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     ITA-7404-95

         DANS L'AFFAIRE DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU,
         -et-
         DANS L'AFFAIRE D'UNE COTISATION OU DES COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU D'UNE OU PLUSIEURS DES LOIS SUIVANTES: LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU, LE RÉGIME DE PENSIONS DU CANADA ET LA LOI SUR L'ASSURANCE-CHÔMAGE,
         -et-
         2203383 CANADA INC.,

     Débitrice-saisie

         -et-
         TALAL ABDALLAH,

     Tiers-saisi défaillant

         -et-
         2854-8816 QUÊBEC INC.,

     Tierce-saisie

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT:

     Sa Majesté la Reine, pour le ministre du Revenu national (la requérante) en appelle d'une ordonnance du protonotaire Morneau qui a rejeté sa requête pour ordonnance provisoire de saisie-arrêt.

     Ayant obtenu jugement contre la débitrice-saisie 2203383 Canada Inc., la requérante a procédé à une saisie-arrêt contre le seul administrateur de cette compagnie, Talal Abdallah. À défaut par ce tiers-saisi de faire une déclaration, il est devenu tiers-saisi défaillant et condamné à son tour à payer à la requérante la somme due par la débitrice-saisie. La requérante a alors requis une ordonnance provisoire de saisie-arrêt contre 2854-8816 Québec Inc., dont Talal Abdallah est l'unique actionnaire, pour "saisir-arrêter toutes sommes dues ou qui deviendraient dues par la compagnie 2854-8815 (sic) Québec Inc., à M. Talal Abdallah et plus particulièrement, toutes les actions que M. Talal Abdallah détient dans la dite compagnie"1. Au soutien de sa demande, la requérante invoquait à la fois la Règle 2300 des Règles de la Cour fédérale et les articles 618 et 625 du Code de procédure civile.

     Estimant que l'affidavit de la requérante n'établissait pas un commencement de preuve à l'égard d'une dette précise, comme l'exige la règle 2300(1)a)2, le protonotaire Morneau s'est fondé sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Champlain Company Limited. c. La Reine [1976] 2 C.F. 481 pour refuser d'émettre l'ordonnance provisoire de saisie-arrêt.

     La requérante en appelle de cette décision. Elle plaide que le protonotaire a erré en négligeant, vu la preuve de faits qui justifiaient l'émission d'un bref visant à saisir-arrêter les actions d'une compagnie privée en vertu des articles 6173 et suivants du Code de procédure civile du Québec, d'exercer la discrétion judiciaire que lui confère le paragraphe 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale4.

     La requérante plaide plus spécifiquement que "le motif invoqué par le protonotaire à l'effet que Sa Majesté la Reine n'avait pas apporté une preuve prima facie d'une créance due ou à devoir par 2854-8816 Québec Inc. à Talal Abdallah, n'est pas en relation avec l'exercice de la discrétion judiciaire prévue au paragraphe 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale, parce que Sa Majesté ne prétendait pas qu'une telle créance existait mais visait plutôt à saisir-arrêter des actions"5.

     Dans la mesure où l'avocate de la requérante invoque à la fois les Règles de la Cour fédérale et le Code de procédure civile du Québec, il importe d'examiner les deux régimes d'exécution forcée des jugements auxquels donne accès le paragraphe 56(1) de la Loi sur la Cour fédérale. Parmi les brefs d'exécution prévus dans les Règles de la Cour fédérale, on retrouve en particulier les brefs de fieri facias (règle 2100 et suivants) et de saisie-arrêt (règle 2300 et suivants). Les règles de cette Cour ne prévoient pas la saisie de certificats d'actions dans une compagnie; on ne peut que grever d'une charge garantissant le paiement de la somme due "... tout droit ou intérêt que le débiteur possède sur ou dans les actions... spécifiées dans l'ordonnance...", aux termes de la règle 2401.

     Dans le Code de procédure civile, des sections distinctes traitent de la saisie-exécution sur des biens meubles (articles 581 à 616.1), de la saisie-exécution des actions de compagnies (articles 617 à 624) et de la saisie-arrêt (article 625 et suivants). Le Code de procédure civile prévoit, quant aux actions de compagnies, deux méthodes d'exécution différentes, selon que le créancier procède à la saisie des certificats (article 617) ou par voie de saisie-arrêt entre les mains de la compagnie qui les a émises (article 618); dans ce dernier cas, l'article 624 renvoie aux règles de la saisie-arrêt énoncées aux articles 625 et suivants du Code.

     En l'espèce rien n'indique que la requérante sait où se trouvent les certificats d'actions; elle n'entend donc pas utiliser le moyen prévu à l'article 617 du Code de procédure civile. Elle désire plutôt, comme elle l'a énoncé à la fois dans l'affidavit au soutien de sa requête pour ordonnance provisoire de saisie-arrêt et dans la présente requête, saisir-arrêter toute somme due ou qui deviendrait due par 2854-8816 Québec Inc., à Talal Abdallah et plus particulièrement les actions qu'il détient dans cette compagnie. Bref, comme l'énonce l'intitulé même de sa requête, elle désire procéder par voie de saisie-arrêt, et ainsi empêcher à la fois le dessaisissement de tout montant dû par la compagnie à son actionnaire, s'il en est, et le transport des actions.

     La façon de procéder à la saisie-arrêt est différente selon les régimes. Alors qu'en vertu du Code de procédure civile, les règles générales relatives à l'exécution forcée prévoient que le bref est préparé par le saisissant et signé et délivré par le greffier du district où le jugement a été rendu (article 555), la règle 2300 énonce qu'une personne créancière aux termes d'un jugement doit s'adresser à la Cour, munie d'un affidavit dans lequel elle doit indiquer, entre autres, "que la personne qui est débitrice aux termes du jugement a une créance échue ou à échoir qui lui est due par une personne se trouvant au Canada".

     L'avocate de la requérante s'autorise de l'article 56 de la Loi sur la Cour fédérale pour soutenir qu'en l'espèce, le protonotaire devait appliquer les articles du Code de procédure civile plutôt que les Règles de la Cour fédérale. J'estime au contraire que l'article 56 de la Loi, de la façon dont il est rédigé, incite au respect des moyens de contrainte prévus par les règles de cette Cour tout en permettant le recours, au besoin, à ceux de la province dans laquelle le jugement doit être exécuté. Sans doute est-il utile, comme l'a rappelé la Cour d'appel fédérale dans Forest c. Hancor Inc. [1996] 1 C.F. 725 (page 738), de favoriser la "complémentarité plutôt que l'incompatibilité entre le droit provincial et le droit fédéral" mais le Code de procédure civile ne saurait l'emporter sur une disposition claire des Règles de la Cour fédérale. En l'occurrence, la règle 2300, et les articles 618 et 625 du Code de procédure civile traitent du même mécanisme de contrainte, mais les moyens d'obtenir un bref de saisie-arrêt diffèrent selon les régimes. C'est celui prévu à la règle 2300 qui doit prévaloir.

     Pour ces motifs, la Cour estime que le protonotaire a eu raison d'appliquer la règle 2300 et de juger insuffisant l'affidavit de la requérante. Son appel est rejeté.

OTTAWA, le 6 novembre 1996

J.C.F.C.

     A N N E X E

555.      Le bref doit contenir la date du jugement à exécuter et le montant de la condamnation; il est préparé par le saisissant et signé et délivré par le greffier du district où le jugement a été rendu.

617.      La saisie des actions de compagnies s'opère par la saisie des certificats qui les représentent, pratiquée en vertu d'une saisie-exécution ou à la suite d'une saisie-arrêt, et notifiée à la compagnie qui les a émis ou à son agent de transfert au Québec.

     Cette notification est faite par l'officier chargé de l'exécution, en signifiant une copie du bref de saisie ou du jugement rendu en vertu de l'article 639, selon le cas, avec la désignation exacte des certificats et un avis que toutes les actions qu'ils représentent sont saisies.

618.      La saisie d'actions du débiteur dans une compagnie qui a son siège social au Québec et dont les actions ne sont pas cotées ni négociées à une bourse reconnue, peut également s'opérer par voie de saisie-arrêt entre les mains de la compagnie qui les a émises. Cette saisie-arrêt emporte défense à la compagnie de faire, de compléter ou de mentionner sur ses registres aucun transport de ces actions, et lui enjoint de comparaître pour déclarer.

624.      Sous réserve des articles qui précèdent, la saisie-exécution des actions de compagnies est soumise aux règles prévues aux sections II et IV du présent chapitre, en autant qu'elles peuvent s'appliquer.

625.      La saisie en main tierce est pratiquée en signifiant au tiers-saisi et au débiteur un bref de saisie-arrêt. Ce bref enjoint au tiers-saisi de comparaître, à la date et à l'heure indiquées, pour déclarer sous serment les sommes qu'il doit au débiteur ou qu'il aura à lui payer, ainsi que les meubles, appartenant à ce dernier et qu'il détient, et de ne pas s'en dessaisir avant que le tribunal n'ait décidé de leur destination. Le bref assigne aussi le débiteur à comparaître au jour fixé, pour faire valoir les motifs pour lesquels la saisie-arrêt ne serait pas valable.

     Si le débiteur n'a ni domicile, ni résidence, ni bureau d'affaires connus, dans le district où le jugement a été rendu, le bref lui est signifié au greffe du tribunal.

__________________

1      Paragraphe 8 de l'affidavit de François Bacave au soutien de la Requête pour ordonnance provisoire de saisie-arrêt et mode spécial de signification visant la tierce-saisie 2854-8816 Québec Inc.

2      2300. (1): Sur demande ex parte d'une personne qui est créancière aux termes d'un jugement, appuyée par un affidavit indiquant que le jugement n'a pas été exécuté et que la personne qui est débitrice aux termes du jugement
         a) a une créance échue ou à échoir qui lui est due par une personne se trouvant au Canada, ou          b) a une créance échue ou à échoir qui lui est due par une personne ne se trouvant pas au Canada et que cette créance est une créance pour laquelle le débiteur saisi pourrait poursuivre cette personne au Canada,
     la Cour pourra ordonner que toutes les créances échues ou à échoir dues au débiteur saisi par ce tiers (ci-après appelé le "tiers saisi" soient saisies-arrêtées pour le paiement de la dette constatée par le jugement et que le tiers saisi expose, aux temps et lieu désignés, les raisons qu'il pourrait avoir de ne pas payer au créancier saisissant la dette qu'il a envers le débiteur saisi ou une fraction suffisante pour l'exécution du jugement.

3      Par souci de commodité, les articles 555-617-618-624 et 625 sont reproduits en annexe.

4      56(1): Outre les brefs de saisie-exécution ou autres moyens de contrainte prescrits par les règles pour l'exécution des jugements ou ordonnances de la Cour, celle-ci peut délivrer des moyens de contrainte visant la personne ou les biens d'une partie et ayant la même teneur et le même effet que ceux émanant d'une cour supérieure de la province dans laquelle le jugement ou l'ordonnance doivent être exécutés. Si, selon le droit de la province, le moyen de contrainte que doit délivrer la Cour nécessite l'ordonnance d'un juge, un juge de la Cour peut rendre une telle ordonnance.

5      Paragraphe 10 de la requête en appel de la décision du protonotaire.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: ITA-7404-95

INTITULÉ : La Loi de l'impôt sur le revenu, Le Régime de pensions du Canada, et La Loi sur l'Assurance-chômage c.

2203383 Canada Inc., Talal Abdallah, et 2854-8816 Québec Inc.

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES MOTIFS D'ORDONNANCE: de L'Honorable juge Denault

EN DATE DU: le 6 novembre 1996

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR

Me Jacinthe Landry POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

PROCUREURS AU DOSSIER:

Sous-procureur général du Canada POUR LA PARTIE REQUÉRANTE Ottawa (Ontario)

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