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Date : 20050114

Dossier : A-120-04

Référence : 2005 CAF 9

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

SANDER HOLDINGS LTD., DONALD PATENAUDE

et MATHEW NAGYL, en leur nom personnel et au nom de tous les autres producteurs qui ont expédié du grain par l'entremise de la Commission canadienne du blé au sens de la Loi sur la Commission canadienne du blé, et qui sont domiciliés ou étaient domiciliés au Canada entre 1994 et la date de la décision

                                                                                                                                              appelants

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, représentant le ministre de l'Agriculture du Canada

                                                                                                                                                   intimé

                           Audience tenue à Saskatoon (Saskatchewan), le 8 novembre 2004.

                                    Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                   LA JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE EVANS

                                                                                                                     LE JUGE PELLETIER


Date : 20050114

Dossier : A-120-04

Référence : 2005 CAF 9

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

SANDER HOLDINGS LTD., DONALD PATENAUDE

et MATHEW NAGYL, en leur nom personnel et au nom de tous les autres producteurs qui ont expédié du grain par l'entremise de la Commission canadienne du blé au sens de la Loi sur la Commission canadienne du blé, et qui sont domiciliés ou étaient domiciliés au Canada entre 1994 et la date de la décision

                                                                                                                                              appelants

                                                                             et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, représentant le ministre de l'Agriculture du Canada

                                                                                                                                                   intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DESJARDINS


[1]                Les appelants interjettent appel d'une décision rendue par le juge des requêtes (le juge von Finckenstein) accueillant la requête en jugement sommaire de l'intimé au motif que la déclaration des appelants ne révélait aucune cause d'action valable en droit ou aucune question litigieuse justifiant un procès ou un contrôle judiciaire. Les motifs du juge des requêtes sont publiés sous la référence (2004) 247 F.T.R. 123.

[2]                Les appelants sont des producteurs agricoles. Ils ont intenté une poursuite en leur propre nom et au nom de tous les autres producteurs qui ont expédié du grain par l'entremise de la Commission canadienne du blé. Il s'agit d'un recours collectif en vertu des règles 299.1 et suivantes des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106. L'autorisation a été demandée, mais elle n'a pas encore été accordée.

[3]                Tous les appelants participent au programme de stabilisation du revenu agricole appelé « l'Accord fédéral-provincial instituant le programme Compte de stabilisation du revenu net » (l'Accord, le programme CSRN ou le programme) instauré aux termes de la Loi sur la protection du revenu agricole, L.C. 1991, ch. 22 (la Loi). Le premier avril 2003, le programme CSRN a été remplacé par le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole (PCSRA). La revendication des appelants vise les contributions versées avant la mise en oeuvre du PCSRA.

[4]                Le programme a pour objet de stabiliser le revenu des producteurs agricoles primaires en créant, pour chaque participant, un compte individuel pouvant servir de compte d'épargne pendant les bonnes années auquel le producteur agricole a accès pendant les années déficitaires.


[5]                Le programme permet à un producteur de faire des dépôts donnant ou non droit à une contribution de contrepartie. Un producteur peut déposer jusqu'à trois pour cent (3 %) de ses ventes nettes admissibles et recevoir des contributions de contrepartie financées conjointement par le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux participants. Un producteur peut aussi faire des dépôts additionnels jusqu'à concurrence de vingt pour cent (20 %) de ses ventes nettes admissibles, bien que les gouvernements ne versent pas de contribution de contrepartie relativement à ces dépôts. Un boni d'intérêt de trois pour cent (3 %) est versé sur tous les dépôts.

[6]                La participation au programme est libre, mais un grand nombre d'agriculteurs y adhèrent. En 2002, près de 157 000 agriculteurs participaient au programme CSRN.

I. INTRODUCTION

[7]                Selon les appelants, après l'abrogation, en 1995, de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest, L.R.C. 1985, ch. W-8, qui subventionnait, depuis nombre d'années, les frais de transport du grain du silo au port par le l'entremise du tarif du « Nid-de-Corbeau » , la valeur du grain au silo a baissé, car les coûts de transport du grain du silo au port a augmenté. L'abrogation de cette loi a eu, selon les appelants, d'importantes répercussions sur le commerce du grain.

[8]                Les appelants se sont plaints que, depuis les changements qui auraient été apportés aux lignes directrices en 1994 concernant les points de vente, l'administration du CSRN les oblige à déduire les frais de transport et de silos-élévateurs de leur chiffre d'affaires brut dans le calcul des ventes de produits admissibles.


[9]                Chaque année, les participants au programme CSRN doivent remplir un formulaire pour décrire de façon détaillée leurs revenus et leurs dépenses dans diverses catégories. Ils doivent remplir le formulaire en respectant les instructions qui leur sont fournies dans le manuel « Guide, Particuliers » . Ces instructions comprennent des lignes directrices sur le point de vente (les lignes directrices) qui sont conçues pour aider les participants à calculer leurs ventes nettes pour l'application du programme CSRN.

[10]            Jusqu'en 1994, les lignes directrices sur le point de vente prévoyaient :

Le point de vente, soit l'étape à partir de laquelle la vente est considérée conclue, répond à l'un des critères suivants :

- le produit ne vous appartient plus;

- la gestion du produit n'est plus de votre ressort, notamment en ce qui concerne le transport, le nettoyage, le conditionnement, la commercialisation, etc.;

- vous n'assurez plus l'entière responsabilité des pertes occasionnées au produit;

- votre facture de vente n'indique pas clairement la valeur exacte de la vente de votre produit.

[11]            En octobre 1994, le Comité du CSRN a recommandé que les lignes directrices sur le point de vente soient modifiées de manière à prévoir ce qui suit :

Les participants peuvent déclarer aux fins du CSRN leurs recettes brutes provenant de la vente de produits admissibles ainsi que les dépenses admissibles au calcul du revenu agricole aux fins de l'impôt s'ils satisfont aux critères suivants :

- les produits sont issus de leur exploitation agricole;

- ils peuvent montrer qu'ils sont propriétaires des produits et ils assument tous les risques directs touchant les produits;


- ils ont des factures ou des relevés d'opérations indiquant clairement la valeur des produits vendus et toute déduction apportée à la valeur des produits vendus.

[12]            Les changements apportés aux lignes directrices apparaissent dans le traitement des données inscrites, sur le formulaire, comme déductions diverses. Ces déductions peuvent comprendre des dépenses telles que les frais de transport et de silos-élévateurs, le nettoyage au silo terminal et les frais d'administration (se reporter à l'annexe A de l'affidavit de M. Barry Jolly, conseiller fiscal et responsable de la préparation des documents du CSRN pour le compte des appelants, dossier d'appel 100, à la page 107). Avant la modification des lignes directrices, ces déductions n'étaient pas appliquées aux ventes nettes admissibles. La modification alléguée entraîne une diminution des ventes nettes admissibles par suite de diverses déductions. Cette réduction a donc des effets sur les contributions que les producteurs ont le droit de recevoir.

[13]            Les appelants prétendent que ce résultat entraîne une injustice parce que des exploitations agricoles identiques bénéficieront d'une contribution au CSRN des gouvernements qui sera différente selon la distance séparant l'exploitation d'un port. Les lignes directrices sont donc préjudiciables à certains producteurs, notamment ceux de la Saskatchewan, de l'Alberta et du Manitoba qui sont situés très loin d'un port.


[14]            Dans une autre affaire instruite par la Cour, Boyko c. Canada (Ministre de l'Agriculture), (2000) 191 F.T.R. 6 (Boyko), les demandeurs, en remplissant leur demande de 1996 relative au programme CSRN, n'avaient pas inclus le coût du transport du grain au port comme faisant partie de leur revenu, mais ils avaient inclus ce montant dans leur demande de 1997. Par suite d'une vérification faite par l'administration du CSRN, leurs comptes ont été réévalués et les ventes nettes admissibles pour l'année 1997 ont été réduites.

[15]            Les producteurs ont demandé au Sous-comité des appels d'annuler la décision de l'administration du CSRN de réduire les ventes nettes admissibles des demandeurs. Le Sous-comité des appels a conclu que l'administration du CSRN avait correctement appliqué les lignes directrices. Il a recommandé le rejet de l'appel interjeté par les producteurs.

[16]            Les producteurs ont demandé au juge Rouleau de la Section de première instance de la Cour fédérale (aujourd'hui, la Cour fédérale) d'annuler la décision au motif que le Sous-comité des appels avait commis une erreur de fait et de droit dans son interprétation des dispositions de l'Accord qui se rapportaient à la déduction des frais de transport et de silos-élévateurs dans l'établissement du montant des ventes nettes admissibles.


[17]            Au paragraphe 13 de ses motifs, le juge Rouleau a dit que les organismes administratifs établissent fréquemment un ensemble cohérent de lignes directrices qui leur sont utiles dans l'exercice des pouvoirs discrétionnaires qui leur sont conférés par le législateur. Il a dit que les politiques permettaient aux organismes publics d'élaborer des lignes directrices pour réduire l'écart entre un pouvoir discrétionnaire général conféré par le législateur et son application à une affaire donnée. Toutefois, le contenu de la politique devait être conforme au pouvoir octroyé par la loi habilitante. En outre, la politique ne pouvait être élaborée ou appliquée de mauvaise foi, être fondée sur des considérations inopportunes ou avoir des objets étrangers à l'objet de la loi.

[18]            Le juge était convaincu que les lignes directrices de 1994 respectaient ces critères. Selon lui, (se reporter au paragraphe 15 des motifs du juge), il n'y avait aucune preuve de mauvaise foi ni de considérations inopportunes ou étrangères dans l'élaboration des lignes directrices. Il a dit que, même si la demande dont il était saisi était formulée comme une contestation directe de la recommandation du Sous-comité des appels, en réalité, la plainte des demandeurs portait sur la politique elle-même. Le juge a dit que les demandeurs s'élevaient contre le fait que l'expression « ventes nettes admissibles » n'incluait pas le coût du transport du grain au port et que les lignes directrices constituaient en quelque sorte une modification illégale de l'Accord. Il a mentionné que, selon la preuve dont il était saisi, l'expression « ventes nettes admissibles » n'avait jamais, depuis la création du programme, inclus les coûts de transport du grain au port et que l'Accord n'avait jamais été modifié officiellement pour refléter des changements de telle nature.

[19]            Les producteurs ont interjeté appel devant la Cour qui a dit qu'à toutes fins pratiques, les producteurs tentaient d'obtenir un jugement déclarant que les lignes directrices sur le point de vente adoptées en 1994 par l'administration du CSRN étaient ultra vires de la Loi. Le juge Décary a dit, au nom de la Cour, que la question n'était pas en litige lors du procès, 2001 CAF 22. Il a affirmé, aux paragraphes 2 et suivants :


Ce n'était pas la question en litige devant la section de première instance. La question qui était en litige dans cette demande de contrôle judiciaire était celle de savoir si le Sous-comité des appels du Comité du CSRN avait commis une erreur en jugeant que l'administration du CSRN avait correctement appliqué les lignes directrices sur le point de vente.

En prenant pour hypothèse, pour les fins de notre analyse, que le Sous-comité des appels avait le pouvoir de décider si ces lignes directrices étaient ultra vires, force est de constater que cette question ne lui a pas été soumise et que nous ne sommes pas non plus en mesure de nous prononcer sur ce point.

[...]

Les points de vue exprimés par les avocats ne sont pas dénués de mérite mais il nous semble qu'il y aurait lieu - outre, bien sûr, rechercher un consensus grâce au processus administratif déjà en place - d'introduire une nouvelle instance en vue d'obtenir la réparation appropriée de l'autorité appropriée.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[20]            D'où le présent recours collectif.

[21]            L'intimé a déposé une requête en jugement sommaire.

II. LA DÉCISION DU TRIBUNAL INFÉRIEUR


[22]            Le juge von Finckenstein a accueilli la requête en jugement sommaire. Il a dit que les faits relatifs aux modifications n'étaient pas contestés (aux paragraphes 20 et 22 de ses motifs). Il a reconnu, à l'instar du juge Rouleau dans la décision Boyko, que la procédure qui avait été suivie pour modifier les lignes directrices n'était entachée d'aucune irrégularité et que les changements apportés aux lignes directrices de 1994 relativement aux frais de transport et d'entreposage ne constituaient pas une modification de l'Accord (au paragraphe 25 de ses motifs). Pour le juge von Finckenstein, la décision du juge Rouleau était finale. Il n'a jamais examiné les motifs du juge Décary qui a invité les parties, à la fin de la décision, à « introduire une nouvelle instance en vue d'obtenir la réparation appropriée de l'autorité appropriée » . Le juge von Finckenstein a mentionné la référence de la décision de la Cour d'appel fédérale, sans plus.

[23]            Le juge von Finckenstein a ajouté que les lignes directrices ne constituaient pas une norme juridique au sens de la décision Pereira c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1994) 86 F.T.R. 43 (Pereira) et qu'il s'ensuivait, comme corollaire logique, que les lignes directrices n'étaient pas contraires à la Loi ou à son règlement d'application ni contraires à l'Accord (au paragraphe 26 de ses motifs). Il a conclu qu'il n'y avait aucune question litigieuse justifiant un procès ou un contrôle judiciaire et que les allégations des appelants relatives à une cause d'action fondée sur la négligence ou sur une violation de l'obligation fiduciaire n'étaient pas fondées.

III. LES DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA LOI

[24]            La Loi sur la protection du revenu agricole définit en ces termes l'expression « produit agricole » :

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

...

2. In this Act,

...



« produit agricole » Tout produit végétal ou animal -- ou d'origine végétale ou animale --, y compris les aliments et boissons qui en proviennent en tout ou en partie.

...

"agricultural product" means

(a) an animal, a plant or an animal or plant product, or

(b) a product, including any food or drink, that is wholly or partly derived from an animal or a plant;

...

La Loi prévoit, à l'article 4, que le gouverneur en conseil peut autoriser le ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire à conclure avec une ou plusieurs provinces un accord instituant, notamment, un programme de stabilisation du revenu net.

[25]            L'alinéa 5(1)c) de la Loi prévoit que l'accord établit :

c) le mode de détermination du revenu des producteurs et de la valeur de leurs produits agricoles admissibles.

(c) The manner of determining the income of producers and the manner of determining the value of the eligible agricultural products produced by them.

[26]            L'alinéa 5(3)a) de la Loi prévoit la création de comités formés de représentants des parties à l'accord et des producteurs ainsi que des experts jugés nécessaires. Aux termes de l'alinéa 8(1)a), l'accord instituant un programme de compte de stabilisation du revenu net fixe les éléments suivants :

a) le mode de détermination et le niveau des coûts de production et des marges brutes à partir duquel un producteur est admissible, ainsi que, dans le cas des ventes nettes, le seuil et le plafond;

(a) the eligible net sales, eligible production costs, gross margin and maximum eligible net sales, or the method of determining the sales, costs and margin that enable a producer to participate in the program.


[27]            La Loi prévoit également, à l'article 15, l'ouverture d'un compte de stabilisation du revenu net.

IV. L'ACCORD

[28]            En vertu de l'Accord, qui est entré en vigueur en 1991, le Canada est responsable de l'administration du programme CSRN. L'Accord prévoit la création du Comité national du CSRN (le Comité) qui joue un rôle consultatif envers le Canada. Le Comité est composé de représentants du gouvernement fédéral, des gouvernements provinciaux et des producteurs. L'article 6.8 de l'Accord prévoit :

Le présent Accord entre en vigueur à la date de la signature [...]

[29]            En conformité avec l'article 2 de l'annexe C de l'Accord, le Comité est composé d'un minimum de six et d'un maximum de dix producteurs nommés par le ministre pour représenter les groupes sectoriels et les régions du Canada. Chaque province participante peut nommer un membre du Comité et le Canada peut nommer quatre membres. Le Canada désigne le président du Comité qui aura la responsabilité de soumettre pour approbation toutes questions ayant d'importantes répercussions financières aux parties signataires de l'Accord. L'article 2.5 de l'annexe C de l'Accord prévoit :

Le Canada désigne le président du Comité parmi les membres nommés conformément aux dispositions précédentes. Le président aura la responsabilité de soumettre pour approbation toutes questions ayant d'importantes répercussions financières aux parties signataires de cet Accord.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]


[30]            L'Accord contient une disposition modificatrice. L'article 6.9 prévoit que toute modification doit être approuvée par le Canada et au moins deux tiers des provinces participantes si ces provinces cumulent au moins cinquante pour cent (50 %) des ventes nettes admissibles déclarées au programme au cours de l'année antérieure. Voici la disposition :

Sous réserve des dispositions du paragraphe 5 de l'annexe B, le présent Accord peut être modifié de temps à autre avec l'assentiment du Canada et d'au moins deux tiers des provinces participantes si ces provinces cumulent au moins cinquante (50) pour cent des ventes admissibles nettes déclarées au Programme l'année antérieure. La province qui ne veut pas respecter une modification qui aurait des répercussions financières sensibles peut décider, moyennant avis écrit au Canada, de se retirer de l'Accord à la fin de l'année civile suivante et les modifications ne s'appliqueront pas à elle pendant cette période.

[31]            L'annexe B de l'Accord contient les dispositions suivantes :

1.    Tous les produits agricoles sont admissibles au Programme.

2. Dans un premier temps, seul le revenu tiré de la vente des produits suivants ou des catégories de produits suivantes, cultivés au Canada, ouvrent droit à une contribution au Programme :

2.1      Toutes les cultures céréalières;

2.2      Toutes les cultures oléagineuses.

...

V. LES ALLÉGATIONS DES PARTIES


[32]            Les appelants prétendent que leur demande ne vise pas la politique sur laquelle les lignes directrices de 1994 étaient fondées, comme l'affirme le juge Rouleau, mais qu'elle vise plutôt les changements apportés aux lignes directrices en 1994. Les appelants soutiennent que ces changements constituent une modification de l'Accord et de la Loi et qu'ils ont été apportés sans égard à la disposition modificatrice prévue par l'Accord.

[33]            Contrairement à ce que prétend le juge von Finckenstein, à savoir que les faits relatifs au changement apporté aux lignes directrices en 1994 n'étaient pas en litige, les appelants soutiennent qu'il y a une preuve contradictoire concernant les changements et les circonstances entourant l'adoption des lignes directrices de 1994.

[34]            Ils ajoutent que, selon la lettre de M. Nawolsky de l'administration du CSRN datée du 23 décembre 1998, les lignes directrices ont été adoptées par suite d'un vote des signataires du programme et que le président du Comité, en conformité avec l'article 2.5 de l'annexe C de l'Accord fédéral-provincial CSRN, avait reconnu, à bon escient, que les lignes directrices avaient des répercussions financières importantes.

[35]            Ils ajoutent que, lorsqu'une question qui a des répercussions financières importantes a été soulevée, le mode de révision prévu par l'article 6.9 de l'Accord est engagé puisqu'il faut l'accord de la majorité requise pour adopter une modification qui aura des répercussions importantes sur les gouvernements participants en termes d'obligations financières.


[36]            Ils ajoutent qu'en l'espèce, la procédure applicable n'a pas été suivie. Ils affirment que, lorsque le vote a eu lieu (l'organisme qui a voté n'est pas précisé), le Canada, le Manitoba, l'Ontario, le Québec, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve ont appuyé la demande d'amendement. La Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan, l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick n'ont pas appuyé la motion. Ils allèguent donc qu'il n'y a pas une majorité des deux tiers des provinces participantes. Ils ajoutent que le Québec a participé au vote alors que cette province n'était pas autorisée à le faire puisque, selon l'article 6.8 de l'Accord, ce dernier ne prend effet qu'entre le Canada et une province qui signe en sus du ministre. Ils disent que le Québec n'a pas apposé sa signature.

[37]            Par contre, l'intimé prétend que l'élimination du tarif du « Nid-de-Corbeau » n'a pas modifié le programme de CSRN ni eu aucune répercussion sur celui-ci puisqu'il s'agit d'un programme de stabilisation du revenu et non d'un programme de transport du grain. Il dit que depuis la création du programme jusqu'à l'introduction de la présente poursuite, l'expression « ventes nettes admissibles » n'a jamais inclus les frais de transport du grain au port et que l'Accord n'a jamais été modifié officiellement pour tenir compte d'un pareil changement.

[38]            L'intimé soutient également que les appelants n'ont aucune cause d'action en droit puisque les lignes directrices ou politiques, « qu'elles soient établies en vertu du pouvoir réglementaire ou de la compétence administrative générale, ne sont rien de plus que des instructions et la population n'a aucun recours pour assurer leur observation » (Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363 (CA), au paragraphe 13). L'intimé ajoute que le juge des requêtes a décidé, à raison, que les lignes directrices ne faisaient pas partie de l'Accord, et qu'elles n'existaient que pour en faciliter l'application.


[39]            L'intimé prétend qu'en réalité, les appelants tentent d'obtenir une ordonnance de la Cour selon laquelle les gouvernements auraient dû modifier leur politique, ce qui aurait amené ces derniers à remettre plus d'argent aux agriculteurs à des fins de soutien du revenu qu'ils avaient l'intention de remettre en vertu du programme CSRN.

VI. ANALYSE

[40]            Le présent appel soulève trois questions, à savoir :

(i)         Les lignes directrices sont-elles ultra vires de la Loi et de l'Accord?

(ii)        Les appelants ont-ils une cause raisonnable d'action fondée sur la négligence?

(iii)       L'intimé a-t-il une obligation fiduciaire à l'égard des participants au programme CSRN?

(i)          La validité des lignes directrices

[41]            Au sujet de cette question essentielle, il s'agit de savoir si les lignes directrices ont été modifiées en 1994 et, le cas échéant, si cette modification a changé l'Accord, auquel cas la procédure applicable n'aurait pas été respectée.


a)          Les lignes directrices ont-elles été modifiées?

[42]            Les appelants prétendent que, quel que soit leur statut juridique, les lignes directrices ont été utilisées par l'administration du CSRN pour établir les ventes nettes admissibles des producteurs et, par voie de conséquence, leur base de contribution. Ils prétendent que, puisque l'Accord exige uniquement des producteurs qu'ils déduisent les intrants de production (graines, aliments pour bestiaux, par exemple) de la valeur du produit (se reporter à l'article 2.3 de l'Accord) pour établir leurs ventes nettes admissibles sur lesquelles leur contribution était fondée, l'administration du CSRN agissait contrairement à l'Accord en exigeant des producteurs qu'ils déduisent de la valeur de leur produit les frais de transport et d'entreposage après la vente.

[43]            Selon le dossier, il n'est pas clair si les lignes directrices étaient contraires à l'Accord. La preuve serait contradictoire sur la question de savoir si les frais de transport et de silos-élévateurs ont toujours été déduits du calcul de la valeur nette des ventes ou s'ils ne l'ont été qu'après l'adoption des lignes directrices de 1994. Même si ce n'est pas tout à fait exact, on peut raisonnablement conclure des instructions de 1998 à l'intention des producteurs (se reporter à la pièce I de l'affidavit de Barry Jolly, dossier d'appel 100, aux pages 103, 128 et 129) qu'alors que les frais de transport et d'entreposage après la vente étaient jadis réputés des dépenses dans le calcul du revenu des producteurs, ces frais n'étaient pas déduits des ventes nettes de manière à entraîner une diminution de la base de contribution des producteurs. Enfin, le fait que le président du Comité du CSRN était d'avis que les lignes directrices de 1994 avaient eu des répercussions financières importantes donne à penser qu'il y a eu bien plus qu'une simple modification mineure de la définition du point de vente comme l'allègue l'intimé.


[44]            Puisque l'intimé soutient qu'il n'y a eu aucune modification, je conclus que les faits sont contestés.

b)          Le changement a-t-il entraîné une modification de l'Accord ?

[45]            Il n'est pas exact de dire, comme semble l'affirmer le juge des requêtes, que les lignes directrices ou autres documents de politique non prévus par la loi et qui sont appliqués par les administrateurs du programme ne constituent pas des normes juridiques. La proposition est beaucoup trop large. Lorsqu'ils définissent les droits d'une personne, ces lignes directrices et documents de politique peuvent être déclarés invalides.

[46]            Le juge von Finckenstein a conclu que les lignes directrices ne faisaient pas partie de l'Accord, mais qu'elles avaient pour objet d'en faciliter l'administration. Il invoque la décision Pereira, dans laquelle le juge MacKay a écrit, aux paragraphes 10 et 11 :

Il est soutenu que le tribunal a commis une erreur en omettant de tenir compte non seulement des difficultés [TRADUCTION] « inhabituelles » , mais aussi de la question de savoir si la requérante [TRADUCTION] « faisait face à des difficultés injustifiées ou disproportionnées » .

À mon avis, cet argument laisse entendre que les lignes directrices ont l'autorité d'une norme juridique, ce qui n'est pas le cas. Elles sont uniquement destinées à servir de guide aux préposés et à assurer un degré raisonnable d'uniformité dans l'exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Cela ne donne pas aux lignes directrices force de loi; on n'oblige pas les préposés à tenir compte de qualités, de normes ou de critères particuliers car cela limiterait leur pouvoir discrétionnaire, et ce, d'une manière que l'arrêt Yrap désapprouvait. [Non souligné dans l'original.]


[47]            Dans l'affaire Pereira, une personne avait demandé l'asile et soutenait que les agents avaient commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments des lignes directrices portant sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. La demanderesse a soutenu qu'il fallait toujours appliquer les lignes directrices. Le juge n'était pas d'accord et il a conclu que les lignes directrices en cause n'avaient pas force de loi et qu'elles ne devaient pas obligatoirement être appliquées dans tous les cas. Il est difficile de comprendre comment cette affaire pourrait s'appliquer en l'espèce.

[48]            Dans le but de déterminer si les lignes directrices étaient invalides, l'arrêt Ainsley Financial Corp. c. Ontario Securities Commission (1994), 21 O.R. (3d) 104 (C.A. Ont.) (Ainsley) s'applique davantage. Dans cette décision, il s'agissait de la différence entre des lignes directrices qui n'exigent pas un texte réglementaire et celles qui constituent des énoncés de droit obligatoires qui exigent un texte réglementaire.

[49]            Le juge Doherty de la Cour d'appel de l'Ontario a reconnu qu'un organisme de réglementation pouvait appliquer des textes non réglementaires, notamment les lignes directrices, pour exercer son mandat d'une manière plus juste, ouverte et efficace. Il a toutefois reconnu que le recours à ces textes non réglementaires avait des limites.

[50]            À la page 109 de la décision, le juge a décrit trois situations où il n'est pas permis de fixer des lignes directrices sans autorisation conférée par un texte législatif (statut de loi) :


[TRADUCTION]

Après avoir convenu que la commission avait le droit de faire appel à des textes non réglementaires pour remplir son mandat, il faut aussi reconnaître que le recours à ceux-ci a des limites. Ce genre de texte est sans effet face à une disposition législative ou à un règlement qui le contredit : voir Capital Cities Communications Inc., précité, à la page 629; H. Janish, Reregulating the Regulator : Administrative Structure of Securities Commissions and Ministerial Responsibility dans Special Lectures of the Law Society of Upper Canada : Securities Law in the Modern Financial Marketplace (1989), à la page 107. De même, un texte non réglementaire ne peut empêcher l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'organisme de réglementation dans un cas particulier: Hopedale Developments Ltd., précité, à la page 263. Plus important encore, pour les fins des présentes, un texte non réglementaire ne peut imposer des exigences obligatoires assorties de sanctions; c'est-à-dire que l'organisme de réglementation ne peut adopter des lois déguisées en lignes directrices. Le juge Iacobucci a dit, à cet égard, dans l'arrêt Pezim, à la page 596 :

Cependant, il importe de faire remarquer que la Commission n'a qu'un rôle limité en matière d'établissement de politiques. Je veux dire que ses politiques ne peuvent obtenir le statut de lois ni être considérées comme telles en l'absence d'un pouvoir à cet effet prévu dans la loi.

                                                                                                [Non souligné dans l'original.]

[51]            Le juge Doherty a reconnu qu'il n'y avait pas toujours une démarcation très nette entre une ligne directrice et une disposition obligatoire ayant force de loi. À la page 110 de l'arrêt Ainsley, il dit :

[TRADUCTION]

Au centre de l'univers réglementaire, ces deux réalités se confondent. Le libellé du texte en cause ne permet pas non plus de trancher la question. L'utilisation des termes « ligne directrice » n'a rien de magique, et on ne peut non plus tirer une conclusion définitive de l'utilisation du terme « réglementer » . Bien qu'important, l'examen du libellé d'un texte n'est qu'une partie du processus visant à en déterminer la portée. En analysant le libellé d'un texte, il faut toujours le replacer dans son contexte et non en isoler certains termes ou passages.


[52]            Il a mentionné deux facteurs qui étaient particulièrement importants dans cette affaire : l'énoncé de politique 1.10 en cause qui établissait un code de conduite et le caractère obligatoire du code à cause de la menace de sanctions qui avaient un effet coercitif.

[53]            Les tribunaux ont également dit que les lignes directrices d'une politique qui sont contraires à la loi habilitante ne sont pas autorisées (Independent contractors & Business Assn. (British Columbia) c. British Columbia (1995), 6 B.C.L.R. (3d) 177 (C.S. C.-B.)).

[54]            On ne saurait dire, en l'espèce, que la validité des lignes directrices a été décidée, d'une manière concluante, dans la décision Boyko. Le juge Rouleau semble avoir conclu que les lignes directrices n'étaient pas illégales, mais la Cour était d'avis que la seule question dont a été saisi le juge Rouleau était de savoir si le Sous-comité des appels du Comité du CSRN avait correctement appliqué ces lignes directrices. Puisque la validité des lignes directrices n'était pas en cause, la Cour a dit qu'elle ne pouvait se prononcer sur cette question. Les appelants ont été invités à « introduire une nouvelle instance en vue d'obtenir la réparation appropriée de l'autorité appropriée » .

[55]            Il faut donc bien cerner les lignes directrices afin de décider si elles constituent un énoncé de conduite obligatoire et, le cas échéant, si elles ont été autorisées en conformité avec l'Accord et la Loi.


c)          Conclusion

[56]            Les deux énoncés a) et b) soulèvent des questions de fait et de droit d'une complexité et d'une incertitude à ce point importantes que le juge des requêtes a commis une erreur en rejetant la déclaration des appelants en se fondant sur une requête en jugement sommaire.

[57]            Il y a une véritable question litigieuse justifiant un procès ou un contrôle judiciaire. Si la demande des appelants est fondée, les appelants auront droit à une déclaration, conclusion qui est déjà invoquée dans leur demande de redressement (au paragraphe 21 de la déclaration, dossier d'appel, à la page 33).

[58]            Compte tenu de la conclusion que je tire en l'espèce, il n'est pas nécessaire que je me prononce sur les autres motifs invoqués par les appelants pour contester la validité des lignes directrices de 1994.

(ii)         Actions fondées sur la négligence

[59]            Au paragraphe 36 de ses motifs, le juge des requêtes a dit que, bien que les appelants n'aient pas accusé l'intimé de négligence, ils avaient dit que la violation alléguée des dispositions modificatives de l'Accord leur donnait droit à des dommages-intérêts. Il a rejeté leur argument en se fondant sur le critère Anns/Kamloops (se reporter aux arrêts Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 et Ville de Kamloops c. Neilson, [1984] 2 R.C.S. 2 qu'a résumés, de façon succincte, le juge Hugessen dans le jugement A.O. Farms Inc. c. Sander, (2000), 28 Admin. L.R. (3d) 315 (1re inst.), aux paragraphes 10 à 12).


[60]            Puisque les appelants n'ont pas invoqué la négligence, il ne m'est pas nécessaire d'examiner davantage cette question.

(iii)        Manquement à l'obligation fiduciaire

[61]            Les appelants prétendent que les catégories de rapports fiduciaires ne sont pas fermées même lorsqu'il s'agit d'obligations de droit public. Ils prétendent que le manquement à l'obligation fiduciaire est évident si les lignes directrices sont ultra vires. Ils disent que le ministère de l'Agriculture était responsable des comptes CSRN des agriculteurs. En vertu de l'Accord, le ministre de l'Agriculture devait ouvrir un compte CSRN distinct pour chaque agriculteur, compte qui était semblable à un compte bancaire. Dans les faits, le ministre exerçait un contrôle sur ces comptes bancaires. Les appelants ajoutent que, si le ministre, par l'entremise de l'administration du CSRN, a tiré de l'argent des comptes « bancaires » des agriculteurs de l'Ouest en appliquant des lignes directrices préjudiciables et illégales, il y a très certainement eu violation fiduciaire.

[62]            Ce faisant, les appelants se fondent sur toute une série de décisions qu'ils ont qualifiées de [traduction] « décisions relatives à la commission des pensions » , à savoir Re Collins and Ontario Pension Commission; Re Batchelor and Ontario Pension Commission (1986), 56 O.R. (2d) 274 (C. div.) et Retirement Income Plan for Salaried Employees of Weavexx Corp. c. Ontario (Superintendent of Pensions) (2000), 58 O.R. (3d) 380.


[63]            Ces décisions n'établissent pas le droit et ne lient pas la Cour.

[64]            Les rapports fiduciaires ont toujours été qualifiés de tels, selon qu'ils s'inscrivent ou non dans certaines « catégories » précises. Par exemple, il a été conclu qu'il y avait un rapport fiduciaire entre un médecin et son patient, entre un administrateur et une société, entre un avocat et son client. Plus récemment, le droit relatif aux rapports fiduciaires s'est écarté de la notion de « catégories » et a adopté une approche qui exige une analyse des caractéristiques propres à la relation en cause (Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335).

[65]            Le rapport entre les appelants et l'intimé en l'espèce doit donc être examiné, dans son contexte global, pour décider s'il s'agit réellement d'un rapport fiduciaire. Bien entendu, l'analyse doit être contextuelle et propre à chaque situation. Cependant, les rapports qualifiés de fiduciaires par le tribunal possèdent habituellement trois caractéristiques :

(1) le fiduciaire peut exercer un certain pouvoir discrétionnaire;

(2) le fiduciaire peut unilatéralement exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à avoir un effet sur les intérêts juridiques ou pratiques du bénéficiaire;

(3) le bénéficiaire est particulièrement vulnérable ou à la merci du fiduciaire qui détient le pouvoir discrétionnaire.


[66]            Ces caractéristiques ont été énoncées pour la première fois par la juge Wilson, dissidente, dans l'arrêt Frame c. Smith, [1987] 2 R.C.S. 99. Le juge La Forest a dit, dans l'arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, au paragraphe 145, que, bien qu'arrivée à une conclusion différente, la majorité des juges, dans l'arrêt Frame c. Smith, n'avait pas désapprouvé la déclaration sur les trois caractéristiques.

[67]            Il s'ensuit que la vulnérabilité est un élément essentiel de l'obligation fiduciaire. Dans l'arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, le juge Sopinka a cité, en l'approuvant, au paragraphe 34 de ses motifs, le paragraphe suivant de l'arrêt Hospital Products Ltd. c. United States Surgical Corp. (1984), 55 A.L.R. 417 :

[TRADUCTION]_Cependant, sous-jacente à tous les cas d'obligation fiduciaire est la notion que, de par la nature des rapports eux-mêmes, l'une des parties se trouve désavantagée ou vulnérable et, pour cette raison, fait confiance à l'autre partie et doit bénéficier en conséquence de la protection de l'equity qui fait appel à la conscience de cette autre partie [...]

[68]            Le juge von Finckenstein a conclu à l'absence de rapport fiduciaire entre les appelants et l'intimé. Plus précisément, il a conclu que les appelants n'étaient pas à la merci du pouvoir discrétionnaire du ministre puisque chacun était libre d'adhérer au programme; les appelants n'étaient donc pas vulnérables à cet égard.


[69]            Je suis d'accord. Le rapport entre le ministre et les appelants dans le cadre du programme CSRN n'était pas de nature fiduciaire. Les appelants ne sont certainement pas à la merci du ministre. Il s'agit d'un programme auquel chacun est libre d'adhérer.

VII. CONCLUSION

[70]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, j'annulerais la décision du juge des requêtes et j'accueillerais la requête du ministre, sauf en ce qui concerne la déclaration d'invalidité des lignes directrices demandée par les appelants.

[71]            Enfin, je veux insister sur la portée limitée de la question que j'ai tranchée en décidant que le juge des requêtes avait commis une erreur en accueillant la requête en jugement sommaire du ministre intimé et en rejetant la demande de déclaration d'invalidité des lignes directrices des appelants. En particulier, il ne faut pas conclure, de la présente décision, que j'ai tranché la question de savoir si une action, plutôt qu'une demande de contrôle judiciaire, est le recours approprié dans le but de soumettre la question à la Cour, s'il existe des empêchements de nature discrétionnaire à l'octroi d'un jugement déclaratoire ou si, en cas de déclaration d'invalidité, les appelants ont droit à une réparation en conséquence. Il s'agit de questions qui devront être tranchées par la Cour fédérale lorsqu'elle en sera saisie.


[72]            Puisque chacune des parties a obtenu gain de cause en partie, aucuns dépens ne seront adjugés.

                                                                              _ Alice Desjardins _                   

                                                                                                     Juge                               

« Je souscris aux présents motifs.

     John M. Evans, juge »

« Je souscris aux présents motifs.

     J.D. Denis Pelletier, juge »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, réviseur


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               A-120-04

INTITULÉ :                                              SANDER HOLDINGS LTD. ET AL.

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                        SASKATOON (SASKATCHEWAN)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 8 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT :                                           LA JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

DATE DES MOTIFS :                             LE 14 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Terry Zakreski

Cathleen Edwards                                       POUR LES APPELANTS

Brian Hay                                                    POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Priel, Stevenson, Hood & Thornton

Saskatoon (Saskatchewan)                          POUR LES APPELANTS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada              POUR L'INTIMÉ


Date : 20050114

Dossier : A-120-04

Ottawa (Ontario), le 14 janvier 2005

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE EVANS

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

SANDER HOLDINGS LTD., DONALD PATENAUDE

et MATHEW NAGYL, en leur nom personnel et au nom de tous les autres producteurs qui ont expédié du grain par l'entremise de la Commission canadienne du blé au sens de la Loi sur la Commission canadienne du blé, et qui sont domiciliés ou étaient domiciliés au Canada entre 1994 et la date de la décision

                                                                                              appelants

                                                     et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, représentant le ministre de l'Agriculture du Canada

                                                                                                   intimé

                                           JUGEMENT

L'appel est accueilli, la décision du juge des requêtes est annulée et la requête du ministre intimé est accueillie, sauf pour ce qui concerne la déclaration d'invalidité des lignes directrices demandée par les appelants.

                                                                             _ Alice Desjardins _                   

                                                                                                     Juge                               

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, réviseur


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