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     Date : 19990519

     Dossier : A-357-97

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

ENTRE :

     RIVA STAHL GmbH, FEDMET TRADING, une division de

     FEDMET INC., FEDMET TRADING, une division de

     FEDMET INTERNATIONAL CORPORATION, et

     OKLAHOMA STEEL AND WIRE CO. INC.,

     appelantes,

     - et -

     COMBINED ATLANTIC CARRIERS GmbH,

     K/S SEA, K/BERGEN BULK CARRIERS,

     UNIVAN SHIP MANAGEMENT LTD. et le

     M.V. " BERGEN SEA " ET SES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS,

     intimés.

AUDIENCE tenue à Toronto (Ontario), le lundi 17 mai 1999.

JUGEMENT rendu à Toronto (Ontario), le lundi 17 mai 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :      LE JUGE STONE

     Date : 19990519

     Dossier : A-357-97

CORAM :      LE JUGE STONE

         LE JUGE ROTHSTEIN

         LE JUGE SEXTON

ENTRE :

     RIVA STAHL GmbH, FEDMET TRADING, une division de

     FEDMET INC., FEDMET TRADING, une division de

     FEDMET INTERNATIONAL CORPORATION, et

     OKLAHOMA STEEL AND WIRE CO. INC.,

     appelantes,

     - et -

     COMBINED ATLANTIC CARRIERS GmbH,

     K/S SEA, K/BERGEN BULK CARRIERS,

     UNIVAN SHIP MANAGEMENT LTD. et le

     M.V. " BERGEN SEA " ET SES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS,

     intimés.

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario)

     le lundi 17 mai 1999)

LE JUGE STONE

[1]      Il s'agit de l'appel du jugement que le juge Lutfy a rendu le 21 mai 1997 relativement à des requêtes distinctes présentées par les intimés et les appelantes en vue du prononcé d'un jugement sommaire dans la présente action en amirauté. Le juge Lutfy a fait droit aux requêtes des intimés et a rejeté la requête des appelantes ainsi que l'action elle-même avec dépens1. Il a par conséquent conclu qu'il n'existait aucune " question sérieuse à instruire ".

[2]      La réclamation se rapporte à des dommages causés à une cargaison d'acier en bobines que le navire " BERGEN SEA " a transportée entre Brake (Allemagne) et Houston (Texas) au cours de l'hiver 1994. Ces dommages ont été découverts lors du déchargement de la cargaison à Houston entre le 13 mars et le 16 mars 1994. Les marchandises ont été expédiées par l'appelante Riva Stahl GmbH. L'appelante Fedmet Trading était le consignataire des marchandises.

[3]      Durant le transport par mer, le navire " BERGEN SEA " était régi à la fois par un contrat d'affrètement à temps entre ses propriétaires et l'intimée Combined Atlantic Carriers GmbH, et par un contrat d'affrètement au voyage entre cette personne morale et le consignataire, Fedmet Trading. Aux termes de la clause 38 du contrat d'affrètement à temps, les connaissements devaient [traduction ] " incorporer [les Règles de La Haye2] et leurs modifications ultérieures et être assujettis à ces règles ". On ne fait état nulle part dans le contrat d'affrètement au voyage de l'application des Règles de La Haye ou d'autres règles de droit qui régiraient le contrat de transport des marchandises, attesté dans le connaissement, entre l'Allemagne et les États-Unis.

[4]      Le connaissement concernant la cargaison a été délivré [traduction] " au nom du capitaine " à Brême, en Allemagne, le 19 février 1994 par les agents de Combined Atlantic Carriers GmbH. La clause 5 de ce document est notamment libellée ainsi qu'il suit :

     [traduction] Tous les droits et immunités attestés par le présent connaissement et par les règles de droit applicables en vertu de la Carriage of Goods By Sea Act des États-Unis sont par les présentes consentis au propriétaire du navire et à tous les affréteurs, agents, arrimeurs, transporteurs substituts et dépositaires de la cargaison, et à leurs employés, mandataires, représentants légaux, ayants droit et assureurs respectifs3.         

La clause 23 du connaissement imposait expressément un délai pour intenter une poursuite. En voici le libellé :

     [traduction] Quoi qu'il en soit, le transporteur et le navire sont libérés de toute responsabilité pour une perte ou un dommage sauf si une poursuite est intentée dans l'année qui suit la livraison des marchandises ou la date à laquelle les marchandises auraient dues être livrées. Une poursuite n'est réputée intentée que si une compétence a été obtenue à l'égard du transporteur ou du navire par voie de signification valide d'un acte de procédure.         

[5]      La question fondamentale qui est litigieuse en l'espèce est de savoir si les intimés ont prorogé le délai imparti pour intenter une poursuite de telle sorte que la présente action a été intentée avant l'expiration du nouveau délai et, dans la négative, si les intimés ont renoncé au délai de prescription d'un an prévu dans le connaissement ou sont empêchés d'invoquer la prescription.

[6]      Le juge Lutfy a conclu que la réclamation était prescrite et que les intimés n'avaient pas renoncé au délai de prescription et n'étaient pas empêchés de l'invoquer.

[7]      Nous souscrivons à ces conclusions.

[8]      Le consentement des propriétaires du navire et ensuite de l'affréteur à temps à la prorogation du délai à l'intérieur duquel une poursuite doit être intentée était subordonné à l'octroi aux appelantes d'une " prorogation analogue " de la part de chacun d'eux. À notre avis, ainsi que l'a conclu le juge Lutfy, il fallait que les appelantes, après avoir obtenu la prorogation voulue des propriétaires du navire, obtiennent une prorogation correspondante de l'affréteur4. Cela n'a jamais été fait. Les propriétaires du navire ont accordé une prorogation jusqu'au 13 juin 1995 qui était " subordonnée à l'octroi [par l'affréteur à temps] d'une prorogation analogue ". La prorogation jusqu'au 30 juin 1995 accordée par l'affréteur à temps était pareillement subordonnée à l'octroi d'une " prorogation analogue " par les propriétaires du navire et l'affréteur au voyage. À notre avis, c'est à bon droit que le juge Lutfy a exprimé le point de vue selon lequel il n'existait pas de prorogations véritables le 28 juin 1995, date à laquelle la poursuite a été intentée. Les intimés étaient en droit d'exiger que les conditions dont leurs prorogations de délai respectives étaient assorties soient respectées à la lettre, sans égard aux raisons pour lesquelles ces conditions avaient été imposées5. Si une prorogation nécessitait des précisions ou créait d'autres difficultés à la partie intéressée par la cargaison, il appartenait assurément à cette partie de saisir l'autre partie de la question avant l'expiration de la date limite de prorogation. Dans la présente espèce, il importe peu, selon nous, que les intimés puissent ne pas être lésés par le fait que les propriétaires du navire n'ont pas accordé une prorogation de délai jusqu'au 30 juin 1995.

[9]      L'argument des appelants selon lequel les intimés ont renoncé à invoquer la prescription repose sur le fait que les intimés ont fait une offre de compromis de 42 500 $ US lors d'une réunion tenue le 21 juillet 1995 pour régler la réclamation qui s'élevait à environ 203 000 $ US. Le juge Lutfy a rejeté cet argument. Nous sommes d'avis que le dossier justifie cette conclusion. Il n'y a rien dans le dossier qui montre qu'en faisant cette offre les intimés ont clairement et sans équivoque voulu abandonner l'exception de prescription6. Ainsi que le juge des requêtes l'a déclaré, les intimés ont invoqué l'exception de prescription avant, pendant et après les négociations qui ont eu lieu le 21 juillet 1995.

[10]      Nous sommes également d'avis que le juge Lutfy n'a commis aucune erreur susceptible de révision en rejetant l'argument fondé sur l'irrecevabilité. Nous ne voyons pas comment l'empressement des appelantes à consacrer du temps et une somme d'argent assez minime à une demande de renseignements des intimés après la réunion du 21 juillet 1995 pourrait être interprété comme un facteur à l'appui de l'irrecevabilité. De fait, il n'est pas inhabituel que l'auteur d'une réclamation qui prend part à des négociations en vue d'une transaction fournisse à l'autre partie, sur demande, des renseignements complémentaires. Si cette façon de faire exposait toujours la partie qui demande les renseignements au risque de se voir opposer l'exception d'irrecevabilité, le but des négociations extrajudiciaires serait gravement compromis. De plus, il était visiblement dans l'intérêt des deux parties de donner suite à la demande des intimés. Si les renseignements demandés permettaient de convaincre les intimés d'offrir, comme compromis, un montant plus élevé que celui qui avait été offert, les appelantes allaient sans doute en tirer avantage. Par contre, si ces renseignements n'étaient pas convaincants, ce sont les intimés qui seraient avantagés.

[11]      Les dernières prétentions des appelantes se rapportent à la pertinence du prononcé d'un jugement sommaire dans les circonstances de l'espèce7. Les appelantes déplorent que les intimés n'ont produit aucun élément de preuve en réponse à leur propre preuve directe et se sont plutôt contentés de s'appuyer sur les affidavits d'un de leurs avocats et d'un employé qui étaient fondés sur des renseignements tenus pour véridiques. Suivant cet argument, la preuve directe non contredite des appelantes aurait dû être acceptée et, de toute façon, le juge aurait dû tirer des conclusions défavorables aux intimés parce qu'ils n'ont pas répondu à la preuve directe des appelantes au moyen d'une preuve similaire. Cet argument ne nous convainc pas. En tant que parties requérantes, les intimés n'étaient pas tenus par les Règles de produire une preuve directe8. De plus, les Règles n'obligeaient pas les intimés à produire une preuve en réponse à celle des appelantes. Leurs requêtes en jugement sommaire reposaient exclusivement sur l'exception de prescription. Il est vrai que le défaut des intimés de fournir une preuve directe à l'appui de leurs requêtes autorisait le juge à tirer des conclusions défavorables. Cette question relevait de son pouvoir discrétionnaire et il n'a pas jugé bon de le faire. Selon nous, rien ne justifie la modification de l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire.

[12]      Par ailleurs, nous ne sommes pas convaincus que, pour une raison ou pour une autre, la preuve du témoin des appelantes fondée sur l'expérience qu'il possédait dans le traitement des réclamations pour avarie de marchandises du point de vue d'un transporteur ou d'un navire fait en sorte que le juge Lutfy aurait dû rejeter les requêtes et permettre l'instruction de l'affaire. Cette preuve, qui n'a pas été contredite, portait qu'il n'y aurait pas de négociations en vue d'un compromis après l'expiration d'un délai de prescription et, par conséquent, que les appelantes étaient en droit d'invoquer cette preuve à l'appui de l'argument fondé sur l'irrecevabilité. Toutefois, ainsi que le juge Lutfy l'a signalé, le témoin a rédigé toutes ses lettres de négociation " sous toutes réserves ". Qui plus est, dans la correspondance et lors de la réunion du 21 juillet 1995, les intimés ont expressément indiqué que même s'ils étaient disposés à négocier un compromis, ils étaient conscients de l'existence de l'exception de prescription et ont invoqué cette exception. Selon nous, le juge des requêtes s'est clairement appuyé sur l'ensemble de la preuve pour exprimer le point de vue selon lequel l'irrecevabilité n'avait pas été prouvée. Cette preuve, dans l'ensemble, était tout à fait compatible avec le fait que les parties ont constamment négocié avec l'exception de prescription comme toile de fond. De surcroît, ainsi que le juge Lutfy l'a déclaré, les parties voulaient " liquider le différend d'une manière économique au moyen de négociations "9. Nous sommes incapables d'affirmer qu'il a commis une erreur en ne permettant pas l'instruction de l'action.

[13]      L'appel sera rejeté avec dépens.

                                 " A. J. Stone "

                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     Date : 19990519

     Dossier : A-357-97

ENTRE :

RIVA STAHL GmbH, FEDMET TRADING, une division de FEDMET INC., FEDMET TRADING, une division de FEDMET INTERNATIONAL CORPORATION, et OKLAHOMA STEEL AND WIRE CO. INC.,

     appelantes,

- et -

COMBINED ATLANTIC CARRIERS GmbH, K/S SEA, K/BERGEN BULK CARRIERS, UNIVAN SHIP MANAGEMENT LTD. et le M.V. " BERGEN SEA " ET SES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS,

     intimés.

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

DOSSIER :                      A-357-97

INTITULÉ :                      RIVA STAHL GmbH, FEDMET TRADING, une division de FEDMET INC., FEDMET TRADING, une division de FEDMET INTERNATIONAL CORPORATION, et OKLAHOMA STEEL AND WIRE CO. INC.,

     appelantes,

                         - et -

                         COMBINED ATLANTIC CARRIERS GmbH, K/S SEA, K/BERGEN BULK CARRIERS, UNIVAN SHIP MANAGEMENT LTD. et le M.V. " BERGEN SEA " ET SES PROPRIÉTAIRES ET AFFRÉTEURS,

     intimés.

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 17 MAI 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :      LE JUGE STONE, J.C.A.

Prononcés à Toronto (Ontario)

le lundi 17 mai 1999

COMPARUTIONS :                  M. Lawrence G. Theall

                         M. J. Brown

                             pour les appelantes

                         M. Paul N. Richardson (Combined Atlantic Carriers GmbH)
                         M. Nigel H. Frawley (K/S Bergen Sea et autres)
                             pour les intimés
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          FERNANDES HEARN THEALL
                         335, rue Bay
                         Bureau 601
                         Toronto (Ontario)
                         M5H 2R3
                             pour les appelantes
                         BORDEN & ELLIOT
                         Scotia Plaza
                         40, rue King ouest
                         Toronto (Ontario)
                         M5H 3T4

                             pour les intimés (K/S Bergen Sea et autres)

                         STRATHY & RICHARDSON
                         401, rue Bay, C.P. 69
                         Bureau 2420
                         Toronto (Ontario)
                         M5H 2Y4
                             pour les intimés (Combined Atlantic Carriers GmbH)


__________________

     1      Cette décision est publiée à Riva Stahl GmbH et al. v. Combined Atlantic Corners GmbH et al. (1997), 131 F.T.R. 231.

     2      Ces règles figurent dans la Convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement qui a été adoptée à Bruxelles le 25 août 1924.

     3      Le paragraphe 1303(6) de la Carriage of Goods by Sea Act, 46 U.S.C.A., dispose notamment ceci : [traduction] " Le transporteur et le navire sont libérés de toute responsabilité pour une perte ou un dommage sauf si une poursuite est intentée dans l'année qui suit la livraison des marchandises [...]. "

     4      Ainsi que le juge des requêtes l'a déclaré à la p. 8 de ses motifs, le témoin des appelantes, un homme qui avait l'habitude de traiter des subrogations en matière d'assurance maritime, a reconnu qu'il était d'usage que les prorogations de délai soient accordées pour la même date en raison de l'interdépendance des affréteurs et des propriétaires de navires. Il est également mentionné que lorsque l'affréteur à temps a prorogé le délai jusqu'au 30 juin 1995 sous réserve, entre autres, de l'octroi d'une " prorogation analogue " par l'affréteur au voyage, il fallait obtenir la confirmation que ce dernier avait prorogé le délai " jusqu'au 30 juin 1995 ".

     5      Dans l'arrêt The " August Leonhardt ", [1985] Lloyd's Rep. 28 (C.A.), le lord juge Kerr a rejeté un argument assez semblable à celui qui est invoqué en l'espèce. Dans cette affaire, les propriétaires du navire avaient accepté de proroger le délai imparti pour engager des poursuites jusqu'à une date certaine, [traduction ] " à condition que les affréteurs y consentent également ". Pour rejeter cet argument, le lord juge Kerr a déclaré à la p. 32 : [traduction ] " Ainsi que l'a fait remarquer le juge, cette clause conditionnelle avait en fait été ajoutée en tant qu'avantage présumé consenti aux propriétaires du navire, aussi illusoire qu'il soit, et eux seuls pouvaient accorder une prorogation sous réserve des conditions qui leur convenaient, aussi inappropriées qu'elles soient.

     6      Voir l'arrêt Saskatchewan River Bungalows Ltd. c. La Maritime, Compagnie d'assurance-vie, [1994] 2 R.C.S. 490, le juge Major, à la p. 500, dans lequel cette condition a été considérée comme l'un des " éléments essentiels de la renonciation ".

     7      Les règles en vigueur à l'époque pertinente était les règles 432.1 à 432.7 des Règles de la Cour fédérale.

     8      Règle 432.2.

     9      Motifs du jugement, à la p. 10.

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