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     Date : 19980630

     Dossier : A-587-96

CORAM :      Le juge DENAULT

         Le juge DÉCARY

         Le juge LÉTOURNEAU

Entre :

     MACCABI CANADA,

     appelante,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé.

     Audience tenue à Ottawa (Ontario)

     le mardi 30 juin 1998

     Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario)

     le mardi 30 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

PRONONCÉS PAR :      Le juge LÉTOURNEAU

     Date : 19980630

     Dossier : A-587-96

CORAM :      Le juge DENAULT

         Le juge DÉCARY

         Le juge LÉTOURNEAU

Entre :

     MACCABI CANADA,

     appelante,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé.

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (prononcés à l'audience tenue à

     Ottawa (Ontario), le mardi 30 juin 1998)

Le juge LÉTOURNEAU

[1]      Il y a en l'espèce appel formé sous le régime des paragraphes 172(3) et 180(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) contre la décision en date du 12 juillet 1996, par laquelle le ministre du Revenu national a annulé, en application de l'alinéa 168(1)b) de la même loi, l'enregistrement de l'appelante (Maccabi Canada) à titre d'association canadienne enregistrée de sport amateur.

[2]      Le litige est centré sur l'interprétation à donner au membre de phrase " promouvoir le sport amateur au Canada à l'échelle nationale " figurant dans la définition d'association canadienne enregistrée de sport amateur (ACESA) à l'alinéa 110(8)b ) de la Loi en vigueur au moment de l'enregistrement de l'appelante en 1975. Cette définition se retrouve maintenant telle quelle au paragraphe 248(1) de la Loi. Le paragraphe 110(8)b) se lisait :

     (b) " association canadienne enregistrée de sport amateur ". " " association canadienne enregistrée de sport amateur " signifie une association qui a été créée en vertu de toute loi en vigueur au Canada, qui réside au Canada, qui         
         (i) est une personne visée à l'alinéa 149(1)(l), et         
         (ii) dont le but premier et la mission principale sont de promouvoir le sport amateur au Canada à l'échelle nationale, et         
     qui a déposé auprès du Ministre, dans le formulaire prescrit une demande d'enregistrement, qui a été enregistrée, enregistrement qui n'a pas été annulée en vertu des dispositions du paragraphe 168(2) "         

[3]      En réexaminant l'enregistrement de l'appelante, l'intimé a jugé que les mots " à l'échelle nationale " figurant dans la définition d'ACESA ont une connotation démographique en sus du sens géographique, c'est-à-dire que, pris dans le contexte de l'athlétisme, ils se réfèrent à la population canadienne tout entière et impliquent la disponibilité générale au sein de cette population. En d'autres termes, toujours selon l'intimé, l'ACESA doit non seulement avoir des " activités à travers le Canada " (il s'agit là du sens géographique), mais encore produire un " bénéfice public pour les Canadiens en général " (il s'agit là de la connotation démographique du concept)1.

[4]      C'est sur cette base que l'intimé a réexaminé le but déclaré dans la demande d'enregistrement soumise par l'appelante en 1975 ainsi que les buts et objets de ses lettres patentes. Ces buts et objets sont reproduits ci-dessous en vue d'une meilleure compréhension de la position de l'intimé :

     [TRADUCTION]

     DEMANDE D'ENREGISTREMENT         

     Détails complémentaires

     L'association recueille des fonds pour sélectionner, préparer, entraîner et équiper une équipe canadienne pour les Jeux des Maccabées qui sont organisés en Israël tous les quatre ans. Les prochains Jeux des Maccabées auront lieu en juillet 1977.         

     LETTRES PATENTES

     a)      promouvoir et encourager la participation d'athlètes et de sportifs amateurs juifs du Canada aux Jeux des Maccabées qui ont lieu tous les quatre ans en Israël;
     b)      participer à la supervision, la direction, la préparation, l'administration et la conduite des Jeux des Maccabées;         
     c)      contribuer à assurer la participation de Canadiens aux Jeux des Maccabées;
     d)      organiser, préparer et sélectionner une équipe d'athlètes du Canada pour les Jeux de Maccabées et autres activités athlétiques, et promouvoir les niveaux de performance et les idéaux d'esprit sportif les plus élevés parmi la jeunesse juive du Canada;         

[5]      Une nouvelle lecture de ces objectifs a convaincu l'intimé que l'appelante excluait de ses rangs tous les Canadiens qui n'étaient pas juifs ou de religion judaïque et, de ce fait, ne satisfaisait pas au critère démographique exprimé par la locution " à l'échelle nationale ". Il en a conclu que l'enregistrement avait été accordé par erreur à l'appelante en 1975 et a décidé de l'annuler.

[6]      L'avocat de l'appelante soutient avec force que le ministre ne pouvait invoquer le pouvoir d'annulation prévu à l'alinéa 168(1)b) parce que l'appelante n'a jamais cessé de se conformer aux conditions prescrites par la Loi en ce qui concerne son enregistrement. Et que le ministre ne tient pas de l'article 168 le pouvoir de redresser l'erreur passée, si tant est qu'il y ait eu erreur dans l'application de la loi au cas de l'appelante.

[7]      Il est vrai que la disposition du paragraphe 168(1) relative à l'annulation de l'enregistrement des ACESA n'est pas dénuée d'ambiguïté. Il n'y est pas dit si le ministre peut annuler un enregistrement pour ce motif que l'organisation concernée a cessé de se conformer aux conditions de la Loi, tout en tenant qu'elle ne s'y est jamais conformée en premier lieu. Par contre, il est clair que l'appelante ne peut prétendre, à titre de droit acquis, bénéficier indéfiniment d'une erreur que le ministre aurait commise il y a plus de vingt ans. Quoi qu'il en soit, étant donné la conclusion à laquelle est parvenue la Cour quant à l'interprétation de la locution " à l'échelle nationale ", il n'est pas nécessaire d'examiner ce point.

[8]      À notre avis, cette locution ne dénote qu'un critère géographique. Il suffit que l'association canadienne de sport amateur demandant l'enregistrement sous le régime de la Loi ait des activités à travers le Canada, et ne soit pas limitée à une province, une région ou une localité. Cette interprétation est conforme à la volonté du législateur qui est de faire en sorte que les reçus délivrés aux donateurs émanent d'une seule organisation au niveau national, et que Revenu Canada n'ait pas à traiter avec une multitude d'organisations provinciales, régionales et locales.

[9]      L'appelante cite de nombreuses références en français et en anglais, tirées de sources sur Internet et où la locution " à l'échelle nationale " (" nation-wide " en anglais) est employée au sens géographique, pour signifier à travers le Canada et pour marquer la distinction avec le niveau international ou provincial2.

[10]      Ces références ne décident certes pas de la question en litige, mais elles contribuent à éclairer le sens courant généralement attribué à ces mots. L'intimé n'a pas été en mesure de relever dans la Loi une indication quelconque qui eût justifié de leur donner un sens différent et plus large, tel qu'il le leur attribue.

[11]      À l'audience, l'avocat de l'intimé soutient que les ACESA comme l'appelante doivent être accessibles à tous les Canadiens, sans aucune exclusion, en particulier pour cause de race, de religion ou d'ethnicité. Les seules exclusions justifiables sont celles qu'impose le sport lui-même, par exemple le hockey où l'âge peut être un facteur légitime de différentiation du hockey mineur et de celui des vétérans.

[12]      Il a peut-être raison de dire qu'une association canadienne de sport amateur qui défend et applique des pratiques exclusives ou discriminatoires ne devrait pas se voir accorder un enregistrement assorti d'avantages fiscaux. N'empêche qu'il n'appartient pas à la Cour de mettre maintenant en oeuvre pareil principe en incorporant artificiellement à la locution " à l'échelle nationale " un critère démographique que n'a pas prévu le législateur à l'origine.

[13]      D'autre part, en introduisant le concept de bénéfice public dans la définition des ACESA, le ministre y a ajouté une condition légale propre à la définition d'" organisme de charité ". Pareille condition n'a bien entendu aucun rapport avec la définition d'ACESA qui, ainsi que le prévoit expressément l'alinéa 149(1)b ), présuppose que l'association n'est pas un organisme de charité. Le " bien public ", si tant est qu'il soit requis, se trouve dans la promotion de l'athlétisme amateur au Canada, mais cette condition n'est pas en jeu en l'espèce.

[14]      Par ces motifs, la Cour fait droit à l'appel et annule la décision prise par l'intimé d'annuler l'enregistrement de l'appelante. La Cour ne prononce pas sur les dépens dans cet appel qui a été formé sous le régime des anciennes Règles de la Cour fédérale.

     Signé : Gilles Létourneau

     ________________________________

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                  A-587-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Maccabi Canada c. Le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      30 juin 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :      Le juge Denault

                                 Le juge Décary

                                 Le juge Létourneau

PRONONCÉS À L'AUDIENCE PAR :          Le juge Létourneau

LE :                          30 juin 1998

ONT COMPARU :

M. Arthur B.C. Drache              pour l'appelante

Mme Barbara Novek

M. Roger Leclaire                  pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Drache, Burke-Robertson & Buchmayer      pour l'appelante

Avocats

Ottawa (Ontario)

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      Ce sont les termes mêmes de la correspondance envoyée par le directeur de la Division des organismes de charité, M. R.A. Davis, pour expliquer à l'appelante l'interprétation faite par le ministère du Revenu national du bénéfice visé à la disposition de la Loi qui prescrit que les associations de ce genre doivent avoir pour but premier et mission principale de promouvoir le sport amateur à l'échelle nationale. Voir Pièces du dossier, languette 4, page 13.

2      Voir la compilation supplémentaire des jurisprudences et références de l'appelante, languettes 6 et 7, où mention est faite des programmes de subventions tenant lieu de taxes à l'échelle nationale de la Société canadienne des Postes, d'un référendum national sur l'adhésion à l'OTAN, d'un Réseau national, d'une campagne d'alphabétisation à l'échelle nationale, d'analyses à l'échelle nationale par l'Agence canadienne d'inspection des aliments, d'un relevé, institué par la loi, des décharges et transferts de polluants à l'échelle nationale au Canada, des stratégies pour les marchés nationaux, etc.

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