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Date : 20000121


Dossier : A-813-97


CORAM:      LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY



ENTRE:

     ANDRÉ LEDOUX, homme d"affaires domicilié et

     résidant au 1076 Parc Thornhill, Sillery, Québec

     Appelant

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     Intimée





     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcé à l"audience à Québec, Québec,

     le vendredi 21 janvier 2000)

    

LE JUGE MARCEAU


[1]      Le jugement ici attaqué vient de la Cour canadienne de l"impôt; par son dispositif, il confirmait une cotisation établie par le ministre du Revenu national à l"encontre de l"appelant en vertu de la Loi de l"impôt sur le revenu pour l"année 1987. L"appelant contestait que le ministre ait pu, par cette cotisation, lui attribuer en totalité, et traiter comme revenus d"entreprise, les gains que lui et des personnes qui lui étaient liées avaient réalisés, suite à une série de transactions relatives à l"achat et à la vente d"un immeuble et qu"ils avaient séparément déclarés comme gains en capital. Le juge de la Cour de l"impôt dispose de la contestation en acceptant la façon de voir du ministre. À son avis, la série de transactions complexes en 43 étapes complétée en quelques jours et à laquelle avaient participé des personnes morales, des fiducies, des individus groupés en société et d"où était résulté le transfert de propriété de l"édifice Dorchester à Québec à des investisseurs de Montréal, camouflait un profit qu"avait réalisé l"appelant en disposant des droits qu"il avait obtenus sur l"immeuble dans le cadre d"une opération de nature commerciale.

[2]      Nous sommes d"avis que le premier juge en est arrivé à la bonne conclusion et qu"il l"a fait sur la base d"une analyse dont nous sommes prêts à accepter les propositions essentielles.

[3]      Quatre de ces propositions essentielles viennent de prises de position factuelles fondées sur la preuve et que rien ne nous permet de contester. On ne saurait se prononcer sur la solidité du raisonnement du juge et apprécier sa conclusion autrement qu"en partant de ces quatre points de repère de base.

[4]      Premièrement, c"est pour lui personnellement que l"appelant agissait au moment où il présentait son offre d"achat du 2 mars 1987 à Enrico Inc. ("Enrico"), propriétaire de l"immeuble Dorchester, à Québec, et obtenait son acceptation. La mention "in trust", utilisée par lui sur les conseils de son notaire, n"avait eu en l"occurrence aucune portée. Et c"est toujours pour lui personnellement qu"il recevait d"un groupe d"investisseurs l"offre d"achat du 18 mars 1987 et signifiait son acceptation.

[5]      Deuxièmement, ces promesses d"achat et de vente des 2 et 18 mars 1987 n"ont en aucun moment perdu leur efficacité juridique. Seule l"obligation assumée par l"appelant dans son offre d"acheter du 2 mars pouvait être touchée par le défaut d"avènement de la condition relative au financement, en ce sens que l"appelant pouvait s"en prévaloir pour s"en libérer. À défaut d"un avis de retrait de l"appelant, rien n"était changé et spécialement la promesse de vente restait pleinement exécutoire.

[6]      Troisièmement, il est acquis et non susceptible d"être remis en cause par cette Cour que l"appelant entendait acheter avec en vue, sinon exclusivement du moins de façon très prochaine, de revendre à la hausse, comme il l"avait fait dans le passé avec d"autres immeubles, faisant du profit susceptible d"être ainsi réalisé au profit d"entreprise.

[7]      Enfin, quatrièmement, un fait non discuté mais central: c"est pour minimiser l"incidence fiscale de la transaction d"ensemble que fut imaginée et exécutée la série de manoeuvres en 43 étapes à laquelle les trois groupes d"intéressés, les propriétaires Enrico, l"appelant avec les membres de sa famille et les co-acquéreurs Faucher et als, se sont prêtés.

[8]      Posé à partir de ces données de faits, le problème pour le juge " et c"est encore évidemment le même pour nous " était le suivant. Face à cette tendance de la jurisprudence récente à ne pas s"opposer à ce qu"un contribuable qui cherche à éviter autant que possible le paiement d"impôts ait recours à sa guise à toutes sortes de transactions peu importe leur complexité inutile ou leur valeur commerciale ou économique, cette série de manoeuvres en 43 étapes à laquelle les parties ont eu recours ici pour réaliser les droits et obligations qui leur résultaient des promesses d"acheter et de vendre souscrites par elles dans les actes des 2 et 18 mars, doit-elle être prise et acceptée à sa face même pour déterminer les conséquences fiscales que les transactions véritables intervenues entre elles impliquaient?

[9]      Le premier juge a répondu négativement et nous croyons qu"il a eu raison. Sa façon de résumer les leçons de la jurisprudence et de s"y référer est certes imparfaite, encore qu"il faille bien admettre que ces leçons ne sont pas toutes faciles à dégager et que la décision clé, Shell ,1 n"avait pas encore été rendue. Mais en somme, sa réponse est fondée sur une constatation essentielle, soit celle que la série de manoeuvres à laquelle on avait eu recours, non seulement n"avait pour plusieurs de ses éléments qu"un caractère artificiel, mais qu"elle ne reflétait pas les transactions réelles intervenues et ne correspondait pas aux relations véritables qui s"étaient formées entre les parties, bref qu"elle constituait en définitive un trompe l"oeil, un subterfuge, un "sham." Et c"était une constatation qui s"imposait à lui après avoir noté la non-concordance du prix de vente de l"immeuble eu égard à l"obligation assumée par Enrico en acceptant l"offre du 2 mars; l"interposition entre le vendeur Enrico et les acheteurs définitifs d"une société de personnes ne devant avoir une existence propre, indépendante de ces derniers, que le temps de recevoir le prix d"achat définitif et le partager sous la dictée de l"appelant; la désignation fausse de "prélèvements" attribuée aux sommes distribuées par la société à ses pseudo-commanditaires nommés; l"inégalité inexplicable des distributions; la chute factice de la valeur des participations.

[10]      À partir de cette constatation, à notre avis pleinement fondée, que la série de transactions constituait un trompe l"oeil pour cacher le profit d"entreprise réalisé par l"appelant suite à la passation des actes des 2 et 18 mars 1987 et en assurer la distribution à des tiers sous forme de gains en capital, le juge se devait de redonner aux diverses étapes leur interprétation et sens véritables pour en dégager les conséquences fiscales voulues par la loi.

[11]      Nous ne croyons pas utile de discuter ici des divers éléments de la reconstruction que fait le juge des transactions véritables des parties. On peut même penser que se défendait fort bien, sinon mieux, la position du ministre à l"effet que le profit réalisé par l"appelant pouvait se rattacher directement aux deux offres des 2 et 18 mars 1987 sans nécessité d"imaginer une vente séparée des droits qui lui en étaient résultés. Mais de toute façon, notre réserve sur certains aspects de l"analyse du juge ne nous justifierait pas d"intervenir quant à ses conclusions.

[12]      L"appel sera donc rejeté avec dépens.


     "Louis Marceau"

     j.c.a.





Date : 20000121


Dossier : A-813-97


CORAM:      LE JUGE MARCEAU

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE DÉCARY



ENTRE:

     ANDRÉ LEDOUX, homme d"affaires domicilié et

     résidant au 1076 Parc Thornhill, Sillery, Québec

     Appelant

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     Intimée







Audience tenue à Québec, Québec, le lundi 17 janvier et le vendredi 21 janvier 2000.

Jugement prononcé à l"audience le vendredi 21 janvier 2000.







MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE MARCEAU

__________________

1 Shell Canada Ltd. c. Canada (1999), 178 D.L.R. (4th) 26 (C.S.C.).

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