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Date : 20021025

Dossier : A-642-00

Référence neutre : 2002 CAF 408

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                              TÉLÉGLOBE INC.

(anciennement, notamment, TÉLÉGLOBE CANADA INC.)

                                                                                                                                            appelante

                                                                         - ET -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                 Appel entendu à Montréal (Québec), le 18 septembre 2002.

                                   Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 octobre 2002.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                 LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                           LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20021025

Dossier : A-642-00

Référence neutre : 2002 CAF 408

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                              TÉLÉGLOBE INC.

(anciennement, notamment, TÉLÉGLOBE CANADA INC.)

                                                                                                                                            appelante

                                                                         - ET -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER


[1]                En 1987, le gouvernement du Canada (Canada) a décidé de privatiser un certain nombre de sociétés d'État, dont Téléglobe Canada, l'entreprise exclusive de télécommunications transocéaniques du Canada. En un mot, la privatisation a été réalisée grâce à la vente des éléments d'actif de Téléglobe Canada (ancienne Téléglobe) à Téléglobe Canada Inc., l'appelante (également appelée nouvelle Téléglobe), une société à capital-actions, en contrepartie de la prise en charge de certains éléments de passif, d'un billet à ordre et de l'émission d'actions ordinaires et spéciales. Les actions ordinaires avec droit de vote ont alors été vendues selon un processus de soumission à l'adjudicataire, Memotec Data Inc. (Memotec) pour 488 300 000 $.

[2]                L'appelante soutient que, dans le cadre de l'acquisition des éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe, elle a fait ou engagé des débours ou des dépenses de 130 000 000 $ à l'égard de l'achalandage. Par conséquent, elle a demandé une déduction du revenu d'une partie de ce montant pour les années d'imposition 1987 à 1995. Selon le ministre, l'appelante n'a pas engagé de dépenses à l'égard de l'achalandage et il a rejeté la déduction. L'appelante soutient que le coût qu'elle a payé pour les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe était d'environ 660 000 000 $, alors que le ministre affirme que le prix s'élevait approximativement à 530 000 000 $. Le litige concernant le prix découle de la différence entre les façons dont les parties calculent le coût, pour l'appelante, des actions qu'elle a émises à titre de paiement partiel des éléments d'actif. La principale question en litige concerne la façon dont ce coût devrait être déterminé.


[3]                En termes techniques, l'appelante a soutenu avoir engagé des dépenses en immobilisations admissibles, au sens de l'alinéa 14(5)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la LIR), qui devaient être incluses dans son montant cumulatif des immobilisations admissibles, au sens de l'alinéa 14(5)a) de la LIR, dont une partie était déductible du revenu en vertu de l'alinéa 20(1)b) de la LIR. Dans l'ensemble, les dépenses en immobilisations admissibles représentaient l'excédent du prix d'achat, censément de 660 601 000 $, par rapport à l'actif corporel de la société, 530 547 000 $, soit une différence de 130 054 000 $. Ce montant s'expliquait par un dividende de « bénéfice excédentaire » d'environ 16 500 000 $ et la prétention que le coût de l'émission des actions était de 113 500 000 $ supérieur au prix d'émission des actions. L'appel du contribuable à l'encontre de la décision du ministre de rejeter les déductions a été entendu par l'honorable juge G. Rip de la Cour canadienne de l'impôt, qui l'a rejeté (Téléglobe Canada Inc. c. R., [2000] D.T.C. 2493). Il s'agit de l'appel de cette décision.


[4]                En plus d'obtenir un prix équitable pour les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe, le Canada a également intégré des objectifs stratégiques à la transaction, c'est-à-dire qu'il a soumis la société privatisée, la nouvelle Téléglobe, au pouvoir de réglementation du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) et qu'il a réduit les tarifs imposés pour les services de télécommunications internationaux. Pour obtenir cette réduction des tarifs d'une manière qui soit conforme au traitement d'entreprises semblables par le CRTC (Bell Canada et B.C. Tel), il était nécessaire que le bilan initial de la nouvelle Téléglobe indique un ratio d'endettement à long terme de 45/55, ce qui aurait nécessité une nouvelle évaluation de l'actif immobilisé de l'ancienne Téléglobe. En conséquence, la transaction a été structurée de façon à obtenir une entreprise privatisée possédant un bilan qui, après l'application des règles de fixation des tarifs du CRTC, résulterait en une structure de tarification précise. Le Canada a divulgué aux acheteurs potentiels son bilan initial prévu pour la nouvelle Téléglobe indiquant que les éléments d'actif étaient évalués à 533 837 000 $, que les éléments de passif étaient évalués à 299 083 000 $ (y compris le billet à ordre devant être émis dans le cadre de la transaction) et que le capital-actions était évalué à 234 753 000 $ (dossier d'appel, vol. 12, onglet 131, p. 3077).

[5]                Un corollaire du premier objectif consistait à s'assurer que l'achat de la nouvelle Téléglobe ne profiterait pas des tarifs plus élevés qui seraient en vigueur avant que les tarifs prévus par le Canada ne prennent effet. Pour compenser ces montants, le Canada amènerait la nouvelle Téléglobe à émettre 1 000 actions spéciales à titre de paiement partiel des éléments d'actif, mais ces actions seraient imputées sur le paiement d'un dividende de « bénéfice excédentaire » pour le montant approximatif des bénéfices excédentaires découlant des tarifs plus élevés, soit environ 16 000 000 $. Ces actions seraient détenues par le Canada et ne seraient pas vendues avec les actions ordinaires.


[6]                Théoriquement, la privatisation comportait deux étapes : la vente des éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe à la nouvelle Téléglobe pour une contrepartie comprenant essentiellement toutes les actions avec droit de vote de la nouvelle Téléglobe et, ensuite, la vente des actions de la nouvelle Téléglobe à un acheteur du secteur privé. Cependant, les concepteurs de la privatisation ont ramené les deux transactions à un seul accord (la convention d'achat) entre le Canada, en sa qualité de propriétaire de l'ancienne Téléglobe, et Memotec, en sa qualité d'acquéreur des actions ordinaires avec droit de vote de la nouvelle Téléglobe (dossier d'appel, volume 2, onglet 8, p. 145). Cette convention établit une série de conditions préalables à la vente des actions de la nouvelle Téléglobe. Ces conditions préalables, figurant à l'article 3.02 de la convention d'achat, définissent en réalité les conditions de la transaction entre l'ancienne Téléglobe et la nouvelle Téléglobe, une société constituée en personne morale et, jusqu'à l'achat des actions, contrôlée par l'ancienne Téléglobe. La convention d'achat traite également d'autres éléments pertinents à la transaction d'achat des éléments d'actif, comme la forme du billet à ordre à être remis par la nouvelle Téléglobe à titre de paiement partiel des éléments d'actif (annexe 7). Les seuls documents auxquels l'ancienne Téléglobe et la nouvelle Téléglobe sont parties sont les différents actes de transport en vertu desquels les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe sont cédés à la nouvelle Téléglobe, comme l'acte de transport général (dossier d'appel, vol. 4, onglet 71, p. 930) et les actes de transport du titre des biens réels.

[7]                En conséquence, une enquête sur les intentions de l'ancienne Téléglobe et de la nouvelle Téléglobe est quelque peu artificielle, puisque les intentions pertinentes étaient celles du Canada et de Memotec. Compte tenu du fait que, pendant toute la période pertinente le Canada contrôlait totalement l'ancienne Téléglobe et la nouvelle Téléglobe, il lui était possible d'imposer à ces parties les conditions de la transaction qui les lieraient. Cependant, ces conditions faisaient partie des négociations entre le Canada et Memotec. En conséquence, les conditions de la convention conclue entre l'ancienne Téléglobe et la nouvelle Téléglobe figurent dans la convention d'achat ainsi que dans les actes de transport qui ont donné effet à cette convention.


[8]                La forme de la convention explique également une anomalie temporelle, à savoir que le Canada et Memotec ont convenu de l'achat et de la vente des actions de la nouvelle Téléglobe pour 448 268 000 $ le 1er avril 1987, même si la nouvelle Téléglobe n'a été constituée que le 2 avril 1987 et les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe n'ont été cédés à la nouvelle Téléglobe que le 3 avril 1987.

[9]                  Cela étant dit, la contrepartie de l'achat des éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe a été établie à l'alinéa 3.02a) de la convention d'achat. Elle prévoit que la nouvelle Téléglobe assumerait certaines obligations de l'ancienne Téléglobe et que le reste de la contrepartie, défini comme l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge, devait être abordé de la façon suivante :

[Traduction]

(vii) en ce qui concerne le reste (l'_ excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge _) des valeurs de ces éléments d'actif de Téléglobe Canada [ancienne Téléglobe] transférés à la nouvelle Téléglobe en sus de la valeur des éléments de passif monétaires pris en charge dont il est fait mention au sous-alinéa 3.02a)(vi), la nouvelle Téléglobe émettra en faveur de Téléglobe Canada :

A) ce nombre d'actions ordinaires de la nouvelle Téléglobe (les « actions achetées » );

B) 1 000 actions spéciales de la nouvelle Téléglobe à un prix d'émission et un capital déclaré de 1 $ l'action;

C) un billet à ordre négociable ne portant pas intérêt et négociable de la nouvelle Téléglobe (le « billet acheté » ), payable un an et un jour après demande de paiement, ce billet prenant essentiellement la forme du billet à ordre non signé joint aux présentes à l'annexe 7, payable en un seul montant de principal;

de sorte que le ratio de la valeur de la dette à long terme (à savoir le billet acheté plus la dette à long terme de Téléglobe Canada prise en charge par la nouvelle Téléglobe, ainsi qu'il est mentionné au sous-alinéa 3.02a)(vi)), à la valeur des capitaux propres (à savoir le total du capital déclaré des actions achetées et du capital déclaré des 1 000 actions spéciales) de la nouvelle Téléglobe soit de 45/55.

                                                                                                                                                           


[10]            À la réalisation définitive de l'offre, la nouvelle Téléglobe assumait des obligations d'environ 155 765 000 $. Elle a également émis un billet à ordre pour un montant de 143 394 000 $, 1 000 actions spéciales à un prix d'émission de 1 $ ainsi que 233 228 000 actions ordinaires à un prix d'émission de 1 $. Memotec a acquis les actions ordinaires et le billet à ordre (les valeurs achetées) sur paiement de 448 260 000 $.

[11]            La transaction s'est conclue sur la base de la meilleure estimation par le Canada du bilan de clôture de l'ancienne Téléglobe. La convention prévoyait qu'un bilan à la date de la clôture devait être préparé après la clôture et que des rajustements seraient effectués en fonction de ce bilan. Les clauses de rajustement prévoyaient ce qui suit :

[Traduction]

4.04          Rajustements du prix d'achat préliminaire.

a) Dans les 90 jours suivant la date de clôture, l'acquéreur fera en sorte que la nouvelle Téléglobe, après avoir consulté le vérificateur général du Canada et une firme de comptables agréés choisie par l'acquéreur, qui produira une vérification conjointe à cette fin, préparera un projet de bilan de la nouvelle Téléglobe à la date de clôture (le « bilan à la date de clôture » ), ce bilan devant être préparé conformément aux mêmes principes comptables utilisés jusqu'ici par Téléglobe Canada lors de la préparation des états financiers de 1986, sous réserve des rajustements prévus par l'article 3.02. [...]

[...]

c) Si l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge à la date de clôture, en fonction du bilan à la date de clôture, est au moins supérieur ou inférieur de deux pour cent (2 p. 100) au montant de 378 021 000 $, alors :

(i) soit que l'acquéreur [Memotec] versera sans délai à la Couronne le montant total en espèces par lequel l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge excède le montant de 378 021 000 $ à la date de clôture;

(ii) soit que la Couronne versera sans délai à l'acquéreur le montant total en espèces par lequel l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge est inférieur au montant de 378 021 000 $;

et le prix d'achat attribué aux actions achetées sera rajusté, à la hausse ou à la baisse, le cas échéant, dollar pour dollar, dans la mesure d'un tel rajustement.


[12]            On peut noter que la valeur de l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge a été fixée à 378 021 000 $ et que les rajustements devaient être effectués si les valeurs finales différaient de ce montant. À la suite de ces rajustements, la nouvelle Téléglobe a adopté certaines résolutions de société afin d'harmoniser son bilan avec les valeur rajustées :

[Traduction]

Que le bilan au 3 avril 1987, dont une copie est jointe comme annexe A, constitue le « bilan à la date de clôture » , et il est par les présentes approuvé, selon l'alinéa 4.04a) de la convention d'achat conclue par la Couronne et Memotec Data Inc. le 1er avril 1987;

Que MM. Jean-Claude Delorme et William McKenzie soient autorisés à témoigner d'une telle approbation, et ils sont par les présentes autorisés à le faire, au nom du conseil d'administration, en signant le bilan au 3 avril 1987;

Qu'en vertu de la finalisation du bilan au 3 avril 1987, le montant total final du billet à ordre permis par une résolution adoptée par les administrateurs de la société lors de leur réunion du 3 avril 1987 soit fixé à 143 382 433 $, et il est par les présentes fixé à ce montant, indépendamment du montant indiqué au paragraphe 3 de ladite résolution;

Qu'en vertu de la finalisation du bilan au 3 avril 1987, la contrepartie finale pour laquelle les 233 228 100 actions ordinaires ont été émises soit fixée à 231 397 979 $, et elle est par les présentes fixée à ce montant, indépendamment du montant indiqué au paragraphe 4 de ladite résolution adoptée par les administrateurs de la société lors de leur réunion du 3 avril 1987.

(Dossier d'appel, volume 12, onglet 147, page 3301.)

                                                                                                                                                           

[13]            Le bilan approuvé par le conseil d'administration indiquait que le capital déclaré des actions ordinaires était de 231 397 979 $ et que le capital déclaré des actions spéciales était de 1 000 $. Le 31 décembre 1987, ou vers cette date, la nouvelle Téléglobe a émis un dividende de 16 567 272 $ à l'égard des actions spéciales, qui ont alors été rachetées au montant de 1 000 $ (dossier d'appel, volume 12, onglet 149, p. 3312).


[14]            Lors de la période suivant immédiatement la transaction, l'appelante a déclaré, à titre de déduction, une somme pour un montant cumulatif des immobilisations admissibles en fonction du dividende versé à l'égard des actions spéciales. Toutefois, l'appelante a affirmé qu'en 1993, à la suite du changement de conseillers, le coût qu'elle a payé pour les actions émises dans le cadre de l'achat des éléments d'actif ne correspondait pas au montant de 231 397 979 $ indiqué dans son procès-verbal et ses états financiers de société, mais qu'il s'élevait plutôt à environ 344 885 000 $ et qu'elle avait droit de considérer l'excédent comme un paiement de l'achalandage, augmentant ainsi le montant cumulatif de ses immobilisations admissibles et le montant de sa déduction.

[15]            Selon l'appelante, le coût qu'elle assumait pour émettre des actions en échange de biens correspondait à la valeur pour le vendeur des biens pour lesquels les actions avaient été émises. En d'autres termes, la transaction constituait un échange. En l'espèce, la valeur des biens acquis (les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe) peut être établie par le prix payé par Memotec en vue de l'acquisition des actions ordinaires de l'appelante qui représentaient vraisemblablement la valeur des éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe. Étant donné que le prix d'achat payé par Memotec correspondait au billet à ordre et aux actions ordinaires, la valeur que Memotec a attribuée aux actions ordinaires représente la différence entre le prix d'achat et la valeur du billet à ordre :

Prix d'achat des valeurs achetées

(Billet à ordre et actions ordinaires)                                            488 268 000 $

moins la valeur du billet à ordre                                      143 382 433 $

égale le coût des actions ordinaires                                            344 885 567 $

[16]            Si l'on calcule le prix d'achat des biens de l'ancienne Téléglobe sur la base proposée par l'appelante, le prix d'achat est le suivant :


Éléments de passif pris en charge                                   155 765 000 $

Billet à ordre                                                                  143 382 433 $[1]

Actions spéciales                                                           16 568 272 $

Actions ordinaires                                                          344 885 295 $

Total                                                                             660 601 000 $             

[17]            Comme le bilan initial de l'appelante évaluait les éléments d'actif de la société à 530 547 000 $, sans tenir compte de l'achalandage, la différence entre le prix d'achat et la valeur des éléments d'actif correspond à l'achalandage qui, selon l'appelante, constitue une dépense en capital admissible.


[18]            Selon le ministre, le coût pour l'appelante des actions émises en contrepartie des éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe correspond au montant convenu par les parties ou, en l'absence d'une convention, au montant que la société a donné en émettant les actions sans paiement en espèces. Selon le ministre, les parties s'étaient entendues sur la valeur des actions. Cet accord était fondé sur un prix d'achat convenu et fixé par renvoi au bilan de la nouvelle Téléglobe (dossier d'appel, volume 12, onglet 131, page 3077). Le bilan prévu indiquait des éléments d'actif évalués à 533 837 000 $. Après l'autorisation de la prise en charge des éléments de passif et de l'émission d'un billet à ordre, le solde attribuable aux actions était d'environ 230 000 000 $. Si la Cour devait conclure qu'il n'y avait pas d'accord quant au prix d'achat, le montant accordé par la société au moment de l'émission des actions sans paiement en espèces représentait le prix d'émission de un dollar l'action. Dans l'un ou l'autre cas, le coût des actions pour l'appelante était d'environ 230 000 000 $ et non de 344 000 000 $ comme le prétend cette dernière.

[19]            Le savant juge de première instance a rejeté l'argument de l'appelante fondé sur la théorie selon laquelle la transaction constituait un échange au sens du Code civil du Bas-Canada, alors en vigueur. Il a conclu que la société n'avait jamais possédé les actions qu'elle avait émises afin d'acquérir les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe. Avant d'être émises, les actions n'existaient pas. Après leur émission, elles appartenaient à la personne en faveur de qui elles ont été émises, l'ancienne Téléglobe. À aucun moment elles n'ont été la propriété de la société : Ord Forest Pty. Ltd. c. Federal Commissioner of Taxation (1974), 130 C.L.R. 124 (H.Ct). Le savant juge de première instance a conclu qu'il ne pouvait y avoir d'échange si la partie ne possédait pas le bien qui était échangé. Il a également conclu que comme les actions ne pouvaient être émises jusqu'à ce que la contrepartie soit complètement payée, une exigence du paragraphe 25(3) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. 1985, ch. C-44, les obligations des parties ne pouvaient être simultanément remplies, ce qu'il considérait comme un élément essentiel d'un échange. Le savant juge de première instance s'est fondé sur la décision Boudreau-Barrette c. Québec (Sous-ministre du Revenu), [1994] R.D.F.Q. aux pages 13 et 14 (C.A.) quant aux caractéristiques d'un échange.


[20]            Le juge de première instance a également conclu que l'article 3.02 de la convention d'achat prévoyait la contrepartie devant être payée pour les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe, une contrepartie déterminable en argent, même si aucun prix n'était précisé. Il a en outre conclu que la Loi canadienne sur les sociétés par actions exigeait que la société enregistre le montant total de l'apport reçu en contrepartie des actions dans le compte capital pour cette catégorie d'actions (paragraphe 26(1.1)) et rien de plus que le montant de l'apport reçu en contrepartie (paragraphe 26(1.3)).


26. (1) La société tient un compte capital déclaré distinct pour chaque catégorie et chaque série d'actions.

26. (1) A corporation shall maintain a separate stated capital account for each class and series of shares it issues.

(1.1) La société verse au compte capital déclaré pertinent le montant total de l'apport reçu en contrepartie des actions qu'elle émet.

(1.1) A corporation shall add to the appropriate stated

capital account the full amount of any consideration it receives for any shares it issues.

(1.2) Nonobstant le paragraphe 25(3) et le paragraphe (2), la société qui émet des actions_:

(1.2) Notwithstanding subsection 25(3) and

subsection (2), where a corporation issues shares

a) soit en échange, selon le cas :

(i) de biens d'une personne avec laquelle elle a, au moment de l'échange, un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu,

(a) in exchange for

(i) property of a person who immediately before the exchange did not deal with the corporation at arm's length within the meaning of that term in the Income Tax Act, or

(ii) d'actions d'une personne morale avec laquelle elle a, soit au moment de l'échange, soit immédiatement après l'échange et en raison de celui-ci, un lien de dépendance au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu;

(ii) shares of a body corporate that immediately before the exchange or that, because of the exchange, did not deal with the corporation at arm's length within the meaning of that term in the Income Tax Act, or


b) soit à des actionnaires d'une personne morale fusionnante qui reçoivent ces actions en plus ou en remplacement de valeurs mobilières de la personne morale issue de la fusion, en conformité avec une convention visée au paragraphe 182(1) ou avec un arrangement visé aux alinéas 192(1)b) ou c), peut, sous réserve du paragraphe (4), verser aux comptes capital déclaré afférents à la catégorie ou à la série d'actions émises, la totalité ou une partie de la contrepartie qu'elle a reçue dans l'échange.

(b) pursuant to an agreement referred to in subsection 182(1) or an arrangement referred to in paragraph 192(1)(b) or (c) to shareholders of an amalgamating body corporate who receive the shares in addition to or instead of securities of the amalgamated body corporate, the corporation may, subject to subsection (4), add to the stated capital accounts maintained for the shares of the classes or series issued the whole or any part of the amount of the consideration it received in the exchange.(1.3) À l'émission d'une action, la société ne peut verser à un compte capital déclaré un montant supérieur à la contrepartie reçue pour cette action.

(1.3) On the issue of a share a corporation shall not add to a stated capital account in respect of the share it issues an amount greater than the amount of the consideration it received for the share.


[21]            Le savant juge de première instance a également rejeté l'argument de l'appelante selon lequel cette dernière avait droit d'inscrire un montant inférieur à la contrepartie reçue pour l'émission de ses actions parce que la transaction concernait des parties qui avaient un lien de dépendance. Il a conclu qu'il s'agissait en fait d'une transaction concernant des parties sans lien de dépendance entre elles, c'est-à-dire le Canada et Memotec, et qu'elle n'était donc pas visée par le paragraphe 26(1.2) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.


[22]            Le savant juge de première instance a ensuite examiné la jurisprudence sur laquelle s'était fondée l'appelante et a conclu qu'elle ne fait qu'établir que la valeur des actions émises par une société pour des biens représente la valeur des biens pour la société émettrice, reflétée par la contrepartie convenue. L'appelante s'est fondée sur l'affaire Stanton c. Drayton Commercial Investment Co. Ltd., [1982] All E.R. 942 (H.L.) pour proposer que lorsque des actions étaient émises par une société en échange de biens, le coût de ces biens pour la société n'était pas limité au montant nominal des actions. Dans cette affaire, le contribuable avait acquis un ensemble de valeurs d'une autre société en contrepartie de l'émission d'un certain nombre de ses actions. L'entente entre les parties prévoyait que les valeurs devaient être acquises [TRADUCTION] « au prix de [...] 3 937 962 £ [...] devant être versé par l'attribution [...] par [le contribuable] [...] de 2 461 226 [...] d'actions ordinaires de vingt-cinq pence chacune de [la société contribuable] dont le prix d'achat de chacune pour les besoins du respect de la contrepartie étant de [...] 160 pence [...]. Lesdites actions ordinaires [...] au moment de leur émission seront créditées comme si elles avaient été payées en entier [...] » . La Chambre des lords a conclu que, comme la transaction concernait des parties sans lien de dépendance et qu'elle était inattaquable, le coût des actions représentait la contrepartie convenue par les parties et non le montant nominal ou la valeur marchande des actions. Lord Tullybelton s'est exprimé de cette façon :

[TRADUCTION]

Toutefois, dans la mesure où la valeur convenue a été établie de façon honnête au moyen de négociations sans lien de dépendance, elle doit, à mon avis, être finale et ne pas être contestée par le ministère du Revenu.

Stanton c. Drayton, à la page 948.

[23]            Le savant juge a alors poursuivi en examinant l'importance du capital déclaré des actions comme l'indiquaient les dossiers financiers d'une société. Il a conclu qu'une fois que les administrateurs avaient déterminé la contrepartie relative à l'émission des actions, la société avait renoncé à son droit de demander plus d'argent ou de biens. Cette contrepartie est reflétée dans le capital déclaré de la catégorie relative aux actions. En conséquence, la contrepartie reçue se rapportait « au capital déclaré des actions qui sont émises, déterminé par les administrateurs » .

[24]            Il s'en est suivi que le coût, pour l'appelante, des actions émises correspondait au montant indiqué dans les états financiers de cette dernière, comme le capital déclaré des actions ordinaires, et non à la valeur des éléments d'actif démontrée par le prix que Memotec était prête à payer pour les actions et grâce auquel elle les a acquises. Selon cette analyse, le prix d'achat des éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe était le suivant :


Prise en charge des éléments de passif    155 765 000 $

Billet à ordre                                                      143 383 000 $

Actions ordinaires                                              231 397 000 $

Erreur d'arrondi                                                            1 000 $

Total                                                                 530 547 000 $

[25]            Le bilan initial de l'appelante indique des éléments d'actif de 530 547 000 $ sans tenir compte de l'achalandage. Il s'ensuit que le prix d'achat est alloué en totalité et qu'il n'y a pas de montant à allouer pour l'acquisition de l'achalandage. Le savant juge de première instance conclut donc ainsi :

[102] Le débours ou la dépense faite ou engagée par la nouvelle Téléglobe pour acquérir l'entreprise de Téléglobe est la contrepartie déterminée par les parties dont fait état la résolution des administrateurs et que reflète l'augmentation du capital déclaré des actions en question de la nouvelle Téléglobe. L'appelante n'a pas fait ni engagé de débours ou de dépense pour acquérir l'achalandage de l'ancienne Téléglobe.

[26]            Pour ce qui est de la question du dividende des « bénéfices excédentaires » , le savant juge a conclu que les mêmes principes s'appliquaient et que le coût pour la société était reflété dans le capital déclaré de la catégorie d'actions spéciales et qu'il ne s'agissait pas du montant du dividende. (Motifs du jugement, par. 97). En conséquence, il n'y a eu ni débours ni dépense à l'égard de l'achalandage relativement au dividende.


[27]            À mon avis, il ressort clairement de la convention proprement dite que les parties avaient convenu d'un prix d'achat pour les actions. Les dispositions de l'article 3.02 de la convention d'achat prévoyaient un cadre de calcul de ce prix. Les deux éléments du calcul consistent en les éléments de passif pris en charge et en l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge. Le montant que les parties considéraient comme l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge est celui qui figure à l'article 4.04 de la convention, la clause de rajustement. Il y est prévu que si le calcul de l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge fondé sur les états financiers à la date de clôture diffère de plus de 2 p. 100 du montant de 378 021 000 $, le prix d'achat des actions sera rajusté. Comme l'excédent des éléments d'actif sur les éléments de passif monétaires pris en charge était composé du billet à ordre, des actions spéciales et des actions ordinaires, la valeur des deux catégories d'actions est la différence entre 378 021 000 $ et le montant du billet à ordre, ou approximativement 234 000 000 $.

                                                                                                                                                           

[28]            La décision dans l'affaire Stanton c. Drayton est conforme à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur cette question. Dans l'arrêtShell Canada Ltd c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622 à la page 641, la juge MacLachlin (tel était alors son titre) a conclu que, en l'absence d'un trompe-l'oeil ou d'une disposition législative au contraire, les rapports juridiques établis par les contribuables doivent être respectés :

[...] notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établis par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe-l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. [...]


[29]            Le même principe a été répété dans l'arrêt Singleton c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1046 au paragraphe 27 et dans l'arrêt Ludco Enterprises Ltd. c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082 au paragraphe 39. Bien que ces commentaires aient été formulés dans le contexte d'une tentative par le ministre d'examiner les intentions cachées derrière la transaction, ils s'appliquent avec autant de force aux personnes autres que le ministre.

[30]            Malgré le fait que la nouvelle Téléglobe et l'ancienne Téléglobe aient un lien de dépendance, il s'agissait d'une transaction unique négociée entre des parties sans lien de dépendance, le Canada et Memotec. C'est leur entente qui a déterminé les valeurs en question. Le fait que ces valeurs puissent avoir été établies en considération de contreparties autres que la valeur marchande des éléments d'actif signifie simplement que la valeur marchande ne constituait pas la mesure de la valeur des éléments d'actif pour les parties. Il n'y a pas de trompe-l'oeil en l'espèce, et les présomptions de la Loi de l'impôt sur le revenu ne favoriseraient pas l'appelante.

                                                                                                                                                           

[31]            En l'absence de facteurs qui rendraient la transaction inattaquable, la convention des parties détermine le coût, pour la société, de l'émission d'actions en échange de biens. En vertu de la loi, la société doit refléter la véritable contrepartie reçue pour l'émission des actions de ses comptes de capital. En conséquence, bien que l'on puisse affirmer que les comptes de capital sont une indication de la convention conclue entre les parties, c'est cette dernière et non les comptes de capital qui déterminent le coût. Par conséquent, le juge de première instance avait raison de dire que la contrepartie correspondait au montant convenu entre les parties et « reflété » dans la résolution adoptée par les administrateurs et par l'augmentation du capital déclaré des catégories d'actions émises (voir le paragraphe 12 ci-dessus).


[32]            Il s'ensuit que le coût pour l'appelante de l'émission d'actions en tant que contrepartie pour les éléments d'actif de l'ancienne Téléglobe correspond au montant convenu entre les parties, comme l'atteste le capital déclaré des actions ordinaires de l'appelante. En conséquence, le prix d'achat des éléments d'actif est égal à la valeur de l'actif corporel, de sorte que l'appelante n'a ni fait ni engagé de débours ou de dépenses pour acquérir l'achalandage. L'appel devrait être rejeté avec dépens.

                     « J.D. Denis Pelletier »                                                                                                                                           Juge

« Je souscris,

le juge Robert Décary »

« Je souscris,

le juge Gilles Létourneau »


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                             SECTION D'APPEL

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                           

DOSSIER :                                             A-642-00

INTITULÉ :                                             Téléglobe Canada Inc.

c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                     Le 18 septembre 2002

MOTIFS DU JUGEMENT :                  Le juge Pelletier

Y ONT SOUSCRIT :                               Le juge Décary

Le juge Létourneau

DATE :                                                     Le 25 octobre 2002

COMPARUTIONS :

André P. Gauthier                                                                      POUR L'APPELANTE

Guy Laperrière                                                                          POUR L'INTIMÉE

Yannick Houle

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                          

Heenen Blaikie                                                                          POUR L'APPELANTE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                                                      POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]On présume que, lorsque la formule précisée à l'alinéa 3.02a) a été appliquée au bilan à la date de clôture, les montants du billet à ordre et des actions ordinaires requis pour respecter la formule différaient des valeurs utilisées pour les besoins de la clôture. En conséquence, les parties semblent avoir rétroactivement rajusté ces valeurs afin de se conformer au bilan à la clôture, et les rajustements ne sont pas inclus dans le dossier d'appel de sorte qu'il est impossible de rapprocher les chiffres.


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