ou la transformation de marchandises à vendre ou à louer,

(b) prescribed machinery and equipment acquired by the taxpayer after June 23, 1975,

that has not been used or acquired for use or lease, for any purpose whatever before it was acquired by the taxpayer and that is

(c) to be used by the taxpayer in Canada primarily for the purpose of

     (i) manufacturing or processing goods for sale or lease,
     Catégorie 29
     Les biens qui autrement seraient compris dans une autre catégorie de la présente annexe
     a) c'est-à-dire les biens fabriqués par le contribuable et dont la fabrication a été achevée après le 8 mai 1972, ou autres biens acquis par le contribuable après le 8 mai 1972,
         (i) et devant être utilisés directement ou indirectement par lui au Canada surtout pour la fabrication ou la transformation de marchandises en vue de la vente ou de la location, ou

Category 29

Property that would otherwise be included in another class in this Schedule

(a) that is property manufactured by the taxpayer, the manufacture of which was completed by him after May 8, 1972, or other property acquired by the taxpayer after May 8, 1972,

     (i) to be used directly or indirectly by him in Canada primarily in the manufacturing or processing of goods for sale or lease, or

Faits et procédure

[5]      La corporation exploite un centre de ski dans la région des Cantons de l'Est de la province de Québec depuis 1960. Pendant la période de 1986 à 1989, elle a ajouté de nouvelles pistes de ski alpin à un réseau existant.

[6]      L'ajout de nouvelles pistes requiert des travaux d'aménagement importants qui débutent par des études et des analyses sur le terrain quant à la sélection de l'endroit idéal pour construire la piste, à la délimitation de la pente, à la localisation des télé-sièges nécessaires pour desservir et relier ces pentes et à l'élimination des obstacles naturels pouvant nuire à l'aménagement des pistes.

[7]      L'enchaînement des travaux passe par des phases de nivelage du terrain, de coupe ou de plantation d'arbres selon les besoins afin d'éliminer des obstacles ou de prévenir l'érosion, de dynamitage, de remplissage des cavités, d'émondage des branches et de balisage des pistes. Il peut également s'avérer nécessaire de procéder à l'aménagement de canalisations de surface ou souterraines ou de ponceaux lorsque la piste ainsi projetée traverse ruisseaux ou plants d'eau. La piste qui traverse un sous-bois exige aussi des travaux particuliers: élimination des racines et des débris d'arbres cassés, enlèvement des souches d'arbres au moyen d'une pelle-mécanique, enfouissement des grosses roches et raclage de la nouvelle surface aménagée. Comme mesure additionnelle pour prévenir l'érosion, du foin est étendu sur la surface des pistes nouvellement aménagées. Cette opération d'épandage se fait manuellement et implique un transport par hélicoptère des matériaux et du personnel au sommet des pistes.

[8]      Le coût d'aménagement d'une nouvelle piste est de 10 000 $ à 15 000 $ l'acre et celui des matériaux ajoutés à la piste représente de 10% à 16% du coût total de la piste.

[9]      Pour les années d'imposition en litige, la corporation a conclu que ses nouvelles pistes de ski étaient des biens amortissables de la catégorie 17 de l'Annexe II du Règlement et elle a pris une déduction pour amortissement de 1 706 $, 6 916 $ et 7 156 $.

[10]      En ce qui a trait aux crédits réclamés, ceux-ci se rapportent à l'acquisition de biens destinés à la fabrication de neige artificielle et totalisent la somme de 70 746 $ pour la période en cause. Il fut mis en preuve que, compte tenu des conditions climatiques prévalant dans la région, l'achat d'un tel équipement était nécessaire pour maintenir et accroître la clientèle. 60% des pistes skiables sont recouvertes de neige artificielle.

[11]      Les revenus de la corporation tirés de la vente de billets de ski variaient entre 3 et 4.5 millions $ pour chacune des années d'imposition. Ceux provenant de services connexes (location de casiers, restauration, garderie, etc.) se situaient entre 163 000 $ et 326 600 $.

[12]      Ayant considéré que plus de 10% de ses revenus bruts provenaient de la location par les skieurs de la neige artificielle fabriquée par ses équipements, la corporation a déduit un crédit au titre des bénéfices de fabrication et de transformation qui lui a été refusé par le ministre du Revenu national (ministre). En outre, le ministre fut d'avis que l'équipement de fabrication de neige n'entrait pas dans la catégorie 29 de l'annexe II du Règlement et ne constituait donc pas un bien admissible au sens du paragraphe 127(9). De là le refus et de la déduction pour amortissement et du crédit d'impôt à l'investissement réclamés pour ce bien.

[13]      La corporation en appela à la Cour canadienne de l'impôt de la décision du ministre. L'appel du contribuable fut accueilli en partie. Le juge de cette Cour refusa le crédit au titre des bénéfices de fabrication et transformation, le crédit d'impôt à l'investissement et la déduction pour amortissement en rapport avec le bien de la catégorie 29 de l'Annexe II du Règlement. Mais il accorda la déduction réclamée pour les pistes de ski qu'il considéra être des biens de la catégorie 17 de ladite Annexe. D'où les deux appels qui sont devant nous.

L'appel incident portant sur le crédit au titre des bénéfices de fabrication et transformation, le crédit d'impôt à l'investissement et la déduction pour amortissement des biens de la catégorie 29

[14]      La corporation a droit à ces crédits et à la déduction pour amortissement si la neige artificielle qu'elle fabrique avec l'équipement qu'elle a acquis constitue un article ou une marchandise qu'elle loue au skieur. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a répondu négativement à cette question et j'estime que c'est à bon droit qu'il l'a fait.

[15]      En effet, il est évident que la corporation ne loue pas la neige artificielle comme telle tout comme il est évident que ce n'est pas l'asphalte que le propriétaire d'un terrain de stationnement pavé loue à la personne qui veut y garer son automobile. D'ailleurs le procureur de la corporation a admis que ce n'était pas la neige fabriquée qui était louée, mais plutôt des surfaces enneigées même si dans son mémoire il allègue que l'objet principal du contrat passé avec un skieur est la "jouissance de neige de qualité et en quantité suffisante"1. Or, la lecture des paragraphes 125.1(3) et 127(9) de la Loi ainsi que du texte du Règlement (catégorie 29) indique que c'est le bien fabriqué, qu'il s'agisse d'un article ou d'une marchandise, qui doit être loué. À partir du moment où ce bien fabriqué est incorporé à un autre ou en devient un accessoire, même important ou nécessaire, il perd son identité propre et n'est donc plus objet de location.

[16]      Dans l'arrêt Canada c. Hawboldt Hydraulics (Canada) Inc.2, le juge en chef Isaac, s'exprimant au nom de la Cour, constata que l'expression "en vue de la vente ou de la location" n'est pas définie et conclut qu'en l'espèce il s'agissait d'une loi commerciale et que, dans le monde du commerce, les mots ont un sens bien compris. Il ajoutait qu'en common law, "en vue de la vente" ne signifie pas "en vue de l'utilisation dans une réparation".

[17]      À mon humble avis, la situation est la même dans la présente instance. Les mots "destinés à la location" en rapport avec la marchandise fabriquée, i.e., la neige artificielle, ne signifient pas "destinés à être utilisée dans un autre bien loué ou pour la location d'un autre bien". Reprenant les propos du juge en chef en les adaptant aux faits de la présente affaire, "je doute qu'une personne informée oeuvrant dans le milieu des affaires puisse sérieusement prétendre que la fabrication de neige artificielle destinée à être utilisée dans l'amélioration d'une pente de ski constituait une fabrication en vue de la location"3.

[18]      Dans le cas présent, il apparaît clairement que l'objet principal du contrat passé avec le skieur alpin est la location d'un terrain spécifiquement aménagé pour la pratique de ce sport et que la neige, le degré de déclivité et les remonte-pentes sont des accessoires importants qui rendent le terrain propre à l'usage auquel il est destiné et ainsi favorisent sa location. Opérer le morcellement d'un tout et mettre l'emphase, comme le fait le procureur de la corporation, sur une partie de ce tout, si importante soit-elle, équivaut à tronquer la réalité commerciale et juridique de la transaction et à privilégier l'accessoire au détriment du principal.

[19]      Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter l'appel-incident avec dépens en faveur de Sa Majesté la Reine.

L'appel principal portant sur la déduction pour amortissement des pistes de ski en tant que biens de la catégorie 17

[20]      L'alinéa 20(1)a) de la Loi permet de déduire une partie du coût en capital de certains biens déterminés par règlement. Or, le paragraphe 1100(1) du Règlement de l'impôt sur le revenu autorise la déduction d'une partie du coût en capital des biens qui sont visés par l'Annexe II. Toutefois, le paragraphe 1102(2) de ce règlement exclut en ces termes le terrain sur lequel les biens ont été construits:

     Terrain         
     (2) Les catégories de biens décrits dans l'annexe II sont censées ne pas comprendre le terrain sur lequel les biens qui y sont décrits ont été construits ou sont situés.         

[21]      Un terrain ou fonds de terre sur lequel est érigée une construction ne peut donc faire l'objet d'amortissement4. De même, les travaux de défrichement, de nivellement ou de drainage d'un terrain ne sont pas amortissables, sauf en matière agricole où le législateur a prévu l'exception suivante à l'article 30 de la Loi:

     30. Malgré les alinéas 18(1)a) et b), est déductible dans le calcul du revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise agricole pour une année d'imposition tout montant qu'il paye avant la fin de l'année pour le défrichement ou le nivellement de la terre ou l'installation d'un système de drainage, dans le cadre de l'entreprise, dans la mesure où ce montant n'a pas été déduit pour une année d'imposition antérieure.         

[22]      Pour pouvoir se qualifier pour une déduction pour amortissement, la corporation doit établir que l'aménagement de ses pistes de ski, qui exige, entre autres, des opérations de défrichement et de drainage, ne participe pas d'un simple aménagement du terrain et constitue, en fait, d'une part une construction en surface et, d'autre part, que cette construction est semblable à celles que l'on retrouve énumérées à la catégorie 17c) de l'Annexe II du Règlement, soit un chemin, un trottoir, une piste d'envol, un parc de stationnement ou une aire d'emmagasinage.

[23]      Le terme "semblable" utilisé à la catégorie 17c), de toute évidence, qualifie la construction en surface et ce terme s'entend d'une construction en surface distincte de celles énumérées, mais qui y ressemble et y est comparable en ce que, tout en étant distincte d'elles, elle a des traits communs avec ces dernières.

[24]      De fait, le terme "semblable" est défini dans le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française5 par l'expression "qui ressemble à", "qui a de la ressemblance avec" et est synonyme de "comparable". "Comparable" signifie qui peut être comparé avec quelqu'un ou quelque chose grâce à des traits communs6. Il convient donc dans un premier temps d'identifier les traits communs qui caractérisent les constructions en surface distinctes qui sont énumérées au Règlement et, dans un deuxième temps, de se demander si la construction des pistes de ski constitue une construction en surface et, dans l'affirmative, si elle affiche les traits propres à celles énumérées.

[25]      Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a retenu comme trait commun à toutes les constructions en surface énumérées le fait que ce sont toutes des terrains aplanis et aménagés qui ont nécessité l'intervention de l'homme et dont le résultat final permet de les distinguer facilement d'un autre terrain dans son état naturel.

[26]      La représentante de Sa Majesté la Reine a, devant nous, reproché au juge de ladite cour d'avoir, pour pouvoir en venir à cette conclusion, erronément eu recours à la règle d'interprétation ejusdem generis pour interpréter l'expression "semblable construction en surface". Il a soutenu en se fondant sur l'arrêt Slaight Communications Inc. c. Davidson7 que la règle ejusdem generis ne pouvait s'appliquer en l'espèce puisqu'une des conditions essentielles à son application faisait défaut, à savoir que les termes de l'énumération n'avaient en commun aucune caractéristique significative permettant qu'on puisse les considérer comme des espèces d'une catégorie de choses.

[27]      Avec respect, je crois que ce reproche est mal fondé et qu'à tout événement, même s'il était bien fondé, cela ne changerait rien au résultat.

[28]      De fait, le législateur identifie, à la catégorie 17c), une catégorie de choses, soit les constructions en surface, dont le chemin, le trottoir, la piste d'envol, le parc de stationnement et l'aire d'emmagasinage sont des espèces et à laquelle peut s'ajouter une autre espèce semblable. En outre, comme nous l'avons vu précédemment, l'emploi du mot "semblable" nous amène inéluctablement à chercher un ou des traits communs aux constructions en surface qui sont énumérées afin de pouvoir déterminer si la construction en surface en litige se compare à ces dernières. Je crois que le juge de la Cour canadienne de l'impôt s'est inspiré de la bonne approche pour l'interprétation de l'expression "semblable construction en surface". Ce qu'il faut se demander plutôt, c'est: a-t-il retenu la bonne caractéristique significative commune à chacune des espèces ou, si l'on préfère, le trait commun propre à toutes ces constructions en surface?

[29]      J'avoue bien candidement qu'il est plus facile de poser la question que d'y répondre. L'Annexe II du Règlement contient une liste hétéroclite et déroutante de biens classifiés par catégories. Au delà du fait que les biens de cette Annexe représentent la presque totalité des biens en capital nécessaires à l'exploitation d'une entreprise à l'exception du fonds de terre, il est pratiquement impossible de voir le lien conducteur, s'il en est, entre les diverses catégories et même entre les biens d'une même catégorie. Pour aggraver la situation, tantôt le mot "road" a été traduit en français par le mot "route", tantôt par le mot "chemin" qui a une portée plus large8. Par exemple, une route est définie dans le Petit Robert comme une "voie de communication terrestre aménagée, plus importante que le chemin, située hors d'une agglomération ou reliant une agglomération à une autre"9. Chemin fait référence à une "voie qui permet d'aller d'un lieu à un autre"10.

[30]      De même, le terme "parking area" est devenu en français, soit parc de stationnement, soit terrain de stationnement11. "Storage area" réfère à une aire d'emmagasinage12, à une zone d'entrepôt13 ou à une aire d'entreposage14. Enfin, l'expression "similar surface construction" que l'on rencontre dans les catégories 1g), 10l)(ii), 17c) et 37a)(i) devient une "semblable construction en surface", une "construction de surface semblable" et "d'autres constructions en surfaces semblables"!

[31]      J'ajouterais comme dernière touche à ce sombre tableau que personne ne nous a éclairés sur l'approche interprétative qu'il convient de prendre à l'égard de l'Annexe II: Faut-il interpréter les catégories les unes par rapport aux autres? Faut-il à l'intérieur d'une même catégorie interpréter les nombreuses énumérations les unes par rapport aux autres? ou Faut-il à l'intérieur d'une même énumération se limiter à interpréter les termes qui y apparaissent les uns par rapport aux autres?

[32]      Peu importe l'approche interprétative choisie, un fait demeure: la catégorie 17c) regroupe artificiellement, et considère comme des constructions en surface, des éléments disparates pour lesquels l'aspect construction est, dans certains cas, on ne peut plus minimal.

[33]      La représentante de Sa Majesté la Reine a soutenu devant nous que la caractéristique commune à l'énumération de la catégorie 17c) réside dans le fait que les items qui y sont mentionnés ont tous une certaine fondation. Si cela peut être généralement, quoique pas obligatoirement, le cas pour un chemin, un trottoir et une piste d'envol, il en va autrement pour un parc de stationnement ou une aire d'emmagasinage. Le parc de stationnement n'a pas à être pavé selon les termes de la catégorie 17 et le terme "aire" qui qualifie l'emmagasinage est défini dans le Petit Robert comme "toute surface plane" ou le "lieu de certaines activités". Celle-ci n'a pas non plus à être pavée et, comme le parc ou le terrain de stationnement, elle ne requiert pas de fondation spéciale et elle se caractérise par peu de sophistication. Nous sommes, à toute fin pratique, en ce qui a trait à ces biens en présence beaucoup plus d'une construction par la vocation ou la destination qu'on lui assigne que par l'apport de matériaux proprement dit et l'ampleur des travaux qui y ont été consacrés, lesquels peuvent à peine dépasser, s'ils la dépassent, une simple opération de nivellement.

[34]      Enfin, avant de discuter des caractéristiques de ces constructions en surface, il importe de se rappeler que l'on peut construire en ajoutant à la matière existante, en transformant celle-ci ou sa destination, ou en la remodelant.

[35]      Ces considérations énoncées et toujours présentes à l'esprit, il m'apparaît que les caractéristiques suivantes sont communes aux cinq espèces de construction en surface de la catégorie 17c).

[36]      Premièrement, le terrain ou fonds de terre qui, suite aux transformations et aux travaux effectués, devient une construction en surface doit afficher un changement de configuration nettement discernable. Ce changement de configuration doit aller au-delà du simple défrichement et nivellement et, pour utiliser l'expression du juge de la Cour canadienne de l'impôt, doit permettre de le distinguer facilement d'un autre terrain dans son état naturel.

[37]      Deuxièmement, les constructions en surface de la catégorie 17c) occupent un espace délimité et identifiable comme tel, sont visibles et, à divers degrés, exigent un apport en matériaux pour pouvoir remplir la fonction à laquelle elles sont destinées. Par exemple, une aire d'emmagasinage peut être construite sur une surface rudimentaire, mais cette dernière sera délimitée et entourée de paramètres de sécurité assurant la préservation du matériel entreposé.

[38]      Troisièmement, parce que susceptibles d'usure, elles ont un besoin et un coût récurrents d'entretien pour conserver leur identité et leur vocation. Ainsi, un terrain de stationnement perd de sa valeur s'il devient impraticable par suite d'une détérioration occasionnée par l'usage et un manque d'entretien. De même, le terrain de stationnement non pavé que l'on laisse pousser en friche revient à l'état naturel, perd sa configuration distinctive ainsi que sa vocation et son identité et cesse d'être une construction en surface.

[39]      À mon avis, les pentes de ski construites par la corporation Mont-Sutton Inc. qui font l'objet du présent ligite rencontrent ces trois critères et sont une construction en surface semblable à celles énumérées à la catégorie 17c) de l'Annexe II du Règlement.

[40]      La preuve révèle indubitablement que la construction des nouvelles pentes de ski a exigé des travaux et un apport de matériaux qui dépassent le stade du défrichement et du nivellement. Le produit final est, au plan formel, nettement discernable d'un terrain à son état naturel. Toute personne qui, de la rive sud du fleuve St-Laurent, à des dizaines de kilomètres au loin, a vu les pentes de ski du Mont-Ste-Anne, particulièrement le soir lorsqu'elles sont illuminées, ne peut que convenir qu'il ne s'agit plus d'une montagne à son état naturel et ne peut que reconnaître la construction en surface. Elle peut y voir, bien tracé, délimité et entretenu, le chemin que doivent emprunter les skieurs pour se rendre en toute sécurité à leur destination. Il en va de même du Mont-Sutton. En outre, comme un terrain de stationnement, l'espace est délimité, identifiable comme tel et la construction en surface identifie bien la vocation à laquelle le site est destiné. Enfin, la preuve révèle que les pentes de ski sont susceptibles de détérioration par l'érosion et l'usage et nécessitent des mesures d'entretien analogues à celles requises par les autres constructions en surface de la catégorie 17c). Ces constructions en surface ont une vie utile différente et indépendante du fonds de terre sur lequel elles sont érigées.

[41]      J'ai tenté de donner un sens à l'énumération qui se trouve au paragraphe c) de cette catégorie. Dans l'hypothèse où je n'y suis pas parvenu et où l'ambiguïté demeure, celle-ci doit bénéficier au contribuable15.

[42]      Pour ces motifs, je suis d'avis, tout comme pour l'appel-incident, de rejeter l'appel principal avec dépens contre l'appelante, Sa Majesté la Reine.

     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.

"J'y souscris

     Alice Desjardins j.c.a."

"Je suis d'accord

     Robert Décary j.c.a."

__________________

1      Mémoire des faits et du droit de l'appelante-incidente Mont-Sutton Inc., p. 49, par. 78 à 80.

2      [1995] 1 F.C. 830, à la p. 847 (C.A.F.).

3      Id.

4      Sa Majesté la Reine c. Hampton Golf Club, T-6075-79, C.F.; Oriole Park Fairways Ltd. v. M.N.R., 56 DTC 537 (C.A.I.); Laurentide Motels Ltd. c. M.N.R., 60 DTC 500, aux pages 501 et 504 (C.A.I.).

5      Dictionnaires Le Robert, Paris, éd. 1996, p. 2068.

6      Id., à la p. 418.

7      [1989] 1 R.C.S. 1038, à la p. 1071.

8      Les catégories 1g ), 17c) et 37a)(i) parlent de chemin alors que les catégories 10l)(ii) et p) réfèrent à une route.

9      Dictionnaires Le Robert, Paris, éd. 1996, p. 2006.

10      Id., à la p. 357.

11      Les catégories 1g ), 17c) et 37a)(i) traitent de parc de stationnement alors que la catégorie 10l)(ii) utilise les mots "terrain de stationnement".

12      Catégories 1g ) et 17c).

13      Catégorie 10l )(ii).

14      Catégorie 37a )(i).

15      CUQ c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3, à la p. 20.

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