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Date : 20031112

Dossier : A-37-03

Référence : 2003 CAF 423

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                               NANCY JO WANNAN

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

                                     Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2003.

                                    Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                    LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                                        LE JUGE NADON


Date : 20031112

Dossier : A-37-03

Référence : 2003 CAF 423

CORAM :       LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE NADON

LA JUGE SHARLOW

ENTRE :

                                                               NANCY JO WANNAN

                                                                                                                                                       appelante

                                                                                   et

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                           intimée

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]                 Nancy Jo Wannan fait appel du jugement modifié de la Cour de l'impôt, daté du 14 janvier 2003, qui faisait droit en partie à un appel à l'encontre d'une cotisation datée du 8 février 1999 et établie conformément à l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 : Wannan c. Canada, [2002] A.C.I. n ° 653 (QL), 2003 D.T.C. 76, [2003] 2 C.T.C. 2303 (C.C.I.).


[2]                 L'article 160 est l'une de plusieurs dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui prévoient une responsabilité du fait d'autrui ou responsabilité secondaire à l'égard de créances fiscales. Ces dispositions permettent au ministre de recouvrer une créance fiscale auprès d'une personne autre que le débiteur fiscal, à condition que certaines conditions prévues par la loi soient remplies. Les parties de l'article 160 qui nous intéressent sont ainsi rédigées :

160(1) Lorsqu'une personne a ... transféré des biens ... à ... son époux ... les règles suivantes s'appliquent : . . .

160(1) Where a person has ... transferred property ... to ... the person's spouse ... the following rules apply: . . .

e) le bénéficiaire et l'auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d'un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(e) the transferee and transferor are jointly and severally liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i)         l'excédent de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donné pour le bien,

(i)         the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at the time of the consideration given for the property, and

(ii)        le total des montants dont chacun représente un montant que l'auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi au cours de l'année d'imposition dans laquelle les biens ont été transférés ou d'une année d'imposition antérieure ou pour une de ces années;

(ii)        the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding year ...


[3]                 L'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu est un instrument important de recouvrement des impôts, parce qu'il contrarie les tentatives d'un contribuable de mettre de l'argent ou d'autres biens hors de la portée du fisc en les transférant censément à des amis. C'est cependant une disposition draconienne. Les recours à l'article 160 ne sont pas tous injustifiés ou injustes, mais un résultat inique est toujours possible. Il n'existe pas de défense de diligence raisonnable à l'encontre de l'application de l'article 160. Cet article peut s'appliquer au cessionnaire de biens qui n'a pas l'intention d'aider le débiteur fiscal primaire à se soustraire à l'impôt. Il peut même s'appliquer au cessionnaire qui n'a pas connaissance de la situation fiscale du débiteur fiscal primaire. Cependant, l'article 160 a été validement promulgué comme partie des lois du Canada. Si la Couronne entend se fonder sur l'article 160 dans un cas donné, elle doit être autorisée à le faire pour autant que les conditions prévues soient remplies.

[4]                 Les faits ne sont pas contestés. Durant les années 1989 à 1994, le mari de Mme Wannan, le Dr Barry Wannan, a versé des sommes totalisant 50 850 $ au régime enregistré d'épargne-retraite de Mme Wannan. Il a versé une autre somme de 7 500 $ en 1995. Le juge de la Cour de l'impôt a estimé, à juste titre à mon avis, que chacune de ces sommes constituait un transfert de biens auquel l'article 160 pouvait s'appliquer. Cette conclusion n'est pas contestée dans le présent appel.

[5]                 Le 10 janvier 1996, le Dr Wannan faisait cession de ses biens. La Couronne a produit une preuve de réclamation se chiffrant à 176 940,87 $, pour des sommes dues par le Dr Wannan en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Cette somme comprenait une dette de 26 333,27 $ au titre de son revenu imposable des années 1988 et 1989, qui fit l'objet de cotisations en 1993 et 1994, et une autre dette de 150 607,50 $ au titre de son revenu imposable de 1995, qui fit l'objet d'une cotisation le 16 septembre 1996. Le Dr Wannan fut libéré de son statut de failli le 10 octobre 1996.


[6]                 La Couronne a reçu un dividende de 72 013,88 $ du syndic de faillite. Sur ce dividende, une somme d'environ 45 752,51 $ a été versée comme paiement provisoire, et le reste, 26 261,37 $, fut payé après la conclusion de la procédure de faillite en octobre 2002. Le dossier ne dit pas quand le paiement provisoire a été fait. Les avocats des deux parties se sont entendus pour dire que, en principe, le paiement provisoire aurait été effectué avant que le Dr Wannan ne soit libéré de sa faillite. Le paiement provisoire a probablement été effectué avant le 2 février 1999, parce que le dossier contient copie d'un rapport du syndic de faillite qui porte cette date et qui fait état du paiement provisoire.

[7]                 Mme Wannan a été l'objet d'une cotisation selon l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu le 8 février 1999. L'événement qui a conduit à cette cotisation, c'est que les versements faits par le Dr Wannan au régime enregistré d'épargne-retraite de son épouse constituaient des transferts de biens en faveur de celle-ci, sans contrepartie, durant une année ou après une année pour laquelle le Dr Wannan était assujetti à l'impôt. Le montant de la cotisation fiscale était de 39 458,27 $, établi comme il suit :


La moindre des sommes suivantes :

Assujettissement du Dr Wannan à l'impôt pour 1988 et 1989

   26 333,27 $

    26 333,27 $

Versements au REER de 1989 à 1994

   50 850,00 $

La moindre des sommes suivantes :

Assujettissement du Dr Wannan à l'impôt pour 1995

150 607,60 $

Versements au REER en 1995 *

   13 125,00 $

     13 125 $

Total

    39 458,27 $

* À l'origine, la Couronne croyait que le total des versements au REER pour 1995 se chiffrait à 13 125 $. Cependant, la Cour de l'impôt a conclu que le total des versements pour cette année-là se chiffrait à 7 500 $ (voir le paragraphe 9 ci-après).

[8]                 La cotisation fiscale de Mme Wannan selon l'article 160 faisait totalement abstraction du dividende résultant de la faillite, y compris du paiement provisoire, 45 752,51 $, reçu par la Couronne avant la date de la cotisation fiscale de Mme Wannan.

[9]                 Mme Wannan a fait appel de la cotisation à la Cour de l'impôt. Elle a obtenu gain de cause sur un seul point. Le juge de la Cour de l'impôt a estimé que, en 1995, le Dr Wannan n'avait versé que 7 500 $ au régime enregistré d'épargne-retraite de Mme Wannan, et non 13 125 $, de telle sorte que la responsabilité de celle-ci selon l'article 160, au titre de la responsabilité du Dr Wannan pour 1995, ne pouvait pas dépasser 7 500 $. Le juge a ordonné que la cotisation fiscale de Mme Wannan au titre de l'article 160 soit ramenée à 33 833,27 $, une baisse de 5 625 $. La Couronne ne conteste pas cette réduction.


[10]            À l'origine, trois points principaux étaient soulevés dans le présent appel, mais l'avocat de Mme Wannan a abandonné l'un d'eux lors de l'instruction de l'appel. Le premier point concerne l'interaction de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. 1985, ch. B-3, et de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le deuxième point requiert d'examiner la manière dont le dividende reçu de la faillite a été appliqué aux obligations fiscales du Dr Wannan.

L'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur la faillite et l'insolvabilité

[11]            On fait valoir, au nom de Mme Wannan, que la faillite du Dr Wannan empêchait la Couronne d'établir la cotisation fiscale de Mme Wannan selon l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu. L'avocat de Mme Wannan admet qu'il ne peut réussir sur ce point à moins que la Cour ne soit disposée à désavouer l'arrêt Heavyside c. Canada, [1996] A.C.F. n ° 1608 (QL), 206 N.R. 206, 43 C.B.R. (3d) 128, [1997] 2 C.T.C. 1, 97 D.T.C. 5026, 25 R.F.L. (4th) 334 (C.A.F.).


[12]            L'arrêt Heavyside peut être vu comme un précédent autorisant au moins trois propositions. (1) La responsabilité selon l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu prend naissance au moment d'un transfert de biens dans des circonstances qui répondent aux conditions établies, et non à la date à laquelle la responsabilité est déterminée. (2) La responsabilité selon l'article 160 survit à la faillite du débiteur fiscal principal. (3) La responsabilité selon l'article 160 survit à la réhabilitation du débiteur fiscal principal failli. Le fondement législatif de la troisième proposition est que, bien que le paragraphe 178(2) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité dispose qu'une ordonnance de libération libère le failli de toutes les créances prouvées dans la faillite, l'article 179 de cette loi dit que la libération ne confère pas le même avantage à une personne qui, au moment de la faillite, répondait solidairement de la dette.

[13]            La responsabilité de Mme Wannan selon l'article 160 (à supposer que cette responsabilité survive au présent appel) a pris naissance avant 1996. Si les principes de l'arrêt Heavyside sont corrects, sa responsabilité n'est pas touchée par la faillite du Dr Wannan survenue en janvier 1996, par la réhabilitation du Dr Wannan en octobre 1996 ou par le fait que Mme Wannan n'a été l'objet d'une cotisation que le 8 février 1999.

[14]            La Cour peut infirmer ses propres décisions antérieures, mais elle ne le fera pas à la légère. Le principe applicable est expliqué par le juge Rothstein, s'exprimant pour la Cour, dans l'arrêt Miller c. Canada (Procureur général) (2002), 293 N.R. 391, 220 D.L.R. (4th) 149 (C.A.F.) :

[8] Il ne fait aucun doute que la Cour peut passer outre ses propres décisions. Toutefois, les valeurs de certitude et de cohérence sont très près du coeur même de l'administration de la justice dans un système de droit et de gouvernement fondé sur la primauté du droit. En conséquence, une formation de la Cour ne devrait pas s'écarter d'une décision d'une autre formation simplement parce qu'elle considère que l'affaire s'est soldée par une décision erronée. C'est la Cour suprême du Canada qui est normalement l'instance appropriée pour corriger les erreurs commises par des cours d'appel intermédiaires.

[9] La jurisprudence portant sur l'infirmation de décisions antérieures a été examinée par le juge Urie dans l'arrêt M.E.I. c. Widmont, [1984] 2 C.F. 274, aux pages 278 à 282 (C.A.). Ses commentaires ont été cités avec approbation dans des arrêts subséquents, par exemple l'arrêt Eli Lilly and Co. c. Novopharm Ltd. (1996), 197 N.R. 291, à la page 293 (C.A.F.). En bref, la jurisprudence citée par le juge Urie a établi qu'afin d'assurer la constance et l'uniformité, une saine administration de la justice exige que les cours d'appel intermédiaires suivent leurs précédents, sauf circonstances exceptionnelles. La Cour a la responsabilité d'assurer la stabilité, l'uniformité et la prévisibilité du droit.

[10] Le critère utilisé pour l'infirmation de la décision d'une autre formation de la Cour exige que la décision en cause soit manifestement erronée, parce que la Cour n'aurait pas tenu compte de la législation applicable ou d'un précédent qui aurait dû être respecté : voir, à titre d'exemples, les arrêts Eli Lilly and Co., et Janssen Pharmaceutica Inc. c. Apotex Inc. (1997), 208 N.R. 395, à la page 396 (C.A.F.). Les cours d'appel provinciales ont utilisé ce même critère : voir, à titre d'exemples, R. c. White (1996), 29 O.R. (3d) 577, aux pages 604 et 605 (C.A.); Bell c. Cessna Aircraft Co. (1983), 149 D.L.R. (3d) 509, à la page 511 (C.A. C.-B.); R. c. Grumbo (1988), 159 D.L.R. (4th) 577, au paragraphe 21 (C.A. Sask.); et Lefebvre c. Québec (Commission des affaires sociales) (1991), 39 C.A.Q. 206.

[15]            Ces principes à l'esprit, j'examinerai les arguments de l'avocat de Mme Wannan, pour qui l'arrêt Heavyside devrait être désavoué.

[16]            L'argument commence par les objectifs de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. L'un de ces objectifs est de faire en sorte que les créanciers non garantis participent à égalité (c'est-à-dire à proportion de leurs créances) aux actifs du failli. Un autre est de donner au failli la possibilité de prendre un nouveau départ après la conclusion de la procédure de faillite. Les modifications récentes apportées à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ont supprimé toutes les préférences particulières conférées auparavant à la Couronne, de telle sorte que les réclamations de la Couronne, par exemple les créances fiscales, sont traitées simplement comme des réclamations non garanties, ce qui montre que le législateur voulait que la Couronne soit sur le même pied que les autres créanciers non garantis.


[17]            On fait valoir au nom de Mme Wannan que, si le principe de l'arrêt Heavyside est correct, la Couronne peut recourir à l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu comme moyen supplémentaire d'obtenir, en dehors de la faillite, le paiement des dettes fiscales du failli. Ce serait là miner, sous au moins deux aspects, les objectifs de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. D'abord, la Couronne obtiendrait à la fois sa part proportionnelle des actifs du failli, ainsi que les sommes additionnelles qu'elle pourrait recouvrer de la personne soumise à cotisation selon l'article 160, ce qui aura pour effet de mettre la Couronne en meilleure position que les autres créanciers non garantis. Deuxièmement, la personne qui est responsable du paiement selon l'article 160 et qui effectue ce paiement après la libération du failli peut en réclamer le remboursement au failli, risquant ainsi de ruiner ce qui devrait être le nouveau départ du failli.

[18]            Vu cette analyse de l'économie de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, l'avocat de Mme Wannan fait valoir que, contrairement à ce que dit l'arrêt Heavyside, la Couronne devrait être empêchée d'invoquer l'article 160 pour recouvrer une créance fiscale qui est prouvable dans la faillite du débiteur fiscal. Il dit que la capacité de la Couronne de recouvrer une créance fiscale auprès d'un tiers qui a pu recevoir des biens du failli avant la faillite devrait se limiter aux cas prévus par l'article 91 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (dispositions de biens faites durant l'année qui précède la faillite, ou, sous réserve de certaines conditions, dans les cinq ans qui précèdent la faillite, sauf une exception pour les opérations effectuées de bonne foi et moyennant une contrepartie valable).


[19]            L'avocat de la Couronne fait valoir que l'avocat de Mme Wannan a présenté une analyse incomplète, et par conséquent inexacte, de l'économie de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Je partage l'avis de l'avocat de la Couronne sur ce point. Je ne vois rien dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité qui atteste une intention d'offrir un allégement aux tiers qui sont responsables d'une dette du failli. L'article 179 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité semble même indiquer le contraire. Il dit, entre autres choses, que, si un créancier est fondé à s'adresser à deux débiteurs pour une dette unique, et que l'un des débiteurs devient failli, le créancier peut néanmoins s'adresser à l'autre débiteur. Ainsi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité autorise expressément le créancier non garanti d'un failli à exercer des recours contre d'autres parties. Qu'il puisse ou non en résulter une demande de remboursement adressée au failli après sa libération est simple conjecture, mais, si un tel résultat est possible, il ne serait qu'une autre conséquence de l'article 179.

[20]            L'avocat de Mme Wannan affirme aussi que des difficultés se manifestent lorsqu'on tente de contester une cotisation fiscale établie en vertu de l'article 160, si les affaires du débiteur fiscal primaire sont entre les mains d'un syndic de faillite. Je doute qu'il y ait autant de difficultés que le croit l'avocat de Mme Wannan, ou qu'elles soient aussi complexes qu'il le donne à entendre. Une personne qui est l'objet d'une cotisation selon l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu a un droit d'opposition et un droit d'appel, et il est maintenant bien établi qu'une telle opposition ou un tel appel peut comprendre une contestation de la validité ou de l'exactitude de la cotisation fiscale établie contre le débiteur fiscal primaire : voir l'arrêt Gaucher c. Canada (2000), 264 N.R. 369, 2000 D.T.C. 6678, [2001] 1 C.T.C. 125 (C.A.F.).


[21]            Il n'est pas sûr qu'une telle contestation soit fondée dans le cas présent. Il n'est pas sûr non plus que la faillite du Dr Wannan aurait de quelque façon empêché Mme Wannan d'opposer une telle contestation, si elle avait eu des moyens à faire valoir en ce sens.

[22]            L'argument de l'avocat de Mme Wannan ne laisse subsister aucun doute sur la justesse de l'arrêt Heavyside. Au contraire, je suis d'avis, avec la Couronne, que cet arrêt est correct.

[23]            Je passe maintenant au deuxième argument de Mme Wannan, qui concerne le quantum de sa responsabilité.

L'application du dividende issu de la faillite aux obligations fiscales du Dr Wannan

[24]            Le débat sur l'application du dividende issu de la faillite n'a pas été soulevé dans l'avis d'appel de Mme Wannan, mais il l'a été dans les arguments exposés devant la Cour de l'impôt. Les éléments de preuve sur la question sont donc assez minces.


[25]            L'avocat de Mme Wannan fait valoir que le dividende issu de la faillite et reçu par la Couronne aurait dû être appliqué d'abord aux obligations fiscales du Dr Wannan pour 1988 et 1989, et ensuite à ses obligations fiscales pour 1995. Il soutient que, si le dividende issu de la faillite avait été appliqué de cette façon, les obligations fiscales du Dr Wannan pour 1988 et 1989 auraient été accomplies intégralement à même le dividende, de telle sorte que Mme Wannan n'aurait aucune responsabilité au titre de l'article 160 pour les années 1988 et 1989. Ce point est illustré par le tableau suivant :

Date

Année d'imposition

Cotisations

         ($)

Paiements

        ($)

     Solde

        ($)

34198

       1988

    25 544,98

25 544,98

34533

       1989

         788,29

26 333,27

35323

       1995

    150 607,6

176 940,87

2 février 1999 (Note 1)

-45 752,51

131 188,36

après le 2 octobre 2002 (Note 2)

                                        

-26 261,37

104 926,99

Total

176 940,87

-71 013,88

104 926,99

Note 1 :             Il s'agit du paiement provisoire résultant du dividende issu de la faillite. Comme on l'explique plus haut, le dossier n'indique pas la date à laquelle ce paiement a été effectué, mais il n'a pu être effectué après le 2 février 1999.

Note 2 :             Il s'agit du paiement final résultant du dividende issu de la faillite.

[26]            Selon l'avocat de Mme Wannan, l'application du dividende issu de la faillite à l'obligation la plus ancienne du Dr Wannan rendrait Mme Wannan responsable du reliquat de l'obligation fiscale du Dr Wannan pour 1995, mais uniquement à concurrence de 7 500 $ (la moindre des sommes suivantes : l'obligation fiscale restante du Dr Wannan pour 1995, et les versements qu'il a faits en 1995 au régime enregistré d'épargne-retraite de son épouse).


[27]            L'argument selon lequel le dividende issu de la faillite aurait dû être appliqué d'abord aux obligations fiscales les plus anciennes du Dr Wannan est fondé sur le précédent Devaynes v. Noble (Clayton's Case) (1816), 1 Mer. 572, 35 E.R. 781. Le Clayton's Case confirme entre autres l'existence d'une règle de common law (qui semble-t-il aurait été empruntée au droit civil) selon laquelle, si un débiteur a plus d'une dette envers un créancier, tout paiement effectué par le débiteur doit être appliqué à la dette choisie par le débiteur, mais, si le débiteur ne fait aucun choix, alors le créancier peut choisir la dette à laquelle s'appliquera le paiement. Le point soulevé dans le Clayton's Case était celui de savoir si ce principe du choix est applicable au cas d'un compte bancaire. Le dépôt effectué dans un compte bancaire constitue une dette de la banque envers le déposant. Cependant, les dépôts faits dans un compte bancaire et les retraits de ce compte se confondent et sont suivis au moyen d'un « compte courant » . Il a été jugé dans le Clayton's Case que chaque retrait est présumé constituer une rétrocession de la totalité ou d'une partie du dépôt le plus ancien. La conséquence, c'est que le dépôt le plus ancien est retiré le premier, autrement dit la dette la plus ancienne est acquittée la première. C'est ce que l'on appelle parfois la règle « premier entré, premier sorti » ; sa raison d'être est expliquée ainsi, à la page 798 (E.R.) (non souligné dans l'original) :

[traduction] Mais c'est le cas du compte bancaire, où toutes les sommes qui y sont versées constituent un seul fonds, dont les diverses parties n'ont plus d'existence distincte. Ni le banquier ni le client ne songera jamais à dire : cette traite doit être placée au compte de la somme de 500 £ versée lundi, et cette autre au compte de la somme de 500 £ versée mardi. Il y a un fonds de 1 000 £ auquel puiser, et cela suffit. Dans un tel cas, il n'y a pas place pour une autre affectation que celle qui découle de l'ordre dans lequel les entrées et les sorties ont lieu et sont portées au compte. On peut présumer que c'est la somme entrée la première qui est sortie la première. C'est le premier poste porté au débit du compte qui est acquitté, ou réduit, par le premier poste porté au crédit du compte. L'affectation se fait par l'acte même qui consiste à compenser les deux postes...

                                                                 . . .

Si une affectation est requise, alors voici l'affectation, de la seule manière admise par la nature des choses. Voici les paiements, placés en regard des dettes, de telle sorte que, selon les principes ordinaires d'apurement des comptes, cette dette est éteinte.


[28]            On ne sait trop si la règle « premier entré, premier sorti » du Clayton's Case est une application du principe du choix de common law (c'est-à-dire une tentative d'exprimer l'intention présumée du débiteur dans le cas de créances confondues qui sont gérées en un compte courant), ou s'il s'agit d'une exception au principe du choix qui s'applique aux créances de cette nature. Il est clair cependant que la Cour a adopté la règle « premier entré, premier sorti » afin d'éviter l'injustice manifeste consistant à permettre au créancier de reconstituer simplement l'état de l'obligation du débiteur après le fait, comme le déposant avait tenté de le faire dans le Clayton's Case, après que la banque eut déclaré faillite. Une telle reconstitution a posteriori serait incompatible avec la manière normale dont une banque et ses clients traitent l'une avec les autres et, dans le cas d'une faillite, elle aurait pour effet de préjudicier à tous les autres déposants et aux créanciers non garantis de la banque.


[29]            La question posée pour Mme Wannan dans la présente affaire est celle de savoir si le principe « premier entré, premier sorti » devrait s'appliquer aux obligations fiscales du Dr Wannan. Aucune disposition de la Loi de l'impôt sur le revenu ne répond à la question. Cependant, il est entendu que, en temps normal, la Couronne reconnaîtra le droit d'un contribuable qui s'acquitte de ses propres obligations fiscales d'indiquer la manière dont le paiement devrait être appliqué. Il a aussi été établi que, si un paiement fiscal a au départ été appliqué d'une certaine manière, la Couronne et le contribuable peuvent convenir qu'il sera appliqué d'une autre manière : Canada c. Union Gas (1990), 116 N.R. 220, [1991] 1 C.T.C. 1, 90 D.T.C. 6659 (C.A.F.). Cependant, je n'ai connaissance d'aucun précédent où la Couronne ait été contrainte d'appliquer un paiement fiscal à une dette fiscale particulière si le paiement n'est pas affecté à cette dette, et s'il n'y a pas d'entente entre le payeur et la Couronne sur la manière dont le paiement doit être appliqué.


[30]            Le précédent qui semble le plus près de régler cet aspect est le jugement 464734 Ontario Inc. c. Canada (1990), 32 F.T.R. 225, [1990] 1 C.T.C. 296, 90 D.T.C. 6206 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, un différend avait surgi entre la Couronne et la société 464734 Ontario Inc., un débiteur fiscal, sur la manière dont la Couronne appliquerait un paiement de 41 000 $ reçu à la suite d'une mise en demeure de payer. La société était en retard sur son obligation de verser les retenues à la source de ses employés au titre de l'impôt fédéral sur le revenu, de l'impôt provincial sur le revenu, des cotisations au Régime de pensions du Canada et des primes d'assurance-chômage. Une mise en demeure de payer lui fut signifiée, semble-t-il à l'égard de toutes les obligations en question. La Couronne avait appliqué le paiement en conformité avec la pratique qu'elle observait à l'époque : d'abord les sommes retenues pour l'impôt provincial sur le revenu (en raison d'accords fédéraux-provinciaux sur le recouvrement), ensuite les cotisations au Régime de pensions du Canada et les primes d'assurance-chômage, et finalement les sommes retenues pour l'impôt fédéral sur le revenu. La société 464734 voulait que le paiement effectué soit réaffecté d'une autre manière, pour qu'il s'applique d'abord aux sommes retenues pour l'impôt fédéral sur le revenu. C'était là semble-t-il la seule obligation à l'égard de laquelle les administrateurs de la débitrice fiscale pouvaient être tenus pour responsables du fait d'autrui. La Cour avait jugé que la société 464734 ne pouvait contraindre la Couronne à réaffecter le paiement, parce qu'il avait été effectué par un tiers à la suite d'une mise en demeure de payer, et la société n'avait donc jamais eu un droit de regard sur la somme en question.

[31]            La Couronne invoque ce jugement pour dire que la règle « premier entré, premier sorti » ne peut s'appliquer à un paiement effectué par un tiers (par exemple un syndic de faillite) sur un fonds à l'égard duquel le débiteur n'a aucune mainmise juridique (par exemple l'actif de la faillite). À mon avis, ce jugement ne permet pas d'affirmer cela. L'application possible de la règle « premier entré, premier sorti » , énoncée par le Clayton's Case, ne se posait pas dans l'affaire 464734 Ontario Inc.; nul n'avait laissé entendre que la solution de cette affaire dépendait de la durée d'existence des diverses dettes fiscales.


[32]            Le dossier de la présente affaire ne renferme pas le compte fiscal du Dr Wannan. Cependant, je suis disposée à reconnaître d'office que la Couronne consigne en principe les obligations fiscales d'un débiteur fiscal dans un compte courant unique, dont le solde augmente de manière à refléter les cotisations et les intérêts courus, et diminue de manière à refléter les paiements effectués. L'avocat de la Couronne n'a pu indiquer aucune raison pour laquelle le dividende issu de la faillite dans la présente affaire n'aurait pas été comptabilisé de la manière normale lorsqu'il a été reçu de telle sorte que, si le dossier avait contenu une copie du compte fiscal du Dr Wannan tel qu'il était immédiatement après le paiement du dividende issu de la faillite, le compte fiscal en question aurait indiqué que le dividende issu de la faillite avait réduit la plus ancienne des obligations fiscales du Dr Wannan.

[33]            Cependant, il n'est pas établi que le Dr Wannan ou son épouse se soit jamais informé de la position du compte du Dr Wannan, ou se soit fondé, à leur détriment, sur des renseignements que la Couronne a pu communiquer à propos du compte du Dr Wannan.

[34]            Lorsque la Couronne a établi la cotisation fiscale de Mme Wannan selon l'article 160, après avoir reçu le dividende issu de la faillite, le compte fiscal du Dr Wannan a été modifié, en ce sens que le dividende issu de la faillite fut appliqué à la plus récente des obligations fiscales du Dr Wannan. Il s'agit de savoir si la Couronne devrait être empêchée de modifier de cette façon le compte fiscal du Dr Wannan.

[35]            L'argument avancé au nom de Mme Wannan est que la Couronne devrait être liée par sa pratique habituelle « premier entré, premier sorti » . Tout comme le tribunal, dans le Clayton's Case, avait jugé injuste envers la banque (ou envers ses créanciers non garantis) qu'un seul déposant soit en mesure de reconstituer l'application de paiements après le fait, l'avocat de Mme Wannan soutient que, lorsque la Couronne établit le quantum d'une cotisation à son encontre selon l'article 160, la Couronne ne devrait pas pouvoir procéder au rajustement rétroactif unilatéral du compte fiscal de M. Wannan.


[36]            L'argument avancé au nom de Mme Wannan repose sur un seul fait, à savoir que la Couronne conserve en principe un seul compte courant pour chaque débiteur fiscal. L'avocat de Mme Wannan n'a cité aucune disposition législative portant sur cette méthode comptable. On ne sait pas non plus pourquoi la Couronne tient ses comptes comme elle le fait; je présume que c'est par commodité. La pratique de la Couronne consistant à assurer le suivi d'une dette fiscale en tant que compte courant me semble être un fondement un peu trop fragile pour qu'on puisse appliquer à toutes les dettes fiscales la règle « premier entré, premier sorti » énoncée dans le Clayton's Case. Je ne suis donc pas persuadée qu'en l'espèce, il y ait matière à empêcher la Couronne d'appliquer, comme elle l'a fait, le dividende issu de la faillite à la plus récente des obligations fiscales du Dr Wannan.

Conclusion

[37]            Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter cet appel, avec dépens.

                                                                                                                                              _ K. Sharlow _            

                                                                                                                                                                 Juge                     

_ Je souscris aux présents motifs

Alice Desjardins, juge _

_ Je souscris aux présents motifs

M. Nadon, juge _

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                A-37-03

INTITULÉ :                                               NANCY JO WANNAN c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                      OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                     LE 15 OCTOBRE 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                LA JUGE DESJARDINS

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                           LE 12 NOVEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Emilio S. Binavince                                                                                                  POUR L'APPELANTE

Roger Leclaire                                                                                                                POUR L'INTIMÉE

Marlyse Dumel

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Binavince Smith                                                                                                       POUR L'APPELANTE

Ottawa (Ontario)

Morris A. Rosenberg                                                                                                     POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


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