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Date : 20010316

Dossier : A-834-99

Référence neutre : 2001 CAF 72

CORAM:        LE JUGE STRAYER

LE JUGE LINDEN

LE JUGE SEXTON

ENTRE :

                                                                 JAMES WATT

                                                                                                                                              appelant

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

                                         (Prononcés à l'audience à Vancouver (C.-B.),

                                                         le mercredi 14 mars 2001)

LE JUGE SEXTON


[1]         L'appelant pratique la médecine dentaire en Saskatchewan depuis 1965. En 1967, il a épousé une femme qui avait grandi sur une ferme et l'appelant a par la suite aidé à la ferme appartenant à la famille de son épouse à la fois en ce qui a trait à l'exploitation et aux finances. En 1973, l'appelant et son épouse ont constitué une compagnie et ont commencé à acheter des terres agricoles ainsi que de l'équipement. Les acquisitions étaient généralement payées par des emprunts qui étaient financés par une combinaison du revenu de l'appelant comme dentiste, de la liquidation des REER de l'appelant, du salaire de son épouse comme professeure et de la liquidation de la pension de celle-ci, des revenus des récoltes ainsi que du produit de la vente de la maison de l'appelant à Prince Albert. Après avoir vendu sa maison, l'appelant et sa famille ont habité sur leur ferme. L'exploitation de la ferme consistait à la culture du blé, des pois, du canola, de l'orge et de la luzerne de semence. En 1985, l'appelant a acheté l'équipement de la ferme de la compagnie et 160 acres de ses terres, et a loué le restant des terres de la compagnie. L'appelant est ainsi devenu le nouvel exploitant de la ferme. Au moment de l'achat, il n'existait plus aucun avantage fiscal à ce que la compagnie soit propriétaire de l'entreprise agricole, et l'appelant s'est donc porté acquéreur de l'entreprise agricole à titre personnel en sachant qu'il y aurait certainement des pertes dans un avenir prochain.

[2]         L'appelant a ensuite acheté des terres et de l'équipement additionnels et a construit une usine de nettoyage de graines et un séchoir à grains.

[3]         Pour les années 1992, 1993 et 1994, la ferme de l'appelant a généré des pertes de l'ordre de 72 935 $, 42 345 $ et 86 561 $ respectivement. L'appelant a attribué les pertes de la ferme pour ces années à la mauvaise température, aux problèmes de mauvaises herbes, et au bas prix du grain. Pendant ces années, la ferme comprenait 1298 acres de terre cultivable.


[4]         L'appelant a consacré environ 2000 heures par année à l'exploitation de la ferme et environ 1 500 heures à son cabinet de dentiste. L'appelant a subvenu à ses besoins ainsi qu'à ceux de sa famille durant ces années avec les revenus de son cabinet de dentiste. De 1987 à 1994, la ferme était toujours déficitaire, tandis que son cabinet de dentiste était toujours rentable. Les détails de ce qui précède se présentent de la façon suivante :

                                                                      Annexe « B »

                                                                       Comparaison entre le revenu agricole

                                                                             et les autres sources de revenu

Année

d'imposition

Revenu brut

du cabinet dentaire

Revenu net

du cabinet dentaire

Revenu

agricole

brut

Revenu

(perte)

agricole

net

Autres

revenus

1987

1988

1989

1990

1991

1992

1993

1994

271 371 $

293 502

319 191

323 690

336 510

338 699

379 216

396 488

118 269 $

119 482

131 968

120 339

150 707

135 736

147 673

145 252

97 757 $

89 403

98 280

99 686

129 680

92 196

153 064

146 306

(91 985 $)

(62 404)

(53 409)

(65 353)

(47 047)

(72 935)

(42 345)

(86 561)

9 857 $

3 107

1 401

4 043

19 810

26 379

12 555

13 989

[5]         L'appelant a tenté de déduire les pertes provenant de l'exploitation de la ferme pour les années 1992 à 1994 de ses autres revenus et le ministre a rejeté ces déductions. L'appelant a également demandé des déductions pour amortissement pour certains tracteurs qu'il avait achetés pendant les années en question. Les tracteurs ont été achetés en utilisant de vieux tracteurs à titre d'acomptes pour payer les nouveaux. Le ministre a soutenu que la valeur que l'appelant a attribué aux tracteurs était supérieure à leur juste valeur marchande.

[6]         Le juge de la Cour de l'impôt a rejeté en entier l'appel interjeté par l'appelant.

[7]         En ce qui a trait à la première question en litige, la disposition législative pertinente est le paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu :


31.(1)Pertes provenant d'une activité agricole ne constituant pas la principale source de revenu - Lorsque le revenu d'un contribuable, pour une année d'imposition, ne provient principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source, pour l'application des articles 3 et 111, ses pertes pour l'année, provenant de toutes les entreprises agricoles exploitées par lui, sont réputées être le total des [...]

[8]         Les tribunaux ont fait référence à cet article à plusieurs reprises en examinant des circonstances semblables à celles de la présente espèce. L'arrêt de principe est Moldowan c. La Reine[1].

[9]         Bien que la Cour était en présence de circonstances différentes dans cette affaire, le juge Dickson, tel était alors son titre, a élaboré un critère qui a été suivi depuis lors :

Déterminer si une source de revenu est la principale « source » de revenu d'un contribuable suppose un test à la fois relatif et objectif. [...] Ce qui distingue la principale « source » de revenu du contribuable, c'est l'expectative raisonnable de revenu en provenance des diverses sources, ainsi que ses habitudes et sa façon coutumière de travailler. On peut analyser ces éléments, notamment à lgard de chaque source de revenu, en examinant le temps consacréà celle-ci, les capitaux engagés et la rentabilitéprésente et future.

[10]       Le juge de la Cour de l'impôt, lorsqu'il a rejeté l'appel interjeté par l'appelant, a fait référence à ces 3 facteurs :


[22] Même si l'appelant a témoignéavoir consacréplus de temps à l'agriculture qu la dentisterie durant les années en question, les faits démontrent que le revenu brut tiréde son cabinet dentaire a augmentéconstamment au cours de 1992, 1993 et 1994. Selon la preuve, il a continuéà travailler de la même façon qu'auparavant et sa profession principale était celle de dentiste. De plus, la preuve ne démontre pas qu'il pouvait s'attendre à tirer un revenu de l'agriculture en 1992, en 1993 et en 1994. Malgrécela, il a investi personnellement environ 1,3 M $ dans l'exploitation agricole (sans compter sa maison) ou 13 fois la somme investie dans son cabinet dentaire et il a continuéd'investir après 1994. L'exploitation agricole était subordonnée à la pratique dentaire de l'appelant. Il comptait sur le revenu tiréde la dentisterie pour subvenir aux besoins de sa famille, payer les frais d'intérêts sur sa dette agricole et acquérir des immobilisations pour la ferme. En outre, la dentisterie est demeurée le pivot de sa vie professionnelle. Il en tirait son revenu. Sa pratique a pris de l'expansion et il l'a orientée vers les soins dentaires préventifs, vu la demande croissante de ce genre de services. Il était membre actif de son association professionnelle des dentistes. Par contre, il a continuéd'exploiter la ferme céréalière sans modifier ses pratiques de façon importante et d'y investir malgréles pertes répétées. Rien dans la preuve ne démontre qu'il a participéaux activités d'organisations agricoles.

[11]       Il a également tenu compte du fait que les événements qui selon l'appelant ont entaîné des pertes agricoles, n'étaient pas inhabituels dans le domaine des entreprises agricoles.

[12]       L'appelant a soutenu que le juge de la Cour de l'impôt a, à tort, accordé trop d'importance à la rentabilité présente ou future de l'entreprise agricole et qu'il n'a pas accordé suffisamment d'importance aux autres facteurs auxquels a fait référence le juge Dickson dans l'arrêt Moldowan. Nous ne sommes pas de cet avis étant donné qu'il a effectivement tenu compte des autres facteurs. Le juge de la Cour de l'impôt a examiné en détail les faits relatifs à la rentabilité présente et future et a conclu que l'appelant ne pouvait pas raisonnablement s'attendre à tirer un revenu ou un profit de l'exploitation de la ferme.

[13]       Nous estimons que le juge de la Cour de l'impôt a appliqué correctement la loi quant à cette question comme notre Cour l'a fait remarquer dans La Reine c. Morrissey :

Selon une bonne application du test proposé dans l'arrêt Moldowan, lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, on considère improbable la rentabilitéde l'entreprise agricole en dépit du temps et des capitaux que le contribuable peut et veut bien lui consacrer, la conclusion à tirer selon le fardeau de la preuve en matière civile doit être que l'agriculture n'est pas une source principale de revenu pour l'agriculteur en question. Pour constituer un revenu dans le contexte de la Loi de l'impôt sur le revenu, ce qui est reçu doit être de l'argent ou quelque chose de convertible en argent. Sans rentabilitéréelle ou possible, l'agriculture ne peut être une source principale du revenu du contribuable même si la concession qu'il s'adonnait à l'agriculture avec une expectative raisonnable de profit équivaut à une concession que la preuve peut ne pas confirmer, à savoir que l'agriculture constitue au moins une source de revenu pour le contribuable.


La demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada a été refusée dans l'affaire Morrissey.

[14]       Nous souscrivons aux conclusions de fait du juge de la Cour de l'impôt et particulièrement à celle selon laquelle, pour les années qui font l'objet de l'appel, le cabinet de dentiste de l'appelant est demeuré le pivot de sa vie professionnelle et l'entreprise agricole était accessoire à son cabinet de dentiste. Il a examiné adéquatement tous les facteurs énoncés par le juge Dickson dans l'arrêt Moldowan. En ce qui a trait à la première question, nous ne sommes donc pas en mesure de conclure que le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur.


[15]       En rejetant le présent appel, nous ne voulons pas que le présent arrêt soit interprété comme un manque de compassion envers les fermiers dans la situation de l'appelant. De toute évidence, l'appelant était véritablement impliqué dans l'exploitation de la ferme. Cependant, l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu et les décisions dans lesquelles cet article a été examiné appliquent un critère qui peut, dans certains cas, sembler inéquitable. Bien que nous nous sentions obligés aux termes de la jurisprudence de notre Cour de rejeter le présent appel, nous ne pouvons pas nous empêcher de remarquer les nombreuses causes ayant trait à l'article 31 portées devant la Cour de l'impôt et la Cour qui donnent parfois lieu à des résultats contradictoires. En dépit de l'apparence d'injustice dans certaines de ces causes, lorsqu'un contribuable qui occupe un emploi bien rémunéré est également impliqué de façon importante dans une entreprise agricole déficitaire qui n'est pas une « ferme d'agrément » , le législateur n'a pas réexaminé cette disposition que le juge Dickson a décrit en 1977 comme étant un « paragraphe difficile, mal formulé » . La Cour suprême du Canada ne s'est pas non plus penchée de nouveau sur cette question depuis 1977. Peut-être est-il temps de modifier ou du moins de clarifier cette disposition pour la rendre plus contemporaine.

[16]       En ce qui a trait à la seconde question en litige, le paragraphe 13(33) de la Loi prévoit que lorsqu'un bien usagé est remis en contrepartie lors de l'acquisition d'un bien à l'état neuf, la valeur attribuée au bien donné en contrepartie ne peut pas être supérieure à la juste valeur marchande de ce bien.

[17]       L'appelant n'a présenté aucune preuve indépendante quant à la juste valeur marchande des nouveaux tracteurs ou des tracteurs usagés et le juge de la Cour de l'impôt a conclu que l'appelant n'avait pas réussi à réfuter les hypothèses du ministre relatives à leur juste valeur marchande.

[18]       Nous n'avons identifié aucune erreur manifeste ou dominante de la part du juge de la Cour de l'impôt relativement à cette question.

[19]       L'appel est rejeté avec dépens.

(Signé) « J.E. Sexton »

J.C.A.

Le 16 mars 2001

Vancouver (Colombie-Britannique)

Traduction certifiée conforme

Kathleen Larochelle, LL.B.


                            COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        A-834-99

INTITULÉDE LA CAUSE :            JAMES WATT C. SA MAJESTÉLA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 14 mars 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :    LE JUGE SEXTON

Y SOUSCRIVENT :              LE JUGE STRAYER

LE JUGE LINDEN

EN DATE DU :                                  16 mars 2001

ONT COMPARU :

Thomas Clearwater                                       POUR L'APPELANT

Elizabeth Junkin                                                 POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

Hordo, Ross and Bennet                               POUR L'APPELANT

Vancouver (C.-B.)

Morris Rosenberg                                          POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général

du Canada                                                     



[1]               [[1978] 1 R.C.S. 480]; (1977), 77 DTC 5213


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