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     Date: 19971209

     Dossier: A-216-96

CORAM :      LE JUGE STRAYER
             LE JUGE LINDEN
             LE JUGE McDONALD

ENTRE

     DIANE NISHRI,

     requérante,

    

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

    

Audience tenue à Toronto (Ontario), le mardi 21 octobre 1997.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le mardi 9 décembre 1997.

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE STRAYER

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE LINDEN

     LE JUGE McDONALD

     Date: 19971209

     Dossier: A-216-96

CORAM :      LE JUGE STRAYER
             LE JUGE LINDEN
             LE JUGE McDONALD

ENTRE

     DIANE NISHRI,

     requérante,

    

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STRAYER :

Introduction

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par un juge-arbitre le 26 janvier 1996 en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage.

Les faits

[2]      La requérante a eu un enfant le 5 septembre 1990. Elle a présenté une demande en vue d'obtenir des prestations de maternité et a reçu ces prestations pendant 15 semaines, du 16 septembre au 29 décembre 1990. Vers le 12 novembre 1990, elle a demandé des prestations parentales qu'elle voulait commencer à recevoir le 30 décembre 1990, une fois que ses prestations de maternité seraient épuisées.

[3]      Après avoir été à l'étude pendant plus d'un an devant le Parlement, la Loi modifiant la Loi sur l'assurance-chômage a reçu la sanction royale le 23 octobre 1990. L'article 14 de cette loi modifiait l'article 20 de la Loi sur l'assurance-chômage de façon à prévoir l'octroi de prestations parentales aux parents naturels1. Cette loi modificatrice renfermait également certaines dispositions transitoires, et notamment les dispositions suivantes :

         56. [...]                 
         (5) Lorsqu'une période de prestations est établie au profit d'un prestataire avant l'entrée en vigueur de l'article 14 et que le prestataire aurait eu droit à des prestations en vertu de l'article 20 de la Loi sur l'assurance-chômage, modifié par l'article 14, si la période de prestations était établie après cette entrée en vigueur, le prestataire a droit aux prestations prévues par l'article 20 de cette loi, dans sa version modifiée, comme si la période de prestations était établie après l'entrée en vigueur de l'article 14, sous réserve des conditions suivantes :                 
         [...]                 
             b) le ou les enfants à l'égard desquels la demande est présentée doivent être nés ou placés chez le prestataire en vue de leur adoption après l'entrée en vigueur de l'article 14.                 

Cette loi est entrée en vigueur le 18 novembre 1990. Si je comprends bien, en vertu du début du paragraphe 56(5) précité, la prestataire ici en cause aurait eu droit aux prestations parentales une fois les prestations de maternité épuisées, si ce n'avait été des dispositions de l'alinéa 56(5)b), qui limite les nouvelles prestations aux parents dont l'enfant est né après l'entrée en vigueur de la loi, soit après le 18 novembre 1990. Or, l'enfant de la bénéficiaire est né plus de deux mois avant cette date.

[4]      Par conséquent, lorsque la prestataire, en se fondant sur cette loi, a demandé des prestations parentales, la Commission d'assurance-chômage lui a répondu ceci, le 24 avril 1991 :

         [TRADUCTION]                 
         [...] Les articles 20 et 20.1 de la Loi, tels qu'ils étaient libellés avant le 18 novembre 1990, prévoyaient le paiement de prestations d'adoption et de paternité seulement. De plus, vous n'avez pas droit aux prestations parentales en vertu des dispositions transitoires de l'article 56 des Lois du Canada, chapitre 40 (projet de loi C-21) étant donné que l'enfant est né avant le 18 novembre 1990.                 

[5]      La requérante a interjeté appel contre cette décision devant un conseil arbitral, où elle a cherché à soulever une question constitutionnelle en vertu de l'article 15 de la Charte. Après avoir tenu sa seconde audience, le conseil a décidé le 16 août 1991, compte tenu de la décision Tétrault-Gadoury2 de la Cour suprême, qu'il n'avait pas compétence pour examiner la question relative à la Charte. Étant donné qu'il était convaincu que la requérante n'était pas admissible aux prestations parentales prévues par la Loi, telle qu'elle est maintenant libellée, il a rejeté l'appel. La requérante a alors interjeté appel contre cette décision devant un juge-arbitre; on lui a demandé d'aviser les procureurs généraux qu'une question constitutionnelle serait soulevée conformément à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale. En temps et lieu, cela a été fait et l'affaire a été entendue devant un juge-arbitre le 12 octobre 1995. À l'audience, la décision toute récente que cette cour avait rendue dans l'affaire A.G. of Canada v. Faltermeier3 a été portée à l'attention du juge-arbitre. Étant donné que de toute évidence l'avocat de la Commission se fondait fortement sur cette décision, le savant juge-arbitre a ajourné l'audience en vue de permettre aux parties de soumettre des observations écrites au sujet de l'applicabilité de cette décision à la présence espèce. Après avoir reçu les observations écrites, et sans tenir d'autre audience, le savant juge-arbitre a rejeté l'appel. Voici ce qu'il a conclu :

         [TRADUCTION]                 
             Je suis fermement convaincu que je suis lié par le jugement Faltermeier dont il a déjà été fait mention dans ma décision du 20 octobre. Rien ne permet en droit de distinguer ce jugement. Il est certain que les remarques que Me Jaworski a faites dans l'exposé qu'il a présenté le 5 janvier 1996 se rapportent d'une façon toute particulière à l'argument ici invoqué au sujet de la Charte. Dans la décision Attorney General of Canada v. Faltermeier, Monsieur le juge Marceau a dit ceci : "Néanmoins, il n'appartient ni au juge-arbitre ni à un tribunal de créer une loi en matière d'aide sociale à partir des lois actuelles du Parlement qui n'ont pas pour objet de résoudre ce problème . La Charte des lois [sic] et libertés ne donne pas le feu vert à ce genre d'intrusion dans le domaine législatif". [Je souligne]                 
             J'ai toujours été fermement convaincu que les tribunaux d'instance inférieure devraient, en interprétant la Charte, faire preuve d'énormément de prudence s'ils tentent de décider contre la volonté du législateur en rendant des jugements spécieux par lesquels ils risquent de légiférer. Il incombe aux tribunaux d'appel de le faire s'ils veulent ainsi interpréter la Charte.                 

[6]      La requérante a demandé le contrôle judiciaire de la décision du juge-arbitre. Elle invoque de nombreux motifs, mais elle soulève essentiellement les questions suivantes : le juge-arbitre a omis de tenir compte de la question constitutionnelle alors qu'il était tenu de le faire, de sorte qu'il a refusé d'exercer sa compétence; ce faisant, il a commis diverses erreurs de droit. Devant nous, le procureur général a essentiellement soutenu que le juge-arbitre n'avait pas refusé d'exercer sa compétence, mais qu'il avait en fait statué sur l'argument d'ordre constitutionnel; cependant, s'il n'a pas statué sur ce point, cette cour devrait trancher l'affaire plutôt que de la renvoyer devant le juge-arbitre parce que ce dernier ne pourrait pas accorder une réparation efficace même s'il se prononçait en faveur de la requérante; de plus, en statuant sur la question constitutionnelle, cette cour devrait conclure que les dispositions pertinentes de la Loi sur l'assurance-chômage sont valides et qu'elles ne sont pas incompatibles avec la Charte. (Aucun avis relatif à une question constitutionnelle n'avait été signifié aux fins de l'audience qui devait avoir lieu devant cette cour.)

[7]      Au début de l'audition de la demande, la Cour a dit qu'elle ne pouvait pas examiner la question constitutionnelle parce qu'aucun avis n'avait été donné aux procureurs généraux et que, même si pareil avis avait été donné, le temps réservé à l'audition de la demande ne permettrait pas d'examiner les questions constitutionnelles d'une façon adéquate. À notre avis, nous devrions procéder à l'examen de la question de savoir si le juge-arbitre avait déjà examiné la question constitutionnelle et, dans la négative, si la question doit être renvoyée à un juge-arbitre. La requérante et l'avocat du procureur général ont convenu que nous devrions procéder sur cette base.

[8]      Il importe de noter que les parties n'ont peut-être pas défini de la même façon les questions pertinentes en ce qui concerne la Charte. La requérante n'est pas représentée par un avocat. Ce qui me semble être l'exposé le plus convaincant de sa position à l'égard de la question relative à la Charte se trouve dans l'affidavit que son mari a déposé à l'appui de la demande, dont le paragraphe 9 est ainsi libellé :

         [TRADUCTION]                 
         9.      Les parents qui étaient admissibles aux prestations après la date d'entrée en vigueur du projet de la loi C-21 pouvaient obtenir des prestations parentales pour un enfant qui était né moins d'un an avant la date d'entrée en vigueur du projet de loi. Toutefois, les personnes qui touchaient des prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage juste avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-21 pouvaient uniquement demander ces prestations si leur enfant était né après la date d'entrée en vigueur. Par conséquent, toutes les femmes qui étaient enceintes et qui avaient touché des prestations de maternité juste avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-21 se sont vu refuser les prestations parentales. Bien sûr, la plupart des pères naturels et des parents adoptifs ne touchaient pas de prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage à l'égard de l'enfant né moins d'un an avant la date d'entrée en vigueur du projet de loi C-21. Les requérants soutiennent qu'il s'agit d'une discrimination fondée sur la maternité, c'est-à-dire d'une discrimination fondée sur le sexe comme l'a dit le juge en chef dans l'arrêt Brooks c. Canada Safeway Ltd. [1989] 1 R.C.S., à la page 1221, et conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, par. 3(2). La discrimination fondée sur le sexe est prohibée en vertu de l'article 15 de la Charte.                 

Malheureusement, on n'a pas fait expressément mention des passages pertinents de la loi, de façon qu'il n'est pas facile de dire si les vices constitutionnels allégués sont attribuables à des dispositions trop strictes ou trop générales. Il se peut bien que la disposition contestée soit celle sur laquelle le procureur général se fonde également.

[9]      Si je comprends bien la position du procureur général du Canada, telle qu'elle a été confirmée lorsque la Cour a posé des questions à l'avocat, c'est l'alinéa 56(5)b) précité de la loi transitoire qui empêche la requérante d'obtenir les prestations. La principale disposition est celle qui prévoit qu'aucune prestation ne sera versée si l'enfant est né avant le 18 novembre, soit la date d'entrée en vigueur de la nouvelle loi. Fondamentalement, le procureur général soutient que la Charte n'interdit pas qu'une disposition d'entrée en vigueur prévoie des prestations qui n'étaient pas antérieurement accordées.

[10]      Les questions en litige devront être éclaircies, en particulier par la requérante, si l'affaire est renvoyée à un juge-arbitre pour qu'il examine une question constitutionnelle.

Analyse

         Le juge-arbitre aurait-il dû trancher la question constitutionnelle?

[11]      Je suis convaincu que le juge-arbitre n'a pas examiné la question constitutionnelle. Avec égards, je crois que le juge-arbitre s'est trompé en se fondant sur la décision rendue par cette cour dans l'affaire Faltermeier4 pour justifier le fait qu'il n'examinait pas les questions constitutionnelles soulevées devant lui. Si je comprends bien la décision Faltermeier, il n'a pas été statué que les questions constitutionnelles ne devraient pas être examinées par les juges-arbitres, mais qu'elles devraient uniquement être examinées par les tribunaux d'appel. Il a plutôt été conclu que l'article 14 de la Loi sur l'assurance-chômage ne violait pas l'article 15 de la Charte. En ce qui concerne le passage sur lequel le savant juge-arbitre s'est fondé, cette cour disait simplement que le fait que la Loi sur l'assurance-chômage vise à s'appliquer aux chômeurs qui sont disponibles pour travailler, mais qu'elle ne s'applique pas toujours au cas des chômeurs qui ne sont pas disponibles pour travailler ne viole pas l'article 15 de la Charte; de plus, la Cour a insisté sur le fait qu'elle ne devait pas avoir à étendre l'application d'une loi sociale visant à un but précis en vue d'atteindre d'autres buts sociaux qu'on pourrait qualifier de souhaitables. En l'espèce, en prenant plusieurs mesures successives, le législateur a manifesté son intention d'accorder les prestations aux personnes qui ne pouvaient pas travailler à cause d'obligations liées à la garde d'un enfant. Il est allégué que c'est la méthode sélective par laquelle pareilles prestations sont établies ou appliquées qui donne lieu à la question constitutionnelle.

[12]      Il est clair, du moins depuis que la Cour suprême du Canada a rendu jugement dans l'affaire Tétrault-Gadoury5, que le juge-arbitre a le pouvoir de trancher des questions constitutionnelles en s'acquittant de l'obligation qui lui incombe de trancher des questions de droit. Cela n'empêcherait pas la Cour d'appel de procéder maintenant à la détermination de pareilles questions, si le juge-arbitre avait omis de le faire et si l'on demandait à la Cour de rendre la décision que ce dernier aurait dû rendre. Cependant, à mon avis, il est préférable que l'affaire soit renvoyée au juge-arbitre. Les avantages que comporte l'audition par un juge-arbitre des questions constitutionnelles qui se posent en matière d'assurance-chômage, du moins en première instance, ont été clairement énoncés dans le jugement Tétrault-Gadoury. Sous réserve de la question des réparations dont dispose le juge-arbitre, sur laquelle je reviendrai ci-dessous, il serait donc préférable de renvoyer l'affaire devant un juge-arbitre, pour une nouvelle audition de l'appel, et notamment des questions constitutionnelles.

         Les juges-arbitres disposent-ils de réparations appropriées?

[13]      Toutefois, l'avocat du procureur général soutient que renvoyer l'affaire serait une erreur parce que, si la requérante avait gain de cause à l'égard de l'un des arguments fondés sur la Charte, le juge-arbitre ne pourrait lui accorder aucune réparation efficace. Par contre, s'il rejetait les arguments de la requérante, le juge-arbitre pourrait facilement confirmer la décision de la Commission et du conseil arbitral qui a refusé la demande, mais s'il se prononçait en faveur de la requérante à l'égard des questions relatives à la Charte, il ne pourrait pas ne faire aucun cas des dispositions claires de la Loi sur l'assurance-chômage et ordonner que des prestations soient versées à celle-ci. L'avocate de l'intimée considère qu'en invoquant les arguments fondés sur la Charte, la requérante affirme que la Loi sur l'assurance-chômage est limitative à l'égard des personnes qui sont dans la même situation qu'elle. Par conséquent, de l'avis de l'avocate, pour que le juge-arbitre accorde une réparation, il devrait interpréter la loi de façon à y incorporer une disposition régissant la situation de la requérante, soit une réparation de la nature d'une déclaration qu'un juge-arbitre n'est pas autorisé à accorder en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage.

[14]      Je conviens qu'un juge-arbitre qui siège en cette qualité ne peut pas faire de déclarations d'invalidité. Pareilles réparations sont réservées aux cours supérieures et, bien que presque tous les juges-arbitres sinon tous soient des juges de cours supérieures ou l'aient déjà été, ils ne siègent pas en cette qualité lorsqu'ils agissent à titre de juges-arbitres.

[15]      En vertu de l'article 80 de la Loi sur l'assurance-chômage, les juges-arbitres sont compétents pour entendre des "appels" des conseils arbitraux; les motifs sur lesquels ces appels peuvent être fondés sont les suivants :

         80. Toute décision ou ordonnance d'un conseil arbitral peut, de plein droit, être portée en appel de la manière prescrite, devant un juge-arbitre par la Commission, un prestataire, un employeur ou une association dont le prestataire ou l'employeur est membre, au motif que, selon le cas :                 
             a) le conseil arbitral n'a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d'exercer sa compétence;                 
             b) le conseil arbitral a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que l'erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;                 
             c) le conseil arbitral a fondé sa décision ou son ordonnance sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.                 

Il importe de noter qu'il s'agit essentiellement de motifs de contrôle judiciaire fort semblables aux motifs sur lesquels cette cour se fonde pour exercer un contrôle judiciaire sur les juges-arbitres et sur d'autres organismes conformément au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. Après qu'il a déterminé si pareils motifs existent, le juge-arbitre est autorisé, en vertu de l'article 81 de la Loi sur l'assurance-chômage, à :

         [...] rejeter l'appel, rendre la décision que le conseil arbitral aurait dû rendre, renvoyer l'affaire au conseil arbitral pour nouvelle audition et nouvelle décision conformément aux directives qu'il juge appropriées, confirmer, infirmer ou modifier totalement ou partiellement la décision du conseil arbitral.                 

Somme toute, le juge-arbitre peut entre autres déterminer si le conseil arbitral a commis une erreur de droit en confirmant ou en infirmant la décision qu'a prise la Commission d'accorder les prestations ou de les refuser. Comme il en a ci-dessus été fait mention, le juge-arbitre peut notamment déterminer si la décision que le conseil a rendue en appliquant la Loi, telle qu'elle est libellée, est conforme au droit constitutionnel. Par conséquent, en l'espèce, il conviendrait pour le juge-arbitre de conclure que le conseil s'est fondé sur une disposition législative inconstitutionnelle en confirmant le refus par la Commission d'accorder les prestations, ce refus étant fondé sur le libellé clair de la loi, et de rendre par ailleurs la décision que le conseil aurait dû rendre conformément au droit constitutionnel. Je conclus donc que si la requérante avait gain de cause au fond, le juge-arbitre pourrait lui accorder une réparation.

         Application constitutionnelle de la Loi

[16]      En concluant que des prestations devraient être versées à la prestataire, le juge-arbitre déterminerait la façon dont la Loi doit être appliquée de façon à être compatible avec la Constitution. En fait, le procureur général conteste le pouvoir du juge-arbitre de rendre cette décision. Néanmoins, je crois que le juge-arbitre, comme toute autre personne statuant sur des questions de droit, a ce pouvoir.

[17]      En tirant cette conclusion, je remarque que la Cour suprême a confirmé dans au moins trois arrêts, à savoir Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College6, Cuddy Chicks Ltd. c. La Commission des relations de travail de l'Ontario7 et Tétrault-Gadoury c. Canada (C.E.I.)8, qu'en statuant sur des questions de droit, les tribunaux administratifs peuvent trancher des questions constitutionnelles. Bien sûr, dans l'affaire Tétrault-Gadoury, un juge-arbitre était en cause et il était présumé que les juges-arbitres sont à juste titre considérés comme des tribunaux administratifs9. Il importe de noter que dans chacun de ces arrêts, la disposition en litige excluait certaines personnes d'une prestation ou d'un avantage quelconque (à peu près comme le fait l'alinéa 56(5)b) de la loi modificatrice ici en cause qui, selon le procureur général, exclut la requérante des prestations). Dans chaque cas, la Cour suprême a dit que la question en litige se rapportait à l'application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et, dans chaque cas, il a été statué que le tribunal avait le droit et l'obligation d'appliquer cette disposition.

[18]      Si je comprends bien, la présente espèce se rapporte également au paragraphe 52(1) plutôt qu'au paragraphe 24(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Comme l'a expliqué la Cour suprême dans l'arrêt Schachter c. Canada10, où il avait été allégué que la Loi sur l'assurance-chômage était limitative, le paragraphe 52(1) est le fondement approprié aux fins d'une action lorsque le libellé clair de la loi crée un résultat qui, est-il allégué, est inconstitutionnel, alors que le paragraphe 24(1) est le fondement approprié aux fins d'une mesure corrective lorsqu'une loi dont la validité est reconnue est appliquée de façon à produire un résultat inconstitutionnel. Je crois comprendre qu'en l'espèce l'appelante se fonde sur le premier genre de contestation.

[19]      Je tiens à signaler qu'il incombe aux parties de définir d'une façon plus claire les questions constitutionnelles que le juge-arbitre doit examiner. Il incombe en outre au juge-arbitre de déterminer précisément quelles sont ces questions et au besoin de se demander quelles sont les techniques à employer pour appliquer la Loi d'une façon constitutionnelle. Il suffit de dire que, compte tenu de l'affaire telle qu'elle nous a été présentée, il semblerait que le juge-arbitre puisse notamment rendre le genre de décisions dont il a été fait mention dans le jugement Schachter, à savoir conclure à la "dissociation" (ou donner une interprétation atténuée à une disposition particulière invalide et nulle) et donner une interprétation large à la loi (ou appliquer la loi comme si elle renfermait une disposition qui serait constitutionnellement nécessaire pour qu'elle soit valide). En d'autres termes, le juge-arbitre pourrait tirer une conclusion au sujet du droit que possède l'appelante aux prestations en appliquant la Loi d'une façon constitutionnelle au moyen de la dissociation ou de l'interprétation large, et en appliquant les critères pertinents à cet égard tels qu'ils ont été énoncés dans le jugement Schachter. Cette cour a récemment adopté une autre solution11, à savoir l'"exemption" constitutionnelle, par laquelle le tribunal reconnaît la validité générale d'une loi, mais exempte une personne, un groupe ou une situation de son application parce que, compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, cette application serait contraire à la Constitution. Partant, il ne serait pas tenu compte d'une disposition législative particulière restreignant l'admissibilité aux prestations, mais uniquement dans le cas de la prestataire ici en cause.

[20]      Les observations que je viens de faire ne laissent pas pour autant entendre que l'inconstitutionnalité a été établie ou qu'il faut employer une technique particulière pour appliquer la Loi. Je veux simplement dire qu'à mon avis, le juge-arbitre a les mêmes obligations et les mêmes pouvoirs qu'un tribunal lorsqu'il s'agit de conclure à l'invalidité compte tenu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et que, lorsqu'il est conclu à l'invalidité, le juge-arbitre peut définir la façon constitutionnelle d'appliquer la Loi. Le juge-arbitre doit faire tout cela en tenant compte des réparations restreintes qu'il peut accorder, soit essentiellement décider que les prestations auraient dû être accordées ou qu'elles auraient dû être refusées.

[21]      Je tiens également à faire remarquer encore une fois qu'il faut aviser les procureurs généraux de la question constitutionnelle et définir clairement la question avant que l'affaire puisse être examinée par le juge-arbitre.

Dispositif

[22]      Par conséquent, j'accueillerais la demande, j'infirmerais la décision du juge-arbitre et je renverrais l'affaire au juge-arbitre en chef pour nouvelle audition et nouvelle décision par un autre juge-arbitre conformément à ces motifs.

                                 "B.L. Strayer"

                                

                                         J.C.A.

"Je souscris à cet avis.

     A.M. Linden, J.C.A."(_)

"Je souscris à cet avis.

     F.M. McDonald, J.C.A."

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau

COUR D'APPEL FÉDÉRALE

Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :      A-216-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      DIANE NISHRI c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 21 OCTOBRE 1997

MOTIFS DU JUGEMENT      DU JUGE STRAYER

     EN DATE DU 9 DÉCEMBRE 1997

ONT COMPARU :

Diane Nishri          POUR LA REQUÉRANTE

Cassandra Kirewskie          POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Diane Nishri

Etobicoke (Ontario)          POUR LA REQUÉRANTE

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)          POUR L'INTIMÉE

__________________

1      L.C. 1990, ch. 40, art. 14.

2      Tétrault-Gadoury c. Canada (C.E.I.) [1991] 2 R.C.S. 22.

3      (1995) 128 D.L.R. (4e) 481.

4      Supra, note 3.

5      Supra, note 2 aux p. 34-37.

6      [1990] 3 R.C.S. 570.

7      [1991] 2 R.C.S. 5.

8      Supra note 2. Cette cour avait déjà rendu pareille décision à l'égard des juges-arbitres dans l'affaire Zwarich c. Canada (P.G.) [1987] 3 C.F. 253.

9      On peut se demander s'il convient de qualifier ainsi les juges-arbitres. En effet, les juges-arbitres exercent essentiellement des fonctions judiciaires lorsqu'ils entendent des appels en vertu des articles 80 et 81 de la Loi sur l'assurance-chômage, et en vertu de l'article 77 de cette loi, ils doivent être juges ou avoir été juges de la Cour fédérale ou d'une cour supérieure, de comté ou de district provinciale. Néanmoins, étant donné que la Cour suprême a conféré aux tribunaux administratifs le pouvoir de trancher des questions constitutionnelles, les juges-arbitres doivent a fortiori posséder ce pouvoir.

10      [1992] 2 R.C.S. 679, aux p. 719-720.

11      Corbiere et al. v. Canada (1996) 206 N.R. 85.

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