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Date : 20040908

Dossier : A-233-03

Référence : 2004 CAF 287

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                             SHELDON BLANK

                                                                                                                                              appelant

                                                                                                             (intimé dans l'appel incident)

                                                                             et

                                                  LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                                                                                                                  intimé

                                                                                                         (appelant dans l'appel incident)

                                    Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 31 mai 2004

                                   Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT RENDU EN APPEL :                                      LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE DÉCARY

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

MOTIFS DU JUGEMENT SUR L'APPEL INCIDENT :                                  LE JUGE PELLETIER

Y A SOUSCRIT :                                                                                                 LE JUGE DÉCARY

MOTIFS DISSIDENTS :                                                                            LE JUGE LÉTOURNEAU


Date : 20040908

Dossier : A-233-03

Référence : 2004 CAF 287

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

                                                             SHELDON BLANK

                                                                                                                                              appelant

                                                                                                             (intimé dans l'appel incident)

                                                                             et

                                                  LE MINISTRE DE LA JUSTICE

                                                                                                                                                  intimé

                                                                                                         (appelant dans l'appel incident)

                                                                                                                                                           

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU(s'exprimant au nom de la Cour relativement à l'appel et juge dissident relativement à l'appel incident)

[1]                Il s'agit d'un appel et d'un appel incident interjetés contre la décision du juge des requêtes de la Cour fédérale qui a été rendue par suite d'un recours en révision en vertu de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. ch. A-1 (la Loi).


[2]                L'appel soulève le bien-fondé de la décision du juge des requêtes concernant la communication de renseignements qui auraient été obtenus à titre confidentiel (article 13 de la Loi), de renseignements personnels (section 19), de documents contenant des avis (article 21), de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client (article 23) et la communication partielle de documents privilégiés (article 25). Il soulève également la portée, en vertu de l'article 46, des pouvoirs de l'instance révisionnelle saisie d'un recours en vertu de l'article 41 de la Loi. Plus précisément, l'appelant prétend que le juge des requêtes a commis une erreur quand il a dit qu'il n'avait pas compétence pour ordonner, en vertu de l'article 46 de la Loi, la production de documents qui n'avaient pas été déposés en preuve devant lui pendant l'instance révisionnelle.


[3]                L'appel incident interjeté par le ministre de la Justice soulève une question épineuse concernant le secret professionnel des avocats visé à l'article 23 de la Loi. La question est particulièrement importante pour ce qui concerne l'administration de la justice et l'intérêt public : le juge a-t-il commis une erreur quand il a décidé que le privilège des communications liées à une instance, s'il peut être invoqué dans le but d'empêcher la divulgation d'un document, expire lorsque le litige prend fin et, par conséquent, que les documents qui contiennent des renseignements protégés par le secret professionnel de l'avocat doivent être communiqués? La question est encore plus difficile à trancher puisque l'intimé, qui se représente lui-même, n'est pas juriste et comprend mal les subtilités de ce domaine complexe du droit. S'aventurer dans ce domaine, nous le verrons, est en soi un exercice périlleux. S'y aventurer sans pouvoir bénéficier des conseils éclairés des deux parties équivaut presque à une ballade en terrain miné inconnu en espérant que les conseils partisans qui sont dispensés permettront de le traverser en toute sécurité.

[4]                Je commencerai par la question du secret professionnel de l'avocat qui est soulevée tant dans l'appel que dans l'appel incident. Toutefois, il convient, en premier lieu, de présenter un bref résumé des faits pertinents.

Les faits et la procédure

[5]                Le 17 octobre 1997, l'appelant a présenté une première demande au Bureau de l'accès à

l'information et de la protection des renseignements personnels (Bureau) du ministère de la Justice afin d'obtenir tous les documents relatifs aux poursuites intentées contre lui et contre la société Gateway Industries Ltd. (Gateway) pour des infractions réglementaires perpétrées contrairement à la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14 et au Règlement sur les effluents des fabriques de pâtes et papiers, DORS/92-269.


[6]                L'appelant était un dirigeant de Gateway, une société qui exploitait une papeterie à Winnipeg. Treize (13) accusations ont été portées contre lui et contre Gateway en juillet 1995 : cinq accusations reliées à la pollution alléguée de la rivière Rouge et huit accusations pour contravention aux exigences en matière de rapport, conformément à la Loi sur les pêches. Il s'en est suivi une saga judiciaire concernant la poursuite de ces accusations. Résumons en disant que la Cour provinciale du Manitoba a annulé les huit accusations relatives aux exigences en matière de rapport en avril 1997. La poursuite relative aux infractions de pollution punissables sur déclaration sommaire de culpabilité s'est poursuivie, mais la Cour du Banc de la Reine du Manitoba les a annulées le 10 avril 2001. En juillet 2002, la Couronne a porté de nouvelles accusations par voie de mise en accusation. Le procès devait avoir lieu du 19 avril 2004 au 25 juin 2004, mais en février 2004, la Couronne a suspendu la procédure et elle a avisé l'appelant que la poursuite ne serait pas rétablie.

[7]                L'appelant et la société Gateway ont intenté une poursuite en dommages-intérêts contre le gouvernement fédéral en alléguant la fraude, le complot, le parjure et l'abus de pouvoir en matière de poursuite. L'appelant a tenté d'obtenir des documents du gouvernement en conformité avec la Loi tant dans le contexte de la poursuite pénale que de l'action civile.

[8]                Suivant la première demande présentée en octobre 1997, quelque 2 297 pages de documents ont été communiquées à l'appelant. La divulgation de plus de mille pages (1 226) a été refusée. La communication de trente-six (36) pages supplémentaires a également été refusée, mais en partie seulement.


[9]                En mai 1999, l'appelant a présenté une deuxième demande de renseignements au Bureau. Il voulait obtenir tous les documents exemptés par suite de la première demande. Les exemptions ont été maintenues, sauf pour ce qui concerne 353 pages qui ont été communiquées. L'appelant a donc déposé une plainte auprès du Commissaire à l'information (Commissaire) concernant les exemptions invoquées par le Bureau. S'en sont suivies une série de rencontres, de consultations et de discussions entre le Bureau, le directeur des enquêtes du Commissaire et d'autres organismes gouvernementaux, notamment la Gendarmerie royale du Canada. Puis, d'autres pages, savoir 81 pages et 131 pages lui ont été communiquées en deux fois. Le directeur des enquêtes a reconnu que la grande majorité des 1 500 pages avaient été régulièrement exemptées en vertu du secret professionnel de l'avocat, mais il s'est dit préoccupé à l'égard de plus d'environ 277 pages à l'égard desquelles le secret professionnel de l'avocat avait été invoqué. Il y a eu d'autres discussions et, en fin de compte, 190 de ces pages ont été communiquées et les 87 pages restantes ont été exemptées conformément aux paragraphes 13(1), 19(1), 20(1), 21(1) et à l'article 23 de la Loi. Le 28 décembre 2000, 167 autres pages ont été communiquées en tout ou en partie.

[10]            Je viens de décrire, en partie, la chronologie de la communication de documents, ainsi que le nombre desdits documents qui ont été divulgués afin de démontrer l'importance des exemptions réclamées initialement par le Bureau, en conformité avec la Loi. La description des événements met également en lumière la valeur et l'importance du rôle essentiel qu'a joué le Commissaire en appliquant les objectifs et l'esprit de la Loi.

[11]            Le juge des requêtes a ordonné la communication supplémentaire, quoique limitée, de nouveaux documents soit à cause des obligations de communication de la preuve dans une procédure pénale ou civile soit parce que l'appelant avait déjà en sa possession ces documents. Les documents ont été communiqués à l'exception des pages visées par l'appel incident.


La portée du secret professionnel de l'avocat visé à l'article 23 de la Loi et son importance en matière de communication de la preuve

[12]            L'article 23 de la Loi permettra de mieux comprendre l'analyse qui suit :

23. Secret professionnel des avocats - Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client.

23. Solicitor-client privilege - The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains information that is subject to solicitor-client privilege.

[13]            Dans Stevens c. Canada, [1998] 4 C.F. 89, la Cour a rejeté l'argument de l'appelant qui prétendait que le secret professionnel des avocats visé à l'article 23 de la Loi devait recevoir une interprétation étroite puisque la Loi doit favoriser la communication de renseignements. En outre, au paragraphe 23, le juge Linden a conclu que l'article 23 incorporait la doctrine du secret professionnel en common law, que la nature confidentielle des documents devait être déterminée selon la common law et que, s'il s'avérait que les documents étaient assujettis au privilège, la décision discrétionnaire de divulguer devait être prise selon les principes de la Loi :



L'effet des dispositions de la Loi sur le contenu de la protection est nul. Le juge Rothstein a décidé à bon droit que l'article 23 de la Loi comprend le principe du secret des communications entre client et avocat en common law. Ce terme n'est pas défini ailleurs dans la Loi. Aussi, on ne peut que présumer que ce que visent les mots « secret des communications entre client et avocat » est la doctrine du secret des communications entre client et avocat en common law. Cela étant, il est nécessaire pour l'autorité responsable de déterminer, avant d'examiner l'effet de la Loi, si un document est assujetti au privilège. Le cas échéant, elle peut alors en refuser la divulgation. Mais la question préliminaire est déterminée non pas dans le contexte de la Loi, mais dans le contexte de la common law. Si le document bénéficie de la protection, la décision discrétionnaire de divulguer ou non fondée sur l'article 23 est alors prise dans le contexte de la Loi accompagnée de ses présuppositions philosophiques.

The effect of the provisions of the Law on the content of the privilege is nil. It was correctly determined by Rothstein J. that section 23 of the Law incorporates holus-bolus the common law of solicitor-client privilege. That term is not defined elsewhere in the Law. Hence, it can only be presumed that what is covered by the words "solicitor-client privilege" is the common law doctrine of solicitor-client privilege. That being the case, it is necessary for the government head to determine, before considering the operation of the Law, whether a document is subject to the privilege. If it is, then he or she may refuse divulgation. But the preliminary question is determined not in the context of the Law, but in the context of the common law. If the material is subject to the privilege, then the discretionary decision under section 23, whether to disclose it or not, is done in the context of the law along with its philosophical presuppositions.

                                                                                                                         [Non souligné dans l'original.]

[14]            Par la suite, dans une affaire concernant l'appelant, Blank et Gateway Industries Ltd. c. Canada, A-608-00, 3 décembre 2001 (C.A.F.), la juge Sharlow a rejeté l'argument de l'appelant qui prétendait que les documents qui auraient dû être divulgués dans le cadre de la poursuite criminelle en vertu des principes énoncés dans l'arrêt Stinchcombe (R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326) devaient maintenant l'être en vertu de la Loi. Au paragraphe 12 de la décision, la juge a réaffirmé, au nom de la Cour, que pour déterminer si les documents avaient été communiqués en conformité avec la Loi, la Cour ne devait examiner que la Loi et la jurisprudence qui en guide l'interprétation et l'application. « Les lois exigeant la communication de documents dans d'autres procédures juridiques ne peuvent restreindre ni élargir la portée de la communication exigée par la Loi sur l'accès à l'information. »

[15]            En d'autres termes, les deux décisions (Stevens et Blank) étayent l'excellent principe selon lequel, même si la détermination de la nature confidentielle d'un dossier est régie par la common law et assujettie à celle-ci, la communication d'un dossier privilégié est régie et appliquée conformément à la Loi.

[16]            Cela m'amène à examiner la portée du privilège en vertu de la common law afin de définir l'étendue et le sens du privilège selon la Loi.


La portée et le contenu du secret professionnel de l'avocat en common law

[17]            Les parties reconnaissent que, en common law, le secret professionnel de l'avocat protège les communications de nature confidentielle entre un avocat et son client, communications qui comprennent la consultation de l'avocat et les conseils juridiques que ce dernier donne, qu'il s'agisse ou non de questions litigieuses et, en outre, conformément à ce que les tribunaux américains qualifient de doctrine relative aux préparatifs d'une instance, les préparatifs de l'avocat c'est-à-dire les documents obtenus par un avocat dont les connaissances, les capacités et le travail juridiques lui permettent de conseiller son client à l'occasion ou en prévision d'une instance : voir Hodgkinson c. Simms (1988), 33 B.C.L.R. (2d) 129, à la page 142 (C.A.C.-B.). Les juges se sont exprimés à peu près en ces termes dans Susan Hosiery Ltd. c. Minister of National Revenue, [1969] 2 Ex.C.R. 27 à la page 33, dans lequel le président Jackett de la Cour canadienne de l'Échiquier a énoncé les principes suivants qui ont été repris dans plusieurs décisions subséquentes :

[TRADUCTION] À mon sens, on parle en réalité de deux principes tout à fait distincts lorsqu'on parle du secret professionnel de l'avocat, à savoir :

As it seems to me, there are really two quite different principles usually referred to as solicitor and client privilege, viz:

a) toutes les communications, verbales ou écrites, de nature confidentielle, qui sont échangées entre l'avocat et son client et qui se rapportent directement à la consultation de l'avocat ou aux conseils ou services juridiques que l'avocat donne (y compris les documents de travail de l'avocat qui s'y rapportent directement) sont protégées;

(a) all communications, verbal or written, of a confidential character lawyer, between a client and a legal adviser directly related to the seeking, formulating or giving of legal advice or legal assistance (including the legal adviser's working papers, directly related thereto) are privileged; and

b) tous les documents existants ou à venir, qui sont créés ou obtenus spécialement pour le dossier constitué par l'avocat en vue du procès sont protégés.

(b) all papers and materials created or obtained specially for the lawyer's "brief" for litigation, whether existing or contemplated, are privileged.

[18]            Alors que la Cour a qualifié le premier volet de privilège « de la consultation juridique » (se rapporter à la décision des juges MacGuigan et Décary dans Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, [1995] 2 C.F. 762, à la page 769), le deuxième volet ou aspect du privilège est appelé communément le privilège des communications liées à une instance. C'est à l'égard de la nature, du statut et de la durée de ce deuxième volet du privilège que les parties ont des points de vue différents et à l'occasion contraires, comme nous le verrons plus tard en détail. Il suffit de dire que l'appelant prétend que le privilège des communications liées à une instance qui, selon lui, fait partie du secret professionnel des avocats dont il est fait mention à l'article 23 de la Loi, est en fait un privilège distinct de durée limitée dont la portée et le contenu sont régis par des règles qui sont foncièrement différentes de celles qui s'appliquent au privilège « de la consultation juridique » . Tout en reconnaissant les limites du privilège des communications liées à une instance, l'intimé prétend, en se fondant sur Hodgkinson c. Simms, précité, que ce privilège n'est qu'un volet du privilège global qu'est le secret professionnel de l'avocat qui a une durée illimitée sauf renonciation et que, par conséquent, les documents visés sont exemptés indéfiniment de la communication.


[19]            Il est également établi en droit que le secret professionnel de l'avocat a d'abord été une règle de preuve qui s'est transformée en règle de fond qui peut être soulevée dès le début d'une instance. D'ailleurs, le privilège, même s'il porte toujours ce nom, fait référence au droit d'une personne par opposition à un privilège, à ce que les communications avec son avocat demeurent confidentielles.

[20]            Dans Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, à la page 839, le juge Dickson (plus tard juge en chef), a écrit, en parlant du droit à la confidentialité :

On peut s'écarter de la notion actuelle du privilège et aborder l'affaire dans une optique plus large, savoir, [...] le droit de communiquer en confidence avec son conseiller juridique est un droit civil fondamental, fondé sur la relation exceptionnelle de l'avocat avec son client. [...]

Le juge Lamer (plus tard juge en chef) a réaffirmé ce principe en l'élargissant dans Descôteaux et autre c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860. En parlant du droit au sens de l'arrêt Solosky, le juge Lamer a écrit, aux pages 871 et 893 :

C'est un droit personnel et extra-patrimonial qui accompagne le citoyen dans ses rapports avec les autres. Il donne ouverture, tout comme les autres droits personnels extra-patrimoniaux, aux recours préventifs ou curatifs que le droit prévoit selon la nature de l'agression qui le menace ou dont il a été l'objet.

[...]

Le droit fondamental que constitue le droit de communiquer en confidence avec son conseiller juridique a donné naissance à une règle de preuve de même qu'à une règle de fond.

                                                                                                                         [Non souligné dans l'original.]

Il a ajouté, à la page 893, que le droit a des répercussions lorsqu'un mandat d'arrestation est décerné et exécuté :

Ainsi, le juge de paix n'a pas compétence pour ordonner la saisie de documents qui ne seraient pas recevables en preuve devant un tribunal parce que couverts par le privilège de confidentialité (la règle de preuve).


En d'autres termes, la règle de fond entre en jeu pour empêcher la divulgation bien avant que la règle de preuve ne puisse être évoquée. Le juge Lamer a cité, en les approuvant, les propos du juge Southey, qui a dit, dans l'affaire Re Borden & Elliott and The Queen (1975), 30 C.C.C. (2d) 337 (C.S. Ont.), à la page 343 :

[traduction]

Si le privilège ne peut être invoqué pour empêcher la saisie et l'examen de documents en vertu d'un mandat de perquisition, la Couronne pourrait, quoi qu'il en soit, saisir et examiner les dossiers et le mémoire de l'avocat de la défense dans une poursuite pénale. L'accusé et son avocat seront bien peu réconfortés de savoir que, pour se protéger dans cette situation, ils ne disposent que d'un seul moyen : empêcher la production en preuve des documents saisis et examinés. Voilà un résultat qui serait, à mon avis, absurde.

                                                                                                                         [Non souligné dans l'original.]

Dans la dernière décision sur la portée du privilège, Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 C.S.C. 31, au paragraphe 18, le juge Major a fait siens, au nom de tous les juges de la Cour, les propos de la Cour dans l'arrêt Lavallée, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209 et R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445 :

[... ] le secret professionnel de l'avocat [le privilège avocat-client] doit être aussi absolu que possible pour assurer la confiance du public et demeurer pertinent. Par conséquent, il ne cède le pas que dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas.

                                                                                                                              [Souligné dans l'original.]


L'approche reconnaît que le secret professionnel de l'avocat est, en fait, une exemption justifiée de la communication et, sauf exception, qu'il n'est pas nécessaire de tenir compte à la fois de l'intérêt public en matière de communication des renseignements et l'intérêt public en matière d'administration régulière de la justice quand il est établi que les documents en cause sont privilégiés. Cette dernière interprétation de la portée du secret professionnel de l'avocat vise toutefois le premier volet du privilège. La Cour suprême ne s'est pas encore prononcée sur la nature, le statut et la durée du privilège des communications liées à l'instance. Comme nous le verrons plus tard, ce privilège soulève des questions différentes.

[21]            Somme toute, le secret professionnel de l'avocat, jadis un privilège, est devenu un droit et jadis une règle de preuve, est devenu une règle de fond. La protection visait tout d'abord les communications de nature confidentielle entre un avocat et son client qui se rapportaient à l'obtention de conseils juridiques. Aujourd'hui, le privilège s'applique également aux faits qui entourent la relation entre l'avocat et son client ou qui en découlent puisque le contenu du privilège et la protection qu'il confère ne peuvent être fondés sur la distinction entre un fait et une communication : Maranda c. Richer, [2003] 3 R.C.S. 193, aux paragraphes 27 à 32. Le privilège a également été élargi de manière à englober les communications entre l'avocat et son client dans le cadre d'autres litiges et consultations sur des questions litigieuses ou non : voir Solosky c. La Reine, précité, à la page 834.


[22]            Enfin, le volet « communications liées à une instance » du privilège a été élargi de manière à s'appliquer aux documents qui ont été préparés principalement à l'occasion ou en prévision d'une instance. Toutefois, à cause des nouvelles règles et des nouveaux principes en matière d'accès à l'information dans l'intérêt public, certains membres de la communauté juridique ont conclu que ce volet, dans le cadre d'un litige, était un privilège relatif, distinct du privilège absolu qui s'appliquait aux communications confidentielles entre un client et son avocat dans le cadre d'une consultation juridique. Dans un article bien documenté intitulé : « Solicitor- Client Privilege and Litigation Privilege in Civil Litigation » publié dans la Revue du Barreau canadien, 1998, vol. LXXVII, aux pages 332 et 333, les auteurs, G.D. Watson et F. Au, examinent également le privilège des communications liées au litige tel qu'il existe en Grande- Bretagne et en Australie. Ils mentionnent à la note 68, page 330, qu'une recherche effectuée en juin 1998 au Canada, dans la base de données CJ de Quick Law, a généré 187 affaires dans lesquelles apparaissaient les termes « litigation privilege » (privilège des communications liées à une instance). Une recherche effectuée le 23 août 2004 a généré 569 affaires.

[23]            Passons maintenant à la nature, au statut et à la durée du privilège des communications liées à un litige en common law.

La nature, le statut et la durée du privilège des communications liées à un litige en common law

[24]            À l'origine, comme je l'ai mentionné plus haut, le privilège des communications liées au litige faisait partie du secret professionnel de l'avocat et il aurait eu, semble-t-il, le même effet que le privilège des consultations juridiques : les documents étaient exemptés en permanence de la divulgation, sauf si le client renonçait au privilège. Tel était l'état du droit applicable dans le contexte du gouvernement fédéral conformément à l'arrêt Susan Hosiery Ltd. c. Minister of National Revenue, précité. Le principe a été décrit en termes clairs par le juge en chef McEachern qui a dit, au nom de la majorité des juges, dans l'affaire Hodgkinson c. Simms, précitée, à la page 136 :

[traduction]


Il me semble donc que, même si, à des fins de clarté, le privilège comporte habituellement deux volets, savoir a) les communications de nature confidentielle avec un client; b) le contenu du mémoire de l'avocat; en fait, il s'agit d'un privilège global qui permet au client de parler en toute confidence avec son avocat, à l'avocat d'effectuer les recherches et de réunir les documents nécessaires afin d'être en mesure de conseiller correctement son client et de lui offrir les services juridiques nécessaires sans que quiconque, notamment une partie adverse, puisse s'ingérer dans cette relation extrêmement confidentielle. [Non souligné dans l'original.]

                                                                                                                                                           

[25]            Plus tôt, aux pages 133 et 134, le juge a rejeté, en la qualifiant d'inutile, toute tentative de distinguer, à l'instar des tribunaux américains, entre le secret professionnel de l'avocat et la « documentation créée en vue d'une instance » . Il n'a pas non plus jugé utile de reconnaître une catégorie distincte d'immunité contre la communication. D'ailleurs, dans un article intitulé « Privilege in Experts' Working Papers » publié dans (1997) LXXVI Revue du Barreau canadien 346, J.D. Wilson a conclu, à la page 373, que l'approche [traduction] « américaine, pour ce qui concerne le privilège des communications liées à l'instance, a fini par entraîner un bourbier de litiges et créer un climat à ce point malsain que les clients ne sont plus tout à fait francs avec leur avocat, situation dont on ne voudrait pas au Canada » .


[26]            Cela ne veut toutefois pas dire, pour ce qui concerne le fond et le contenu, qu'on ne reconnaissait aucune différence entre les deux volets du privilège. L'exemption du mémoire de l'avocat ou de la documentation créée en vue d'une l'instance, tel que susmentionné, était régie par le principe du « dominant purpose » du litige en cours ou prévu. Contrairement au privilège de la consultation en vertu duquel les communications entre une tierce partie et un avocat ne bénéficient que d'une protection limitée, l'exemption s'appliquait aux communications de nature non confidentielle entre l'avocat et une tierce partie, aux photocopies de documents originaux non privilégiés, ainsi qu'aux documents qui ne sont pas des communications au sens conventionnel du terme, notamment les chèques, factures et paiements : voir Hodgkinson c. Simms, précité, R.J. Sharpe, « Claiming Privilege in the Discovery Process » publié dans Law in Transition: Evidence, L.S.U.C. Special Lectures, Toronto: DeBoo, 1984, page 163, aux pages 164 et 165.

[27]            Au fil du temps, sans doute sous l'influence américaine, la justification du privilège des communications liées à un litige a changé : le privilège est devenu un privilège distinct, quoique diminué. En parlant de l'expansion du privilège, Sopinka, Lederman et Bryant ont dit, dans The Law of Evidence in Canada, Toronto, Butterworths, 1992, à la page 653 :

[traduction]

[...] même si l'expansion est née du privilège traditionnel qu'est le secret professionnel de l'avocat, la politique qui justifiait cette expansion était bien différente de celle de son précurseur. Elle n'avait rien à voir avec la liberté d'un client de consulter franchement et en privé son avocat; au contraire, elle était fondée sur notre système contradictoire dans lequel les avocats sont maîtres de la présentation des faits à la Cour et choisissent eux-mêmes les éléments de preuve qui seront produits, ainsi que leur mode de présentation dans le but d'établir leurs arguments ou moyens de défense, sans qu'ils soient obligés de communiquer, avant le procès, la preuve recueillie pendant la préparation de la cause. Par conséquent, c'est une erreur de qualifier cet aspect du privilège de secret professionnel de l'avocat qui vise principalement la relation professionnelle entre les deux personnes.

                                                                                                                         [Non souligné dans l'original.]


[28]            Dans General Accident Assurance Co. c. Chrusz (1999), 180 D.L.R. (4th) 241, à la page 255, la Cour d'appel de l'Ontario a dit que le privilège des communications liées à un litige était un moyen pratique d'assurer aux avocats une certaine zone de confidentialité. Aujourd'hui, on tend de plus en plus à demander la communication complète de la preuve dans un litige et, à cet égard, la Cour a conclu qu'il s'agissait d'une zone de confidentialité qui perdurait lorsque les exigences actuelles en matière de communication préalable avaient été respectées. Le privilège, selon le juge Carthy, n'est pas sacro-saint et ne repose pas, comme le secret professionnel de l'avocat, sur la nécessité de préserver le caractère confidentiel d'une relation. Le juge, en affirmant qu'il rejetait les motifs exprimés par la majorité des juges dans l'arrêt Hodgkinson, précité, a adopté un point de vue plus restreint du privilège dans le but de favoriser la communication de la preuve. Il a écrit, à la page 260 : [traduction] « la zone de confidentialité est donc restreinte dans le but de favoriser la communication rapide des faits et le règlement équitable du conflit » . Aux pages 261 et 264, il a conclu : [traduction] « alors que le privilège du secret professionnel de l'avocat est inattaquable, le privilège des communications liées à un litige n'est qu'une protection contre la partie adverse qui s'éteint à la fin du litige » . Ainsi, dans un contexte litigieux, il était inutile, selon lui, de ne pas communiquer les renseignements visés par le privilège des communications liées à un litige alors que le litige était réglé et que les renseignements s'avéraient pertinents dans une autre instance.

[29]            Le juge Doherty s'est montré disposé à aller encore plus loin. Il a dit que le privilège des communications liées à un litige [traduction] « est un privilège relatif auquel on peut déroger si les effets négatifs du privilège sur les autres intérêts de la société l'emportent clairement sur l'effet positif de la reconnaissance du privilège dans les circonstances en cause » : ibidem, à la page 288. Le juge Rosenberg a refusé d'approuver ce type d'analyse fondée sur les avantages et les inconvénients dans l'appréciation des intérêts contradictoires que sont la confidentialité et la divulgation. Il a dit que soupeser ces intérêts entraînerait une incertitude inutile et une pléthore de motions préalables au procès en matière civile : ibidem, à la page 295.


[30]            La Cour, à l'instar d'autres tribunaux canadiens, a reconnu qu'il fallait distinguer entre les deux types de privilège et leur justification, notamment dans l'affaire Nation et Bande des Indiens Samson c. Canada, citée plus haut : voir, par exemple, Dupont Canada Inc. c. Emballage St-Jean Ltée, [1999] A.C.F. no 1429, le juge Hugessen, confirmé (2000) 266 N.R. 366 (C.A.F.); Belgravia Investments Ltd. c. Canada (2002), 220 F.T.R. 246; Richter Gedeon Vegyészeti Gyar RT c. Merck & Co. (1996), 113 F.T.R. 1; Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 362; Jesionowski c. Gorecki (1992), 55 F.T.R 1; Gower c. Tolko Manitoba Inc., 2001 mbca 11; Chmara c. Nguyen (1993), 85 Man. R. (2d) 227 (C.A. Man.); Opron Const. Co. c. Alta. (1989), 71 Alta. L.R. (2d) 28 (C.A. Alb.); Global Petroleum c. CBI Industries Inc. et al. (1998), 172 N.S.R. (2d) 326 (C.A.N.-É.).

[31]            Je suis convaincu que le secret professionnel des avocats visé à l'article 23 de la Loi englobe le privilège des communications liées à un litige. Il n'est pas nécessaire, pour les fins du présent appel, de trancher la question de la durée du privilège des communications liées à un litige à l'échelon fédéral d'une manière générale ou en vertu de la common law fédérale. La question soulevée dans l'appel incident est celle de la durée du privilège des communications liées à un litige que prévoit l'article 23 de la Loi. Nous allons maintenant examiner cette question.

La durée du privilège des communications liées à un litige en vertu de la Loi


[32]            Dans une récente décision Ontario (Procureur général) c. Canoe, C 37981, 29 novembre 2002, à la page 3, autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada rejetée le 15 mai 2003, la Cour d'appel de l'Ontario a commencé par affirmer encore une fois que la protection que confère le privilège des communications liées à un litige en common law prend fin lorsque le litige est réglé. Cette affaire est intéressante pour deux raisons. Il s'agit de faits analogues, sinon identiques, aux faits qui nous occupent et d'une situation dans laquelle un responsable d'une institution fédérale a refusé de communiquer un dossier assujetti au privilège des communications liées à une instance. À l'instar de M. Blank, le demandeur sollicitait la communication, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F-31, de documents, notamment de travail qui se trouvaient dans le dossier du procureur de la Couronne concernant un incident qui avait donné lieu à une poursuite pénale, mais qui, par la suite, avait entraîné une poursuite civile.

[33]            Toutefois, la Cour a conclu que le privilège des communications liées à un litige visé à l'article 19 de la loi ontarienne n'était pas limité dans le temps. L'article 19 est ainsi libellé :

La personne responsable peut refuser de divulguer un document protégé par le secret professionnel de l'avocat. Il en est de même d'un document élaboré par l'avocat-conseil de la Couronne, ou pour son compte, qui l'utilise soit dans la communication de conseils juridiques, soit à l'occasion ou en prévision d'une instance.

Autrement dit, la loi ne reprenait pas la limite prévue par la common law.

[34]            En l'espèce, l'avocat de l'intimé prétend que le privilège des communications liées à un litige visé à l'article 23 de la Loi n'est pas assujetti à une limite de temps au motif que, lors de l'entrée en vigueur, en juillet 1983, de la Loi édictée en 1982, la common law englobait tant le privilège du secret professionnel de l'avocat que celui de la consultation et que l'exemption avait une durée indéfinie.


[35]            L'avocat de l'intimé a raison de dire qu'en common law, le privilège de la consultation juridique et celui des communications liées à un litige n'en faisaient qu'un et que ce privilège offrait la même protection pour ce qui concerne la durée au moment où la Loi est entrée en vigueur. Cela étant, je conviens toutefois, à l'instar des juges Carthy et Doherty dans l'arrêt Chrusz, précité, aux pages 256 et 289, que les décisions judiciaires doivent être fondées sur les principes qui s'appliquent aujourd'hui en matière de litige et de divulgation préalable plutôt que sur les principes du passé qui sont nés dans un contexte fort différent et que le droit, en matière de privilège, devrait tenir compte des intérêts et priorités changeants de la collectivité. Il est possible que, dans le contexte d'un litige civil dans lequel la communication de la preuve a pour objet la recherche de la vérité, le privilège des communications liées à un litige soit devenu un privilège tout à fait relatif qui a une durée déterminée, mais je ne suis pas du tout convaincu que ce privilège prend automatiquement fin le jour où le litige est réglé devant les tribunaux. Comme cela apparaîtra clairement lors de l'examen de la question du statut du privilège des communications liées à un litige en vertu de l'article 23 de la Loi, il existe des motifs valables de politique et d'intérêt public qui, même dans un procès civil, pourraient justifier la protection des renseignements même après la conclusion du litige. La Cour n'est pas saisie de cette question. La question dont la Cour est saisie, dans un contexte général qui ne comporte pas nécessairement un litige, c'est la communication de renseignements qui ont été préparés à l'occasion ou en prévision d'une instance. Il s'agit du bénéfice du privilège des communications liées à un litige au sens de la Loi et selon la Loi. La Loi vise des objectifs qui se distinguent de ceux d'un litige et, avec égards, ce privilège doit être interprété en conformité avec ces objectifs, ainsi qu'avec les obligations et droits des gouvernements et de leurs représentants.


[36]            Que ce soit pour des motifs de sécurité nationale, d'efficacité, de transparence, de mémoire ou de responsabilité institutionnelle, le gouvernement est tenu de conserver des dossiers dans l'intérêt public. La Loi confère au citoyen le droit d'avoir accès à ces dossiers, sous réserve de certaines exemptions.


[37]            En ce qui concerne la communication d'un dossier assujetti au secret professionnel des avocats, l'article 23 de la Loi confère au gouvernement le bénéfice de ce privilège. L'article ne crée pas le privilège, mais la Loi confère aux responsables des institutions fédérales la protection contre la communication qu'offre le privilège en leur donnant, dans une Loi qui favorise et qui promeut la communication de renseignements, le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer un tel document. Aux termes de la disposition, le responsable « peut » , il ne « doit » pas; il s'agit donc d'une exemption facultative plutôt qu'obligatoire. Cela veut dire, a contrario, que le responsable d'une institution fédérale peut divulguer un document qui contient des renseignements assujettis au secret professionnel de l'avocat. Je reconnais que les termes de l'article 23 me semblent maintenant quelque peu étonnants compte tenu de l'état actuel du secret professionnel de l'avocat, surtout le privilège de la consultation juridique qui est devenu un droit fondamental « quasi absolu » à la non-communication : voir Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), précité. Toutefois, quand la disposition a été édictée en 1982, le secret professionnel de l'avocat était davantage une règle en matière d'admissibilité de la preuve qu'un droit fondamental à la non-communication. La notion de droit fondamental était toute nouvelle et le privilège était loin d'être aussi absolu qu'aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, la question qui nous concerne en l'espèce est celle de la contestation du refus de communiquer des renseignements en vertu de l'article 23, plutôt qu'une contestation de la volonté de communiquer.

[38]            Le juge des requêtes n'a pas reconnu que l'article 23 confère une protection législative qui, selon les termes de la Loi, est non seulement illimitée dans le temps mais exclut toute limite de temps automatique tel qu'appliquée par le juge. Tel que mentionné plus haut, l'article 23 confère au responsable d'une institution fédérale un droit appelé exemption discrétionnaire ou facultative : voir Conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes (Ministre des Finances), [1999] 4 C.T.C. 45, le juge Evans (C.F. 1re inst.); Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1996]1 C.F. 268, le juge Heald. (C.F. 1re inst.); M. Drapeau et M.A. Racicot, Federal Access to Information and Privacy Legislation annotated 2004, Thomson and Carswell, Toronto, 2003, aux pages 637 et 642. La disposition précise : « Le responsable d'une institution fédérale peut refuser de communiquer » . Cette exemption discrétionnaire est tout simplement incompatible avec la conclusion selon laquelle le privilège des communications liées à un litige cesse automatiquement d'exister à la fin de l'instance et, par conséquent, que les documents doivent être divulgués. Conclure, comme l'a fait le juge des requêtes, que les documents doivent être communiqués en vertu de l'article 23 au motif que le litige a pris fin, a pour effet d'annuler la protection conférée par l'exemption discrétionnaire.


[39]            À toutes fins pratiques, la décision nie le pouvoir discrétionnaire conféré par la disposition ou limite considérablement ce pouvoir en réécrivant la disposition de manière à ce que le pouvoir discrétionnaire ne dure que le temps de l'instance. Je ne saurais interpréter de la sorte la disposition existante ni conclure à une quelconque intention semblable de la part du législateur.

[40]            Avec égards, le juge des requêtes a mal interprété la Loi, et l'article 23 en particulier. Il n'a pas tenu compte des principes énoncés par la Cour dans les arrêts Stevens c. Canada et Blank c. Gateway Industries Ltd., cités plus haut, savoir que la décision discrétionnaire de communiquer n'est pas prise selon la common law mais plutôt « dans le contexte de la Loi accompagnée de ses présuppositions philosophiques » : voir également Congrès juif canadien c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), précité.

[41]            En outre, des questions de politique et d'intérêt public me portent à croire que le législateur voulait que l'exemption de la communication prévue par l'article 23 soit efficace, qu'elle soit assujettie à l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire susceptible de révision et qu'elle ne soit pas qu'un simple automatisme. En fait, ces questions de politique guident l'exercice du pouvoir discrétionnaire par les responsables des institutions fédérales.


[42]            Tout d'abord, le gouvernement fédéral, s'il n'est pas seul à faire face à cette situation puisque les sociétés importantes et leurs employés peuvent également se trouver aux prises avec le même problème, n'est néanmoins pas une partie ordinaire. Le gouvernement regroupe plusieurs commissions et organismes qui peuvent faire l'objet de poursuites susceptibles de se répéter. Son champ d'action et d'intervention est très large, tant sur le plan national que sur le plan international, et sa situation multiplie les occasions de litiges. Ainsi, une cause d'action contre un organisme peut par la suite être invoquée par plusieurs autres parties contre le même organisme ou contre d'autres organismes ou commissions du gouvernement. Le gouvernement a le droit d'élaborer, dans l'intérêt public qu'il doit, contrairement aux sociétés privées, défendre, une politique et une stratégie juridiques en matière de litige. L'accès libre et automatique au mémoire de l'avocat du gouvernement, une fois le litige terminé, pourrait entraver l'adoption et la mise en oeuvre efficace d'une telle politique ou stratégie. Cela permettrait aux opposants et aux adversaires d'avoir accès à la pensée et à la stratégie juridiques de l'organisme, situation que le privilège des communications liées à un litige a pour objet d'éviter. Cela ferait échec, dans les litiges subséquents concernant la même cause d'action ou une cause d'action très semblable, à l'objet visé par le privilège des communications liées à un litige.

[43]            D'ailleurs, la Cour suprême des États-Unis, dans Federal Trade Commission et al. c. Grolier Inc. (1983), 462 U.S. 19, a soulevé cette possibilité inquiétante quand elle a conclu que, en vertu de la Freedom of Information Act, 5 U.S.C.S. 552, peu importe que le privilège des communications liées à un litige soit absolu ou relatif, un document privilégié ne peut faire l'objet d'une communication systématique.

[44]            Dans une opinion concordante, à laquelle le juge Blackmun a adhéré, le juge Brennan a écrit, au paragraphe 30 :

[traduction]


Certes, la Cour d'appel a raison de dire que la nécessité de protéger la documentation créée en vue d'une instance par l'avocat s'impose davantage pendant que l'instance se déroule; cela ne veut pas dire toutefois que le privilège n'est plus utile une fois le litige (ou un litige « lié » ) terminé. La violation de [traduction] « la pensée, jusqu'alors inviolable de l'avocat » , ainsi que son effet démoralisateur sur la profession sont tout aussi importants, que la violation ait lieu à la fin du processus plutôt qu'au début. Plus concrètement, la communication de la documentation créée en vue d'une instance antérieure peut nuire énormément aux intérêts de l'avocat et de son client même lorsque le différend qui faisait l'objet du litige est réglé. Par exemple, plusieurs organismes gouvernementaux participent à des centaines, voire à des milliers d'affaires semblables dans lesquelles ils doivent décider s'il y a lieu d'intenter une poursuite pour faire respecter la loi et la manière dont la poursuite sera menée. Un très petit nombre de ces poursuites sont « liées » à d'autres en ce sens qu'il s'agirait des mêmes parties privées ou des mêmes faits historiques; néanmoins, un grand nombre de catégories d'affaires peuvent présenter des situations de fait semblables et répétitives et soulever des questions juridiques et politiques identiques. Il serait fort utile pour une partie adverse (et fort préjudiciable pour l'organisme) d'obtenir les documents préparés par l'organisme en rapport avec une poursuite antérieure semblable contre d'autres personnes. La partie bénéficierait de la recherche factuelle et juridique de l'organisme ce qui lui permettrait de mener l'instance en se servant [traduction] « des capacités intellectuelles de l'adversaire » . Pire encore, elle pourrait avoir un aperçu de la stratégie générale de l'organisme et de l'approche qu'il applique quand il choisit les actions à intenter, la procédure à suivre et les conditions de règlement. En outre, le problème n'est pas limité aux organismes gouvernementaux. Toute partie à un litige de type répétitif, assureurs en responsabilité civile, fabricants de produits de consommation ou de machinerie, grands employeurs, courtiers en valeurs mobilières, organismes des droits civils ou des libertés civiles notamment ont tout intérêt à cacher la manière dont ils mènent et règlent les litiges qui reviennent fréquemment. L'avocat d'un tel client hésiterait naturellement à créer et à conserver des documents susceptibles d'être utilisés par la suite par une partie adverse étrangère contre lui et contre son client. L'avocat d'un client moins enclin à avoir recours aux litiges pourrait également s'inquiéter dans certaines situations; la crainte d'une seule poursuite future semblable quoique « non liée » pourrait lui inspirer une certaine prudence et il est impossible de prédire l'avenir. Voilà précisément le danger de [traduction] « [l'inefficacité,] l'injustice[,] . . .de la tromperie » et de la démoralisation contre lesquelles l'arrêt Hickman nous prévient.          [Non souligné dans l'original.]


[45]            En outre, dans une affaire comme celle qui nous occupe où, pour les fins d'un procès civil apparenté, on demande la communication du mémoire et du dossier de la Couronne dans une poursuite pénale, il faut, dans l'intérêt public, faire preuve de prudence, de responsabilité et de mesure dans la communication de renseignements tirés de ce dossier ou de ce mémoire. Un mémoire ou un dossier de la Couronne peut contenir une grande variété de documents ou d'information. Dans D.P. c. Wagg (2002), 61 O.R. (3d) 746, la plaignante, D.P., avait intenté une poursuite en dommages-intérêts contre Wagg dont il était allégué qu'il était coupable d'agression sexuelle. Les accusations portées contre ce dernier avaient, par la suite, été suspendues. Pendant la poursuite civile, D.P. a demandé que le mémoire de divulgation de la preuve préparé par le procureur de la Couronne à l'intention de l'accusé lui soit communiqué. La Cour divisionnaire de l'Ontario a rejeté tant une norme absolue interdisant la communication et la production qu'une règle générale exigeant la production d'un mémoire de la Couronne au motif tout simplement de sa pertinence puisque cette règle ne tiendrait pas compte d'autres questions d'intérêt public. Sur la question du contenu d'un mémoire de la Couronne, le juge Blair a écrit, au paragraphe 23 :

[traduction]

Le mémoire de la Couronne peut contenir une myriade de documents tout aussi diversifiés que les situations de fait qui se présentent en matière pénale. Le mémoire peut contenir, par exemple, divers documents et renseignements tels que des résumés de témoignages anticipés, des exposés de fait, notamment des témoins potentiels, des déclarations de l'accusé et du plaignant, des renseignements confidentiels concernant les informateurs de police et les témoins, des rapport d'incidents, des déclarations et les notes d'agents de police, des photographies, vidéos, rapports d'experts, des preuves d'écoute électronique, rapports de surveillance, ordonnances en vue de l'obtention de l'ADN, ordonnances et dossiers ainsi que bien d'autres types de renseignements. À cause du contenu très divers des mémoires de la Couronne, de sa nature, de la nécessité de protéger l'identité de certains témoins et informateurs de police, de l'obligation de tenir compte des préoccupations en matière de protection de la vie privée et des renseignements provenant de tierces parties (notamment les organismes d'aide à l'enfance, organismes d'aide, médecins, psychiatres, psychologues), la communication et la dissémination possible des documents provenant de mémoires de la Couronne soulèvent nombre de problèmes et de questions éventuels et imprévisibles qu'il faut prendre en compte.

[46]            Les témoins qui ont fait les déclarations qui se trouvent dans le dossier de la Couronne ont peut-être exigé qu'elles demeurent confidentielles. Ou encore, une déclaration a peut-être été obtenue en violation de la Charte ce qui la rendrait inadmissible dans un procès pénal : voir Wagg, précité, aux paragraphes 67 et suivants dans lequel la déclaration avait été obtenue en violation du droit de l'accusé à l'assistance d'un avocat.


[47]            La sécurité publique, les intérêts des victimes et des témoins en matière de protection de la vie privée, la protection des sources et des informateurs de la police, des droits et libertés garantis par la Charte et de l'intégrité de l'administration du système de justice pénale sont autant de valeurs qu'il faut évaluer en décidant si les documents qui se trouvent dans le dossier de la Couronne doivent être communiqués à d'autres fins, dans une autre instance : voir le Report of the Attorney General's Advisory Committee on Charges, Screening, Divulgation, and Resolution Discussions, Toronto, Imprimeur de la Reine pour l'Ontario, 1993, aux pages 180 et 181, rapport dans lequel le Comité mentionne des exemples de communication du mémoire de la Couronne : dans une affaire d'allégation d'agression sexuelle, la déclaration de l'enfant plaignant qui avait été communiquée a été distribuée dans son établissement scolaire; les déclarations de témoins potentiels de la Couronne dans des enquêtes pénitentiaires qui avaient été divulguées ont été affichées au babillard de l'établissement pénitentiaire de sorte que toute la population carcérale pouvait les lire.

[48]            Dans l'affaire A.G. of Ontario c. Big Canoe, précitée, qui, rappelons-le, portait sur une demande d'accès à l'information, la Cour d'appel de l'Ontario a reconnu que, dans certaines situations, d'autres préoccupations l'emportent sur des questions de connaissance du public et d'accès à l'information. Dans cette affaire, la Cour a dit qu'elle craignait que si les dossiers de la poursuite étaient accessibles, les criminels pourraient se renseigner sur les tactiques policières et des poursuivants, les témoins pourraient hésiter à collaborer et les agents de police pourraient parler moins ouvertement aux poursuivants : voir le paragraphe 14 de la décision.


[49]            Dans Wagg, cité plus haut, la Cour divisionnaire, au paragraphe 36, a défendu la [traduction] « nécessité d'un mécanisme d'examen pour assurer que l'intérêt public, qui consiste à maintenir l'intégrité du système d'enquête criminelle et de poursuite, est protégé avant que soit communiqué le contenu du mémoire de la Couronne » . Le pouvoir discrétionnaire que confère l'article 23 de la Loi au responsable d'une institution fédérale se comprend bien si on songe à toutes ces questions de politique et de valeurs contradictoires dont le gouvernement doit tenir compte, dans l'intérêt public, en décidant si les renseignements contenus dans un mémoire de la Couronne peuvent être communiqués. Ce pouvoir discrétionnaire s'exerce en vertu de la Loi comme mécanisme d'examen nécessaire qui est susceptible de révision judiciaire.

[50]            En conclusion, je suis d'avis que la protection que confère le privilège des communications liées à un litige, à l'article 23 de la Loi, n'est ni nécessairement perpétuelle ni nécessairement inexistante lorsque l'instance à l'égard de laquelle le privilège a été invoqué, prend fin. Dans certaines instances, la protection sera perpétuelle et dans d'autres, la communication des renseignements demandés sera nécessaire pour les fins de la justice dans une instance subséquente. L'article 23 ne permet aucune divulgation automatique. Il s'agit d'une décision discrétionnaire. La communication du dossier ou des renseignements aura lieu selon les faits et les circonstances propres à chaque affaire. Le responsable d'une institution fédérale doit exercer correctement son pouvoir discrétionnaire, en conformité avec la Loi. Dans le cadre de l'exercice de ce pouvoir, comme c'est souvent le cas, il faut tenir compte des intérêts contradictoires en cause et effectuer l'examen des renseignements ou du dossier en conséquence. Le rôle de la Cour en matière de révision de l'exercice du pouvoir discrétionnaire par les responsables d'institutions fédérales n'est pas de deviner leurs intentions ni de remplacer leurs opinions par les siennes. Le rôle de la Cour consiste uniquement à « déterminer en fonction des principes de droit administratif la légalité de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire par le ministre, à la lumière de l'objet général de la loi et de l'exception particulière » : voir Conseil canadien des oeuvres de charité chrétiennes c. Canada (Ministre des Finances), précité, à la page 257.


[51]            Depuis la rédaction des présents motifs, j'ai eu l'occasion de lire l'opinion de mon collègue, le juge Pelletier. J'aimerais m'exprimer brièvement sur deux questions soulevées : le juge Pelletier fait une distinction entre la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans Big Canoe et la présente affaire et son argument est fondé sur la différence entre les termes de l'article 23 de la Loi et ceux de l'article 19 de la loi ontarienne sur l'accès à l'information.

[52]            En tirant sa conclusion sur l'application de l'article 23 de la Loi, mon collègue s'appuie sur le fait que l'article 19 de la loi ontarienne sur l'accès de l'information contient des termes différents et c'est pour cette raison, à tort selon moi, qu'il fait une distinction avec la position prise par la Cour d'appel de l'Ontario dans Big Canoe, précitée, affaire dans laquelle, il faut le rappeler, la Cour a conclu que l'article 19 de la loi ontarienne ne prévoyait aucune limite de temps. Il se peut que la réponse la plus facile et la plus claire à la conclusion de mon collègue, laquelle est fondée sur les termes différents des deux dispositions, se trouve tout simplement dans les faits.


[53]            L'article 23 de la Loi a pour objet de protéger certains documents contre leur divulgation. La Loi doit préciser ces documents. Cette précision peut se faire de deux manières. Premièrement, et c'est l'approche adoptée par l'article 23 en 1982, il s'agit de tous les documents qui contiennent des renseignements assujettis au secret professionnel entre l'avocat et son client sans que soit précisé le sens des termes (avocat-client). L'autre approche, qui est celle adoptée par l'article 19 de la loi de l'Ontario sur l'accès à l'information, consiste à décrire le contenu même du privilège. Ces deux approches ne sont que deux manières différentes de décrire une même réalité. C'est-à-dire que les deux lois protègent les renseignements assujettis au privilège des communications liées à une instance. Quels sont les renseignements assujettis au privilège des communications liées à une instance? Ce sont les renseignements préparés à l'occasion ou en prévision d'une instance. Ainsi, en appliquant l'article 23 de la Loi, il faut se demander si les renseignements avaient été préparés en prévision ou à l'occasion d'une instance. Le cas échéant, ces renseignements sont assujettis au privilège des communications liées à une instance qui fait partie du « secret professionnel de l'avocat » et le responsable d'une institution fédérale peut refuser de les communiquer.

[54]            Mon collègue semble croire que les documents protégés par l'article 19 de la loi ontarienne qui, en fait, sont les documents assujettis au privilège des communications liées à une instance, ne sont pas des documents privilégiés, mais des documents qui ont été préparés dans des circonstances susceptibles de donner lieu à un privilège. C'est pourquoi, à son avis, l'article 19 de la loi ontarienne ne prévoit aucune limite temporelle.

[55]            Avec égards, j'estime que cette distinction n'est pas fondée puisque, pour déterminer si un document est privilégié, il faut examiner la nature des renseignements qui s'y trouvent et les circonstances dans lesquelles ils ont été obtenus ou préparés. Il faut se demander notamment s'il s'agissait d'une communication, si cette communication avait été faite en confidence à l'avocat, si les documents étaient liés à une instance en cours ou avaient été préparés en prévision d'une instance.


[56]            Enfin, et je ne veux pas me répéter, mais la position adoptée par mon collègue entraîne des résultats inquiétants non seulement que le législateur n'a pas souhaités mais encore que le législateur voulait éviter en adoptant l'article 23 de la Loi. La Cour d'appel de l'Ontario a déjà exprimé ses préoccupations dans l'affaire Big Canoe concernant l'accès, par les délinquants, au dossier de la Couronne et le refus de leur accorder cet accès. La même préoccupation existe très certainement dans les poursuites fédérales concernant des crimes graves, notamment le trafic international de stupéfiants et le complot en vue de l'importation de ces stupéfiants. Si la communication est automatique à la fin de la poursuite, tout un chacun pourra obtenir le dossier de la Couronne et les renseignements qui s'y trouvent qui sont assujettis au privilège des communications liées à une instance, c'est-à-dire des renseignements qui ont été préparés pour les fins de la poursuite.

[57]            En outre, la voie de l'accès à l'information sera celle qui permettra de se soustraire, dans une poursuite civile, à tout empêchement à la communication qu'imposent les règles de la procédure civile et qui ne sont pas les mêmes partout au Canada. Une partie à un litige éventuel n'aurait qu'à repousser sa poursuite jusqu'à l'obtention, par le truchement de l'accès à l'information, du mémoire de l'avocat, ainsi que la stratégie en matière de litige adoptée par le gouvernement ou les autorités fédérales dans l'intérêt du public ou dans l'intérêt national.


[58]            En fin de compte, l'article 23 de la Loi est grandement affaibli et amputé par l'approche adoptée par mon collègue pour ce qui concerne les renseignements assujettis au privilège des communications liées à une instance. Son approche ne tient pas dûment compte de l'esprit, de l'intention et du sens véritables de la disposition et de la Loi. Il s'agit également d'une appréciation erronée des conclusions de la Cour dans Stevens et Blank, précités. Lors de la promulgation de l'article 23, le législateur avait l'intention d'exempter de la communication les documents contenant des renseignements assujettis au secret professionnel de l'avocat. Comme je l'ai déjà mentionné, le privilège des communications liées à une instance faisait partie du secret professionnel de l'avocat. Je ne mentionnerai pas la question du privilège des consultations juridiques sauf pour dire que le législateur voulait protéger contre leur divulgation, les renseignements privilégiés. Le législateur voulait, au moyen de la Loi, que la common law s'applique pour décider si un renseignement était privilégié, mais qu'une fois la décision prise, que la communication du renseignement soit décidée conformément à l'article 23 de la Loi. La communication de renseignements en vertu de la Loi ne devait pas être régie par la common law comme le voudrait mon collègue dans ses motifs.

L'opportunité d'accueillir l'appel incident et de maintenir le refus de communiquer le mémoire et le dossier de la Couronne

[59]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel incident et je déciderais que le juge des requêtes a commis une erreur quand il a conclu que la protection que confère le privilège des communications liées à une instance selon l'article 23 de la Loi cesse automatiquement d'exister quand le litige auquel le dossier se rapporte prend fin. Je déciderais également qu'il a commis une erreur quand il a ordonné que, parce que le litige avait pris fin, les documents devaient être communiqués. Par conséquent, j'annulerais la partie de la décision qui contient l'ordonnance.


[60]            Cette conclusion laisse en suspens trois questions afférentes qu'il faut maintenant trancher; il s'agit de savoir :

a)          si le Bureau a exercé régulièrement son pouvoir discrétionnaire pour refuser la communication;

b)          si le juge des requêtes a commis une erreur en n'annulant pas le privilège à cause du comportement criminel de la Couronne;

c)          si une partie des documents privilégiés pouvait être divulguée en vertu de l'article 25 de la Loi.

a)          L'exercice régulier, par le Bureau, de son pouvoir discrétionnaire de refuser la communication

[61]            Comme je l'ai déjà mentionné, M. Blank a affirmé, pendant toute la procédure, que l'accès aux documents privilégiés était un droit lorsque le litige prenait fin. L'avocat de l'intimé a adopté un point de vue tout à fait contraire : la communication de ces documents est interdite d'une manière absolue et indéfinie. Les parties se sont engagées dans un débat sur la divulgation en termes de tout ou rien. Dans la décision du juge des requêtes qui a fait sienne la position de M. Blank, je n'ai trouvé ni discussion ni analyse concernant l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le Bureau, et encore moins une analyse ou une discussion régulière ou irrégulière. Aucune preuve n'a été produite sur cette question, mais il est entendu que le Commissaire a examiné les documents et la demande d'exemption et que, par suite de son intervention, d'autres documents ont été communiqués.


[62]            Le Bureau a invoqué l'exemption discrétionnaire prévue à l'article 23 et, bien entendu, il a exercé ce pouvoir afin de ne pas communiquer les documents. Toutefois, nous ne savons pas, même si nous le soupçonnons, quels sont les facteurs, questions de politique ou d'intérêt public dont il a tenu compte en décidant de ne pas divulguer. Compte tenu de l'état actuel du dossier dont nous sommes saisis par suite de la position prise par les parties et par le juge des requêtes, je ne suis tout simplement pas en mesure de décider si le pouvoir discrétionnaire a été régulièrement exercé. Je ne saurais en aucun cas déborder des questions que les parties nous ont demandé de trancher compte tenu des arguments qu'elles ont choisi de plaider et de défendre.

b)          La possibilité que le juge des requêtes ait commis une erreur en n'annulant pas le privilège à cause du comportement criminel de la Couronne

[63]            Le juge des requêtes a examiné les documents en cause et il a conclu qu'il n'y avait, dans ces documents, aucune preuve d'activité criminelle de la part des fonctionnaires du gouvernement du Canada et des avocats agissant en leur nom comme l'alléguait M. Blank, activité criminelle qui comportait l'entrave à la justice, le parjure, l'extorsion, le complot, la fraude ou l'intrusion illicite. Dans d'autres instances devant les tribunaux du Manitoba, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba n'a trouvé aucune preuve de la fraude alléguée : voir R. c. Gateway Industries Ltd., 2002 MBQB 285, au paragraphe 32.


[64]            Nous n'avons été saisis d'aucun fondement probatoire à l'appui des allégations de fraude et d'activité criminelle de la part du gouvernement du Canada, de ses fonctionnaires ou procureurs. Par conséquent, le juge des requêtes et la Cour n'ont pas à examiner les documents privilégiés. Toutefois, puisque le juge des requêtes les a examinés et qu'il en a tiré la conclusion qui fait l'objet de l'appel, nous avons examiné les documents et nous sommes convaincus que sa conclusion était valable.

c)          La possibilité de divulguer une partie des documents privilégiés conformément à l'article 25 de la Loi

[65]            L'article 25 de la Loi prévoit la communication d'une partie d'un document qui peut être prélevée des parties du dossier qui contiennent des renseignements ou documents exemptés de la divulgation. Il est ainsi libellé :

25. Le responsable d'une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s'autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d'en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux.

[Non souligné dans l'original.]

25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Law by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material.

(Emphasis added.)


[66]            La Cour a rejeté l'argument présenté plus tôt par l'intimé selon lequel un dossier assujetti au secret professionnel n'est pas assujetti à la disposition sur la divisibilité de l'article 25 dans Sheldon Blank & Gateway Industries Ltd. c. Le ministre de l'Environnement, 2001 CAF 374, au paragraphe 13 : voir également College of Physicians of British Columbia c. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), 2002 BCCA 665, aux paragraphes 65 à 68. Les termes : « nonobstant les autres dispositions de la présente loi » de l'article 25 en font une disposition prépondérante : voir Rubin c. Canada, [1989] 1 C.F. 265, à la page 271 (C.A.F.). Par conséquent, des renseignements généraux de nature descriptive, notamment la description du document, le nom, le titre et l'adresse de la personne visée par la communication, les conclusions de la communication et la signature peuvent être prélevés et communiqués. La Cour a répondu, en réaction, que dans Sheldon Blank & Gateway Industries Ltd., précité, au paragraphe 23, ce type de renseignement permettait au demandeur « de savoir qu'il y a eu une communication entre certaines personnes à une certaine date sur un certain sujet, mais rien de plus » .

[67]            L'avocat de l'intimé prétend que son client a respecté ces principes en l'espèce et que des parties des documents en cause ont été régulièrement prélevées. Il semble que l'appelant soulève pour la première fois cet argument dans le présent appel. Si l'argument a été soulevé devant le juge des requêtes, ce dernier n'en a jamais tenu compte. Il est impossible de savoir si certaines parties ont été prélevées et, le cas échéant, si le prélèvement a été fait correctement. Par conséquent, je renverrais la question devant la Cour fédérale pour un examen des documents afin de déterminer si les exigences obligatoires de l'article 25 de la Loi ont été respectées.

[68]            Il me reste maintenant à examiner les observations de l'appelant concernant les autres exemptions invoquées par l'intimé.

Analyse des autres exemptions invoquées

a)          Exemption relative à des renseignements obtenus à titre confidentiel selon l'alinéa 13(1)c) de la Loi


[69]            L'alinéa 13(1)c) crée une exemption obligatoire lorsque les renseignements ont été reçus à titre confidentiel d'un gouvernement ou d'une institution fédérale. Toutefois, la communication est possible lorsque l'organisme dont les renseignements ont été obtenus consent à leur divulgation. En l'espèce, il s'agit de renseignements reçus à titre confidentiel des services de police de Winnipeg. Il est clair que les documents dont nous sommes saisis révèlent que les services de police n'ont pas consenti à ce que les documents qu'ils ont fournis soient communiqués. L'exemption a été régulièrement demandée et appliquée.

b)          Exemption relative aux renseignements personnels conformément à l'article 19 de la Loi

[70]            L'exemption visée à l'article 19 est également obligatoire et elle a pour objet de protéger et d'empêcher la communication de renseignements personnels au sens de l'article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Nous avons examiné les documents visés par l'exemption. Il s'agit de noms, d'adresses personnelles et de numéros de téléphone des personnes mentionnées. L'exemption était justifiée et elle a été régulièrement appliquée.

c)          Exemption relative à l'article 21 de la Loi

[71]            L'article 21 est une exemption discrétionnaire qui protège, à l'alinéa 21(1)a), les avis ou recommandations élaborés par ou pour une institution fédérale. L'alinéa 21(1)b) autorise le refus de communiquer les comptes rendus de consultations ou délibérations où sont concernés des cadres ou employés d'une institution fédérale. L'intimé a réclamé ces deux catégories d'exemptions.


[72]            La Cour a conclu dans 340901 Canada Inc. c. Canada (Ministre de l'Industrie) (2001), 14 C.P.R. (4th) 449, aux paragraphes 49 à 52, que la disposition avait pour objet de favoriser la communication libre et franche entre les ministères fédéraux de manière à ce que le gouvernement puisse s'acquitter de ses fonctions essentielles. Le terme « avis » a un sens plus large que le terme « recommandation » : ibidem. Selon les lignes directrices du Conseil du trésor, l'exemption a pour objet de protéger le processus interne de prise de décision du gouvernement : voir Drapeau et Racicot, Federal Access to Information and Privacy Legislation Annotated 2004, précité, à la page 623.

[73]            Nous avons examiné les documents visés par la demande d'exemption. Nous sommes convaincus, à l'instar du juge des requêtes et du Commissaire, que l'exemption a été correctement appliquée.

[74]            Cela m'amène au dernier point de l'appel, savoir la portée du pouvoir de révision de la Cour en vertu de l'article 46 de la Loi.

La portée du pouvoir de révision de la Cour en vertu de l'article 46 de la Loi


[75]            Il est reconnu que l'article 46 de la Loi confère à la Cour le pouvoir de réviser les documents présentés en preuve sous réserve, bien entendu, des documents du Cabinet qui sont exemptés en vertu de l'article 69 : voir Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 187 D.L.R. 127 (C.A.F.), autorisation d'interjeter appel refusée (2000), 266 N.R. 198 (C.S.C.). L'article est ainsi libellé :

46. Nonobstant toute autre loi fédérale et toute immunité reconnue par le droit de la preuve, la Cour a, pour les recours prévus aux articles 41, 42 et 44, accès à tous les documents qui relèvent d'une institution fédérale et auxquels la présente loi s'applique; aucun de ces documents ne peut, pour quelque motif que ce soit, être refusé.

[Non souligné dans l'original.]

46. Notwithstanding any other La Loi of Parliament or any privilege under the law of evidence, the Court may, in the course of any proceedings before the Court arising from an application under section 41, 42 or 44, examine any record to which this Act applies that is under the control of a government institution, and no such record may be withheld from the Court on any grounds. [Emphasis added.]

[76]            Toutefois, M. Blank souhaite que la Cour examine des documents qui, selon le dossier, ont soit été incorporés par renvoi aux dossiers existants soit annexés à des documents versés à ces documents, mais qui ne s'y trouvent plus. Une demande antérieure à cet effet fondée sur l'hypothèse que les dossiers du ministre étaient en quelque sorte incomplets a été rejetée pour absence de fondement factuel : voir Sheldon Blank & Gateway Industries Ltd. c. Le ministre de l'Environnement, précité, au paragraphes 7 et 8. Le Commissaire avait fait enquête sur la question et il avait conclu que tous les documents avaient été repérés et qu'ils avaient été communiqués ou exemptés de la communication. Cela était suffisant pour trancher la demande.


[77]            Toutefois, j'aimerais répéter que le droit de M. Blank est un droit d'accès aux dossiers tels qu'ils existent entre les mains du responsable d'une institution fédérale. Ce qu'il demande à la Cour et ce qu'il a demandé au juge des requêtes, c'est, en fait, d'affirmer le pouvoir d'ordonner la reconstitution de ces documents. En l'absence d'une preuve que cela permettrait à la Cour d'avoir des motifs raisonnables de croire que l'intégrité des documents a été altérée, le pouvoir de révision de la Cour est limité à ceux qui ont été produits en l'espèce. La Cour n'a été saisie d'aucune preuve d'altération des documents et le juge des requêtes a eu raison de limiter sa révision aux documents dont il était saisi.

Conclusion

[78]            Pour ces motifs, je rejetterais l'appel avec dépens, sauf pour la question de la divisibilité des documents en conformité avec l'article 25 de la Loi que je renverrais devant la Cour fédérale à des fins de révision dans le but d'assurer que les exigences obligatoires de l'article 25 de la Loi ont été respectées.

[79]            J'accueillerais l'appel incident sans dépens. Comme l'a reconnu l'intimé, la question de la durée du privilège des communications liées à une instance en vertu de la Loi soulevée dans l'appel incident ne visait que quelques pages et cette question a peu de répercussions en l'espèce. L'intimé s'est préoccupé davantage des répercussions de la décision du juge des requêtes dans les instances à venir. L'intimé de appel incident ne devrait pas payer les dépens dans ces circonstances.

                                                                                                                            _ Gilles Létourneau _                

                                                                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


LE JUGE PELLETIER    (appel incident)

[80]            J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mon collègue, le juge Létourneau. J'appuie la décision relativement à l'appel mais malheureusement, je ne puis accepter la décision rendue par le juge relativement à l'appel incident. En particulier, j'ai une opinion différente de l'article 23 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. 1985, ch. A-1 (la Loi).

[81]            Certes, comme l'a dit le juge Létourneau, le secret professionnel de l'avocat au sens de l'article 23 de la Loi a deux volets comme l'ont reconnu les tribunaux et les auteurs d'ouvrages de doctrine, savoir le privilège des consultations juridiques et le privilège des communications liées à une instance. En outre, si les documents en cause sont déjà visés par un privilège valable lorsque la demande de communication est présentée, l'article 23 s'applique. Enfin, il est entendu que le privilège des consultations juridiques n'est pas limité dans le temps, c'est-à-dire : « privilégié un jour, privilégié toujours » . Puisque j'ai conclu que l'article 23 ne s'appliquait qu'aux documents privilégiés lors de la demande de communication, en fin de compte, la question qui se pose dans l'appel incident est de savoir si en common law, le privilège des communications liées à une instance prend fin en même temps que le litige.

[82]            Un dossier assujetti au secret professionnel est un dossier dont la communication ou la production ne peut être ordonnée par le tribunal. Comme l'a dit la Cour d'appel de la

Colombie-Britannique dans Legal Services Society c. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), [2003] 8 W.W.R. 399 :


[traduction]

[29] Quel serait donc l'objet de l'article 14 de la loi de la Colombie-Britannique? Sous la rubrique « Conseils juridiques » , la loi dit : [traduction] « le responsable d'un organisme public peut refuser de communiquer à un demandeur des renseignements qui sont assujettis au secret professionnel des avocats » . L'on peut penser que la disposition a pour objet de protéger les communications entre les organismes publics, leurs clients et leurs avocats; mais, même si l'article 14 n'avait pas été édicté, le droit protégerait les renseignements assujettis au privilège de l'avocat, quel que soit l'avocat ou le client.              [Non souligné dans l'original.]

[83]            Cela veut dire, selon moi, que le droit de refuser la communication de documents privilégiés ne découle pas de l'article 23. La source du droit de refuser la communication est le droit en matière de privilège. L'article 23 ne fait que reconnaître ce droit. Si le privilège s'est éteint, le droit de refuser la communication a cessé d'exister et l'article 23 ne peut plus le reconnaître. Par conséquent, le fait déterminant, lorsqu'il faut décider s'il y a lieu de communiquer des documents assujettis au secret professionnel, c'est l'existence du privilège au moment où la demande de communication des renseignements est présentée.


[84]            Au Canada, de nombreux ouvrages de doctrine confirment que le privilège des communications liées à un litige s'éteint lorsque le risque qui a donné lieu au privilège n'existe plus, sous réserve de la possibilité que le litige ne s'entende pas de la simple procédure au cours de laquelle le document a été créé. Boulianne c. Flynn, [1970] 3 O.R. 84 (H.C.J.), Meaney c. Busby (1977), 15 O.R. (2d) 71 (H.C.J.), Allied Signal Inc. c. Dome Petroleum Ltd., [1995] 5 W.W.R. 720 (C.B.R. Alb.), Franco c. Hackett (2000), 262 A.R. 127, Alberta (Treasury Branches) c. Ghermezian (1999), 242 A.R. 326, Petro Canada c. Mary J. (The) (1994), 98 B.C.L.R. (2d) 139 (C.S. C.-B.) et Wujda et al. c. Smith (1974), 49 D.L.R. (3d) 476 (C.B.R. Man.). La Cour d'appel de l'Ontario a décidé que le privilège des communications liées à une instance était limitée dans le temps dans General Accident Assurance Co. c. Chrusz (1999), 45 O.R. (3d) 321.

[85]            Les auteurs d'ouvrages canadiens estiment également que le privilège des communications liées à une instance est limité dans le temps. Voir Sopinka J., Lederman S. et Bryant A., The Law of Evidence in Canada (2e éd.) (Butterworths, Toronto, 1999) au paragraphe 14.86 :

[traduction] Contrairement aux communications entre un avocat et son client, le privilège des communications de tierces parties lors de la préparation d'un litige ne dure pas indéfiniment. Il s'éteint avec le litige pour lequel le rapport ou d'autres documents ont été préparés, sous réserve d'un engagement de confidentialité.

[86]            Dans l'ouvrage The Law of Evidence (3e éd.) (Irwin Law, Toronto, 2002), les auteurs, Paciocco D. et Stuesser L. disent, à la page 198 :

[traduction]

· Le secret professionnel de l'avocat est permanent et il perdure même après la fin de la relation. Le privilège des communications liées à une instance prend fin avec l'instance. Quand le litige a été réglé, il n'est plus nécessaire de conserver le privilège adversatif.

[87]            Dans certains cas, le privilège des communications liées à une instance perdure si la définition du litige à l'égard duquel le privilège existe est élargie. Dans Ed Miller Sales & Rentals Ltd. c. Caterpillar Tractor Co. (1988), 90 A.R. 323 (Ed Miller Sales & Rentals Ltd.), la Cour d'appel de l'Alberta a décidé que même si l'instance devant le Tribunal de la concurrence était terminée, le litige n'avait pas pris fin pour autant :


[traduction] [...] Selon moi, les deux arguments sont fondés sur une conception trop étroite du terme « litige » . Quand le directeur s'est attardé aux sociétés Caterpillar pour se demander si elles avaient commis des infractions en vertu de la loi, le litige, dans le sens le plus large du terme, existait concrètement et n'était pas seulement envisagé. Les parties pouvaient s'attendre à plusieurs actions possibles. Quelques-unes en vertu de la loi pouvaient éventuellement avoir des conséquences pénales; d'autres étaient de nature civile en conformité avec la loi elle-même. Tous les litiges visaient les mêmes questions. L'enquête semble s'être réglée sur la question du coût des services Caterpillar « sans frais » et cette même question est au coeur de ce litige.

Le litige n'a pas pris fin quand l'enquête du directeur a entraîné certaines conclusions. L'article 39 de la Loi des enquêtes sur les coalitions prévoit expressément que les droits d'action en justice en matière civile demeurent malgré les dispositions de la Loi. Les questions soulevées par le directeur étaient toujours valables pour les autres parties au litige, notamment l'intimé.

[88]            Le tribunal a adopté la même position dans London Guarantee Insurance Co. c. Guarantee Co. of North America, [1995] O.J. no 4316.

[89]            Tout compte fait, les ouvrages faisant autorité sont favorables à la conclusion selon laquelle le privilège des communications liées à une instance s'éteint lorsque le litige qui lui a donné lieu est réglé, sous réserve de la possibilité de définir le litige en termes plus larges que la seule procédure qui a donné lieu au privilège.

[90]            Compte tenu des faits en l'espèce, la conclusion selon laquelle l'article 23 de la Loi ne s'applique pas aux documents visés par le privilège des communications liées à une instance s'impose puisque les documents pour lesquels le privilège est revendiqué ont perdu leur statut de privilégiés quand la poursuite pénale a pris fin.


[91]            La Cour d'appel de l'Ontario a tiré une conclusion contraire dans l'affaire Ontario (Attorney general) c. Big Canoe (2002), 220 D.L.R. (4th) 467 (Big Canoe). Dans cette affaire, le demandeur sollicitait la communication du dossier du poursuivant de la Couronne en vertu de la Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F. 31 (la loi de l'Ontario), pour les fins d'une action civile découlant d'une poursuite au criminel. La disposition précise sur laquelle la Cour s'est fondée pour trancher la question est la suivante :

19. La personne responsable peut refuser de divulguer un document protégé par le secret professionnel de l'avocat. Il en est de même d'un document élaboré par l'avocat-conseil de la Couronne, ou pour son compte, qui l'utilise soit dans la communication de conseils juridiques, soit à l'occasion ou en prévision d'une instance.

[92]            La Cour d'appel de l'Ontario a conclu que le soi-disant deuxième volet de la disposition - « par l'avocat-conseil de la Couronne, ou pour son compte, qui l'utilise soit dans la communication de conseils juridiques, soit à l'occasion ou en prévision d'une instance » - avait pour objet de conférer à l'avocat-conseil de la Couronne le bénéfice d'une exemption permanente contre la communication :

[traduction]

[12] Le ministre semble avoir cru que les termes utilisés dans le deuxième volet décrivaient la portée du secret professionnel de l'avocat et qu'ils pouvaient s'appliquer quand il n'y avait pas de client véritable. En fait, ces termes décrivent le privilège de la documentation préparée en prévision d'un litige ou des communications liées à une instance qui s'applique non seulement aux communications de nature confidentielle entre un client et son avocat, mais aussi notamment à des objets visés dans la présente procédure, des photographies ainsi qu'un vidéo obtenus au cours de la préparation du litige.

[13] Si le contexte de cet énoncé nous aide quelque peu, c'est qu'il permet de conclure que l'intention était de conférer une exemption permanente à l'avocat-conseil. Le privilège du secret professionnel de l'avocat en matière confidentielle ne s'éteint pas. Le ministère croyait qu'il ne faisait qu'élargir l'application du privilège aux procureurs de la Couronne et il a donc dû avoir l'intention d'en faire un privilège permanent. Et voilà le sens ordinaire des termes utilisés à l'égard du deuxième volet. [...]

[93]            Selon moi, il est plus facile de comprendre ces passages à la lumière des commentaires de la Cour divisionnaire dans la décision visée par l'appel, référence (2001) 208 D.L.R. (4th) 327 :


[traduction]

[30] L'agente des enquêtes a commencé l'analyse du deuxième volet en ces termes :

[traduction] Le deuxième volet de l'article 19 correspond aux deux volets du secret professionnel de l'avocat en common law. Les circonstances du présent appel soulèvent la question de savoir si les limites du privilège en common law devraient également s'appliquer de manière générale au deuxième volet de l'article 19. Les termes de l'exemption elle-même ne clarifient pas la question et, pour cette raison, le contexte législatif de l'exemption est pertinent pour ce qui concerne l'interprétation qu'il faut lui donner.

[31] Avec égards, nous rejetons son analyse. Le deuxième volet de l'article 19 ne correspond pas aux deux types de privilège du secret professionnel de l'avocat en common law visés par le premier volet. Les exemptions de la communication en vertu du premier volet sont appelées à changer puisque le secret professionnel de l'avocat change conformément à la common law qui elle-même évolue. Ce qui est exempté aujourd'hui, en vertu du premier volet, ne le sera peut-être pas demain et inversement.

[32] Par contre, quand il s'agit du deuxième volet, il n'y a aucune question à « clarifier » . Le volet deux ne mentionne pas le principe du secret professionnel de l'avocat en common law (qui comprend le privilège des communications liées à une instance). Un responsable peut refuser de communiquer un dossier qui a été préparé par l'avocat-conseil de la Couronne en vue de donner des conseils juridiques ou à l'occasion ou en prévision d'une instance. Le langage est clair et ne souffre aucune ambiguïté. Contrairement au premier volet, aucune question externe, notamment une modification de la common law, ne peut avoir pour effet de modifier l'interprétation du deuxième volet. Selon nous, il n'est pas nécessaire d'avoir recours au contexte législatif de l'exemption pour l'interpréter correctement. Comme l'a dit lord Mildew, personnage inventé par A.P. Herbert - [traduction] « Si le législateur ne s'exprime pas franchement, il doit le dire » . Ainsi, si le deuxième volet de l'article 19 n'avait pas pour objet de permettre aux avocats du gouvernement de revendiquer un privilège plus large ou durable que le privilège en common law qui s'applique aux communications entre un avocat et son client (l'agente des enquêtes a décidé que non), il était loisible au législateur de le dire.

[94]            La Cour divisionnaire a dit que le « deuxième volet » ne visait pas le privilège. Il visait les circonstances de la préparation des documents. C'est une question à laquelle je reviendrai en rapport avec la différence entre les termes de l'article 19 de la loi de l'Ontario et ceux de l'article 23 de la Loi.

[95]            Il est important de comprendre la portée limitée de cette décision. Il faut garder en

mémoire le témoignage du procureur général Scott au Comité permanent de l'Assemblée législative sur la justification du « deuxième volet » :


[traduction]

M. Scott : Comme je l'ai dit l'autre jour, il ne s'agit que d'appliquer le privilège qui a pour objet de conférer la protection du secret professionnel de l'avocat à l'avocat-conseil de la Couronne qui, selon la définition que l'on donne au droit, a ou n'a pas de client et par conséquent, pourrait ou ne pourrait pas, en droit strict, invoquer le secret professionnel de l'avocat. Je n'aurais pas cru que la question était litigieuse.

[...]

Les mots clés, et les mots qui clarifient le principe, sont « l'avocat-conseil de la Couronne » parce qu'il a été établi qu'en droit strict ce dernier n'a peut-être pas de client. Parce que l'avocat-conseil de la Couronne joue un rôle quasi indépendant contrairement à un avocat ordinaire, on peut penser, en droit strict, qu'il n'a pas de client. Le policier n'est pas le client de l'avocat-conseil mais disons que, pour que ce soit plus clair, il a été reconnu que l'avis donné par ce dernier devrait être communiqué ou non tout comme les conseils dispensés par n'importe quel autre avocat de la Couronne.

(Big Canoe, paragraphe 9)

[96]            Ce passage dit clairement que lorsque l'article 19 mentionne l'avocat-conseil, il s'agit du procureur de la Couronne dans une poursuite criminelle et non de tous les avocats à l'emploi du gouvernement. (Pour ces motifs, j'utilise indifféremment l'expression « avocat-conseil » ou « procureur de la Couronne » .) Le procureur de la Couronne occupe un poste particulier au sein du système judiciaire en ce sens qu'il est le mandataire du procureur général qui agit dans l'intérêt public. Ni le procureur de la Couronne, agissant à ce titre, ni le procureur général n'a de client au sens traditionnel du terme. Regina c. Doucet (1994), 89 C.C.C. (3d) 474 (C.A. Man.) aux pages 476 et 477 confirmé [1995] 1 R.C.S. 758. Par contre, il est clair que les avocats qui sont à l'emploi du gouvernement qui ne sont pas des poursuivants ont, avec les personnes à qui ils donnent des conseils, une relation avocat-client. La Cour suprême a réglé cette question dans l'arrêt R. c. Campbell, [1999] 1 R.C.S. 565 :

[50] [...] Une chose est claire : le fait que M. Leising soit un employé salarié n'a pas empêché la création d'une relation avocat-client et des fonctions, obligations et privilèges qui y sont rattachés. Ce principe est bien établi, comme il a été énoncé dans Crompton (Alfred) Amusement Machines Ltd. c. Comrs. of Customs and Excise (No. 2), [1972] 2 All E.R. 353 (C.A.), lord Denning, M.R., à la p. 376 :


[traduction] Beaucoup d'avocats travaillent à plein temps à titre de conseillers juridiques pour un seul employeur. L'employeur est parfois une grande entreprise. Parfois, il s'agit d'un ministère ou d'une administration locale. Il peut même s'agir du gouvernement lui-même, comme le Treasury Solicitor et son personnel. Dans chaque cas, ces conseillers juridiques rendent des services juridiques uniquement à leur employeur. Ils ne reçoivent pas des honoraires selon le travail effectué, mais un salaire fixe annuel. Il ne fait aucun doute qu'ils sont des préposés ou des mandataires de leur employeur. C'est ce qui a fait penser au juge qu'ils se trouvaient dans une position différente de celle des conseillers juridiques qui exercent en pratique privée. Je ne pense pas que cela soit exact. La loi les considère en tous points de la même façon que ceux qui pratiquent à leur compte. La seule différence réside dans le fait qu'ils agissent pour un seul client, et non pas pour plusieurs. Ils doivent respecter les mêmes normes d'honneur et de bonne conduite. Ils sont soumis aux mêmes obligations envers leur client et envers la cour. Ils doivent respecter le secret professionnel de la même manière. Leurs clients et eux ont les mêmes privilèges. [...] J'ai toujours tenu pour acquis que les communications entre les conseillers juridiques et leur employeur (qui est leur client) font l'objet du secret professionnel, et cela n'a jamais été remis en question, à ma connaissance.

Il s'ensuit que la décision Big Canoe porte sur le problème très étroit qu'est l'exemption de la communication en vertu de la Loi de l'Ontario de certains documents entre les mains de procureurs de la Couronne. L'affaire ne vise pas précisément le privilège des communications liées à une instance, ni la position des avocats du gouvernement autres que les procureurs de la Couronne en matière de divulgation.

[97]            Les termes de l'article 19 de la loi ontarienne et ceux de l'article 23 de la Loi comportent de nombreuses différences. L'article 23 ne mentionne pas l'avocat-conseil de la Couronne même si je suis disposé à tenir pour avéré, aux fins du présent appel, que le législateur avait pris pour acquis ce que la législature de l'Ontario a tenté d'expliciter, savoir que le travail des procureurs de la Couronne est visé par le secret professionnel de l'avocat.


[98]            Il y a toutefois une autre différence de langage plus importante. En vertu de l'article 19, le responsable peut refuser de communiquer un document protégé par le secret professionnel de l'avocat ou qui a été élaboré par l'avocat-conseil pour donner des conseils juridiques ou à l'occasion ou en prévision d'une instance. L'article décrit deux types de documents. En premier lieu, il s'agit des documents protégés par le secret professionnel de l'avocat. Ensuite, il s'agit des documents élaborés par l'avocat-conseil de la Couronne. Il n'est pas exigé que le deuxième type de documents soit privilégié. C'est la raison pour laquelle la Cour a conclu que la limite de temps qui fait partie intégrante du privilège des communications liées à une instance ne s'appliquait pas. Le droit de refuser de divulguer des documents préparés par l'avocat-conseil de la Couronne n'est pas fondé sur l'existence d'un privilège, mais sur leur préparation dans des circonstances qui donneraient lieu à la revendication d'un privilège que ce privilège soit ou non toujours en vigueur.

[99]            Par contre, l'article 23 mentionne simplement des documents « protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à un client » . Il ne décrit qu'un seul type de document, savoir un document assujetti au secret professionnel des avocats. Il s'agit d'une exigence bien différente que celle dans l'affaire Big Canoe. La Cour a jugé qu'il fallait un privilège pour que l'article 23 entre en jeu dans Stevens c. Canada (Premier ministre) (C.A.), [1998] 4 C.F. 89 quand le juge Linden a dit :


[23] [...] L'effet des dispositions de la Loi sur le contenu de la protection est nul. Le juge Rothstein a décidé à bon droit que l'article 23 de la Loi comprend le principe du secret des communications entre client et avocat en common law. Ce terme n'est pas défini ailleurs dans la Loi. Aussi, on ne peut que présumer que ce que visent les mots « secret des communications entre client et avocat » est la doctrine du secret des communications entre client et avocat en common law. Cela étant, il est nécessaire pour l'autorité responsable de déterminer, avant d'examiner l'effet de la Loi, si un document est assujetti au privilège. Le cas échéant, elle peut alors en refuser la divulgation. Mais la question préliminaire est déterminée non pas dans le contexte de la Loi, mais dans le contexte de la common law. Si le document bénéficie de la protection, la décision discrétionnaire de divulguer ou non fondée sur l'article 23 est alors prise dans le contexte de la Loi accompagnée de ses présuppositions philosophiques.                  [Non souligné dans l'original.]

[100]        Voilà, selon moi, la différence essentielle entre la Loi et celle de l'Ontario. Cette dernière n'exige pas, dans le cas de l'avocat-conseil de la Couronne, l'existence du secret professionnel de l'avocat pour refuser la divulgation, alors que la Loi exige, dans tous les cas, le secret professionnel pour refuser de communiquer. Bref, l'article 23 de la Loi vise les documents privilégiés et non ceux qui l'ont déjà été. Une fois le privilège perdu, d'autres mécanismes doivent empêcher la communication inopportune de renseignements. Dans certaines affaires, une définition large du litige, comme dans Ed Miller Sales & Rentals Ltd. pourrait éviter la communication prématurée d'un dossier de litige. Dans d'autres, il faudra peut-être avoir recours à d'autres exemptions en vertu de la Loi.

[101]        Par conséquent, l'article 23 n'a pas un effet analogue à celui qui est attribué à l'article 19 de la loi de l'Ontario dans Big Canoe.


[102]        Par voie de conséquence, l'article 23 n'exempte pas de la communication en vertu de la Loi les documents qui ne sont pas protégés par le secret professionnel de l'avocat au moment où la demande est présentée, même si ces mêmes documents étaient assujettis au privilège des communications liées à un litige à un autre moment. Je rejetterais donc l'appel incident. Chaque partie ayant eu gain de cause, chaque partie devrait payer ses propres dépens.

                                                                         _ J.D. Denis Pelletier _                

                                                                                                     Juge                               

« Je souscris aux présents motifs

Robert Décary, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-233-03

INTITULÉ :                                                    SHELDON BLANK

c.

LE MINISTRE DE LA JUSTICE

LIEU DE L'AUDIENCE :                              WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 31 MAI 2004

MOTIFS DU JUGEMENT EN APPEL : LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE DÉCARY

LE JUGE PELLETIER

MOTIFS DU JUGEMENT

SUR L'APPEL INCIDENT :                         LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :                                   LE JUGE DÉCARY

MOTIFS DISSIDENTS :                               LE JUGE LÉTOURNEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Sheldon Blank                                                               POUR SON PROPRE COMPTE

Christopher Rupar                                                                     POUR L'INTIMÉ

Ministère de la Justice, Ottawa

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sheldon Blank                                                               POUR SON PROPRE COMPTE

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR L'INTIMÉ


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