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Date : 20030602

Dossier : A-560-01

Référence neutre : 2003 CAF 241

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

             671905 ALBERTA INC. et M-I DRILLING FLUIDS CANADA INC.

                                                                                  appelantes/intimées dans l'appel incident

                                                                                                                             (demanderesses)

                                                                            et

                                                    Q'MAX SOLUTIONS INC.

                                                                                      intimée/appelante dans l'appel incident

                                                                                                                                (défenderesse)

                              Audience tenue à Ottawa (Ontario), les 1er et 2 avril 2003.

                                    Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 2 juin 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                              LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE NOËL

                                                                                                                          LE JUGE SEXTON


Date : 20030602

Dossier : A-560-02

Référence neutre : 2003 CAF 241

CORAM :       LE JUGE STONE

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

             671905 ALBERTA INC. et M-I DRILLING FLUIDS CANADA INC.

                                                                                  appelantes/intimées dans l'appel incident

                                                                                                                             (demanderesses)

                                                                            et

                                                    Q'MAX SOLUTIONS INC.

                                                                                      intimée/appelante dans l'appel incident

                                                                                                                                (défenderesse)

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE STONE


[1]         Il s'agit d'un appel et d'un appel incident du jugement par lequel un juge de la Section de première instance a rejeté, le 15 août 2001, les demandes que les appelantes avaient présentées en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant sur la validité des lettres patentes canadiennes 2 101 884 et sur leur contrefaçon par l'intimée et a accueilli la demande reconventionnelle que l'intimée avait présentée en vue d'obtenir un jugement déclaratoire portant que le brevet était nul ab initio entre l'intimée et les appelantes.

Historique

[2]         Comme l'a conclu le juge de première instance, vers la fin des années 1980, Fleming Oil Field Services Ltd., par l'intermédiaire de sa division Reef Mud, fournissait de la boue de forage à l'industrie pétrolière et gazière. À peu près à la même époque, la société, qui appartenait et était contrôlée conjointement par James K. Fleming, son président, et par le frère de celui-ci, Harold C. Fleming, son vice-président, a commencé à utiliser un nitrate de calcium de qualité « engrais » ou « commerciale » comme traceur, et l'a ensuite utilisé comme floculent dans les boues de forage à la base d'eau. À cette fin, Fleming Oil Field Services Ltd. a conclu une entente en vue de la distribution de nitrate de calcium avec un fournisseur de l'État de Washington, aux États-Unis, en vertu de laquelle Fleming Oil Field Services était autorisée à distribuer ce nitrate de calcium en sacs sous le nom « Envirofloc » partout dans l'ouest du Canada.

[3]         Le produit de Q'Max qui fait l'objet du présent litige, lequel est connu sous le nom d' « Envirovert » , est une « boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile » . Il renferme un sel appelé nitrate d'ammonium et de calcium décahydraté.


[4]         Selon le dossier, une boue de forage à base d'émulsion inverse est obtenue par un processus en plusieurs étapes. Une huile de base est mélangée avec de la chaux ou une autre matière alcaline, des émulsifiants, des tensioactifs et d'autres additifs. Une solution aqueuse est préparée en mélangeant de l'eau et un sel pour former une saumure. La boue de forage est employée par l'industrie pétrolière et gazière pour effectuer ses forages. Elle lubrifie et refroidit le trépan. Elle permet également d'éliminer les débris produits par le trépan de l'intérieur du trou jusqu'à la surface. Un problème peut survenir avec l'utilisation de boue de forage : l'eau de la boue hydrate les couches souterraines. Cela peut conduire à des problèmes d'instabilité dans le trou lui-même. Avec les boues d'émulsion inverse à base d'huile, ces problèmes sont surmontés grâce à l'emploi d'une solution de saumure dans la phase aqueuse de la boue, qui produit un niveau d'activité aqueuse égal à celui des couches souterraines dans lesquelles le trou est foré. Cela empêche l'eau de migrer de la boue de forage vers la roche forée. Le chlorure de calcium et le chlorure de sodium sont les sels qui sont généralement utilisés pour préparer la saumure destinée à la phase aqueuse.


[5]         Lorsque la boue de forage à émulsion inverse est remontée du trou jusqu'à la surface, les débris sont enlevés à l'aide de tamis. La composition du fluide de forage est ensuite analysée; on procède, si nécessaire, à des ajustements, et on réutilise la boue. Les débris de roche extraits doivent être éliminés; à cette fin, l'industrie utilise la technique appelée « épandage des boues sur le sol » . Cela consiste à enlever une couche de terre végétale d'une zone entourant le site de forage, à épandre les débris dans cette zone et à les couvrir avec la terre végétale. Les débris et la couche arable sont mélangés de façon à augmenter le contact entre l'huile et les microorganismes indigènes présents dans le sol, qui décomposent les résidus d'huile. Le sel est dilué et lixivié naturellement dans le sol. Cette pratique exerce des effets négatifs sur l'environnement, car ni l'huile provenant des débris, ni les chlorures (sels) généralement employés ne sont écologiques. Dans les années 1980, l'épandage des boues sur le sol suscitait de plus en plus d'inquiétude. Cela a encouragé le développement de boues de forages efficaces, qui auraient un caractère plus écologique.

[6]         L' invention prévoyait une boue de forage à base d'émulsion inverse, qui utilise des sels doubles contenant de l'azote. Cette formulation « faisait d'une pierre deux coups » . Elle éliminait l'emploi des chlorures (sels) utilisés pour prévenir l'hydratation au cours du forage avec, comme résultat, la réduction des quantités de chlorures lors de l'épandage des boues sur le sol. En même temps, cela apportait un engrais azoté « incorporé » permettant d'accélérer la dégradation des résidus d'huile grâce à l'épandage, sur le sol, des débris provenant du forage. Comme nous allons le voir, le sel préféré était le nitrate d'ammonium et de calcium décahydraté (NACD), sel présent dans le produit « Envirofloc » .

Le brevet


[7]         Par leur pétition en date du 4 août 1993 (la pétition), signée et déposée par leurs agents le même jour, James K. Fleming et Harold C. Fleming ont présenté une demande en vue de faire breveter une invention intitulée « BOUE DE FORAGE À BASE D'ÉMULSION INVERSE » décrite et revendiquée dans le mémoire qui l'accompagnait. Il a été affirmé au premier paragraphe de la pétition que [traduction] « le demandeur a fait l'invention » , et au paragraphe 3 que les demandeurs croyaient qu'ils avaient [traduction] « droit à un brevet pour ladite invention » . Le brevet a été rendu public le 30 septembre 1993 et a été accordé le 16 mai 1995 en tant que lettres patentes canadiennes 2 101 884 (le brevet). James K. Fleming et Harold C. Fleming étaient désignés dans le brevet à titre d' « inventeurs » . J.F.K. Investments Ltd. et Hour Holdings Ltd., qui étaient respectivement les sociétés de portefeuille personnelles de James K. Fleming et de Harold C. Fleming, étaient désignées à titre de propriétaires bénéficiaires.

[8]         Le 16 octobre 1997, en réponse à une autre pétition, le Bureau de la propriété intellectuelle du Canada a apporté un certain nombre de petites corrections au brevet conformément à l'article 8 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4. Ces corrections consistaient à substituer les mots « phase aqueuse » aux mots « eau » ou « teneur en eau » en divers endroits de la divulgation, et au mot « eau » à la fin des revendications 1, 4 et 7. Le 9 février 1998, une autre pétition a été déposée auprès du Bureau en vue de la redélivrance du brevet. La pétition a été accordée le 24 mars 1998. Le brevet redélivré visait principalement à éclaircir l'expression « sel complexe azoté et hydraté » figurant dans les revendications, cette expression signifiant « un sel double azoté et hydraté, comme l'entendrait une personne ordinaire versée dans l'art ou la science » , les mots « sel complexe » et « sels complexes » devant donc être compris comme des références à un « sel double » et à des « sels doubles » respectivement. On a en même temps produit un « Résumé » qui est cité intégralement au paragraphe 10 des motifs de jugement du juge de première instance.


[9]         Le brevet contient dix-huit revendications précises, dont le texte a été reproduit par le juge de première instance à l'Annexe 1 de ses motifs de jugement publiés (671905 Alberta Inc. c. Q' Max Solutions Inc. (2001), 14 C.P.R. (4th) 129, 210 F.T.R. 24). Il est ici utile de reproduire le texte des sept premières revendications du brevet :

1. Une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile, comprenant un émulsifiant, un tensioactif, une argile, une substance alcaline et un sel complexe azoté et hydraté, pour réduire ou prévenir l'hydratation des argiles de formations souterraines, la teneur en eau de la boue se situant dans une plage d'environ 5 à 50 % en volume et la concentration du sel complexe azoté couvrant une plage d'environ 5 à 80 % en poids de la phase aqueuse.

2. Une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile, selon la revendication 1, où le sel complexe azoté est un nitrate ou un nitrite d'ammonium et de calcium hydraté.

3. Une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile, selon la revendication 1, où le sel complexe azoté est un nitrate d'ammonium et de calcium décahydraté.

4. Une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile, selon la revendication 1, 2 ou 3, la concentration du sel complexe azoté dans la boue se situant dans une plage d'environ 25 à 40 % en poids de la phase aqueuse.

5. Une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile, selon la revendication 1, 2 ou 3, la teneur en eau de la boue se situant dans une plage d'environ 10 à 40 % en volume.

6.    Une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile, selon la revendication 1, 2 ou 3, dans laquelle l'huile est de l'huile brute ou de l'huile diesel.

7. Dans une méthode de forage d'un trou, comprenant plusieurs étapes, à savoir injecter dans le trou de forage une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile, faire recirculer la boue à la surface, séparer par criblage les débris de roche de la boue puis renvoyer la boue de forage tamisée dans le trou, enfin analyser les propriétés de la boue de forage, ainsi que l'étape d'amélioration par addition d'un sel complexe azoté et hydraté à la boue pour réduire ou prévenir l'hydratation des argiles de formulations souterraines, la teneur en eau de la boue se situant dans une plage d'environ 5 à 50 % en volume et la concentration du sel complexe azoté représentant environ 5 à 80 % en poids de la phase aqueuse.


Cessions

[10]       Le dossier de l'instance comprend un certain nombre de documents pertinents qui ont été déposés auprès du Bureau de la propriété intellectuelle du Canada. Le premier document est une cession en date du 11 août 1993 de James K. Fleming et de Harold C. Fleming, en leurs qualités d' « inventeurs » , en faveur de J.F.K. Investments Ltd. et de Hour Holdings Ltd., des droits, titres et intérêts respectifs [traduction] « afférents à l'invention se rapportant à la BOUE DE FORAGE À BASE D'ÉMULSION INVERSE décrite et revendiquée dans la demande visant l'obtention d'un brevet relatif à cette invention ainsi qu'à tout droit, titre et intérêt connexe se rapportant à tout brevet qui sera délivré à leur égard » . Deux autres actes de cession en date du 1er janvier 1996 ont également été déposés. En premier lieu, J.F.K. Investments Ltd. a cédé tous les intérêts, droits et titres [traduction] « afférents aux lettres patentes canadiennes 2 101 884 [...] accordées le 16 mai 1995 » à 671905 Alberta Inc., l'une des appelantes dans la présente instance, laquelle était contrôlée par Harold C. Fleming. En second lieu, Hour Holdings Ltd. a cédé tous les intérêts, droits et titres afférents au brevet à cette société. Par un acte de cession distinct en date du 15 octobre 1997, 671905 Alberta Inc. a cédé tous les intérêts, droits et titres afférents au brevet à Fleming Oil Field Services Ltd. Le dossier révèle également que par le certificat de fusion en date du 1er juillet 1998, Fleming Oil Field Services Ltd. et M-I Drilling Fluids Canada, Inc. ont été fusionnées conformément à la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985) ch. C-44 sous le nom de « M-I Drilling Fluids Canada, Inc. » , qui est l'autre appelante ici en cause.


Mise au point de l'invention

[11]       En janvier 1989, un essai expérimental a été effectué au laboratoire de Fleming Oil Field Services Ltd. afin de déterminer si le nitrate de calcium (sel) décahydraté, présent dans le produit « Envirofloc » , pouvait remplacer les chlorures (sels) dans la phase aqueuse d'une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile.

[12]       Dans le témoignage qui'il a présenté au procès, Harold C. Fleming a fait part de son engagement et de celui de son frère, James K., dans une société appelée DOC Environmental Control Inc., avec deux relations du monde des affaires, société créée pour la fourniture de services lorsque surviennent des déversements d'hydrocarbures. Le témoin a également indiqué que les connaissances acquises avec la société DOC sur l'emploi d'un agent nutritif pour la croissance de bactéries les ont conduits à essayer le produit « Envirofloc » pour le développement d'une émulsion inverse de boue de forage, en collaboration avec Richard Smith, directeur ou superviseur de laboratoire travaillant pour Fleming Oil Field Services Ltd. Dans son témoignage, M. Fleming a déclaré que son frère James, Richard Smith ainsi que lui-même voulaient procéder aux essais qui ont été effectués au mois de janvier 1989 et qu'ils s'étaient entendus pour que M. Smith effectue les essais. [transcription de l'instruction, volume 1, page 116, lignes 15 à 18].


[13]       Dans son témoignage, M. Smith a indiqué que c'était lui qui avait [traduction] « mis au point les formulations » pour Fleming Oil Field Services Ltd. et que les essais du mois de janvier 1989 ont été effectués par un technicien de laboratoire sous sa supervision à l'aide d'une phase externe constituée d'huile minérale et d'une phase interne à base de saumure de nitrate de calcium [transcription de l'instruction, volume 5, page 648 et suivantes]. Le témoin a également indiqué que l'idée d'utiliser le nitrate de calcium lui avait été suggérée par Darryl Lucas, qui travaillait alors pour une société du nom de Harrison & Crossfield. M. Smith a conclu que, d'après les essais, l'emploi de nitrate de calcium dans une émulsion inverse était « viable » . Cependant, il lui fallait encore déterminer si le nitrate de calcium permettait d'obtenir le niveau d'activité aqueuse approprié pour la stabilisation des schistes lors des opérations de forage. M. Smith a continué d'étudier cette question en dépouillant la documentation disponible sur le sujet, ce qui l'a convaincu que l'incorporation de nitrate de calcium, en concentrations appropriées, dans la saumure ou la phase aqueuse de l'émulsion inverse permettrait de stabiliser les formations.

[14]       Il ne s'est rien passé d'autre en ce qui concerne la mise au point de la boue de forage à base d'émulsion inverse jusqu'au mois de mai 1991 lorsque M. Smith a procédé à d'autres essais en introduisant de l'huile diesel à la place de l'huile minérale. Le premier essai sur place de l'invention a eu lieu à l'automne 1992 au puits Morrison, en Alberta.

Jugement de première instance

[15]       Le juge de première instance a défini les questions litigieuses comme suit : interprétation du brevet; validité du brevet; droit des appelantes d'intenter des poursuites au sujet du brevet; contrefaçon du brevet par l'intimée, et réparation appropriée.


[16]       Parmi les questions d'interprétation que le juge a examinées, il y avait le sens de l'expression « personne versée dans l'art ou la science » . Certains éléments de preuve et arguments ont été présentés à l'audience à ce sujet. Les appelantes soutenaient qu'un « ingénieur technique spécialisé en boue de forage » devait être considéré comme la personne fictive versée dans l'art. Toutefois, le juge de première instance a conclu, aux paragraphes 40 et 41, qu'une telle personne serait trop compétente. Le juge a retenu la preuve selon laquelle une personne versée dans l'art serait une personne qui comprend la chimie d'une composition de boue de forage, qui connaît les ingrédients et leur effet et qui sait comment procéder aux essais appropriés.

[17]       Le juge de première instance a ensuite examiné la prétention de l'intimée selon laquelle le brevet n'était pas valide pour les raisons suivantes : absence de nouveauté ou antériorité, évidence, manque d'utilité, insuffisance de la divulgation et ambiguïté. Il a conclu qu'aucun de ces moyens de défense n'avait été établi.


[18]       Le juge de première instance devait également déterminer si les Fleming étaient les « inventeurs » comme on l'affirmait dans la pétition. Selon un moyen de défense invoqué au moyen de la demande reconventionnelle, les Fleming n'étaient pas les inventeurs et, en outre, l'assertion figurant dans la pétition selon laquelle ils étaient les inventeurs constituait une « allégation importante » qui « n'[était] pas conforme à la vérité » et qui était « volontairement faite pour induire en erreur » au sens du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. Le juge de première instance a retenu l'argument selon lequel les Fleming n'étaient pas les « inventeurs » et il a donc conclu que le brevet était « nul ab initio » entre les parties conformément à cette disposition. En se fondant sur les arrêts faisant autorité, il a conclu qu'il importait peu pour l'application du paragraphe 53(1) que la revendication de l'invention dans la pétition ne soit pas « volontairement faite pour induire en erreur » .

[19]       Après avoir déclaré le brevet nul, le juge de première instance a brièvement examiné les autres points litigieux dans des remarques incidentes. Le premier point était de savoir si les appelantes pouvaient intenter des poursuites fondées sur la contrefaçon du brevet étant donné qu'il avait été conclu que les Fleming n'étaient pas les « inventeurs » en ce sens que Richard Smith, le véritable inventeur, ne s'était pas départi, en faveur des Fleming, des droits, titres et intérêts afférents à l'invention. Le 11 août 1993, les Fleming ont censément cédé à J.F.K. Investments Ltd. et à Hour Holdings Ltd. les droits, titres et intérêts respectifs afférents à l'invention et à tout brevet délivré à l'égard de l'invention. Le juge de première instance a conclu que ni J.F.K. Investments Ltd. ni Hour Holdings Ltd. n'avaient acquis valablement un intérêt dans le brevet 884 et par conséquent que ni l'une ni l'autre n'avait pour le moment droit à l'avantage du brevet 884.


[20]       Enfin, le juge de première instance a examiné la question de la contrefaçon. Cet argument était fondé sur ce que l'intimée avait produit et vendu au public, en Alberta, une composition de boue de forage connue sous le nom de « Q'Max Mud » et que cela avait entraîné la violation des droits relatifs au brevet parce que la boue de l'intimée contenait le sel complexe azoté appelé « nitrate d'ammonium et de calcium décahydraté » (NACD) auquel font référence les revendications du brevet. Le juge de première instance a d'abord noté que l'intimée avait reconnu dans ses plaidoiries qu'elle avait fait en sorte que le produit Q'Max Mud soit « produit et transporté » et qu'elle avait vendu cette boue au public à des fins de forage de puits. En se fondant sur la preuve, le juge a conclu que les activités de l'intimée sur ce point révélaient qu'il y avait eu « contrefaçon textuelle des revendications » du brevet, exception faite de la revendication 15. Il a conclu que la revendication relative à « [u]ne trousse selon la revendication 14, où le sel complexe azoté est du nitrate d'ammonium et de calcium décahydraté » n'avait pas été violée parce que l'intimée n'avait pas vendu une « trousse » pour formuler l'émulsion inverse à laquelle font référence les revendications du brevet.

Les points litigieux


[21]       Les appelantes contestent le jugement de première instance en invoquant plusieurs motifs. Premièrement, elles soutiennent que le juge de première instance a commis une erreur en interprétant le brevet parce qu'il n'a pas reconnu l'avantage environnemental de l'invention et la contribution des Fleming en leurs qualités d'inventeurs. Deuxièmement, le fait de désigner James K. Fleming et Harold C. Fleming à titre d' « inventeurs » dans la pétition et de ne pas désigner Richard Smith à titre d'inventeur n'était pas une allégation importante non conforme à la vérité qui était faite volontairement pour induire en erreur au sens du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets. Troisièmement, la réparation appropriée dans le cas d'une erreur commise en désignant les inventeurs aurait consisté à corriger le titre conformément à l'article 52 de la Loi sur les brevets. Quatrièmement, la présente Cour devrait rendre une ordonnance conformément à cette disposition en vue de corriger les registres du Bureau des brevets pour ce qui est de l'invention et du droit de propriété sur le brevet. Cinquièmement, le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les appelantes n'étaient pas « le breveté » ou une « personne se réclamant de celui-ci » au sens de l'article 55 de la Loi sur les brevets.

[22]       Dans son appel incident, l'intimée affirme que le juge de première instance a commis une erreur en omettant de déclarer le brevet nul à l'échelle mondiale plutôt qu'en le déclarant nul simplement entre les parties. Deuxièmement, le juge a commis une erreur en définissant la « personne versée dans l'art ou la science » . Troisièmement, il a commis une erreur en rejetant les moyens de défense fondés sur l'antériorité et sur l'évidence. Enfin, l'intimée soutient que le juge de première instance a commis une erreur en concluant que toutes les revendications du brevet à l'exception de la revendication 15 avaient été contrefaites par l'intimée.

                                                ANALYSE

Inventivité


[23]       L'analyse devrait commencer par la prétention des appelantes selon laquelle le juge de première instance a commis une erreur en concluant que les Fleming n'étaient pas les « inventeurs » de la boue de forage à base d'émulsion inverse ici en cause. Il est soutenu qu'en tirant cette conclusion, le juge de première instance a omis de tenir compte de l'avantage environnemental que comporte l'invention et qu'il a omis de reconnaître la contribution apportée par les Fleming en vue d'arriver à l'invention. Il est soutenu que cela peut s'expliquer par le fait que le juge de première instance a restreint son examen à cause de l'avis qu'il a exprimé au paragraphe 58 de ses motifs, à savoir que « [l]es revendications du brevet ne font nulle part référence à une performance écologique améliorée » .

[24]       Toutefois, il ressort d'une interprétation juste des motifs de jugement que le juge de première instance a réglé la question de l'inventivité en retenant le témoignage de Richard Smith plutôt que celui de Harold C. Fleming. Les conclusions que le juge a tirées sur ce point figurent aux paragraphes 22, 23 et 24 de ses motifs :

Comme on l'a signalé dans les paragraphes précédant immédiatement ces motifs, il y avait certaines contradictions dans les témoignages au sujet de la mise au point de la boue Q'Max. Dans son témoignage, M. Harold Fleming, l'un des propriétaires de Fleming Oil Field Services Ltd., qui était, à toutes les époques pertinentes, actif dans la gestion et l'exploitation de la compagnie, a déclaré que l'initiative de mettre au point une boue de forage à base d'émulsion inverse, plus écologique que celles utilisant le chlorure de calcium ou de sodium, était la sienne et que c'est lui qui avait donné à Rick Smith les instructions pour faire le travail accompli par ce dernier.

Rick Smith a témoigné que c'était lui qui avait pris cette initiative et que, bien que dans le bureau relativement petit de la compagnie il tenait Harold Fleming en tout temps au courant, c'est lui qui faisait preuve d'ingénuité inventive, si tant est qu'il y en avait une.

Je préfère la version des faits de Rick Smith à celle de Harold Fleming. Bien que le témoignage de M. Fleming se soit avéré, de façon générale, très utile, il manquait décidément de détails. Il a reconnu dans son témoignage qu'il ne se rappelait pas très bien des dates et de la chronologie des événements. En revanche, j'estime que le témoignage de Rick Smith est plus direct, détaillé et précis. [...]

Plus loin, au paragraphe 99, le juge de première instance a conclu que M. Smith était « le véritable inventeur » .


[25]       Il n'a pas été démontré qu'en tirant ces conclusions, le juge de première instance ait commis une erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits au point que la présente Cour serait justifiée à modifier ces conclusions : Stein c. Le navire « Kathy K » , [1976] 2 R.C.S. 802, page 808; N.V. Bocimar S.A. c. Century Insurance Co. of Canada, [1987] 1 R.C.S. 1247; Toneguzzo-Norvell (Tutrice à l'instance de) c. Burnaby Hospital, [1994] 1 R.C.S. 114; Swartz c. Canada, [1996] 1 R.C.S. 254, page 278; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, page 1064; Housen c. Nikolaisen 2002 CSC 33.

Argument fondé sur le paragraphe 53(1)

[26]       Les appelantes contestent l'avis du juge de première instance selon lequel un jugement déclaratoire fondé sur le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets portant que le brevet est nul était justifié parce que, dans la pétition qu'ils ont signée, James K. Fleming et Harold C. Fleming ont inscrit leurs noms à titre d' « inventeurs » au lieu d'y inscrire le nom de Richard Smith. Les paragraphes 53(1) et (2) sont ainsi libellés :


53. (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n'est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu'il n'est nécessaire pour démontrer ce qu'ils sont censés démontrer, et si l'omission ou l'addition est volontairement faite pour induire en erreur.

(2) S'il apparaît au tribunal que pareille omission ou addition est le résultat d'une erreur involontaire, et s'il est prouvé que le breveté a droit au reste de son brevet, le tribunal rend jugement selon les faits et statue sur les frais. Le brevet est réputé valide quant à la partie de l'invention décrite à laquelle le breveté est reconnu avoir droit.


53. (1) A patent is void if any material allegation in the petition of the applicant in respect of the patent is

untrue, or if the specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for which they purport to be made, and the omission or addition is wilfully made for the purpose of misleading.

(2) Where it appears to a court that the omission or addition referred to in subsection (1) was an involuntary error and it is proved that the patentee is entitled to the remainder of his patent, the court shall render a judgment in accordance with the facts, and shall determine the costs, and the patent shall be held valid for that part of the invention described to which the patentee is so found to be entitled.


[27]       Il n'est pas soutenu que les Fleming ont délibérément ainsi été désignés à titre d'inventeurs. De fait, comme le juge de première instance l'a fait remarquer, il n'avait pas été allégué qu'en se désignant eux-mêmes plutôt qu'en désignant M. Smith comme « inventeur » , les Fleming avaient agi « volontairement pour induire en erreur » . Les appelantes soutiennent donc qu'il n'était pas loisible au juge de première instance d'invalider le brevet conformément au paragraphe 53(1). Selon elles, la jurisprudence invoquée à l'appui de l'invalidation fondée sur cette disposition ne s'applique plus.


[28]       Le juge de première instance s'est fondé en particulier sur l'analyse que Monsieur le juge Wetston avait effectuée dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., (1998), 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), pages 264 et 265, citant Monsieur le juge Walsh dans la décision Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1984) 78 C.P.R. (2d) 1 (C.F. 1re inst.), selon lequel ce qui importe, pour que le paragraphe 53(1) s'applique, n'est pas de savoir si une erreur alléguée a volontairement été commise pour induire en erreur, mais plutôt si le fait de désigner d'une façon inexacte l'inventeur constitue une allégation « importante » qui n'est pas conforme à la vérité. Le juge Walsh a fondé cet avis sur son interprétation du paragraphe 53(1) dans son ensemble. En particulier, il a statué que les mots « et si l'omission ou l'addition est volontairement faite pour induire en erreur » figurant à la fin de la disposition, telle qu'elle était alors libellée, se rapportaient aux omissions et aux ajouts qui sont faits « dans les mémoires descriptifs ou sur des dessins » , plutôt qu'à une « allégation importante dans la pétition » . Le juge de première instance s'est également inspiré de l'avis exprimé par Monsieur le juge Thurlow (tel était alors son titre) dans la décision Jules R. Gilbert Ltd. c. Sandoz Patents Ltd. (1970), 64 C.P.R. 14 (C. de l'É.), page 74, à savoir qu'une allégation selon laquelle le demandeur a fait l'invention constituait une « allégation importante » au sens de cette disposition. Il a ainsi fait une distinction entre l'affaire dont il était saisi, qui se rapportait au fait que la mauvaise personne avait été désignée à titre d'inventeur, et une affaire d'invention conjointe dans laquelle une pétition désigne certains inventeurs, mais non tous les inventeurs.

[29]       Dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précitée, le juge Wetston a conclu que l'omission de désigner deux chercheurs indépendants, MM. Broder et Mitsuya, à titre de coinventeurs, n'avait pas pour effet de rendre le brevet nul en vertu du paragraphe 53(1) parce que l'omission ne constituait pas une « allégation importante » . En arrivant à cette conclusion, le juge Wetston a examiné la jurisprudence canadienne antérieure portant sur ce point, y compris les observations que Monsieur le juge Addy avait faites dans la décision Proctor & Gamble Co. c. Bristol Myers Canada Ltd. (1978), 39 C.P.R. (2d) 145 (C.F. 1re inst.). Dans la décision Proctor & Gamble, l'inventeur Gaiser avait reçu des suggestions et des recommandations au sujet de modifications à apporter à l'invention d'une société qui s'appelait Purex, mais il a été conclu que Purex n'était pas un coinventeur. Le juge Addy a répondu à l'argument fondé sur le paragraphe 53(1) [autrefois paragraphe 55(1)] selon lequel Purex était un coinventeur en concluant que l'omission de désigner Purex n'aurait pas eu pour effet de rendre le brevet nul. Voici ce que le juge a dit, aux pages 156 et 157 :


En l'espèce, Gaiser se croyait sans aucun doute l'unique inventeur et, selon les éléments de preuve qui m'ont été fournis, il est nettement évident que de toute manière, la Purex n'estimait pas qu'elle était l'inventeur. Il n'existe absolument aucune preuve à l'effet que l'on aurait volontairement tenter d'induire en erreur le commissaire des brevets. Dans de telles circonstances, à mon avis, le fait que le demandeur soit l'inventeur ou l'un de deux coinventeurs est sans conséquence pour le public, puisque ce fait ne touche ni la durée ni le fond du brevet ni même le fait d'y avoir droit. En d'autres termes, je ne crois pas qu'il s'agisse, dans de telles circonstances, d'une allégation importante telle que prévue par l'article 55(1) de la Loi sur les brevets.

[30]       En appel dans l'affaire Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (2000), 10 C.P.R. (4th) 65, la présente cour (juge Sexton) a conclu que MM. Broder et Mitsuya n'était pas coinventeurs. La Cour a ensuite examiné l'argument relatif à l'invalidité fondé sur le paragraphe 53(1) selon lequel MM. Broder et Mitsuya étaient coinventeurs; la Cour a conclu, aux pages 81 et 82, que l'omission de désigner ces personnes dans la pétition n'était pas fatale. Ce faisant, la Cour s'est encore une fois fondée sur les observations susmentionnées que le juge Addy avait faites dans la décision Proctor & Gamble, précitée.


[31]       Le jugement rendu par la Cour a été porté en appel devant la Cour suprême du Canada, qui a rejeté l'appel dans un jugement qui a été publié bien après le prononcé du jugement qui est ici porté en appel : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, 21 C.P.R. (4th) 499. Parmi les questions que la Cour a examinées, il y avait la question de savoir si MM. Broder et Mitsuya étaient coinventeurs avec les personnes désignées dans la pétition et, dans l'affirmative, si l'omission de les désigner constituait une « allégation importante » non conforme à la vérité qui était « volontairement faite pour induire en erreur » , de façon à rendre le brevet nul. La Cour suprême a conclu que MM. Broder et Mitsuya n'étaient pas des coinventeurs. Toutefois, Monsieur le juge Binnie, au nom de la Cour, a fait les remarques suivantes, au paragraphe 94 :

Les appelantes soutiennent que les Drs Broder et Mitsuya étaient des « coinventeurs » et auraient dû être désignés comme tels dans le brevet. Pour que cet argument joue en faveur des appelantes (par opposition aux Drs Broder et Mitsuya), celles-ci doivent en outre établir que cette omission constitue une déclaration inexacte « importante » qui était « volontairement faite pour induire en erreur » . Si tel est le cas, le brevet serait nul conformément au par. 53(1) de la Loi sur les brevets.

                                                                                                        (Non souligné dans l'original)

Étant donné que MM.Broder et Mitsuya n'étaient pas coinventeurs, le juge Binnie a conclu, au paragraphe 109, qu'il n'était pas nécessaire d'examiner la question de l'importance en vertu du paragraphe 53(1) non seulement pour cette raison, « mais encore parce qu'il n'exist[ait] aucune preuve que l'omission de les désigner a[vait] été « volontairement faite pour induire en erreur » , comme l'exige[aient] les derniers mots du paragraphe 53(1) » . Par conséquent, la position qui est adoptée de nos jours est qu'une « allégation importante » non conforme à la vérité qui consiste à omettre de désigner les coinventeurs dans une pétition visant l'obtention d'un brevet n'a pas pour effet de rendre le brevet nul si l'allégation n'était pas « volontairement faite pour induire en erreur » .


[32]       Il est vrai que, dans la pétition, les Fleming étaient désignés comme les seuls inventeurs et que M. Smith n'était pas désigné. L'intimée dit qu'il est possible de faire une distinction entre la présente espèce et l'affaire Wellcome Foundation, précitée, parce que dans cette affaire-là les personnes qui étaient désignées comme inventeurs étaient en fait les inventeurs, alors qu'en l'espèce, selon la conclusion tirée par le juge de première instance, les Fleming n'étaient pas les inventeurs. Toutefois, à mon avis, cette distinction n'a pas pour effet de faire tomber l'affaire sous le coup du paragraphe 53(1) lorsque, comme il le semble ici, les Fleming ne se sont pas délibérément désignés comme inventeurs pour induire en erreur. Dans la décision Dec International, Inc. c. A.L. LaCombe & Associates Ltd. (1989), 26 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), il a été statué qu'un brevet ne devrait pas être déclaré invalide conformément à la disposition qui figure maintenant à l'article 53 de la Loi sur les brevets dans des circonstances où la société employeur avait désigné, de bonne foi, un employé qui, selon les conclusions tirées lors de l'instruction, n'était pas l'inventeur plutôt que l'employé qui était le véritable inventeur. Si, comme le juge de première instance l'a conclu, les Fleming n'avaient pas l'intention d'induire volontairement en erreur en se désignant comme inventeurs, il est difficile de voir comment l'omission de désigner M. Smith justifierait la réparation draconienne prévue au paragraphe 53(1). Eu égard aux circonstances, il ne devrait pas être conclu que le brevet est nul en vertu de cette disposition.

Argument fondé sur l'article 52

[33]       Les appelantes soutiennent que le juge de première instance aurait dû faire droit à la demande qu'elles avaient faite dans leur argumentation orale, à l'instruction, en vue d'obtenir, conformément à l'article 52 de la Loi sur les brevets, une ordonnance déclarant que M. Smith était l'inventeur et que M-I Drilling Fluids Canada Inc. était le propriétaire. L'article 52 est ainsi libellé :


52. La Cour fédérale est compétente, sur la demande du commissaire ou de toute personne intéressée, pour ordonner que toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet soit modifiée ou radiée.


52. The Federal Court has jurisdiction, on the application of the Commissioner or of any person interested, to order that any entry in the records of the Patent Office relating to the title to a patent be varied or expunged.


Les appelantes soutiennent en outre que la présente cour possède la compétence nécessaire en vertu de l'alinéa 52b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, pour rendre le jugement que le juge de première instance aurait dû rendre et que nous devrions donc maintenant modifier les registres du Bureau des brevets en vue de désigner M. Smith comme inventeur et M-I Drilling Fluids Canada Inc. comme propriétaire de l'invention brevetée.

[34]       Le fait que les appelantes ont fait leur demande au cours de l'instruction relative à la contrefaçon n'est pas en soi fatal. Il a été statué qu'une « demande » fondée sur l'article 52 [autrefois article 54] peut être ainsi présentée. Dans la décision Clopay Corp. c. Metalix Ltd. (1960), 34 C.P.R. 232 (C. de l'É.), le juge Cameron a dit ce qui suit, à la page 235 :

[traduction] Ni la Loi sur les brevets ni les Règles de la présente cour ne précisent la procédure à suivre dans les demandes fondées sur l'article 54. Toutefois, je suis d'avis que la présente demande qui a été faite par un intéressé -- à savoir les propriétaires bénéficiaires des droits afférents au brevet -- est une demande visée à l'article 54, même si elle est faite dans des procédures de contrefaçon en instance. Eu égard à la preuve mise à ma disposition, je ne doute pas que tous ceux qui peuvent faire valoir des droits sur le brevet étaient représentés à l'audience. La défenderesse, dont la défense serait visée par une ordonnance rendue dans la demande, a été avisée et elle a comparu. Le commissaire aux brevets, qui devrait toujours selon moi être avisé d'une demande fondée sur l'article 54, était présent à l'audience et, même s'il n'était pas désigné dans l'avis de requête, il a reçu signification d'une copie de l'avis. Je suis donc convaincu que la Cour a compétence pour entendre la requête.

Le juge Cameron a également noté, à la page 235, que la disposition en question a une portée [traduction] « fort étendue » , avis qui a été réitéré dans des décisions plus récentes : Pitney Bowes Inc. c. Yale Security (Canada) Inc. (1987), 15 C.P.R. (3d) 347 (C.F. 1re inst.); Comstock Canada c. Electec Ltd. (1991), 38 C.P.R. (3d) 29 (C.F. 1re inst.); page 50. De fait, comme le juge Cameron l'a signalé dans la décision Clopay, précitée, à la page 235, la disposition en question visait


[traduction] [...] à permettre à la Cour de corriger les registres du Bureau des brevets concernant le titre, de façon que la partie ou les parties qui ont réellement droit à l'octroi [...] puissent faire enregistrer leurs droits de la façon régulière.

[35]       Toutefois, il faut noter que, dans leur plaidoirie, les appelantes ne mentionnent pas une demande fondée sur l'article 52; par conséquent, aucun préavis n'a été donné à l'intimée ou aux autres intéressés. Dans l'arrêt Esso Petroleum Co. Ltd. c. Southport Corporation, [1956] A.C. 218 (C.L.), page 239, lord Normand a d'une façon judicieuse fait remarquer, en faisant des commentaires au sujet de [traduction] « la valeur d'une plaidoirie » , que [traduction] « [l]a condamnation d'une partie pour un motif à l'égard duquel aucun avis équitable n'a été donné peut constituer un déni de justice aussi grave que sa condamnation pour un motif à l'égard duquel on a incorrectement exclu sa preuve » . En général, une partie n'est pas autorisée à soulever, dans le cadre d'un appel, un point qui n'a pas été soulevé à l'instruction : The Steamship « Tordenskjold » c. The Steamship « Euphemia » (1908), 41 R.C.S. 154, pages 163 et 164. D'autre part, comme il a plus récemment été statué dans l'arrêt Athey c. Leonati, [1996] 3 R.C.S. 458, page 478, « [l]a règle générale est qu'un appelant ne peut soulever un point qui n'a pas été plaidé ou débattu au procès, sauf si toute la preuve pertinente figure au dossier » .


[36]       Il semble clair qu'une demande fondée sur l'article 52 toucherait l'intimée pour ce qui est de sa défense ainsi que M. Smith, qui, a-t-il été conclu, était le véritable inventeur. M. Smith était présent à l'instruction à titre de témoin de l'intimée, mais rien ne montre qu'il ait été avisé au préalable de la demande fondée sur l'article 52 après que la preuve eut été présentée. Il n'est pas clair non plus que tous les éléments de preuve pertinents avaient déjà été versés au dossier de l'instruction. Les appelantes affirment être propriétaires bénéficiaires du brevet, mais l'assertion dépend d'une série de cessions et de la fusion ultime qui a donné lieu à la création de M-I Drilling Fluids Canada Inc. L'intimée avait certes le droit d'approfondir la question relative aux cessions de 1993, de 1996 et de 1997 en vue de vérifier la revendication par les appelantes d'un droit de propriété sur le brevet, ainsi qu'en vue de présenter les éléments de preuve pertinents qu'elle décidait de soumettre et de procéder aux interrogatoires préalables.

Chaîne de titres

[37]       Le juge de première instance a conclu que même si le brevet était valide et même s'il avait été contrefait, les appelantes ne pouvaient pas avoir gain de cause dans une action en contrefaçon fondée sur l'article 55 de la Loi sur les brevets parce que, en vertu du paragraphe 55(1), un contrefacteur peut uniquement être « responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci » . Le mot « breveté » est défini à l'article 2 comme étant le « titulaire ayant pour le moment droit à l'avantage du brevet » . De l'avis du juge de première instance, les appelantes ne pouvaient pas être considérées comme « le breveté » ou comme des « personne[s] se réclamant de celui-ci » . L'analyse effectuée par le juge sur ce point figure au paragraphe 99 de ses motifs :


Comme la Cour l'a déjà précisé dans les présents motifs, le brevet a été délivré à J.F.K. Investments Ltd. et à Hour Holdings Ltd., et non aux inventeurs identifiés dans la pétition. Vu l'ensemble de la preuve soumise à la Cour, ni J.F.K. Investments Ltd., ni Hour Holdings Ltd. n'ont acquis de droit sur le brevet 884 de la part de Rick Smith, le véritable inventeur, ou de son employeur, Fleming Oil Field Services Ltd. Je conclus donc que J.F.K. Investments Ltd. et Hour Holdings Ltd. n'ont jamais acquis valablement de droit sur le brevet 884 et que ni l'une ni l'autre n'a jamais été un titulaire ayant pour le moment droit à l'avantage du brevet 884. En conséquence, aucun des deux n'a jamais été un « breveté » ou un « titulaire de brevet » en ce qui concerne le brevet 884. Il s'ensuit également que les demanderesses ne sont pas des personnes se réclamant du breveté. Je suis convaincu que la chaîne de titres de propriété partant du « breveté » original et se terminant avec les demanderesses n'a tout simplement pas été établie selon les éléments dont la Cour dispose en l'espèce, et l'argument de la défenderesse suivant laquelle elle n'est pas tenue envers les demanderesses en vertu de l'article 55 de la Loi est mal fondé.

Fondamentalement, le juge de première instance était d'avis que, pour qu'un changement de titre en faveur des appelantes soit effectué, il fallait commencer par un transfert des intérêts afférents à l'invention de M. Smith ou de son employeur, Fleming Oil Field Services Ltd. Or, cela ne s'était pas produit. Comme nous l'avons vu, les Fleming ont plutôt tenté de transférer à leurs sociétés de portefeuille J.F.K. Investments Ltd. et Hour Holdings Ltd. leurs intérêts respectifs dans l'invention et le brevet éventuel.

[38]       Les appelantes contestent cette conclusion. On se rappellera que le 11 août 1993, les Flemings ont cédé à J.F.K. Investments Ltd. et à Hour Holdings Ltd. leurs intérêts dans l'invention et dans tout brevet délivré à cet égard. Cela a été suivi de trois autres cessions, le 1er janvier 1996 et le 15 octobre 1997, lesquelles visaient à faire passer le titre d'abord de J.F.K. Investments Ltd. et Hour Holdings Ltd. à 671905 Alberta Inc., puis à Fleming Oil Field Services Ltd., qui a fusionné le 1er juillet 1998 avec M-I Drilling Fluids Canada Inc. pour former une seule société sous cette dernière dénomination sociale.


[39]       Comme le paragraphe 49(1) de la Loi sur les brevets le prévoit, « [u]n brevet peut être concédé à toute personne à qui un inventeur ayant aux termes de la présente loi droit d'obtenir un brevet, a cédé par écrit [...] son droit de l'obtenir [...] » . Le paragraphe 27(1) exige que le commissaire accorde un brevet « à l'inventeur ou à son représentant légal » . Selon le paragraphe 27(2), la demande doit être déposée « par l'inventeur ou son représentant légal » . Cette dernière expression est définie à l'article 2 comme comprenant les « ayants droit, ainsi que toutes autres personnes réclamant par l'intermédiaire ou à la faveur de demandeurs et de titulaires de brevets » . Les appelantes signalent que M. Smith n'a jamais affirmé être propriétaire de l'invention pendant le temps où il travaillait pour Fleming Oil Field Services Ltd. et par la suite, même lorsque les avocats de Fleming l'ont informé qu'une demande de brevet était en instance. De fait, pendant le contre-interrogatoire, on a demandé à M. Smith si le travail qu'il avait accompli à l'égard de l'invention était [traduction] « à son propre profit » , ce à quoi il a répondu : [traduction] « Non » . En outre, les appelantes font mention d'une licence exclusive en date du 1er janvier 1996, accordée à Fleming Oil Field Services Ltd. par 671905 Alberta Inc. ainsi que d'une licence exclusive antérieure accordée verbalement aux fins de l'exploitation de l'invention sur le marché.


[40]       Toutefois, étant donné l'état du dossier, il est difficile de ne pas souscrire à la conclusion que le juge de première instance a tirée sur cet aspect de l'affaire. L'article 27 de la Loi sur les brevets permet qu'une demande soit présentée par « l'inventeur ou son représentant légal » et exige que le commissaire accorde un brevet à l'un ou l'autre, mais J.F.K. Investments Ltd. et Hour Holdings Ltd. ne pouvaient pas être considérées comme le « représentant légal » de l'inventeur à cause de la conclusion qui a été tirée à l'instruction, à savoir que les Fleming, qui avaient tenté le 11 août 1993 de céder à ces sociétés leurs intérêts dans l'invention n'étaient pas eux-mêmes les inventeurs. Eu égard à la preuve, ils ne se sont rien vu accorder par l'inventeur véritable, M. Smith, qu'ils ne puissent de leur côté céder à J.F.K. Investments Ltd. et Hour Holdings Ltd., de façon que ces sociétés deviennent les représentants légaux de l'inventeur.

Appel incident

[41]       Puisqu'il a été conclu que le brevet ne devrait pas être annulé conformément à l'article 53 de la Loi sur les brevets, il n'est pas nécessaire d'examiner l'argument que l'intimée a invoqué dans le cadre de l'appel incident, à savoir que le juge de première instance avait commis une erreur en limitant sa déclaration en vertu de cette disposition aux parties au litige plutôt qu'en déclarant le brevet nul à l'échelle mondiale.


[42]       Le deuxième argument de l'intimée se rapporte à la définition de l'expression « personne versée dans l'art ou la science » telle qu'elle a été acceptée par le juge de première instance. Cette question peut être rapidement tranchée. Les appelantes soutiennent que la Cour n'a pas été régulièrement saisie de la question dans le cadre de l'appel incident parce qu'il n'en a pas été fait mention dans l'avis d'appel incident de l'intimée. Selon l'alinéa 341(1)b) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106, l'intimé qui entend obtenir « la réformation de l'ordonnance portée en appel » doit signifier et déposer un avis d'appel incident selon la forme prescrite. L'alinéa 341(2)b) exige ensuite que l'intimé fasse dans l'avis d'appel incident « un énoncé complet et concis des motifs qui seront invoqués [...] » . L'intimée cherche, au moyen de l'appel incident, à faire modifier la décision du juge de première instance par la présente cour et à faire déclarer l'invention invalide pour cause d'antériorité et d'évidence ainsi qu'à faire déclarer que sa boue de forage ne contrefaisait pas le brevet. L'intimée était donc tenue d'observer l'alinéa 341(2)b) des Règles en contestant la conclusion que le juge de première instance avait tirée au sujet des caractéristiques d'une « personne versée dans l'art ou la science » . Quoi qu'il en soit, même si le point a été soulevé d'une façon valable, il a été statué qu'il incombe au juge de première instance, en sa qualité de juge des faits, de déterminer, en se fondant sur son appréciation de la preuve, les caractéristiques d'une personne versée dans l'art ou la science : Almecon Industries Ltd. c. Nutron Manufacturing Ltd. (1997), 72 C.P.R. (3d) 397 (C.A.F.), page 401. En rendant sa décision, le juge de première instance a retenu une partie de la preuve d'expert et a rejeté des éléments de preuve contraires. Étant donné que le juge n'a commis aucune erreur manifeste et dominante dans son appréciation des faits, la conclusion qu'il a tirée ne devrait pas être modifiée.


[43]       Compte tenu de la conclusion susmentionnée, à savoir qu'il n'aurait pas dû être conclu que le brevet était nul conformément à l'article 53 de la Loi sur les brevets, il faut examiner les moyens de défense fondés sur l'antériorité, sur l'évidence et sur la non-contrefaçon. Le juge de première instance a examiné d'une façon passablement détaillée le moyen de défense fondé sur l'antériorité à la lumière du dossier d'antériorité sur lequel l'intimée se fondait et d'opinions contradictoires exprimées par les témoins experts cités par les deux parties. Comme l'a fait remarquer Monsieur le juge Binnie dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, pages 1040 et 1041, le moyen de défense fondé sur l'antériorité n'est pas facile à établir puisqu'il exige que l'on montre que, comme l'a dit lord Sachs dans l'arrêt General Tire & Rubber Company c. Firestone Tyre & Rubber Company Limited, [1972] R.P.C. 457 (C.A.), page 486, l'inventeur préalable « [doit avoir] pris possession de la destination précise en y laissant sa marque avant de breveté » . Le juge Binnie lui-même a souligné ce point en disant ce qui suit à la page 1040 :

     La défense fondée sur l'antériorité découlant d'une publication est difficile à établir, car les tribunaux reconnaissent qu'il n'est que trop facile, après la divulgation d'une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur. Il faut peu d'ingéniosité pour constituer un dossier d'antériorité lorsqu'on dispose du recul nécessaire.

Le juge de première instance s'est également inspiré de la décision rendue par la présente cour dans l'affaire Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.), où Monsieur le juge Hugessen a fait observer, à la page 297, que « l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée » . Comme l'a dit le juge de première instance, la « personne [...] versée dans l'art ne saurait être tenue de 'reconstituer' l'antériorité » . En fin de compte, le juge n'était pas convaincu que l'intimée eût satisfait à la charge qui lui incombait d'établir que le brevet était invalide pour cause d'antériorité. Nous ne devrions pas modifier cette conclusion en ce qui concerne cet aspect de l'appel.


[44]       L'intimée conteste le rejet par le juge de première instance du moyen de défense fondé sur l'évidence. Contrairement au moyen de défense fondé sur l'antériorité, ce moyen de défense soulève la question de savoir si l'invention, quoique nouvelle, était néanmoins évidente. Comme le juge de première instance l'a fait remarquer, pour établir le moyen de défense fondé sur l'évidence, le défendeur doit démontrer, comme l'a dit le juge Hugessen dans la décision Beloit, précitée, à la page 294, qu'une personne versée dans l'art « serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet » compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes. Tel était, d'une façon générale, le critère proposé par Monsieur le juge Urie dans l'arrêt Beecham Canada Ltd. c. Proctor & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1 (C.A.F.), à la page 27, critère qui est une variante de la « question Cripps » qui se pose dans le domaine du droit anglais des brevets et dont a fait mention la Cour d'appel anglaise dans l'arrêt Allmanna Svenska Elektriska A/B c. Burntisland Shipbuilding Coy. Ld. (1952), 69 R.P.C. 63.


[45]       L'intimée soutient que le juge de première instance a mal compris les publications américaines sur l'état antérieur de la technique sur lesquelles s'appuyait le moyen de défense fondé sur l'évidence. Ces documents comprenaient le brevet Menaul de 1954, le brevet Lummus de 1960 et le brevet Chenevert de 1972. Selon l'intimée, ces brevets enseignaient l'utilisation du nitrate de calcium dans la phase aqueuse d'une émulsion inverse pour prévenir ou réduire l'hydratation des schistes. Aucun des brevets antérieurs n'identifiait le type de « nitrate de calcium » auquel il faisait référence. Toutefois, selon l'intimée, l'utilisation de nitrate de calcium de qualité commerciale en vue de réduire ou de prévenir l'hydratation du schiste est une utilisation évidente d'un produit connu à des fins connues. L'intimée affirme qu'avant le 4 août 1993, les publications antérieures révélaient également l'utilisation de sels doubles azotés et hydratés; elle invoque en particulier le brevet Chenevert de 1972 et le brevet Mondshine de l'année précédente. Enfin, l'intimée soutient qu'en procédant à un essai au mois de janvier 1989, M. Smith appliquait simplement une habileté technique ou vérifiait des prédictions antérieures et qu'il n'avait donc pas fait preuve d'esprit inventif en mettant au point la boue de forage à base d'émulsion inverse qui est décrite et revendiquée dans le brevet.


[46]       La question de diverses publications sur l'état antérieur de la technique a été soulevée auprès des témoins experts à l'instruction. L'expert de l'intimée, M. Thomas Mondshine, était d'avis qu'une personne versée dans l'art cherchant à remplacer le chlorure de calcium par un autre sel dans une boue de forage suivrait la [traduction] « procédure habituelle » en identifiant d'abord un sel ayant une capacité d'action appropriée et en effectuant ensuite des essais [traduction] « pour le niveau d'activité jugé souhaitable » (transcription de l'instruction, volume 5, page 717, ligne 17 - page 718, lignes 1 à 3). M. Martin L. Chenevert, l'un des témoins experts des appelantes, ne partageait pas cet avis. Au paragraphe 63 de l'affidavit qu'il a établi sous serment le 29 septembre 2000, ce témoin a exprimé l'avis selon lequel aucune des publications antérieures [traduction] « ne montre que l'invention a été portée à la connaissance du public avant le 4 août 1993 » et, au paragraphe 64, qu'aucune combinaison d'un ou de plusieurs brevets et publications sur lesquels se fondait l'intimée avec le niveau de connaissances générales communes en l'art ou la science avant le 4 août 1993 [traduction] « ne conduirait une personne versée dans l'art ou la science, mais dénuée d'imagination, directement et sans difficulté, jusqu'à la solution dévoilée » par le brevet. En particulier, le témoin a fait remarquer qu'aucune publication antérieure [traduction] « ne porte sur un sujet chimique aussi complexe, consistant à introduire un sel complexe azoté et hydraté, comme le NACD, dans la phase interne d'une boue à base d'huile afin d'obtenir à la fois la stabilité voulue dans les schistes et une boue écologique » . Un autre témoin expert cité par les appelantes, Robert L. Garrett, a exprimé un avis semblable à celui de M. Chenevert dans son affidavit du 6 mai 2000. Comme le témoin l'a signalé au paragraphe 30, les dommages causés à l'environnement par suite de l'élimination des débris enrobés d'huile ont commencé à préoccuper le public au cours des années 1980. Le témoin a ajouté, au paragraphe 31, que [traduction] « [l]es inventeurs ont découvert un substitut pour le NaCI ou le CaCl2 et un autre qui renferme des constituants à base d'ammoniaque et de nitrate » et qu'un [traduction] « sel double azoté [...] a été sélectionné pour des applications pratiques dans une boue à base d'émulsion inverse améliorée du point de vue écologique » . Le témoin a conclu [traduction] qu' « [o]btenir une protection conférée par un brevet pour ce type de sel semble approprié, car il s'agissait d'une nouvelle technologie que personne n'avait utilisée auparavant, et il n'en était question nulle part dans la documentation » .


[47]       L'intimée soutient que l'invention était évidente parce que M. Smith l'a faite au moyen de la simple application d'une compétence technique en procédant à des essais au mois de janvier 1989 et en examinant par la suite les publications. Il a été statué que lorsqu'un inventeur a simplement à appliquer une compétence technique, il n'y a pas d'esprit inventif : Lightning Fastener Co. Limited c. Colonial Fastener Co., Ltd. et al, [1933] R.C.S. 371, pages 376 et 377. La présente cour partageait fondamentalement le même avis dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précitée, au paragraphe 33. Le juge de première instance s'est inspiré de la décision rendue par la Division générale de la Cour de justice de l'Ontario dans la décision Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58, à savoir que, contrairement à ce qui se produit en Angleterre, un technicien compétent fictif, au Canada, n'est pas tenu de se renseigner ou de procéder à des essais. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel de l'Ontario (1998), 82 C.P.R. (3d) 526. Comme je l'ai signalé ci-dessus, le juge de première instance disposait du témoignage d'un expert selon lequel l'invention n'était pas évidente. Il n'en aurait pas été ainsi si l'invention avait été faite au moyen de la simple application d'une compétence technique.

[48]       Il a été statué que l'évidence est une question de fait qui relève du juge du procès. Ainsi, dans l'arrêt Creations 2000 Inc. c. Canper Industrial Products Ltd. (1990), 34 C.P.R. (3d) 178, Monsieur le juge Hugessen a dit ce qui suit, à la page 183 :

Au fond, la question de l'évidence en est une de faits : voir Counsolboard v. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd., (1981) 56 C.P.R. (2d) 145 à la p. 167, 122 D.L.R. (3d) 203 [1981] 1 R.C.S. 504; Johnson Controls, Inc. c. Varta Batteries Ltd., (1984), 80 C.P.R. (2d) 1, aux p. 15 et 16, 3 C.I.P.R. 1, 53 N.R. 6 (C.A.F.); Beloit Canada Ltd. et al. V. Varmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d), 289 à la p. 296, 7 C.I.P.R. 205, 64 N.R. 287 (C.A.F.). Un tribunal d'appel ne peut donc y intervenir à moins que le premier juge n'ait commis une erreur manifeste dans son appréciation de la preuve ou une erreur de droit.


Dans une décision plus récente, Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., précitée, page 86, la présente cour a confirmé ces avis. Par conséquent, la Cour ne devrait pas modifier la conclusion que le juge de première instance a tirée compte tenu de la preuve, à savoir que l'invention n'était pas évidente, s'il n'est pas démontré que le juge a commis une erreur manifeste dominante dans son appréciation des faits. Il incombait au juge, en sa qualité de juge des faits, de retenir les témoignages des experts des témoins des appelantes sur ce point plutôt que ceux des témoins de l'intimée. L'intimée n'a pas démontré que le juge a commis une erreur en retenant ces témoignages.

[49]       Selon le dernier argument de l'intimée, en fabricant et en vendant sa boue de forage appelée « Q'Max Mud » , l'intimée n'a pas contrefait le brevet. Cet argument peut sembler plutôt théorique étant donné qu'il a été conclu à l'instruction que les appelantes n'ont pas le droit d'intenter des poursuites au sujet du brevet. Néanmoins, étant donné que la question a été examinée à l'instruction et qu'elle a été pleinement débattue en appel, il faut ici en traiter au cas où la conclusion tirée en première instance s'avère inexacte.

[50]       Comme le juge de première instance l'a fait remarquer au paragraphe 101 de ses motifs, l'intimée a admis dans ses plaidoiries qu'elle « avait produit et transporté comme telle une boue d'émulsion inverse, obtenue à l'aide du NACD » et qu'elle avait vendu cette boue au public en Alberta. La revendication 3 du brevet se rapporte à une boue de forage à base d'émulsion inverse d'eau dans l'huile, selon la première revendication [traduction] « où le sel complexe azoté est un nitrate d'ammonium et de calcium décahydraté » , à savoir le NACD. Les revendications 4, 5 et 6 dépendent de la revendication 3. La revendication 9 est une revendication relative à la méthode, selon la revendication 7 ou 8, [traduction] « où le sel complexe azoté est du nitrate d'ammonium et de calcium décahydraté » . Les revendications 10, 11 et 12 dépendent de la revendication 9. La revendication 18 se rapporte à l'utilisation du NACD dans une boue de forage, pour réduire ou prévenir l'hydratation des argiles de formations souterraines.


[51]       L'intimée affirme que, même si elle a utilisé le NACD en fabriquant sa boue de forage, elle n'a pas ainsi contrefait les revendications du brevet parce qu'après que la boue a été mélangée comme l'enseignent les revendications, le nitrate d' « ammonium » n'y était plus présent. De fait, le juge de première instance a convenu que le nitrate d'ammonium « présent dans le NACD serait transformé instantanément en une forme hydratée instable d'ammoniac gazeux » pendant le mélange. Bien sûr, il s'agit d'un argument fort technique car il est clair que le nitrate d'ammonium et de calcium décahydraté présent dans le produit « Envirofloc » est en fait mélangé à l'huile et à d'autres ingrédients afin de produire la boue de forage décrite dans le mémoire descriptif. Tel est son but.

[52]       Il a été statué, compte tenu d'arrêts faisant autorité, que la question de savoir si un brevet a été contrefait est une question de fait qui relève du juge de première instance. Ainsi, dans l'arrêt Consolboard, précité, Monsieur le juge Dickson a dit ce qui suit, à la page 514 :

Une bonne partie des témoignages a porté sur la question de la contrefaçon pendant le procès de 20 jours. C'est essentiellement une question de fait et l'intimée n'a pas, à mon avis, démontré de motif valable de modifier la conclusion qu'il y a eu contrefaçon. Il n'y a pas lieu de changer cette conclusion du juge de première instance.

En outre, les tribunaux ont découragé l'adoption d'une approche trop littérale en ce qui concerne l'interprétation d'un brevet et ont plutôt opté pour l'approche téléologique. Cette approche a encore une fois été soulignée dans l'arrêt Catnic Components Ltd. c. Hill & Smith Ltd., [1982] R.P.C. 183 (C.L.), sur laquelle la Cour suprême s'est fondée dans l'arrêt Whirlpool Corp. c. Camco Inc. [2000] 2 R.C.S. 1067, où le juge Binnie a fait remarquer ce qui suit, à la page 1092 :


Dans l'arrêt Catnic, comme dans la jurisprudence antérieure, ce sont les revendications écrites qui précisent la portée du monopole, mais comme auparavant, on obtient la souplesse et l'équité en différenciant les caractéristiques essentielles ( « l'essence » ) de celles qui ne sont pas essentielles, au moyen d'une lecture éclairée de l'ensemble du mémoire descriptif par la personne versée dans l'art à qui il s'adresse plutôt qu'au moyen du « genre d'analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation » (Catnic, précité, à la p. 243).

Le juge Binnie a fait la même remarque dans l'arrêt Free World Trust, précité, lorsqu'il a dit, à la page 1050, que « [t]raditionnellement, les tribunaux ont protégé le breveté contre les effets d'une interprétation trop textuelle » . De plus, dans l'arrêt Western Electric Co. c. Baldwin International Radio of Canada [1934] R.C.S. 570, Monsieur le juge en chef Duff a signalé, à la page 574, que « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l'inventeur l'exclusivité de ce qu'il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet » .

[53]       Il semble raisonnablement clair que lorsque les revendications du brevet sont interprétées à la lumière de l'ensemble du mémoire descriptif et des autres éléments de preuve retenus à l'instruction, ils visent une boue de forage qui est fabriquée à l'aide de constituants désignés, y compris le NACD. L'intimée a admis qu'elle utilisait le NACD en fabriquant sa boue et qu'elle vendait la boue au public. Il s'ensuit que la conclusion que le juge de première instance a tirée sur ce point ne devrait pas être modifiée. Compte tenu de cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner l'autre prétention de l'intimée selon laquelle elle n'avait pas incité les personnes qui fabriquaient et transportaient la boue de forage pour son compte à contrefaire le brevet ou à utiliser la boue de forage aux sites de forage de puits.


Résumé

[54]       En résumé, la conclusion du juge de première instance selon laquelle Richard Smith, plutôt que James K. Fleming et Harold C. Fleming, était le véritable inventeur ne devrait pas être modifiée. Toutefois, bien que le brevet n'eût pas dû être annulé conformément au paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets parce que la désignation des Fleming à titre d'inventeurs n'était pas une allégation importante volontairement faite pour induire en erreur, la présente cour ne devrait pas faire droit à la demande que l'intimée a présentée en vertu de l'article 52 de la Loi sur les brevets en vue de faire modifier les registres du Bureau des brevets en déclarant que M. Smith est l'inventeur et que M-1 Drilling Fluids Canada Inc. est propriétaire de l'invention. De plus, la conclusion du juge de première instance selon laquelle les appelantes ne pouvaient pas avoir gain de cause dans l'action en contrefaçon ne devrait pas être modifiée. Enfin, les arguments invoqués dans le cadre de l'appel incident selon lesquels le brevet n'est pas valide pour cause d'antériorité et d'évidence et que, de toute façon, il n'y a pas eu contrefaçon ne sont pas des arguments convaincants et ils devraient être rejetés.

Dispositif

[55]       Par conséquent, l'appel devrait être accueilli en partie et le jugement du 15 août 2001 devrait être modifié en supprimant le paragraphe 2 et en le remplaçant par le paragraphe suivant : « Rejette la demande reconventionnelle de la défenderesse » , et en supprimant le paragraphe 3 ainsi que les mots « et de sa demande reconventionnelle » figurant au paragraphe 4, de façon que le jugement dans sa forme modifiée soit ainsi libellé :


LA COUR :

1.              rejette l'action des demanderesses;

2.              rejette la demande reconventionnelle de la défenderesse;

3.              adjuge à la défenderesse les dépens de l'action des demanderesses qui seront taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

Sauf pour les modifications qui sont ainsi effectuées, le jugement devrait être confirmé. Étant donné que le succès est partagé, aucuns dépens ne devraient être adjugés dans l'appel. L'appel incident devrait être rejeté avec dépens.

                                                                                        « A.J. STONE »             

                                                                                                             Juge                        

« Je souscris aux présents motifs.

Marc Noël, juge »

« Je souscris aux présents motifs.

J. Edgar Sexton, juge »

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                               COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            A-560-01

INTITULÉ :                                           671905 Alberta Inc. et M-I Drilling Fluids Canada Inc.

c.

Q'Max Solutions Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATES DE L'AUDIENCE :              Les 1er et 2 avril 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE STONE

Y ONT SOUSCRIT :                         LE JUGE NOËL ET LE JUGE SEXTON

DATE DES MOTIFS :                        Le 2 juin 2003

COMPARUTIONS :

M. Donald Plumley et M. Mark Mitchell            POUR LES APPELANTES

M. Patrick Kierans et Mme Frédérique Amrouni             POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lang Michener

Toronto (Ontario)                                    POUR LES APPELANTES

Ogilvy Renault                                        POUR L'INTIMÉE

Toronto (Ontario)

Montréal (Québec)


Date : 20030602

Dossier : A-560-01

OTTAWA (ONTARIO), LE 2 JUIN 2003

CORAM :                                              LE JUGE STONE

LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

671905 ALBERTA INC. et M-I DRILLING FLUIDS CANADA INC.

                                           appelantes/intimées dans l'appel incident

                                                                                      (demanderesses)

                                                         et

                                 Q'MAX SOLUTIONS INC.

                                               intimée/appelante dans l'appel incident

                                                                                         (défenderesse)

                                              JUGEMENT

L'appel est accueilli en partie et le jugement rendu par la Section de première instance le 15 août 2001 est modifié en supprimant le paragraphe 2 et en le remplaçant par le paragraphe suivant : « Rejette la demande reconventionnelle de la défenderesse » , et en supprimant le paragraphe 3 ainsi que les mots « et de sa demande reconventionnelle » figurant au paragraphe 4, de façon que le jugement dans sa forme modifiée soit ainsi libellé :


LA COUR :

1.              rejette l'action des demanderesses;

2.              rejette la demande reconventionnelle de la défenderesse;

3.              adjuge à la défenderesse les dépens de l'action des demanderesses qui seront taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

Sauf pour les modifications qui sont ainsi effectuées, le jugement est confirmé. Étant donné que le succès est partagé, aucuns dépens ne sont adjugés dans l'appel. L'appel incident est rejeté avec dépens.

                                                                                         « A.J. STONE »                   

                                                                                                             Juge                             

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.

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