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Date : 20000224


Dossier : A-707-98


CORAM :      LE JUGE STONE, J.C.A.

         LE JUGE NOËL, J.C.A.

         LE JUGE SHARLOW, J.C.A.

ENTRE :


SA MAJESTÉ LA REINE


appelante


et


WILLIAM A. DUDNEY


intimé










Audience tenue à Ottawa (Ontario), le jeudi 20 janvier 2000


Jugement prononcé à Ottawa (Ontario), le 24 février 2000





MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE SHARLOW, J.C.A.

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE STONE, J.C.A.

     LE JUGE NOËL, J.C.A.




Date : 20000224


Dossier : A-707-98


CORAM :      LE JUGE STONE, J.C.A.

         LE JUGE NOËL, J.C.A.

         LE JUGE SHARLOW, J.C.A.

ENTRE :


SA MAJESTÉ LA REINE


appelante


et


WILLIAM A. DUDNEY


intimé




MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SHARLOW, J.C.A.


[1]          William A. Dudney est un résident des États-Unis. En 1994 et 1995, il a gagné un revenu en fournissant certains services au Canada en tant qu"entrepreneur indépendant. Dans ses déclarations de revenus au Canada pour ces années, il a déclaré que son revenu était exonéré d"impôt au Canada. Cette déclaration était fondée sur l"article XIV de la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts sur le revenu (1980) (la Convention), adoptée comme étant l"Annexe I de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d"impôts, S.C. 1984, ch. 20.

[2]          La Couronne a prétendu que l"article XIV de la Convention ne s"appliquait pas et a déterminé l"impôt sur le revenu à payer. M. Dudney a interjeté appel devant la Cour canadienne de l"impôt. Le juge de la Cour de l"impôt a fait droit à l"appel de M. Dudney et a ordonné l"annulation des nouvelles cotisations. La Couronne en appelle maintenant de la décision du juge de la Cour de l"impôt.

[3]          L"article XIV de la Convention se lit comme suit :


Income derived by an individual who is a resident of a Contracting State in respect of independent personal services may be taxed in that state. Such income may also be taxed in the other Contracting State if the individual has or had a fixed base regularly available to him in that other State but only to the extent that the income is attributable to the fixed base.

Les revenus qu"une personne physique qui est un résident d"un État contractant tire d"une profession indépendante sont imposables dans cet État. Ces revenus sont aussi imposables dans l"autre État contractant si la personne physique dispose, ou a disposé, de façon habituelle d"une base fixe dans cet autre État mais uniquement dans la mesure où les revenus sont imputables à la base fixe.

[4]          La seule question soulevée dans le cadre du présent appel est de savoir si M. Dudney disposait " de façon habituelle d"une base fixe " au Canada au sens de l"article XIV de la Convention.

[5]          Les faits pertinents sont résumés aux paragraphes 2 à 7 des motifs du juge de la Cour de l"impôt que je reproduis par souci de commodité :


     [2]      L'appelant est citoyen des États-Unis. Il est titulaire d'un diplôme en génie aérospatial d'une université américaine.    Son expérience et ses qualités d'autodidacte, surtout, lui ont permis
     d'acquérir de l'expertise dans une discipline appelée la technologie orientée objets (TOO). Aux fins du présent appel, il suffit de dire que la TOO est une méthode relativement nouvelle et sophistiquée au moyen de laquelle il est possible de créer des systèmes informatiques.
     [3]      En février 1993, une compagnie appelée Object Systems Group Corporation (OSG) a été formée. Elle a peu après conclu son premier contrat, soit un marché de prestation de services, aux termes duquel elle fournissait certains services à PanCanadian Petroleum Limited (PanCan). Ce contrat a été remplacé en 1994 par un autre marché de services, en vertu duquel OSG s'engageait à enseigner aux employés de PanCan à utiliser la TOO pour créer des systèmes informatiques. Aux termes du contrat, le personnel de OSG devait travailler avec certains membres du personnel de PanCan, les former à utiliser la TOO et, ce faisant, les aider à créer un système informatique qui serait placé sur un ordinateur de PanCan et dont cette dernière se servirait et aurait la propriété. Aucune date n'était fixée pour la fin de la formation, et chacune des parties était libre de mettre fin au contrat en donnant un préavis de 30 jours.
     [4]      OSG a exécuté le contrat en partie en utilisant ses propres employés, en partie en engageant des sous-entrepreneurs indépendants à cette fin. La nature et la nouveauté de la technologie étaient telles qu'il était presqu'impossible de trouver des instructeurs compétents au Canada. OSG a donc recruté des entrepreneurs aux États-Unis, dont l'appelant, qui résidait à l'époque à Houston (Texas). Lorsqu'il a été engagé, il s'attendait à travailler pour OSG pendant environ un an, le projet étant censé être complété au bout de cette période. Toutefois, son contrat avec OSG prévoyait sa résiliation sur préavis de 30 jours, reflétant la disposition du contrat PanCan-OSG. Il a compris dès le départ que son contrat l'engagerait à travailler auprès de PanCan à la formation de ses employés.
     [5]      Le travail a été exécuté dans les installations de PanCan à Calgary. On a d'abord fourni à l'appelant une petite pièce pour son travail. Après trois mois, on l'a placé dans une pièce plus grande, qu'il partageait avec un certain nombre d'autres experts-conseils. Plus tard, on l'a installé dans un immeuble différent, occupé également par PanCan. La plupart du temps la formation elle-même, ou instruction, était dispensée au personnel de PanCan dans les bureaux des personnes en formation ou dans une salle de conférence. Il y avait parfois des réunions ou des consultations dans l'espace réservé aux moniteurs. L'usage que ces derniers faisaient de l'espace qui leur était alloué était cependant strictement limité. Ils ne pouvaient en disposer qu'aux fins du contrat. Ils ne pouvaient y exercer aucune autre activité, ils étaient autorisés à se servir du téléphone uniquement pour des affaires reliées au contrat conclu avec PanCan, et leur accès à l'immeuble était contrôlé par un système de cartes magnétiques et restreint aux heures ouvrables, les jours de semaine uniquement.
     [6]       L'appelant n'a apporté avec lui aucun matériel lorsqu'il s'est transporté de Houston à Calgary. Il avait un bureau à domicile à Houston, et parfois il prenait le courrier vocal qui lui était adressé à cet endroit. Il n'avait ni papier à en-tête ni cartes d'affaires indiquant qu'il travaillait auprès de PanCan, ou ailleurs au Canada. Il n'avait aucun permis d'affaires à Calgary, et rien ne le désignait comme travaillant dans les installations de PanCan, que ce soit dans le bottin placé dans le hall de l'immeuble ou d'autre façon. Il facturait OSG régulièrement pour ses heures de travail. Il préparait lui-même ces factures à la maison, à Calgary ou à Houston, et il les adressait à OSG par télécopieur. Ses chèques étaient envoyés à Houston pour y être déposés dans son compte bancaire. Il avait ouvert un compte bancaire à Calgary, dont il ne se servait qu'à des fins personnelles liées à sa subsistance.
     [7]      L'appelant a passé 300 jours au Canada en 1994 et environ 40 jours en 1995. Il a mis fin à son contrat en donnant un préavis de 30 jours à OSG, pour des raisons personnelles qui rendaient souhaitable son retour à Houston à l'époque. Lorsqu'il a quitté pour la dernière fois les installations de PanCan, il n'a rien emporté avec lui parce qu'il n'avait rien à y prendre.

[6]          Le juge de la Cour de l"impôt souligne également au paragraphe 14 :

     [14]        L'appelant n'avait aucune autorité sur les installations où il travaillait et il n'était en aucune façon identifié à elles. [...] L'appelant n'était aucunement libre d'aller et venir dans l'immeuble où il travaillait en dehors des heures de travail normales, et il ne pouvait y faire d'autre travail que celui qui était prévu par le contrat conclu avec PanCan. Aucune autre compagnie désireuse de recourir à ses services n'aurait pu le joindre à cet endroit, car rien n'indiquait où que ce soit qu'il y travaillait. Il ne disposait dans l'immeuble d'aucun endroit qui lui était exclusivement propre et, de fait, le lieu où il exerçait ses fonctions variait de temps à autre à la seule discrétion du personnel de PanCan.

[7]          L"expression " dispose [...] de façon habituelle d"une base fixe " n"est définie ni dans la Convention ni dans la Loi de l"impôt sur le revenu. L"application de l"article XIV doit être jugée au cas par cas en donnant effet à l"intention des États contractants. Il faut éviter une interprétation littérale ou légaliste qui pourrait aller à l"encontre de leur intention : Succession J.N. Gladden c. La Reine , [1985] 1 C.T.C. 163 (C.F. 1re inst.) aux pages 166 et 167, citée et approuvée dans l"arrêt Crown Forest Industries Ltd. c. Canada , [1995] 2 R.C.S. 802, à la page 822.

[8]          L"intention des parties à la Convention est énoncée dans le préambule, qui se lit comme suit :


     Le Canada et les États-Unis d"Amérique, désireux de conclure une Convention en vue d"éviter les doubles impositions et de prévenir l"évasion fiscale en matière d"impôts sur le revenu et sur la fortune, sont convenus des dispositions suivantes [...]

[9]          En l"espèce, le préambule n"est pas utile. On ne laisse pas entendre que les faits de l"espèce soulèvent des questions d"évasion fiscale, et l"évitement de la double imposition n"est pas l"un des objectifs de l"article XIV. Au contraire, l"article XIV prévoit expressément la possibilité que les revenus tirés d"une profession indépendante soient imposables dans les deux États. À titre d"exemple, les revenus qu"un résident des États-Unis tire d"une profession indépendante exercée au Canada sont imposables dans les deux pays dans la mesure où ils sont attribuables à une base fixe au Canada. Dans un tel cas, le fardeau lié à la double imposition est évité au moyen d"un crédit d"impôt, conformément à l"article XXIV.

[10]          Pour déterminer les facteurs qui devraient être pris en considération lorsqu"il s"agit de se prononcer sur l"application de l"article XIV, il faut examiner l"article XIV dans son contexte dans la Convention. Il convient également de s"aider des travaux préparatoires , y compris du modèle de convention de l'OCDE et des commentaires qui s'y rapportent, et de la jurisprudence : Crown Forest, précité, à la page 822. L"importance à accorder à un facteur donné dépendra des circonstances de l"espèce.

[11]          Un point de départ utile pour l"interprétation de l"article XIV de la Convention est la disposition comparable du modèle de convention de l"OCDE (1977), l"article 14. Pour les fins qui nous occupent, la légère différence dans le libellé n"est pas importante. L"article 14 du modèle de convention se lit comme suit :

     Les revenus qu'un résident d'un État contractant tire d'une profession libérale ou d'autres activités de caractère indépendant ne sont imposables que dans cet État, à moins que ce résident ne dispose de façon habituelle dans l'autre État contractant d'une base fixe pour l'exercice de ses activités. S'il dispose d'une telle base fixe, les revenus sont imposables dans l'autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cette base fixe.

[12]          Il faudrait ensuite se référer au commentaire relatif à l"article 14, selon lequel cette disposition repose sur des principes semblables à ceux sur lesquels s"appuie l"article 7 relatif aux bénéfices des entreprises. En vertu de l"article 7, les bénéfices d"un résident d"un État contractant ne sont généralement pas imposables dans l"autre État contractant, sauf dans la mesure où ils sont attribuables à un " établissement stable " qui y est situé.

[13]          Quant à la question de savoir pourquoi on a utilisé l"expression " base fixe " plutôt que l"expression " établissement stable " à l"article 14, le commentaire est rédigé comme suit :

     4. Quoique les articles 7 et 14 soient fondés sur les mêmes principes, on a estimé que la notion d'établissement stable devrait être réservée aux activités commerciales et industrielles. C'est pourquoi l'expression " base fixe " a été employée. Il n'a pas été jugé opportun de la définir mais cette expression vise, par exemple, le cabinet de consultation d'un médecin ou le bureau d'un architecte ou d'un avocat. Il semble qu'une personne exerçant une activité indépendante ne dispose pas normalement d'installations de ce genre dans un État autre que celui dont elle est un résident. Toutefois, s'il existe dans un autre État un centre d'activités présentant certains caractères de fixité ou de permanence, cet État devrait pouvoir imposer les activités en question.

[14]          L"examen de l"article 7 et du commentaire qui s"y rapporte conduit à l"analyse de l"article 5 qui définit l"expression " établissement stable ". La définition générale d"" établissement stable " figure au paragraphe 1 de l"article 5 qui est identique au paragraphe correspondant de l"article V de la Convention. Elle se lit comme suit :

     1.      Au sens de la présente Convention, l'expression " établissement stable " désigne une installation fixe d'affaires par l'intermédiaire de laquelle un résident d'un État contractant exerce tout ou partie de son activité.

[15]      Le commentaire relatif au paragraphe 1 de l"article 5 précise ce qui suit :
     2. Le paragraphe 1 donne de l"expression " établissement stable " une définition générale qui dégage les caractéristiques essentielles d"un tel établissement aux fins de la Convention, c"est-à-dire un " situs " distinct, une " installation fixe d"affaires ". Aux termes du paragraphe, l"expression " établissement stable " désigne une installation fixe d"affaires par l"intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité. Cette définition comporte donc les critères suivants :
     -      l"existence d"une " installation d"affaires ", c"est-à-dire d"une installation telle que des locaux ou, dans certains cas, des machines ou de l"outillage;
     -      cette installation d"affaires doit être " fixe ", c"est-à-dire qu"elle doit être établie en un lieu précis, avec un certain degré de permanence;
     -      l"exercice des activités de l"entreprise par l"intermédiaire de cette installation fixe d"affaires; ce qui signifie habituellement que les personnes qui, d"une façon ou d"une autre, dépendent de l"entreprise (le personnel) exercent les activités de l"entreprise dans l"État où est située l"installation fixe.
         [ . . . ]
     4. L"expression " installation d"affaires " couvre tout local, matériel ou installation utilisé pour l"exercice des activités de l"entreprise, qu"il serve ou non exclusivement à cette fin. Il peut même y avoir une installation d"affaires lorsque aucun local n"est disponible ni nécessaire pour l"exercice des activités de l"entreprise et que celle-ci dispose simplement d"un certain emplacement. Il importe peu que l"entreprise soit ou non propriétaire ou locataire du local, du matériel ou de l"installation ou qu"elle l"ait d"une autre manière à sa disposition. Ainsi, l"installation d"affaires peut être constituée par une place sur un marché, ou par un certain emplacement, utilisé de manière permanente, dans un dépôt de douane (par exemple pour l"entreposage de marchandises taxables). L"installation d"affaires peut aussi se trouver dans les locaux d"une autre entreprise. Ce peut être le cas, par exemple, lorsque l"entreprise étrangère dispose en permanence de certains locaux ou d"une partie des locaux appartenant à l"autre entreprise.
         [ . . . ]
     6. Puisque l"installation d"affaires doit être fixe, il s"ensuit aussi qu"un établissement stable n"est censé exister que si l"installation d"affaires a un certain degré de permanence, c"est-à-dire si elle n"a pas un caractère purement temporaire. Si l"installation d"affaires n"a pas été créée à des fins purement temporaires, elle peut constituer un établissement stable, même si elle n"a existé en fait que pendant une très courte période en raison du caractère particulier des activités de l"entreprise, ou parce qu"à la suite de circonstances spéciales (décès du contribuable, échec de l"investissement) elle a été liquidée prématurément. Si une installation d"affaires, qui au départ ne devait avoir qu"un caractère purement temporaire, est utilisée pendant une durée telle qu"elle ne peut être considérée comme temporaire, elle devient une installation fixe d"affaires et donc, rétroactivement, un établissement stable.

[16]      Ces commentaires indiquent qu"une entreprise a un " établissement stable " là où elle a une " installation fixe d"affaires ", c"est-à-dire un lieu précis avec un certain degré de permanence où l"entreprise exerce ses activités. Par analogie, un lieu précis constitue une " base fixe " dont " dispose [...] de façon habituelle " une personne qui exerce une profession indépendante seulement si les activités de l"entreprise de cette personne y sont exercées.

[17]      Cela est conforme au raisonnement suivi dans l"arrêt Sunbeam Corporation (Canada) Ltd. c. Minister of National Revenue , [1963] S.C.R. 45. La question litigieuse dans cette affaire concernait l"interprétation de l"expression " établissement stable ", employée dans la Loi de l"impôt sur le revenu, comme attribuant à une province un revenu de source canadienne aux fins de l"impôt sur le revenu intérieur. Sunbeam a prétendu qu"elle avait un établissement stable au Québec parce qu"elle y avait des employés qui tenaient des bureaux dans leur propre maison, à partir desquels ils effectuaient les tâches administratives nécessaires à la vente des produits Sunbeam au Québec. Les employés n"avaient pas le pouvoir de contracter au nom de Sunbeam et ne gardaient pas un stock de produits Sunbeam. À cette époque, l"expression " établissement stable " était définie comme suit dans le règlement :

     411(1)      Pour l"application de la présente Partie
     a)      " établissement stable " comprend des succursales, mines, puits d"huile, fermes, terres à bois, usines, ateliers, entrepôts, bureaux, agences et autres places fixes d"affaires [...]


[18]      Le juge Martland, s"exprimant au nom de la Cour, a dit à la page 50 :
     [TRADUCTION]     
     [ . . . ] Je ne suis pas disposé à conclure que l"appelante avait un " établissement stable " dans la province de Québec pendant les années en question. Si j"interprète cette expression sans tenir compte de l"alinéa 411(1)a ) du Règlement, le mot " établissement " envisage, à mon avis, une installation fixe d"affaires de la société, un domicile propre. Le mot " stable " signifie que l"établissement est fixe et qu"il n"est pas de nature temporaire ou provisoire.

[19]      En conséquence, lorsqu"une personne se voit refuser l"avantage conféré par l"article XIV pour le motif qu"elle dispose de façon habituelle d"une base fixe au Canada, il faut se demander si cette personne y a exercé les activités de son entreprise durant la période pertinente. Les facteurs à prendre en considération comprennent l"utilisation effective des locaux qui, selon ce qui est allégué, constituent la base fixe de l"intimé, la question de savoir si et en vertu de quel droit la personne intéressée a exercé ou pouvait exercer un contrôle sur les locaux et la question de savoir jusqu"à quel point les locaux s"identifiaient objectivement à l"entreprise de la personne intéressée. Cette liste ne se veut pas une liste exhaustive applicable dans tous les cas, mais elle est suffisante en l"espèce.

[20]      Dans la présente affaire, le juge de la Cour de l"impôt a eu raison de juger que ces facteurs étaient pertinents et déterminants. La preuve dans son ensemble appuie amplement la conclusion selon laquelle les locaux de PanCan n"étaient pas une installation par l"intermédiaire de laquelle Dudney exerçait les activités de son entreprise. Même si M. Dudney avait accès aux bureaux de PanCan et qu"il avait le droit de s"en servir, il pouvait le faire seulement pendant les heures de bureau de PanCan et uniquement dans le but de fournir des services à PanCan conformément à son contrat. Il n"avait pas le droit d"utiliser les bureaux de PanCan en tant que base pour l"exercice des activités de sa propre entreprise. Il ne pouvait pas se servir et ne se servait pas des bureaux de PanCan comme s"ils étaient les siens.

[21]      À l"appui de la position de la Couronne, il a été allégué que l"entreprise de M. Dudney avait, de par sa nature, besoin de peu comme installation fixe d"affaires, que le contrat de M. Dudney avec OSG visait la totalité ou la presque totalité de son entreprise durant la période en question et que PanCan ne pouvait lui refuser l"accès à ses bureaux tant qu"il exécutait son contrat.

[22]      On s"est référé au commentaire relatif au paragraphe 1 de l"article 5 du modèle de convention de l"OCDE (1977), en particulier à l"affirmation selon laquelle une entreprise peut avoir une installation d"affaires qui n"est rien d"autre qu"un emplacement à sa disposition et qui peut même se trouver dans les locaux d"une autre entreprise. La Couronne a également invoqué deux décisions de la Norvège dans lesquelles ce commentaire a apparemment été déterminant.

[23]      Une de ces décisions concernait la convention fiscale entre la Norvège et la Suède (Mats Johansson c. Stavanger Municipality, une décision de 1989 du tribunal municipal de Stavanger), et l"autre portait sur la convention fiscale entre la Norvège et les États-Unis (Creole Production Services Inc. c. Stavanger Municipality , une décision de 1981 du tribunal municipal de Stavanger). Dans ces deux affaires, le contribuable fournissait des services contractuels sur une plate-forme d'exploitation pétrolière appartenant à une entreprise norvégienne. La plate-forme a été jugée constituer une installation fixe d"affaires du contribuable parce que ce dernier disposait d"un emplacement précis sur celle-ci. Le fait que le contribuable n"avait pas de droit à l"utilisation exclusive de l"emplacement en question a été jugé non pertinent. Ces décisions peuvent être considérées comme appuyant la thèse selon laquelle un entrepreneur dont la tâche n"exige rien d"autre que son attention et sa présence physique en un lieu doit nécessairement avoir une installation fixe d"affaires à cet endroit.

[24]      Je ne suis pas d"accord que les parties à la Convention que M. Dudney cherche à invoquer avaient envisagé ce résultat. Il n"y a aucun doute qu"il y a des personnes qui exercent une profession indépendante qui, en raison de la nature de leur compétence ou des services qu"ils fournissent, ont besoin de bien peu comme installation fixe d"affaires. M. Dudney est peut-être l"une de ces personnes. Toutefois, la reconnaissance de ce fait ne justifie pas la conclusion selon laquelle M. Dudney doit nécessairement avoir une installation fixe d"affaires partout où ses services sont fournis. L"analogie avancée par l"avocat de M. Dudney est pertinente. Un avocat canadien n"acquiert pas une installation fixe d"affaires au bureau d"un client aux États-Unis simplement parce qu"il s"occupe des affaires du client aux États-Unis, et ce, même si le client insiste pour que l"avocat soit présent personnellement.

[25]      Cette interprétation de l"article XIV est conforme à une décision de la Cour d"appel de la Belgique, S.F.W.I. c. Belgique (notée dans la Revue Générale de Fiscalité, no 10, octobre 1992, à la page 271). Dans cette affaire, on a statué qu"une société italienne d"ingénieurs ayant passé un contrat en vue d"étudier, de concevoir et de superviser la construction d"une usine en Belgique n"avait pas d"établissement stable dans ce pays pour le simple motif qu"elle avait un accès non exclusif et limité au chantier de construction belge pour l"exécution de ces services.

[26] Les avocats de la Couronne ont accordé beaucoup d"importance à la longue durée du contrat de M. Dudney. Il a duré plus d"un an, même si l"une ou l"autre des parties pouvait le résilier au moyen d"un court préavis. À mon avis, cet argument n"est pertinent qu"en ce qui a trait à la question de la stabilité. Si les locaux de PanCan avaient de fait été jugés constituer l"installation d"affaires de M. Dudney, la durée du contrat aurait pu indiquer que son installation d"affaires à cet endroit était stable. Toutefois, compte tenu des faits de l"espèce, la question de la stabilité ne se pose pas.

[27]      Je conclus que le juge de la Cour de l"impôt avait raison de conclure que M. Dudney ne disposait pas d"une base fixe au Canada en 1994 et 1995 et qu"en vertu de l"article XIV de la Convention, il a droit à l"exonération qu"il a demandée. Pour ce motif, je suis d"avis de rejeter l"appel de la Couronne avec dépens.





                                     Karen R. Sharlow

                                

                                         J.C.A.

" Je souscris

     A.J. Stone, J.C.A. "

" Je souscris

     Marc Noël, J.C.A. "




Traduction certifiée conforme


Julie Boulanger, LL.M.




Date : 20000224


Dossier : A-707-98

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 FÉVRIER 2000

CORAM :      LE JUGE STONE, J.C.A.

         LE JUGE NOËL, J.C.A.

         LE JUGE SHARLOW, J.C.A.

ENTRE :


SA MAJESTÉ LA REINE


appelante


et


WILLIAM A. DUDNEY


intimé







JUGEMENT


     Le présent appel est rejeté avec dépens.

                                         " A.J. Stone "

                                

                                         J.C.A.

Traduction certifiée conforme


Julie Boulanger, LL.M.


COUR D"APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                          A-707-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Sa Majesté la Reine c. William A. Dudney
LIEU DE L"AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :                  le 20 janvier 2000
MOTIFS DU JUGEMENT :              le juge Sharlow, J.C.A.
Y ONT SOUSCRIT :                  le juge Stone, J.C.A.
                             le juge Noël, J.C.A.
DATE DES MOTIFS :                  le 24 février 2000

ONT COMPARU :

M. Donald G. Gibson                  pour l"appelante

M. Louis A.T. Williams

M. H. George McKenzie, c.r.              pour l"intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                  pour l"appelante

Sous-procureur général du Canada

Felesky Flynn                      pour l"intimé

Calgary (Alberta)

                    

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