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Date : 20011019

Dossier : A-270-00

                                                   Référence neutre : 2001 CAF 312

CORAM :     LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE                 

ENTRE :

YOUNG DOO JANG

                                                                 appelant

                                         

                                       et            

                                    

                                                                    

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                                                     intimé

                                                                            

                          MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE


[1]                 Il s'agit d'un appel interjeté à l'égard d'une ordonnance de M. le juge Gibson portant rejet d'une demande de contrôle judiciaire relative à une décision par laquelle un agent des visas de l'ambassade du Canada à Manille, aux Philippines, a refusé de délivrer un visa d'immigrant à l'appelant en invoquant la non-admissibilité de sa conjointe pour raisons médicales. Le juge Gibson a estimé que les fonctionnaires du ministère qui ont omis de rendre public ou de communiquer à l'appelant les mises à jour ou les modifications du Guide du médecin agréé 1992 (le Guide 1992) n'avaient pas commis d'iniquité procédurale à l'endroit de M. Jang. Il a également conclu que la théorie de l'attente raisonnable ou légitime, qui a été soulevée relativement à la distribution continue du Guide 1992, qui ne contenait aucun avis indiquant qu'il pouvait être incomplet ou périmé,n'était pas applicable aux faits en l'espèce.

[2]                 Le juge Gibson n'a pas prononcé de motifs, mais il a certifié les questions suivantes en vue de leur examen par notre Cour :

[traduction] Considérant que le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a publié le Guide du médecin agréé 1992 et qu'il a continué de le distribuer sur demande, notamment à l'époque où la décision faisant l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire a été prise :

a)              Le ministre a-t-il manqué à son obligation d'agir équitablement envers le demandeur en utilisant à son détriment des documents qui modifiaient le contenu du Guide, pour évaluer l'état de santé d'une personne à la charge du demandeur, sans publier ces documents ni les communiquer au demandeur, si aucune demande particulière relative à ces documents n'a été faite par le demandeur ou au nom de celui-ci?

b)              La publication et la distribution continue du Guide par le ministre, ou pour son compte, a-t-elle créé une attente raisonnable ou légitime permettant au demandeur de croire qu'il pouvait s'y fier, sans avoir à faire de demande particulière pour des documents qui pouvaient en modifier le contenu et avoir une incidence sur sa demande d'établissement?

[3]                 Je suis d'avis que la réponse à ces deux questions devrait être négative.


[4]                 L'appelant est un citoyen de la Corée du Sud qui voulait obtenir en 1998 le statut de résident permanent pour lui et deux personnes à charge, sa conjointe et son fils. Avant de remplir sa demande de visa, il a consulté un avocat de Montréal au sujet de la situation médicale de sa conjointe, qui avait subi une greffe du rein en 1989.

[5]                 L'avocat a communiqué avec un médecin des Services de santé, à Ottawa, qui l'a informé que, dans les cas comme celui de la conjointe de l'appelant, le Guide 1992 était utilisé à titre indicatif. Après avoir consulté le Guide 1992, il a avisé l'appelant que, conformément à ce guide, les patients greffés avec une fonction rénale anormale devaient être déclarés non admissibles. Par contre, les patients dont le taux de créatine sérique était inférieur au seuil précisé, un an après la greffe, pouvaient être considérés comme ayant une fonction rénale normale et ainsi être déclarés admissibles en vertu de la catégorie M-3.

[6]                 Dans leur formulaire de demande, l'appelant et son épouse ont nié avoir déjà été atteints de maladies ou désordres graves; une fausse déclaration qui a par la suite été imputée à leurs conseillers privés en matière d'immigration en Corée du Sud.


[7]                 Les entrevues avec M. Jang et sa famille ont été exclues, mais des examens médicaux ont été effectués. La conjointe de l'appelant a été examinée par deux médecins à Séoul qui ont conclu qu'au moment où la demande a été présentée, Mme Jang avait besoin d'être traitée continuellement avec des médicaments coûteux afin de prévenir le rejet de l'organe greffé; une situation qui durait depuis quelque onze ans, soit depuis la greffe. Ces renseignements ont été envoyés à un médecin agrée de l'ambassade du Canada à Manille. Ce médecin a conclu que l'état de santé et la thérapie en cours de la conjointe de l'appelant risquaient d'entraîner un fardeau excessif pour les services de soins de santé canadiens. Cette conclusion a été confirmée par un autre médecin agréé à Ottawa.

[8]                 L'appelant a reçu une lettre datée du 29 mars 1999 de la section des visas de l'ambassade du Canada à Manille expliquant que l'état de santé de sa conjointe pourrait empêcher son admission au Canada, en vertu du sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration, et l'invitant à fournir des renseignements médicaux additionnels dans un délai de soixante jours. Une copie du formulaire d'avis médical avec le diagnostic posé par le médecin agrée et une explication de l'évaluation médicale ont également été fournies à M. Jang.

[9]                 M. Jang n'a pas fait réévaluer l'état de santé de sa conjointe par un autre médecin agréé. Il a plutôt renvoyé le premier rapport médical avec une photocopie d'une page du Guide 1992, en mentionnant que sa conjointe satisfaisait aux critères d'admissibilité énoncés sur cette page.

[10]            Les mêmes médecins, les Drs Hindle et Saint-Germain, ont examiné la réponse de l'appelant et décidé que la conclusion à laquelle ils en étaient venus initialement devait être maintenue. Autrement dit, Mme Jang devait être considérée non admissible en vertu de la catégorie M-5. Cette décision n'était pas fondée sur le Guide 1992, mais bien sur des mises à jour non officielles subséquentes du Guide 1992, qui faisaient état du coût élevé des médicaments prescrits aux patients greffés, particulièrement la cyclosporine, un médicament utilisé dans la thérapie que Mme Jang continuait de suivre.


[11]            L'agent des visas a rejeté la demande de statut de résident permanent de l'appelant en se fondant sur le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de la Loi sur l'immigration qui se lit comme suit :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

a) celles qui souffrent d'une maladie ou d'une invalidité dont la nature, la gravité ou la durée probable sont telles qu'un médecin agréé, dont l'avis est confirmé par au moins un autre médecin agréé, conclut :

(a) persons, who are suffering from any disease, disorder, disability or other health impairment as a result of the nature, severity or probable duration of which, in the opinion of a medical officer concurred in by at least one other medical officer,

(ii) soit que leur admission entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé;

(ii) their admission would cause or might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services;

[12]            Les demandes d'admission au Canada à titre d'immigrant sont assujetties à la décision discrétionnaire d'un agent des visas qui doit tenir compte de certains critères prévus par la loi pour prendre sa décision. Lorsque ce pouvoir conféré par la loi a été exercé de bonne foi et conformément aux principes de justice naturelle et que la décision n'a pas été fondée sur des considérations non pertinentes ou étrangères à l'objet de la législation, les tribunaux ne devraient pas intervenir (Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, pages 7 et 8; To c. Canada, [1996] A.C.F. no 696 (C.A.F.)).


[13]            Il est bien établi que l'agent des visas a l'obligation d'agir équitablement dans le processus d'examen et de décision relatif à une demande de visa d'immigrant. S'exprimant au nom de la Cour dans l'arrêt Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 2 C.F. 205 (C.A.F.), le juge Stone a déclaré ce qui suit à la page 215 :

[¼] Toutefois, j'estime qu'avant de statuer sur la demande et de prendre la décision à laquelle il était légalement tenu, l'agent aurait dû informer l'appelant de l'appréciation négative et lui donner la possibilité de la corriger ou de la réfuter.

[14]            À mon avis, l'obligation d'agir équitablement dans les demandes d'immigration n'implique pas que l'agent des visas doive communiquer à un candidat tous les détails de la méthode d'évaluation des médecins agréés ou les divers aspects du processus décisionnel suivi par les fonctionnaires du ministère. Elle exige plutôt de l'agent des visas qu'il donne au candidat la possibilité de répondre adéquatement à une évaluation médicale défavorable, pourvu toujours que le formulaire d'avis médical préparé par le médecin agréé en énonce clairement les motifs.

[15]            Il ressort, d'après les faits en l'espèce, que l'intervention de l'agent des visas qui a envoyé à M. Jang une copie du formulaire d'avis médical précisant les coûts médicaux à venir, le diagnostic, le pronostic et les services sociaux et de soins de santé nécessaires au maintien de l'état de santé de sa conjointe avec les résultats de l'évaluation médicale, en l'invitant à fournir des renseignements additionnels, est suffisante pour satisfaire aux exigences de l'obligation d'agir équitablement.


[16]            Dans la décision Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998) 140 F.T.R. 311 (C.F. 1re inst.), le juge Wetston a eu la possibilité de déterminer dans quelle mesure l'obligation d'agir équitablement devait se manifester entre le candidat et les médecins agréés dans le processus de consultation conduisant à la délivrance d'un visa ou au refus de délivrer un visa pour des raisons d'ordre médical. Dans cette affaire, les médecins agréés se sont fondés sur leur expertise médicale et sur de l'information probante à jour concernant les coûts des services requis par le candidat, mais ils ont omis de lui fournir cette information dans le processus de consultation. Il a été allégué que les médecins, en omettant de fournir les détails de l'information probante sur laquelle ils s'étaient fondés, avaient manqué à leur obligation d'agir équitablement. En rejetant l'argument de l'appelant, le juge Wetston a correctement décrit l'obligation d'équité procédurale en utilisant les termes suivants :

L'obligation d'agir avec équité est souple et doit être appliquée en fonction des circonstances de chaque cas. En l'espèce, l'obligation d'agir avec équité consistait à fournir au requérant une occasion réelle de porter à l'attention des médecins les faits se rapportant à l'état de santé de l'intéressé et elle visait aussi la question du fardeau excessif [...]

[17]            Dans d'autres décisions récentes, la Cour fédérale, Section de première instance, a statué que le défaut de fournir les renseignements demandés par un candidat quant aux critères applicables à sa demande pour lui permettre de produire un dossier complet pouvait constituer un manquement à l'obligation d'agir équitablement (voir Wong c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1998), IMM-3366-96 et Maschio c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1997), IMM-3354-96). Ces décisions se distinguent cependant des faits en l'espèce parce que M. Jang n'a fait aucune demande de renseignements et qu'il a plutôt choisi de se fier au Guide 1992.


[18]            M. Jang a également fait valoir que le défaut du ministre de procéder à la mise à jour du Guide 1992 créait une attente légitime qui permettait de croire que les directives qu'il renfermait seraient respectées. Il a allégué que s'il avait été mis au courant des nouveaux critères, il n'aurait jamais fait de demande du statut de résident permanent. Il a soutenu que cette attente légitime lui assurait une protection procédurale et que, par conséquent, sa demande devrait être réévaluée conformément aux directives du Guide 1992.

[19]            Cet argument est également mal fondé. Comme condition préalable à l'application de cette théorie, dans tous ses aspects, l'attente résultante doit être raisonnable ou légitime. L'appelant soutient avoir agi avec diligence raisonnable dans la détermination des critères applicables à sa demande. Toutefois, tel qu'il appert de l'affidavit qu'il a déposé, la confiance qu'il accordait au Guide 1992 se fondait comme suit :

[traduction] L'avocat a avisé l'appelant qu'il avait communiqué avec les services de santé à Ottawa et qu'il avait parlé à un médecin qui l'a informé que le Guide du médecin agréé 1992 était utilisé à titre indicatif pour les cas comme celui de la conjointe de l'appelant.                               [Non souligné dans l'original.]

[20]            À mon avis, cette demande de renseignements faite verbalement n'est pas suffisante pour créer une attente légitime, vu particulièrement le fait que les médecins agréés n'ont pas donné d'interprétation du Guide 1992 et que l'avocat de M. Jang est le seul à l'avoir fait.


[21]            En outre, toute l'importance que l'appelant accordait au Guide 1992 aurait dû être érodée par l'évaluation médicale qui a permis de classer la conjointe de l'appelant dans la catégorie M-5. L'argument soulevé par l'appelant en réponse à l'évaluation réitérait pourtant simplement la position adoptée antérieurement.

[22]            Je rejetterais l'appel. La réponse aux deux questions certifiées devrait être négative. Aucune des parties n'a réclamé les dépens et aucuns dépens ne devraient être adjugés.

                                                                                             « B. Malone »             

                                                                                                             Juge                  

« Je souscris aux présents motifs

      A.M. Linden, juge »

« Je souscris aux présents motifs

         Marc Noël, juge »

  

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


Date : 20011019

Dossier : A-270-00

Référence neutre : CAF 2001 312

CORAM :       LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                  YOUNG DOO JANG

                                            appelant

                            

                          et

                        

                        

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

                                              intimé

                                                         

           Audience tenue à Toronto (Ontario), le 10 octobre 2001.

           Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2001.

    

MOTIFS DU JUGEMENT :                                   LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                LE JUGE LINDEN

                                                                                        LE JUGE NOËL


Date : 20011019

Dossier : A-270-00

TORONTO (ONTARIO), LE 19 OCTOBRE 2001

CORAM :      LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

LE JUGE MALONE

ENTRE :

YOUNG DOO JANG

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION

intimé

                                                         

                                              JUGEMENT

L'appel est rejeté. La réponse aux deux questions certifiées est négative et aucuns dépens ne sont adjugés.

       « A.M. Linden »                   

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION D'APPEL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                          A-270-00

INTITULÉ :                              Young Doo Jang c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 10 octobre 2001

MOTIFS DU JUGEMENT :       LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :              LE JUGE LINDEN

LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :              Le 19 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Me Pamila Ahlfeld                                                                                                     POUR L'APPELANT

Me Clifford Luyt

Me Neeta Logsetty                                                                                                   POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Pamila Ahlfeld                                                                                                     POUR L'APPELANT

Me Clifford Luyt

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice                                        POUR L'INTIMÉ

Toronto (Ontario)             

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