Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date : 19990305

     Dossier : A-502-95

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE SEXTON

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la taxe d'accise

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -

     GLENGARRY BINGO ASSOCIATION,

     intimée.

     JUGEMENT

     L'appel est accueilli et les dépens sont adjugés à l'appelante.

                                 " Julius A. Isaac "

                                         Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19990305

     Dossier : A-502-95

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE SEXTON

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la taxe d'accise

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -

     GLENGARRY BINGO ASSOCIATION,

     intimée.

Audience tenue à Edmonton (Alberta) le vendredi 29 janvier 1999.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le vendredi 5 mars 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE SEXTON

Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE EN CHEF

     LE JUGE LINDEN

     Date : 19990305

     Dossier : A-502-95

CORAM :      LE JUGE EN CHEF

         LE JUGE LINDEN

         LE JUGE SEXTON

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la taxe d'accise

ENTRE :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -

     GLENGARRY BINGO ASSOCIATION,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SEXTON

Introduction

[1]      La question litigieuse en l'espèce est de savoir si l'article 178 de la Loi sur la taxe d'accise (LTA) dispense Glengarry Bingo Association (GBA ou l'intimée) de percevoir et de verser la TPS à l'égard de services et de matériel fournis à ses membres.

[2]      Dans l'affaire qui nous occupe, le juge de la Cour de l'impôt a tiré certaines conclusions de fait auxquelles je ne m'oppose pas. Toutefois, je ne saurais souscrire à la conclusion de droit qu'il a tirée, à savoir que ces faits permettent de conclure qu'il existe une relation de mandataire en l'espèce. À mon avis, la preuve est tout simplement insuffisante pour appuyer la conclusion que GBA agissait à titre de mandataire de ses membres quand elle a leur fourni le matériel et les services de son personnel. Par conséquent, l'article 178 de la LTA ne dispense pas GBA de percevoir la TPS dans le cadre de la fourniture de ces produits et services.

Les faits

[3]      L'Alberta Gaming Control Branch oblige les oeuvres de bienfaisance qui veulent mettre sur pied des bingos en Alberta à constituer une association ou à devenir membre d'une association constituée en vertu de la Societies Act de l'Alberta1. Cette association effectue les opérations commerciales liées à l'exploitation de bingos. La mise sur pied de bingos est régie par un document appelé Conditions de la licence de bingo, qui est délivré par la Gaming Control Branch.

[4]      L'intimée est une association de bingo constituée dans ce but en vertu de la Societies Act. Elle met sur pied des jeux de bingo pour ses membres, qui sont des organismes de charité enregistrés et non enregistrés. GBA représente plus de vingt organismes. Pour réaliser son mandat, GBA a loué une salle de bingo et acheté du matériel de bingo. Elle a embauché des meneurs de jeu, des conseillers à la caisse et un gérant de salle (le personnel rémunéré). Elle a également acheté les autres fournitures nécessaires pour exploiter le bingo, notamment des cartes de bingo.

[5]      Les soirs de bingo de chaque membre étaient choisis par tirage au sort. Le membre devait obtenir une licence pour chaque soirée de bingo et fournir les services d'un personnel bénévole. Le membre titulaire de la licence devait également fournir les services d'un président ou d'une présidente du bingo qui était responsable de l'événement. Chaque soir, le financement du bingo s'effectuait ainsi : GBA avançait un fonds de caisse de 1 500 $ au membre qui mettait sur pied le bingo. À la fin de la soirée, le membre remettait le fonds de caisse à GBA et lui donnait un chèque de location pour la location de la salle et un chèque de fournitures qui incluait un montant pour la fourniture des cartes de bingo, du matériel et des services d'un personnel.

[6]      GBA percevait et versait la TPS l'égard de la location de la salle et des cartes de bingo, mais pas à l'égard de la fourniture du matériel et des services d'un personnel. Par avis de cotisation en date du 2 mai 1993, le ministre du Revenu national a assujetti l'intimée au paiement d'une taxe de 7 p. 100 à l'égard de la fourniture de matériel et des services d'un personnel à ses membres. GBA a interjeté appel de cet avis de cotisation devant la Cour canadienne de l'impôt.

[7]      Le juge de la Cour de l'impôt a conclu que GBA avait fourni du matériel de bingo et les services d'un personnel rémunéré à ses membres. Cette fourniture était une " fourniture taxable " puisqu'elle s'inscrivait dans le cadre d'une " activité commerciale " au sens du paragraphe 123(1) de la LTA. Le juge a ensuite conclu que GBA, en tant qu'entité constituée en vertu de la Societies Act , avait un statut juridique distinct de celui de ses membres et, partant, il a rejeté l'argument selon lequel GBA ne fournissait rien à ses membres puisque GBA et ses membres constituaient une seule et même " personne ". Il a toutefois conclu que, par application de l'article 178 de la LTA, GBA n'était pas tenue de verser la TPS puisqu'il était prévu dans les Conditions de la licence de bingo que GBA agissait comme mandataire de ses membres.

Analyse

[8]      Le paragraphe 165(1) de la LTA dispose que la TPS doit être perçue à l'égard d'une fourniture taxable. En voici le libellé :

     Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, l'acquéreur d'une fourniture taxable effectuée au Canada doit payer à Sa Majesté du chef du Canada une taxe égale à 7 % de la valeur de la contrepartie de la fourniture.         

[9]      La question soulevée par le présent appel est de savoir si GBA peut être exonérée de la TPS en démontrant qu'elle est visée par l'article 178 de la LTA, qui dispose :

     Pour l'application de la présente partie, la somme que l'acquéreur d'un service rembourse au fournisseur pour les frais que celui-ci a engagés lors de la fourniture, sauf dans la mesure où il engage ces frais à titre de mandataire de l'acquéreur, est réputée faire partie de la contrepartie de la fourniture.         

[10]      Il convient d'abord de faire remarquer qu'il incombe à l'intimée de prouver l'existence d'une relation de mandataire. C'est le point de vue qui a été adopté dans l'affaire Parkland Crane Service Ltd. c. La Reine2, qui est la première décision dans laquelle la question du mandat en vertu de l'article 178 a été examinée. Le juge Kempo de la Cour canadienne de l'impôt a conclu :

     Il incombe à l'appelante d'établir, selon la prépondérance des probabilités, l'existence d'une relation de mandataire, afin d'être soustraite de l'application de la disposition réputée prévue à l'article 178 de la Loi, selon laquelle le remboursement d'une dépense par l'acquéreur d'une fourniture est réputé faire partie de la fourniture de service effectuée en faveur de l'acquéreur à moins que la dépense ait été engagée par l'appelante à titre de mandataire de l'acquéreur3.         

[11]      En l'espèce, je suis arrivé à la conclusion que GBA ne s'est pas acquittée du fardeau de prouver qu'elle agissait à titre de mandataire lorsqu'elle a fourni le matériel et les services de son personnel à ses membres. J'examinerai ces deux éléments tour à tour.

I.      La fourniture des services d'un personnel rémunéré

[12]      Selon moi, il ressort clairement de la preuve que GBA n'agissait pas à titre de mandataire de ses membres dans ses rapports avec son personnel rémunéré. Premièrement, c'est GBA, et non ses membres, qui était l'employeur du personnel rémunéré. Deuxièmement, GBA ne s'est pas présentée au personnel rémunéré comme le mandataire de ses membres. Troisièmement, les membres n'étaient pas responsables des obligations contractées par GBA envers son personnel rémunéré. Ces trois faits montrent que GBA avait conclu les contrats en tant que partie principale et non pour le compte de ses membres.

[13]      La conclusion du juge de la Cour de l'impôt selon laquelle GBA était l'employeur des employés rémunérés est une conclusion de fait qui est bien étayée par la preuve. Les employés rémunérés ont conclu des contrats de louage de service avec GBA, ce qui prouve à première vue que GBA était bel et bien leur employeur. Le contrat de travail conclu entre GBA et Mary Sidor, qui est la gérante de salle depuis le 1er janvier 1992, est représentatif des contrats signés par le personnel rémunéré. Ce contrat ne prétend pas lier les membres et, en fait, ne les mentionne pas du tout. Il est précisé dans le contrat de Mary Sidor que ses fonctions doivent être décidées par le président de GBA et que GBA peut augmenter sa rémunération à son gré.

[14]      GBA a prétendu que même si les membres n'étaient pas partie aux contrats de travail, les employés rémunérés étaient, dans les faits, les employés des membres puisque, dans les faits, ce sont les membres qui exerçaient un contrôle sur le personnel. Toutefois, compte tenu des conclusions de fait du juge de la Cour de l'impôt, force m'est de conclure que GBA exerçait un contrôle sur ses employés. Voici ce que le juge de la Cour de l'impôt a conclu :

     L'appelante embauchait les employés, fixait leurs heures de travail et émettait leurs chèques de paie. Il ressort clairement du témoignage que même le président du bingo ne pouvait congédier un meneur de jeu, un conseiller à la caisse ou un gérant de salle employé par l'association. Le président signalait simplement la plainte au gérant de salle ou au bureau de l'association. Un membre ne pouvait pas non plus refuser d'accepter un meneur de jeu ou un conseiller à la caisse. Le membre pouvait simplement dire qu'il préférait ne pas avoir cette personne; l'association pouvait à son gré se conformer à ses voeux. Les meneurs de jeu et les conseillers à la caisse n'avaient rien à dire au sujet des membres avec lesquels ils travaillaient. Ils étaient simplement embauchés par le gérant de salle de l'association, qui leur assignait les jours de travail. Ils [...] étaient rémunérés toutes les deux semaines par l'appelante aux taux quotidiens dont ils avaient convenu avec cette dernière au moment de l'embauchage. L'appelante effectuait des retenues à la source et versait les montants retenus. Les employés étaient totalement intégrés à l'exploitation de la salle de bingo de l'appelante. GBA contrôlait les employés, était propriétaire de leurs instruments de travail ou les louait, et intégrait les employés aux bingos.         
     [...]         
     De l'avis de la cour, les montants que les membres versaient à l'appelante pour les services du gérant de salle, du meneur de jeu et du conseiller à la caisse se rapportaient aux services rendus par des employés de l'appelante. L'appelante était l'employeur4.         

Il ressort de la preuve que GBA préparait les horaires de travail des employés, leur versait un salaire, définissait leurs tâches, leur donnait une formation et les embauchait. C'est à titre d'employeur que l'intimée accomplissait ces actes.

[15]      En ce qui concerne le deuxième point, il est également clair que GBA n'a pas prétendu agir en tant que représentante de ses membres dans ses rapports avec le personnel rémunéré. Les membres ne participaient à aucun titre à l'embauchage du personnel rémunéré. Qui plus est, des employés ont témoigné qu'ils croyaient que GBA était leur employeur et qu'on ne leur avait pas laissé entendre que les membres étaient responsables de leurs contrats. En termes simples, la preuve ne permet pas de conclure que GBA s'est présentée comme un mandataire lorsqu'elle a conclu les contrats avec ses employés.

[16]      Enfin, le fait que les membres n'étaient pas responsables des obligations contractées par GBA est un autre indice de l'absence d'une relation de mandataire. Il est acquis que le risque est un facteur important pour décider s'il existe une relation de mandataire. En l'espèce, il ressort de l'examen de la preuve que les membres étaient protégés contre les activités de GBA. De fait, la réalisation des opérations commerciales liées à l'exploitation de bingos par une association indépendante comportait un facteur d'incitation : les membres étaient à l'abri du risque. Le témoignage de Ian Taylor, directeur exécutif de la Gaming Control Branch, est très convaincant sur ce point :

     [traduction]         
     Q : La responsabilité des membres relativement aux bingos est-elle un facteur qui entre en ligne de compte?         
     R. [...] Je suppose que l'une des premières règles pour protéger les membres contre les intérêts commerciaux est la constitution d'un organisme à but non lucratif en vertu de la Societies Act; cet organisme devient une personne morale qui peut conclure des contrats commerciaux avec des organismes comme des propriétaires, pour la location de locaux. Donc si le bingo est un échec, les organismes de bienfaisance sont protégés parce qu'ils sont -- ils ne sont pas responsables des dettes de l'association de bingo. Cette responsabilité se limite aux éléments d'actif de l'association, de l'entité constituée. Les groupes sont donc protégés sur le plan financier en cas de manquement de l'association de bingo5. [Non souligné dans l'original.]         

[17]      Il ressort clairement de la preuve que les membres n'étaient pas responsables des obligations de l'association. L'élément le plus révélateur est le fait que lorsque GBA a eu des difficultés financières et devait des payes de vacances à ses employés, ceux-ci n'ont pas demandé aux membres de les payer. Si GBA n'était qu'un mandataire à l'égard de la fourniture des services d'un personnel, il s'ensuit que les membres seraient responsables en cas de manquement de GBA à ses obligations. La loi ne reconnaissait pas aux employés rémunérés le droit de recouvrer des sommes auprès des membres, et les membres n'ont pas pris sur eux de verser aux employés ce que GBA leur devait. C'est ce qui ressort clairement du témoignage de Mary Sidor :

     [traduction]         
     Q. : D'accord, et seriez-vous allés voir les membres, leur auriez-vous dit : payez-nous car Graham [l'ancien trésorier de GBA] ne nous verse rien?         
     R. : Eh bien, nous ne nous sommes pas vraiment adressés à eux, mais [...] certains meneurs lui téléphonaient et lorsqu'un club mettait sur pied un bingo un jour de paye, le personnel se présentait pour recevoir son chèque. Par conséquent, le club qui était présent ce soir-là savait que nous n'étions pas payés comme nous aurions dû l'être. Ils lui parlaient, je présume, ou ils parlaient à Jim [le président de la GBA], à l'un d'eux. Mais cela n'a quand même pas aidé personne6.         

Le témoignage de Mary Sidor confirme que les membres savaient que GBA ne respectait pas ses obligations envers son personnel et que, malgré tout, ceux-ci n'ont rien fait pour corriger la situation. La raison est simple : ils n'étaient pas tenus d'acquitter les engagements de GBA et, par conséquent, les activités de GBA ne leur faisaient courir aucun risque. L'analyse du risque montre donc que les membres étaient séparés de GBA. À mon avis, il s'agit d'une preuve solide que GBA n'agissait pas à titre de mandataire dans ses rapports avec le personnel rémunéré.

[18]      Le juge de la Cour de l'impôt partageait l'opinion que les membres étaient exposés à un risque très minime vis-à-vis de GBA. Il a conclu :

     Aucune preuve ne démontre que, lorsque GBA a eu ses problèmes financiers, l'un quelconque de ses membres lui a permis d'agir comme mandataire. Les divers procès-verbaux de GBA de l'époque où il en est question ne font pas mention d'un "mandat" ou de la responsabilité des membres7.         

[19]      GBA soutient que les Conditions de la licence de bingo obligent le membre qui met sur pied un bingo à lui rembourser les salaires qu'il verse aux employés même dans le cas rare où le bingo perd de l'argent. Toutefois, comme cette situation ne se produit presque jamais, et dans le contexte de la relation prise dans son ensemble, cette exigence n'est pas suffisante pour amener à conclure qu'il existe une relation de mandataire.

[20]      Ainsi qu'il vient d'être mentionné, c'est à l'intimée qu'il incombe de prouver l'existence d'une relation de mandataire. Selon une analyse suffisante des faits, je suis d'avis que l'intimée n'a pas réussi à faire cette preuve. À vrai dire, la preuve soumise au juge de la Cour de l'impôt ne saurait appuyer l'existence d'une relation de mandataire. J'en viens maintenant à la question de la fourniture du matériel.

II.      La fourniture du matériel

[21]      L'appelante a soutenu que le juge de la Cour de l'impôt ne pouvait pas conclure que GBA agissait comme mandataire vu sa conclusion que GBA avait acheté le matériel de bingo à Alberta Bingo Supplies (ABS) et, partant, était propriétaire du matériel.

[22]      Le juge de la Cour de l'impôt a reconnu à juste titre que GBA était propriétaire du matériel. Il a conclu :

     Tout le matériel qui est acheté appartient à l'association. Si l'achat est financé, l'association s'occupe du financement et devient propriétaire du matériel. L'appelante assure le matériel8.         

GBA louait le matériel à ses membres dans le cadre de la prestation de tous les services nécessaires pour mettre sur pied un bingo.

[23]      Rien ne permet de conclure que GBA s'est présentée à ABS comme le mandataire des membres ou que les membres étaient exposés à un risque en ce qui a trait aux obligations de GBA à l'égard du matériel. De plus, rien ne permet de conclure qu'un créancier a prétendu que les membres étaient responsables durant la période où GBA a eu des problèmes financiers avec son fournisseur de matériel (ABS).

[24]      Qui plus est, ainsi que Ian Taylor l'a déclaré dans son témoignage, les Conditions de la licence de bingo n'autorisaient aucun membre à fournir une garantie ou à [traduction] " prendre un engagement quelconque à l'égard du contrat de location des locaux d'une association ". Fait intéressant, GBA percevait la TPS à l'égard de la fourniture de la salle de bingo. À mon avis, la fourniture de la salle est analogue à la fourniture du matériel. Je saisis mal la différence entre les deux. Susan Morgan, qui est devenue trésorière de GBA le 30 septembre 1992, a déclaré dans son témoignage que la TPS n'était pas perçue à l'égard de la fourniture du matériel parce que l'ancien trésorier ne croyait pas que c'était nécessaire de le faire. Cette explication n'est pas utile pour comprendre pourquoi la salle et le matériel n'étaient pas traités de la même façon. Selon moi, il est difficile de concilier le fait que la TPS était perçue à l'égard de la fourniture de la salle avec le fait qu'elle n'était pas perçue à l'égard de la fourniture du matériel.

[25]      En résumé, il es clair que GBA n'agissait pas à titre de mandataire lorsqu'elle louait son matériel à ses membres. Bien que cette conclusion soit déterminante quant à l'issue de l'appel, je vais examiner la démarche suivie par le juge de la Cour de l'impôt pour conclure qu'il existait une relation de mandataire.

Les conclusions du juge de la Cour de l'impôt

[26]      Le juge de la Cour de l'impôt a fait reposer sa conclusion selon laquelle il existait une relation de mandataire sur deux éléments. Premièrement, il a conclu que la structure générale des Conditions de la licence de bingo créait une relation de mandataire entre les membres et GBA. Deuxièmement, il a plus particulièrement invoqué le paragraphe IV, A, 3 des Conditions de la licence, qui précise que l'argent que les membres versaient à GBA continuait d'appartenir aux membres. Ces conclusions ne me paraissent pas suffisantes pour appuyer la conclusion qu'il existait une relation de mandataire.

[27]      Les Conditions de la licence de bingo ne renferment aucune clause expresse portant que GBA agirait à titre de mandataire. En outre, aucun élément implicite n'appuie la conclusion qu'il existait une relation de mandataire. La Gaming Control Branch avait la faculté de préciser que l'association agirait à titre de mandataire de ses membres. Elle ne l'a pas fait et cette décision montre de façon éloquente qu'il n'existe aucune relation de mandataire.

[28]      En ce qui concerne le deuxième élément, il est clair que GBA détenait les fonds pour ses membres. C'est ce qui est stipulé au paragraphe IV, A, 3 des Conditions de la licence de bingo, dont voici le libellé :

     Les frais, à l'exclusion des frais de location des locaux, ne doivent pas excéder 10 p. 100 des recettes brutes. Les montants versés à l'Association à cet égard sont considérés comme des frais payés d'avance, et constituent des recettes provenant des jeux, faisant l'objet d'une comptabilité distincte, et tout excédent qui reste après que les frais admissibles auront été payés doit être remis aux membres de l'Association sur une base équitable aux moments déterminés par ces derniers.         

Cependant, le fait que GBA détient les fonds et rembourse ses membres n'est pas déterminant quant à la question du mandat.

[29]      Il ressort de la preuve que GBA ne conservait pas dans un compte distinct les sommes qu'elle recevait de ses membres en contrepartie de ses dépenses. À la fin de chaque soirée de bingo, le chèque de fournitures que le membre remettait à GBA était déposé directement dans le compte-chèques général de GBA. Les portions du chèque qui se rapportaient au matériel et au personnel n'étaient jamais différenciées. De plus, ces sommes étaient considérées comme appartenant à GBA dans les états financiers de cette dernière. Ces facteurs étayent encore davantage l'opinion selon laquelle GBA traitait cet argent comme un élément d'actif et ne le détenait pas simplement à titre de mandataire. Pour être plus précis, GBA détenait simplement l'argent en fiducie pour ses membres.

[30]      Par ailleurs, le remboursement d'une dépense prise isolément n'amène pas inexorablement à conclure qu'il existe une relation de mandataire. Dans l'affaire Parkland, dans laquelle d'autres facteurs s'opposaient au rejet de pareille conclusion, le juge Kempo de la Cour canadienne de l'impôt a fait les remarques suivantes sur l'importance du remboursement d'une dépense :

     [...] le simple remboursement des droits peut demeurer un facteur neutre lorsqu'il s'agit de déterminer si une relation de mandataire existait vraiment9.         

[31]      David Sherman a récemment examiné l'importance du remboursement de la dépense en l'espèce10. Après avoir fait remarquer que la conclusion relative à l'existence d'une relation de mandataire était principalement fondée sur le fait que les Conditions de la licence de bingo fixaient une limite à l'égard des dépenses et exigeaient que l'excédent soit remis aux membres, il a déclaré :

     [traduction] Cette conclusion est étonnante parce qu'elle semble battre en brèche les critères traditionnels applicables au mandat. La question de savoir qui est un mandataire pour l'application de l'article 178 et de l'annexe VI, partie V, art. 5, est très controversée. Revenu Canada a produit le projet d'énoncé de politique P-182, qui porte sur la détermination du sens de " mandataire " et de " mandat ", dans lequel sont énoncés divers critères qu'il convient d'appliquer pour décider si une personne est le mandataire d'une autre personne. Il n'est pas clair du tout qu'une association devient un mandataire pour la seule raison qu'une dépense excédentaire est remboursable lorsqu'aucune des autres conditions du mandat n'est réunie.         

Je reconnais que l'obligation de rembourser une dépense excédentaire ne tranche pas la question du mandat, surtout si d'autres facteurs s'opposent à la conclusion qu'il existe une relation de mandataire. Le projet d'énoncé de politique T-182 susmentionné ne définit pas le sens du mot " mandat " employé à l'article 178. Cependant, bien qu'il n'ait pas force obligatoire, il constitue un instrument utile pour se prononcer sur l'existence d'une relation de mandataire.

[32]      Le projet d'énoncé de politique T-182 énonce les trois éléments essentiels d'un mandat, soit le consentement du mandant et du mandataire, le pouvoir du mandataire de modifier la position juridique du mandant et le contrôle que le mandant exerce sur les actes du mandataire. Comme j'arrive à la conclusion que GBA n'avait pas le pouvoir de modifier la position juridique de ses membres, il me paraît inutile d'examiner les autres facteurs qui doivent exister, selon Revenu Canada, pour pouvoir conclure à l'existence d'une relation de mandataire.

[33]      L'exemple le plus courant de la façon dont un mandataire peut modifier la position juridique de son mandant est la conclusion d'un contrat au nom du mandant. Il est clair en l'espèce que GBA n'était pas autorisée à conclure des contrats avec des tiers au nom de ses membres. Ainsi, GBA n'aurait pas pu conclure un contrat pour l'achat de matériel de bingo au nom de ses membres. Elle pouvait uniquement s'engager elle-même. Dans le contrat d'achat, GBA s'est engagée elle-même; elle n'a pas prétendu agir au nom de ses membres ni les exposer à un risque. La réaction d'ABS lorsque GBA a omis d'effectuer des versements sur le matériel démontre que les membres étaient à l'abri du risque : ABS n'a pas cherché à se faire payer par les membres et les membres n'ont jamais pensé qu'ils pourraient être responsables. Ces événements montrent que GBA ne pouvait pas modifier la position juridique de ses membres, d'où l'absence d'un élément essentiel du mandat.

Conclusion

[34]      Pour les motifs qui précèdent, je suis d'avis qu'il n'existe aucune relation de mandataire en l'espèce. GBA n'était pas expressément autorisée à agir à titre de mandataire de ses membres. Vu la conclusion du juge de la Cour de l'impôt que GBA était l'employeur du personnel rémunéré et le propriétaire du matériel fourni aux membres, et vu ses autres conclusions, il me paraît impossible de conclure, compte tenu des faits de l'espèce, qu'il existe une relation de mandataire. Par conséquent, je conclus que l'article 178 ne s'applique pas et, conformément à l'article 165, l'intimée doit payer la TPS à l'égard des fournitures taxables qu'elle a fournies. Je suis d'avis d'accueillir l'appel et d'adjuger les dépens à l'appelante.

                                 " J. Edgar Sexton "

                                         J.C.A.

" Je souscris à ces motifs.

     Le juge en chef Julius A. Isaac "

" Je souscris à ces motifs.

     A. M. Linden, J.C.A. "

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                          A-502-95

INTITULÉ :                          Sa Majesté la Reine c. Glengarry Bingo Association
LIEU DE L'AUDIENCE :                  Edmonton (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 29 janvier 1999

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE SEXTON, J.C.A.

Y ONT SOUSCRIT :                  Le juge en chef et le juge Linden, J.C.A.

EN DATE DU :                      5 mars 1999

COMPARUTIONS :

M. J. E. (Ted) Fulcher                      pour l'appelante

M. Donald N. Cherniawsky                      pour l'intimée

M. Sprizak - étudiant en droit

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                      pour l'appelante

Sous-procureur général du Canada

Felesky Flynn                          pour l'intimée

Edmonton (Alberta)



__________________

     1      R.S.A. 1980, ch. S-18.

     2      [1994] G.S.T.C. 58 (C.C.I.).

     3      À la page 58-11.

     4      Aux pages 7 et 8.

     5      À la page 340 de la transcription des débats.

     6      À la page 242 de la transcription des débats.

     7      À la page 12.

     8      À la page 9 de ses motifs.

     9      Supra, note 3, à la p. 58-11.

     10      Voir le commentaire qui suit l'article 178 dans Carswell GST Partner.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.