Date : 19990507
Dossier : ITA-4268-98
Entre :
DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU
- et -
DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION OU DES COTISATIONS
ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU
D'UNE OU PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES: LA LOI DE L'IMPÔT
SUR LE REVENU, LE RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA, ET
LA LOI SUR L'ASSURANCE-EMPLOI,
CONTRE:
2959-4660 QUÉBEC INC.
(faisant parfois affaires sous le nom et la raison sociale de
ALARME LA PROVIDENCE
Débitrice judiciaire
ET:
HONEYWELL LIMITÉE
Tierce saisie
MOTIFS D'ORDONNANCE
LE JUGE DENAULT
[1] La tierce saisie en appelle de la décision du protonotaire Morneau qui a ordonné que soient définitivement saisies-arrêtées, cédées et transportées à Sa Majesté la Reine toutes sommes dues ou qui deviendraient dues par la tierce saisie à la débitrice judiciaire pour services rendus et marchandises vendues et livrées pour un montant de $35,407.02 et ce, aux fins de satisfaire une réclamation en application de l'article 223 de la Loi de l'impôt sur le revenu, à savoir la somme de $28,812.61 plus les intérêts et les frais.
[2] En l'espèce, le litige porte essentiellement sur la portée de l'adoption dans le nouveau Code civil du Québec du deuxième alinéa de l'article 1673. Cet article se lit ainsi:
1673. "La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce. |
Une partie peut demander la liquidation judiciaire d'une dette afin de l'opposer en compensation." |
[3] En substance, il s'agit de décider si ce deuxième paragraphe de l'article 16731 a eu pour effet, comme le soutient la tierce saisie, de créer un droit nouveau, autrefois exercé par demande reconventionnelle, qui ne fait plus obstacle à la rétroactivité de la compensation judiciaire à la date de la demande de compensation plutôt qu'à son prononcé par jugement.
[4] Le procureur de Sa Majesté la Reine plaide, pour sa part, que la saisie-arrêt signifiée à la tierce saisie avant que la créance de celle-ci contre la débitrice judiciaire ne devienne certaine, liquide et exigible doit prévaloir et rend la somme saisie non disponible à la compensation. En droit, plaide-t-il, l'ajout du deuxième alinéa de l'article 1673 n'a pas renversé la jurisprudence bien établie quant à l'absence de rétroactivité en matière de compensation judiciaire, le législateur n'ayant fait que codifier la pratique consacrée par les tribunaux d'autoriser une partie à soulever la compensation judiciaire par le biais d'une demande reconventionnelle. Il soutient qu'à tout événement, la règle à l'effet que la compensation ne peut avoir lieu au préjudice des droits acquis à un tiers continue d'exister maintenant (article 1681 C.c.Q.) comme alors (article 1196 C.C.B.-C.) et fait obstacle à l'exercice de la compensation judiciaire.
[5] Le protonotaire Morneau a rejeté la thèse soutenue par la tierce saisie et en fait, après avoir reconnu que le principe de non rétroactivité de la compensation judiciaire devait continuer à s'appliquer en dépit de la modification législative, il a refusé d'opposer à la créancière-saisissante une compensation n'ayant qu'un caractère virtuel.
[6] Avec respect, je ne peux que partager cette opinion du protonotaire et, en conséquence, rejeter cet appel de sa décision.
[7] Depuis longtemps, au Québec, la jurisprudence et la doctrine ont reconnu que la compensation judiciaire ne doit pas recevoir un effet rétroactif au jugement qui la prononce. Dès 1924, dans l'arrêt Peacock v. The Mile End Milling Co. Ltd., [1924] vol. 37 C.B.R. 221 la Cour du banc du Roi s'est demandée si la compensation judiciaire, prononcée par le juge dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, n'existait qu'en vertu du jugement ou si elle devait s'opérer rétroactivement au jour de la demande principale ou au jour de la demande reconventionnelle. La Cour a clairement énoncé que "c'est le jugement qui crée un droit, lequel n"existait pas auparavant". Et le juge Bernier d'ajouter: (p. 228)
En matière de compensation judiciaire, on doit donc écarter la règle de la rétroactivité du jugement jusqu'à la date de l'institution de l'action; cette règle ne peut s'appliquer que dans le cas de compensation légale, ou dans le cas d'une exception de compensation. |
[8] Ce jugement a été suivi et respecté par nos tribunaux et la doctrine québécoise.2 En 1985, dans l'affaire Labrèche c. Bergeron,3 pourtant bien au fait de la controverse suscitée principalement par la doctrine française sur le sujet4, la Cour d'appel a tranché la question:
"Même régulièrement plaidée, la compensation judiciaire ne rétroagit pas au jour de la coexistence des deux dettes; elle ne peut avoir d'effet qu'à compter du jugement qui la prononce et rend les deux dettes liquides" |
[9] Mais le deuxième alinéa de l'article 1673 du Code civil du Québec a-t-il créé un droit nouveau qui a pour effet de relayer aux oubliettes la jurisprudence antérieure relativement à la non rétroactivité de la compensation judiciaire? Je ne le crois pas. J'estime que le nouveau texte codifie tout au plus la règle admise avant l'amendement législatif à l'effet que l'on pouvait réclamer la compensation judiciaire en autant qu'il y avait connexité suffisante entre les dettes, ce qui se rencontre habituellement en matière de malfaçon ou d'inexécution contractuelle5.
[10] En espèce, le litige opposant la tierce saisie/requérante (Honeywell) à la débitrice judiciaire (Alarme La Providence) n'a pas encore fait l'objet d'un jugement qui, même s'il devait être favorable à Honeywell, pourrait lui permettre de compenser les dettes entre les parties. Mais dans la mesure où j'estime que la compensation judiciaire ne peut avoir d'effet rétroactif à la date de la demande, et qu'un tiers aura déjà exercé ses droits avant que ne puisse s'opérer la compensation judiciaire - c'est le cas en l'espèce - celui-ci ne peut qu'être prioritaire à la tierce saisie/requérante. En conséquence, il devient inutile d'aborder la question de la connexité des dettes soulevée par le procureur de Honeywell ni celle de l'article 1681 C.c.Q. à savoir que la compensation n'a pas lieu au préjudice des droits acquis à un tiers.
[11] Pour ces motifs, l'appel de la tierce saisie/requérante est rejeté avec dépens.
Pierre Denault
Juge
MONTRÉAL (QUÉBEC)
Le 7 mai 1999
[12]
Section de première instance de
la Cour fédérale du Canada
Date : 19990507
Dossier : ITA-4268-98
Entre :
DANS L'AFFAIRE DE LALOI DE L'IMPÔT
SUR LE REVENU
- et -
DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION OU DES
COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU
REVENU NATIONAL EN VERTU D'UNE OU
PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES: LA LOI DE
L'IMPÔT SUR LE REVENU, LE RÉGIME DE
PENSIONS DU CANADA, ET LA LOI SUR
L'ASSURANCE-EMPLOI,
CONTRE:
2959-4660 QUÉBEC INC.
faisant parfois affaires sous le nom et la raison sociale de ALARME LA PROVIDENCE
Débitrice judiciaire
ET:
HONEYWELL LIMITÉE
Tierce saisie
MOTIFS D"ORDONNANCE
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DE LA COUR : ITA-4268-98
INTITULÉ : DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR
LE REVENU
- et -
DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION OU DES
COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU
REVENU NATIONAL EN VERTU D'UNE OU
PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES: LA LOI DE
L'IMPÔT SUR LE REVENU, LE RÉGIME DE
PENSIONS DU CANADA, ET LA LOI SUR
L'ASSURANCE-EMPLOI,
CONTRE:
2959-4660 QUÉBEC INC.
faisant parfois affaires sous le nom et la raison sociale
de ALARME LA PROVIDENCE
Débitrice judiciaire
ET:
HONEYWELL LIMITÉE
Tierce saisie
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : le 5 mai 1999
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE DENAULT
EN DATE DU 7 mai 1999
COMPARUTIONS :
Me Pierre Lamothe pour la créancière-saisissante
Me Sébastien Granmond pour la tierce saisie
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec) pour la créancière-saisissante
Byers Casgrain
Montréal (Québec) pour la tierce saisie
__________________1 Le premier paragraphe de l'article 1673 reprend en substance l'article 1188 du Code civil du Bas-Canada .
2 Voir Gélinas c. Commercial Alcohols Ltd. [1953] R.P. 182; Lauzier Électrique c. Place Dupuis [1977] C.S. 196; Faribault, Léon, Traité de droit civil du Québec, Tome Huis-Bis, Édition Wilson & Lafleur, Montréal, 1959, pp. 610 et ss.; Baudoin, Jean-Louis, Les Obligations, 4e édition, Éditon Yvon Blais Inc., Cowansville [1993] p. 566.
3 C.A. Montréal 500-09-000822-825, J.E. 85-563, commenté dans Investissements Salias Inc. c. Brunelle (C.A.) [1988] R.J.Q. 1780
4 Plagnol et Ripert, Traité pratique de droit civil français, Tome VII (Édition 1931) no. 1297, p. 629; H.L. et J. Mazeaud, Leçon de droit civil, Tome 2 no. 1151, p. 1143.
5 Voir la jurisprudence à ce sujet citée dans KARIM, Vincent, Commentaire sur les obligations , Vol. 2, Édition Yvon Blais Inc., Cowansville, 1997, p. 498.