Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Alliance for Life c. M.N.R. [1999] 3 C.F. 504

     Date : 19990505

     Dossier : A-94-96

Ottawa (Ontario), le mercredi 5 mai 1999

CORAM :      Le juge STONE

         Le juge LINDEN

         Le juge McDONALD

Entre

     L'ALLIANCE POUR LA VIE,

     appelante,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé

     JUGEMENT

     L'appel est rejeté sans dépens.

     Signé : A. J. Stone

     ________________________________

     J.C.A.

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19990505

     Dossier : A-94-96

CORAM :      Le juge STONE

         Le juge LINDEN

         Le juge McDONALD

Entre

     L'ALLIANCE POUR LA VIE,

     appelante,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), les mardi 24 et mercredi 25 novembre 1998

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le mercredi 5 mai 1999

MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR :      Le juge STONE

Y ONT SOUSCRIT :      Le juge LINDEN

     Le juge McDONALD

     Date : 19990505

     Dossier : A-94-96

CORAM :      Le juge STONE

         Le juge LINDEN

         Le juge McDONALD

Entre

     L'ALLIANCE POUR LA VIE,

     appelante,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge STONE

[1]      Il y a en l'espèce appel formé contre la décision en date du 30 novembre 1995, par laquelle l'intimé donnait à l'appelante avis de son intention de révoquer, en application de l'alinéa 168(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu1, son enregistrement à titre d'oeuvre de bienfaisance à compter de la date de publication de cet avis.

[2]      L'effet de cette révocation sera profond pour l'appelante. Non seulement elle ne sera plus exempte de l'impôt prévu à la partie I à titre d'organisme de bienfaisance enregistré, mais, ce qui est plus important encore, il ne lui sera plus permis de délivrer aux donateurs des reçus officiels pour déduction d'impôt sur le revenu. Sans ce dernier avantage, elle perdra probablement une grande partie de ses moyens pour poursuivre ses objectifs au Canada.

[3]      Lorsque l'affaire fut venue en ordre utile à l'audience de la Cour, la Cour suprême du Canada ne s'était pas encore prononcée sur le pourvoi contre la décision rendue par la Cour de céans, le 6 mars 1998, dans la cause Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. Canada (Ministre du Revenu national)2. Après que la Cour suprême eut rendu son jugement le 28 janvier 19993, notre Cour a fait savoir aux parties qu'elles pouvaient déposer leurs conclusions sur l'applicabilité de ce jugement au principal point litigieux dans cet appel. Après que l'une et l'autre parties eurent soumis leurs conclusions écrites, l'appelante a déposé sa réplique le 17 mars 1999.

     LES FAITS DE LA CAUSE

[4]      Je commencerai par une aperçu général du litige.

[5]      Les faits de la cause se dégagent du dossier de l'instance, sur le contenu duquel les deux parties sont visiblement d'accord. Ce dossier est intégralement constitué de pièces extraites des dossiers de l'intimé et servait de fondement à la décision de celui-ci de révoquer l'enregistrement. Il y a surtout la correspondance entre les parties ainsi que d'autres documents, envoyés ou reçus par l'appelante. Celle-ci n'avait pas reçu le rapport détaillé de l'audit effectué par les vérificateurs internes de l'intimé avant la décision en date du 30 novembre 1995 de ce dernier. L'audit couvre 13 pages de papier ministre et comprend en annexe un grand nombre de documents de travail.

[6]      L'appelante a été constituée en société sans capital-actions en vertu des lettres patentes délivrées par le ministre de la Consommation et des Corporations le 28 mars 1973, avec pour objectifs ce qui suit4 :

     1.      Promouvoir le respect de toute vie humaine dès la conception;
     2.      Célébrer le droit à la vie qui est un droit fondamental de la personne et la source de tous les autres droits;
     3.      Proclamer et défendre le droit à la vie, avant comme après la naissance;
     4.      Renforcer chez les Canadiens la conscience que la société a le devoir de se doter de lois qui protègent ce droit;
     5.      Stimuler la création de groupements pro-vie locaux (sections) à travers le Canada;
     6.      Développer, guider et soutenir ces sections ainsi que les particuliers, dans leurs efforts d'éduquer les gens sur les objectifs visés aux paragraphes 1 à 4 des présentes;
     7.      Coopérer à tous les niveaux avec d'autres organisations, partout et de toutes les façons nécessaires ou souhaitables pour atteindre les objectifs de la société;
     8.      Afin d'atteindre les objectifs ci-dessus, acquérir, accepter, solliciter ou recevoir, notamment par achat, location, contrat, don, legs, ou subvention, tout bien immeuble ou meuble; conclure et exécuter les accords, contrats, conventions et engagements à cet effet.

[7]      Le 9 août 1973, l'appelante a soumis à l'intimé une demande d'enregistrement à titre d'oeuvre de bienfaisance, laquelle demande a été agréée en novembre 1973, pour prendre effet à compter de la date de sa présentation. L'appelante est devenue ainsi un " organisme de bienfaisance enregistré " au sens de l'alinéa 248(1)a ) de la Loi.

[8]      L'appelante est une organisation ouverte, avec un grand nombre de groupements affiliés à travers le Canada. Elle travaille en étroite harmonie avec ces groupements ainsi qu'avec des groupements ou organisations non affiliés mais animés du même idéal. Outre les activités en cause et que nous examinerons plus loin, elle présente encore des mémoires aux organismes publics et organisations privées sur diverses questions comme la procréation médicalement assistée et la puériculture. Elle a aussi financé une étude sur les facteurs sociaux, religieux et économiques que les femmes prennent en compte pour décider de mener à terme ou d'interrompre leur grossesse, et a fait fonction de répartiteur de conférenciers pour les écoles et collèges à travers le Canada.

[9]      Il appert que durant les quinze années qui suivirent, l'intimé n'a jamais mis en doute la nature caritative des objectifs ou activités de l'appelante. Tout cela a changé en 1989. Le 30 octobre 1989, l'appelante fut informée par écrit qu'il y avait eu un audit de ses activités pour les exercices clos le 30 avril 1985 et le 30 avril 1986 respectivement. Elle fut informée qu'elle " aurait enfreint certaines dispositions " de la Loi et que " dans le cas où un organisme de bienfaisance enregistré ne se conforme pas à ces dispositions, le ministre du Revenu national peut en révoquer l'enregistrement selon les modalités prévues au paragraphe 168(2) de la Loi "5. Selon l'intimé, l'appelante n'avait pas consacré toutes ses ressources aux activités de bienfaisance et de ce fait, ne répondait pas à la définition d'" oeuvre de bienfaisance " à l'alinéa 149.1(1)b ) de la Loi. L'intimé a relevé des exemples spécifiques d'activités considérées comme non caritatives, dont la plupart ne visaient pas à l'avancement de l'éducation ou étaient essentiellement de nature politique.

[10]      Il s'en est suivi de nombreuses discussions et correspondances entre les parties au sujet de cette remise en question du statut d'oeuvre de bienfaisance de l'appelante. Dans ce contexte, elles se sont rencontrées au bureau de Winnipeg de l'appelante le 7 mai 1990, pour discuter de la question. Peu de temps après, par lettre en date du 21 juin 1990, l'intimé a réitéré en gros ce qu'il avait fait savoir à l'appelante par la lettre du 30 octobre 1989. Il y résumait aussi ce qui était à son avis les paramètres qu'observent les tribunaux pour conclure au statut d'oeuvre de bienfaisance, notant qu'une organisation donnée n'y a droit en common law que si elle rentre dans l'une au moins des quatre catégories reconnues : secours aux pauvres, avancement de la religion, avancement de l'éducation, autres activités bénéfiques à la société et tenues pour caritatives sur le plan juridique. Comme il ne saurait être question d'aide aux pauvres dans les activités de l'appelante, l'intimé a focalisé son attention sur les trois autres catégories.

[11]      À son avis, ne peuvent être rangées dans la catégorie de l'avancement de la religion que les activités qui visent directement à la " promotion des enseignements spirituels " et à la " préservation des doctrines " religieuses; la promotion de normes éthiques ou morales ne satisfait pas à ce critère. Sur ce point, l'intimé fait encore observer ce qui suit6 :

     [TRADUCTION]

     Bien que le droit à la vie, depuis la conception jusqu'à la mort naturelle, puisse être considéré au sens large par les chrétiens comme la manifestation de la volonté de Dieu, il est évident qu'une grosse partie des écrits publiés par l'Alliance n'a guère de rapport avec l'avancement de la religion, telle que ce concept est défini en common law. En conclusion, nous tenons à vous rappeler que le fait qu'une activité soit entreprise conformément à une conviction religieuse ne signifie pas qu'il s'agit là d'une activité religieuse.         

L'intimé explique qu'une activité n'est considérée comme éducationnelle que si elle vise à la formation de l'esprit et que les documents servant à cette fin soient présentés sans aucun parti pris afin que le lecteur puisse former sa propre opinion sur la thèse présentée. Il estime que les documents diffusés en public par l'appelante visaient à encourager une attitude pro-vie et à faire appel aux émotions et non à l'analyse objective. Il s'ensuit que la diffusion de pareils documents ne pourrait être considérée comme activité éducationnelle. L'intimé s'explique en ces termes7:

     [TRADUCTION]

     La diffusion en public du savoir doit présenter tous les points de vue sur une question donnée afin que les destinataires puissent tirer leurs propres conclusions. Il est vrai qu'aucun processus éducationnel n'est exempt de tout parti pris, mais si la diffusion de l'information vise à persuader le public d'adopter une attitude mentale donnée au lieu de permettre au sujet de tirer lui-même sa conclusion d'une présentation des faits raisonnablement complète et objective, ce processus n'est pas considéré en justice comme éducationnel.         
     Nous trouvons, après examen, que les documents publiés et diffusés par l'Alliance sur la question de l'avortement ne sont pas conformes à son statut. Elle rejette l'avortement comme solution de rechange valable, en raison de son engagement " pro-vie ". Or, pour que l'avancement de l'éducation puisse être considéré comme oeuvre de bienfaisance, la diffusion en public du savoir doit présenter tous les points de vue sur une question donnée afin que les destinataires puissent tirer leurs propres conclusions.         
     Dans ce contexte, si l'Alliance pense que ses activités peuvent se conformer aux paramètres susmentionnés, il faudra qu'elle s'engage par écrit à changer de fonctionnement et d'activités en vue d'une présentation objective des faits.         

En ce qui concerne la quatrième catégorie d'activités de bienfaisance, l'intimé fait observer ce qui suit8 :

     [TRADUCTION]

     Il est important de noter que les activités qui profitent directement ou indirectement à la société ne sont pas toutes nécessairement des activités de bienfaisance sur le plan juridique. Les activités et programmes qui sont considérés comme caritatifs sous ce chef sont ceux que la jurisprudence définit comme tels. Une entreprise ou activité donnée n'est " bénéfique à la société " que si on peut la rapporter aux précédents qui ont expressément reconnu des entreprises ou activités semblables comme caritatives. Nous concluons de notre recension de la jurisprudence applicable que l'Alliance ne saurait être considérée comme oeuvre de bienfaisance sous le quatrième chef.         

[12]      L'intimé reconnaît que l'appelante peut consacrer une petite fraction de ses ressources à des " activités politiques ", pourvu que ces dernières soient accessoires à ses activités de bienfaisance.

[13]      L'intimé suggère ensuite plusieurs options à considérer par l'appelante, dont la formation d'une organisation à but non lucratif pour prendre en charge les activités non caritatives. Au cas où l'appelante opterait pour cette solution, aucune de ses ressources ne pourrait servir au fonctionnement de la nouvelle association, et les dons que celle-ci recevrait ne procureraient aucun avantage fiscal aux donateurs.

[14]      Par réponse en date du 22 novembre 1990, l'appelante a fait connaître les mesures qu'elle se proposait de prendre à la suite de cette conclusion de l'intimé. Ces mesures consisteraient en la formation d'une organisation non caritative distincte " pour s'occuper des activités que d'après votre lettre du 21 juin 1990, le ministère considère comme non caritatives "9, avec engagement de " donner une nouvelle orientation au fonctionnement et aux activités de l'Alliance pour la vie de manière conforme aux vues du ministère ". Et d'ajouter10 :

     [TRADUCTION]         
     Il nous a été donné de savoir qu'il sera mis fin à la vérification en cours dès que vous aurez reçu le présent engagement. Et aussi que vous pourriez procéder à une nouvelle vérification dans les deux ans à peu près de la date de cet engagement afin de vous assurer de son observation, et qu'entre-temps, le statut d'oeuvre de bienfaisance de l'Alliance pour la vie serait pleinement maintenu.         

[15]      L'intimé semblait satisfait de la tournure des choses et, par réponse en date du 16 septembre 1991, donnait quelques " lignes directrices générales " sur les activités à transférer à l'organisation non caritative envisagée. Il demandait expressément à l'appelante de ne pas détruire les livres qui avaient été examinés " puisque votre organisation pourrait faire l'objet d'une nouvelle vérification quant à l'observation de la Loi par suite de ces négociations "11.

[16]      Le 24 janvier 1992, l'appelante fait savoir qu'elle a constitué une organisation à but non lucratif appelée " Alliance Non-Profit Pro Life Action Inc. " (désignée " Alliance Life " ou " AA " dans le dossier) et qu'elle envisageait un " transfert " à cette nouvelle organisation le 1er mai 199212. Celle-ci partagerait ses bureaux et son équipement. Les membres du conseil d'administration seraient les mêmes que ceux de l'appelante.

[17]      L'intimé ayant exprimé des réserves quant à l'" étendue " des objectifs de l'appelante, tels qu'ils figuraient dans les lettres patentes du 28 mars 1973, les parties ont vite convenu que ces objectifs seraient modifiés. Le projet de modification est envoyé à l'intimé au début de 1992, et celui-ci donne son approbation le 28 avril 199213. Lors de l'assemblée générale annuelle de l'appelante, tenue le 24 juin 1992, les nouveaux objectifs ont été adoptés en remplacement des objectifs primitifs, comme suit14 :

     [TRADUCTION]

     1.      Éduquer les Canadiens en ce qui concerne le développement humain, l'expérimentation humaine, la procréation médicalement assistée, l'adoption, l'avortement, la chasteté, l'euthanasie, et d'autres questions touchant la vie humaine;         
     2.      Assurer les services de consultation et d'aiguillage en cas de grossesse imprévue ou de séquelles psychologiques de l'avortement.         
     3.      Fournir les services et les aides d'éducation aux organisations affiliées.         

Les lettres patentes portant modification dans ce sens des lettres patentes primitives de l'appelante ont été délivrées le 23 novembre 1992.

[18]      Moins de deux ans après, l'appelante est informée par lettre en date du 27 avril 1994 que ses livres avaient fait de nouveau l'objet d'un audit, cette fois pour l'exercice clos le 30 avril 1993. Que cet audit était " un suivi des engagements pris par l'organisme de bienfaisance " à la suite de l'audit précédent. Et qu'elle enfreignait toujours certaines dispositions de la Loi. Les chefs de contravention sont exposés dans la lettre qui les rapporte aux activités premières de l'appelante, à l'exception de son service téléphonique 1-800"HELPline". Les voici15 :

     [TRADUCTION]

     " Les résultats de l'audit indiquent que les activités de l'organisme de bienfaisance ne sont pas suffisamment séparées de celles de AA et qu'elles ne sont pas exclusivement caritatives, à preuve les facteurs suivants :         

     1)          Collecte de fonds

     Bien que AA ait été constituée en entité distincte, cette scission a eu pour effet de séparer les fonds reçus selon qu'il y a ou non demande de reçu officiel, et non de débarrasser l'organisme de bienfaisance des activités qui ne sont pas caritatives.         
     Les campagnes de sollicitation des fonds de l'organisme de bienfaisance se servent de l'en-tête d'AA. Cette collecte des fonds a pour objet de persuader le public d'adopter un certain point de vue et de résister aux changements dans la législation en vigueur. La preuve en est constituée par le titre de ces campagnes, savoir " Morgentaler ", " SIRCH ", " All Lives ", et " RU-486 ".         
     Les lettres de sollicitation des fonds portent cette précision : " Pour nous permettre de simplifier notre comptabilité, prière de libeller votre chèque de donation à l'ordre de l'Alliance ". Cela permet aux responsables de déposer les fonds au crédit soit de l'un soit de l'autre fonds. En outre, AA s'est permis de donner aux donateurs le choix de demander ou non un reçu officiel pour déduction d'impôt sur le revenu.         

     2)          Le prêt à AA

     Nous avons précisé dans notre lettre du 11 mars 1992 qu'au cas où l'organisme de bienfaisance envisagerait de prêter des fonds à l'organisation à but non lucratif, il faudrait voir dans l'opération un placement. Il faut que le prêt soit assorti d'une échéance raisonnable, soit proprement garanti et ait tous les attributs d'une transaction entre deux entités indépendantes (l'intérêt fixé et perçu par l'organisme de bienfaisance serait du même ordre que l'intérêt pratiqué sur le marché ouvert entre deux entités entièrement indépendantes l'une de l'autre).         
     Les résultats de l'audit montrent que les fonds transférés à AA étaient initialement ajustés par le biais du compte débiteur; la somme due à l'organisme de bienfaisance était de 41 192,43 $ au 30 avril 1993. Le billet entre les deux entités a été subséquemment signé le 2 juillet 1993, date à laquelle le solde de la créance a été transféré à ce compte d'effets à recevoir. De nombreuses inscriptions ont été faites dans ce compte chaque mois, avec pour résultat final de réduire artificiellement l'effet à recevoir à la somme de 11 855,81 $ au 30 septembre 1993. Les facteurs suivants indiquent que les écritures de redressement ne sont pas raisonnables :         
         -      les écritures de redressement varient selon que le donateur demande ou non un reçu officiel pour déduction d'impôt;         
         -      le coût des collectes conjointes de fonds est réparti selon que le donateur demande ou non un reçu officiel pour déduction d'impôt;         
         -      la somme de 2 500 $ que paie l'organisme de bienfaisance chaque mois pour les services de recherche/collecte de fonds assurés par AA est excessive étant donné que AA utilise aussi les résultats de recherche dans sa publication Actualité Vie, qui n'est pas une activité caritative;         
         -      la ventilation du coût des services fournis à AA est très basse (25 % loyer, 10 % téléphone, et 15 % location de matériel) par suite du chevauchement des fonctions au sein du bureau, du fait que AA se sert également du numéro 1-800 dans ses prospectus, et de la méthode de vente des articles par catalogue.         
     Le prêt ne peut être considéré comme un placement de l'organisme de bienfaisance puisque les modalités n'en font pas une opération entre deux entités indépendantes. En outre, il n'est pas proprement garanti et il n'y a aucun redressement au titre de l'intérêt couru.         

     3)          Vente par catalogue

     Le catalogue ne sépare par proprement les deux organisations ni dans les faits ni en apparence, d'autant plus que la formule de commande qui y est jointe sert à la fois pour AA (pages 1 et 2) et pour l'organisme de bienfaisance (pages 3 et 4). Les ventes sont portées au compte de l'organisation à l'ordre de laquelle le chèque est émis. Il ressort de l'audit que l'organisme de bienfaisance continue à vendre certaines publications attribuées à AA.         
     En outre, la publication et la diffusion d'un grand nombre de publications figurant au catalogue comme articles mis en vente par l'organisme de bienfaisance ne constituent pas une activité caritative. Il ressort de notre examen que les publications de l'organisme de bienfaisance continuent à soutenir un point de vue dans un débat social. Par exemple, ces documents comprennent ceux qui figurent au catalogue sous la rubrique " Articles et documents de recherche ", les trois annonces publicitaires TV pour l'Alliance pour la vie, des articles promotionnels et Actualité Vie.         
     4)          Envois aux bibliothèques         
     Le fait que l'organisme de bienfaisance envoie des compilations aux bibliothèques scolaires ne suffit pas à en faire une activité d'avancement de l'éducation au sens de bienfaisance. Il ressort de notre examen que ces envois consistent en articles choisis des dossiers de recherche, qui font valoir la position pro-vie de l'organisme de bienfaisance, plutôt que de mettre à la disposition du lecteur des informations qui lui permettent de former sa propre opinion sur des questions sociales controversées.         
     5)          Communiqués de presse
     L'Alliance pour la vie diffuse à travers le pays des communiqués de presse, dont le contenu vise à persuader le lecteur d'adopter son point de vue, à preuve les communiqués de presse du 30 septembre 1993 sur les décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Rodriguez et Morgentaler.         
     Il ressort de ce qui précède que l'organisme de bienfaisance n'a pas consacré toutes ses ressources aux activités caritatives et, de ce fait, ne répond pas à la définition d'oeuvre de bienfaisance à l'alinéa 149.1(1)b) de la Loi.         
     Un organisme de bienfaisance enregistré ne conserve ce statut que s'il se conforme aux prescriptions de la Loi en la matière. S'il cesse de s'y conformer, le ministre peut lui donner avis qu'il a l'intention de révoquer son enregistrement en application de l'alinéa 168(1)b) de la Loi.         

[19]      En bref, toutes les allégations ci-dessus se rapportent au reproche central que les activités de l'appelante n'étaient pas caritatives mais au fond politiques. Ces activités politiques, selon l'intimé, étaient entreprises soit directement par l'appelante soit indirectement par le financement irrégulier des activités d'Alliance Action et la confusion irrégulière des activités des deux organisations, dont l'une était censée administrer une oeuvre de bienfaisance et l'autre non.

[20]      L'intimé a développé en ces termes l'allégation que l'appelante était engagée dans des activités politiques en contravention à la Loi16 :

     [TRADUCTION]

     Il a été jugé que les activités visant essentiellement à infléchir l'opinion publique sur une question sociale controversée ne sont pas caritatives, mais politiques au sens juridique. Les activités de ce genre peuvent revêtir les formes suivantes :         
     1.      publications, conférences, séminaires;         
     2.      annonces dans les journaux, les magazines, à la télévision ou à la radio, dans le but de susciter l'intérêt ou de rallier l'opinion au point de vue de l'organisme de bienfaisance sur des questions politiques ou d'orientation sociale;         
     3.      réunions publiques ou manifestations licites, visant à faire la publicité et rallier l'opinion pour le point de vue de l'organisme de bienfaisance sur des questions politiques et d'orientation sociale; et         
     4.      campagnes de lettres " l'organisme de bienfaisance demande à ses membres ou au public d'écrire aux médias et au gouvernement pour exprimer leur soutien pour ses vues sur des questions politiques ou d'orientation sociale.         
     Le fait que pareilles activités sont entreprises par une organisation ayant des objectifs caritatifs n'en rend pas la nature moins politique.         
     Ainsi qu'il ressort de la circulaire d'information 87-1 ci-jointe, " Organismes de bienfaisance enregistrés " Activités politiques accessoires ", une organisation peut consacrer une petite fraction de ses ressources, y compris le travail des bénévoles, à des activités politiques non partisanes, pourvu que ces activités soient accessoires à ses activités de bienfaisance.         
     Il appert au contraire que l'organisme de bienfaisance consacre de considérables ressources financières, matérielles et humaines, à des activités politiques qui ne sont pas accessoires à ses objectifs de bienfaisance. Les activités visant à entraîner des changements dans la législation, dans l'orientation sociale ou dans la mentalité du public sont considérées comme politiques dans leur nature, et non caritatives sur le plan juridique.         
     À titre d'exemples, les activités de ce genre et les dépenses y afférentes comprennent la collecte des fonds, la traduction et la publication d'Actualité Vie et d'autres publications, communiqués de presse et éditoriaux.         
     À la lumière de l'analyse ci-dessus, il appert que l'organisme de bienfaisance n'a pas consacré presque toutes ses ressources aux activités de bienfaisance, et de ce fait, ne satisfait pas aux conditions du paragraphe 149.1(6.2).         

[21]      Il y a eu par la suite d'autres correspondances et discussions entre les parties. L'appelante soutenait fermement qu'elle ne contrevenait pas à la Loi et qu'elle continuait à n'avoir que des activités de bienfaisance, savoir l'avancement de l'éducation et d'autres activités bénéfiques à la société prise dans son ensemble. C'est ce qu'elle expliquait dans une lettre en date du 24 juin 199417 à l'intimé :

     [TRADUCTION]

     Nous sommes heureux de noter que " le ministère reconnaît qu'aucun processus éducationnel n'est dénué de tout parti pris ". Nous sommes cependant convaincus que malgré les buts poursuivis par notre organisation, nous présentons nos documents de façon aussi objective que possible.         
     Les documents de l'Alliance pour la vie sont basés sur les faits. Nous sommes convaincus que nous donnons une présentation complète et objective de ces faits comme des conclusions qui en découlent et que le destinataire est libre d'adopter ou de rejeter. Il est hors de doute que si les mêmes faits avaient été présentés au public de façon complète et objective, notre organisation n'aurait aucune raison d'être. C'est seulement parce qu'ils ne sont pas présentés sur le " marché des idées " par des groupes ayant des convictions opposées que l'existence d'organisations comme la nôtre est nécessaire. Dans ce contexte, la diffusion de nos documents ne vise pas à persuader le public d'adopter une certaine attitude mentale, mais à mettre à sa disposition suffisamment d'informations pour lui permettre de parvenir de lui-même à la conclusion qui, à notre avis, se dégage toute seule de l'appréciation des faits. Il n'est pas tant question de persuasion, qu'entreprise d'assurer un " équilibre " dans l'information diffusée en public.         

[22]      L'appelante conteste en particulier la conclusion tirée par l'intimé que ses activités de collecte des fonds, ventes par catalogue, envois aux bibliothèques et communiqués de presse, n'étaient pas des activités de bienfaisance, et nie qu'elle se soit livrée à des activités politiques en contravention à la Loi18. Elle conteste aussi la qualification du prêt à Alliance Action.

[23]      Dans sa réponse du 5 janvier 1995, Revenu Canada réitère sa conclusion que l'appelante ne répondait pas à la définition d'" oeuvre de bienfaisance " parce que ses ressources n'étaient pas exclusivement consacrées aux activités caritatives. Selon l'intimé, elle a permis l'utilisation de ses ressources par une organisation (c'est-à-dire Alliance Action) qui n'était pas un donataire admissible et qui était engagée dans des activités politiques au-delà des activités accessoires acceptables. Cette fois, l'intimé remet aussi en question l'usage fait par l'appelante de la ligne téléphonique 1-800"HELPline" parce que, dit-il, celle-ci servait à recevoir les demandes de renseignements sur les questions pro-vie, que la formation en consultation des préposés était minime, et que l'orientation pro-vie des groupements figurant sur la liste de recommandation de l'organisation indiquent, entre autres preuves, que celle-ci utilisait cette ligne comme moyen de persuader les indécises de ne pas avorter19.

[24]      Par lettre en date du 17 avril 1995, les comptables de l'appelante insistent encore sur la nature caritative des activités de cette dernière20 :

     [TRADUCTION]

     Nous convenons avec vous que le fait que certaines organisations " diffusent des informations à sens unique " n'a aucun rapport avec cette affaire. Cependant, nous ne pouvons souligner trop vigoureusement que l'Alliance fournit en fait des aides d'éducation ayant pour seul but de mettre des informations à la disposition à quiconque entend tirer sa propre conclusion d'une présentation raisonnablement complète et objective des faits. Il n'est pas possible pour qui que ce soit de juger si l'Alliance a atteint ces objectifs puisque chacun a sa propre opinion d'un extrême à l'autre du spectre. Tel est cependant le lot de tout programme éducationnel. Le fait que certaines questions traitées puissent prêter à controverse ne signifie pas qu'il n'y ait pas éducation en la matière. Au contraire, toute éducation comprend discussions, débats, et souvent controverse et désaccord. Par ailleurs, vous ne pouvez juger les résultats du programme d'éducation de l'Alliance sans tenir compte de sa longue histoire et sans une analyse en profondeur de ses programmes. N'oublions pas qu'elle a été reconnue en 1992 conformément aux prescriptions de Revenu Canada.         

Les comptables de l'appelante s'attaquent à chaque chef de contravention avancé par l'intimé dans sa lettre du 5 janvier 1995. Ils demandent diverses " explications " relatives à l'assertion par ce dernier que l'appelante et Alliance Action n'étaient pas suffisamment séparées, et posent cette question : " Veuillez expliquer sur quoi vous vous basez pour faire pareille affirmation? Y a-t-il un document de travail avec des chiffres qui la justifient? ". Cette lettre des comptables, datée du 17 avril 1995, n'a reçu aucune réponse avant l'envoi de la notification du 30 novembre 1995.

[25]      Dans cette notification du 30 novembre 1995, l'intimé résume comme suit les motifs de révocation de l'enregistrement21 :

     [TRADUCTION]

     Selon votre lettre du 24 juin 1994, l'audit a eu lieu juste un an après la réorganisation des activités de l'organisme de charité et d'Alliance Action (" AA "), l'organisation à but non lucratif, et vous estimez que ce laps de temps devrait être considéré comme une période de tâtonnements. En fait, cet audit a été effectué 17 mois après la réorganisation. Nous ne pensons pas que la période de vérification doive être considérée comme une période d'apprentissage, et avons conclu que l'organisme de charité n'a pas respecté l'engagement qu'elle avait pris auprès du ministère le 22 novembre 1990.         
     Dans sa lettre qu'il lui a initialement envoyée le 30 octobre 1989 au sujet de l'audit des exercices clos le 30 avril 1985 et le 30 avril 1986 respectivement, notre ministère a expliqué pourquoi il ne pensait pas que l'organisme de charité remplissait les conditions requises pour conserver son enregistrement. Il ressort de ces audits que les activités de l'organisme de bienfaisance n'étaient pas éducationnelles au sens caritatif, mais plutôt politiques.         
     Des représentants de notre Division des organismes de bienfaisance se sont rendus à votre bureau à Winnipeg le 7 mai 1990 pour mieux expliquer notre point de vue et recueillir vos observations. La position du ministère a été expliquée de nouveau dans une lettre en date du 21 juin 1990 à l'organisme de charité, qui, par lettre datée du 22 novembre 1990, a répondu qu'il créerait une organisation à but non lucratif (Alliance Action) pour s'occuper des activités que le ministère ne considérait pas comme caritatives.         
     Vous nous avez informé par la suite que AA a été constituée le 12 juillet 1991. À votre demande, nous avons accepté que le transfert des activités non caritatives de l'organisme de bienfaisance à AA se fasse le 1er mai 1992. Nous estimons que l'organisme de bienfaisance s'est vu accorder un délai suffisant pour remplir son engagement du 22 novembre 1990.         
     Nous avons examiné les observations contenues dans vos lettres du 14 juin 1994 et du 17 avril 1995, mais devons vous informer qu'elles ne dissipent en rien nos réserves. En conséquence, nous avons conclu que l'organisme de bienfaisance ne répond pas à la définition d'oeuvre de bienfaisance au paragraphe 149.1(1) et, de ce fait, ne satisfait pas aux conditions du paragraphe 149.1(6.2) de la Loi.         

[26]      L'intimé fait également savoir que l'appelante avait excédé la limite de 10 p. 100 applicable aux ressources consacrées aux activités politiques. Les dépenses faites au titre de la collecte de fonds et les frais de traduction de la publication " Actualité Vie " d'Alliance Action pour l'exercice 1993 représentaient 15 p. 100 des recettes totales. D'autres ressources identifiées comme ayant été consacrées aux activités politiques comprenaient le travail des administrateurs et du personnel dans le parrainage conjoint de la conférence annuelle de Campaign Life Coalition, les communiqués de presse, les divers éditoriaux et annonces publicitaires. Outre l'exonération de l'intérêt sur le prêt, l'intimé estime qu'une somme de 55 851 $ avait été avancée à Alliance Action, qui est une organisation d'action politique. L'intimé conclut de cette analyse que l'appelante ne consacrait pas " presque toutes ses ressources aux activités de bienfaisance ", comme le requiert le paragraphe 149.1(6.2) de la Loi. Il continue à soutenir que ses activités n'étaient pas suffisamment séparées de celles d'Alliance Action, bien que chaque organisation ait ses propres compte en banque, factures, reçus et feuille de paye. Il affirme encore que " cette séparation a pour but de séparer les fonds provenant de dons avec reçu officiel pour déduction d'impôt, et les fonds provenant de dons sans reçu, et non de transférer les activités non caritatives de l'organisme de bienfaisance à AA "22. Quant à la ligne téléphonique "HELPline", l'intimé considère que si les conseils visant à aider une femme désireuse de mener sa grossesse à terme étaient une activité de bienfaisance, " les conseils visant à persuader une femme de ne pas avoir un avortement ne l'étaient pas "23.

     LES POINTS LITIGIEUX

[27]      Il échet au premier chef d'examiner si la décision prise par l'intimé de révoquer l'enregistrement de l'appelante à titre d'" oeuvre de bienfaisance " était fondée sur le plan juridique. Dans l'affirmative, il serait nécessaire d'examiner les autres points soulevés par l'appelante, savoir : a) si elle s'est vu dénier l'équité procédurale dans le processus de révocation; b) si elle était légitimement en droit d'attendre que l'intimé se comporte à son égard après le second audit de la même façon qu'à la suite du premier; c) si l'intimé était irrecevable à rapporter l'approbation antérieurement accordée à certaines publications de l'appelante; et enfin, d) s'il y a eu atteinte à la liberté d'expression de l'appelante, telle qu'elle est garantie par l'alinéa 2b ) de la Charte canadienne des droits et libertés.

     ANALYSE

[28]      Je vais examiner en tout premier lieu si l'intimé a commis une erreur en concluant que l'appelante n'est pas une " oeuvre de bienfaisance " au sens de la Loi.

Les textes applicables

[29]      Le pouvoir qu'a l'intimé de révoquer l'enregistrement d'une oeuvre de bienfaisance est prévu au paragraphe 168(1) de la Loi, que voici :


168(1)      Where a registered charity or a registered Canadian amateur athletic association

     (a) applies to the Minister in writing for revocation of its registration,
     (b) ceases to comply with the requirements of this Act for its registration as such,

     "

the Minister may, by registered mail, give notice to the registered charity or registered Canadian amateur athletic association that the Minister proposes to revoke its registration.

168(1)      Le ministre peut, par lettre recommandée, aviser un organisme de bienfaisance enregistré ou une association canadienne enregistrée de sport amateur de son intention de révoquer l'enregistrement lorsque l'organisme de bienfaisance enregistré ou l'association canadienne enregistrée de sport amateur, selon le cas :

     a) s'adresse par écrit au ministre, en vue de faire révoquer son enregistrement;
     b) cesse de se conformer aux exigences de la présente loi relatives à son enregistrement comme telle; "

[30]      Le concept d'" organisme de bienfaisance " est défini au paragraphe 149.1(1) comme s'entendant également d'" oeuvre de bienfaisance ", lequel concept est aussi défini au même paragraphe, notamment comme suit :


"charitable organization" means an organization, whether or not incorporated,

     (a) all the resources of which are devoted to charitable activities carried on by the organization itself, "

" oeuvre de bienfaisance " Œuvre, constituée ou non en société :

     a) dont la totalité des ressources est consacrée à des activités de bienfaisance qu'elle mène elle-même; "

[31]      La définition d'" oeuvre de bienfaisance " doit être saisie à la lumière du paragraphe 149.1(6.2), qui porte :


149.1(6.2) For the purposes of the definition "charitable organization" in subsection (1), where an organization devotes substantially all of its resources to charitable activities carried on by it and

     (a) it devotes part of its resources to political activities,
     (b) those political activities are ancillary and incidental to its charitable activities, and
     (c) those political activities do not include the direct or indirect support of, opposition to, any political party or candidate for public office,

the organization shall be considered to be devoting that part of its resources to charitable activities carried on by it.

149.1(6.2) Pour l'application de la définition de " oeuvre de bienfaisance " au paragraphe (1), l'oeuvre qui consacre presque toutes ses ressources à des activités de bienfaisance est considérée comme y consacrant la totalité si les conditions suivantes sont réunies :

     a) elle consacre la partie restante de ses ressources à des activités politiques;
     b) ces activités politiques sont accessoires à ses activités de bienfaisance;
     c) ces activités politiques ne comprennent pas d'activités directes ou indirectes de soutien d'un parti politique ou d'un candidat à une charge publique ou d"opposition à l'un ou à l'autre.

Le concept d'" organisme de bienfaisance enregistré " est défini à l'alinéa 248(1)a ) de la Loi comme suit :


248(1) In this Act,

"

"registered charity" at any time means

     (a) a charitable organization, private foundation or public foundation, within the meanings assigned by subsection 149.1(1), that is resident in Canada and was either created or established in Canada, or

     "

that has applied to the Minister in prescribed form for registration and that is at that time registered as a charitable organization, private foundation or public foundation.

248(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

"

"organisme de bienfaisance enregistré" L'organisme suivant, qui a présenté au ministre une demande d'enregistrement sur formulaire prescrit et qui est enregistré, au moment considéré, comme oeuvre de bienfaisance, comme fondation privée ou comme fondation publique:

     a) oeuvre de bienfaisance, fondation privée ou fondation publique, au sens du paragraphe 149.1(1), qui réside au Canada ou qui y a été constituée ou y est établie; "

Les principes juridiques applicables

[32]      Les principes de droit applicables en la matière au Canada ont leur source dans l'arrêt Commissioners of Income Tax v. Pemsel24, où lord Macnaghten définit " oeuvre de bienfaisance " au sens juridique comme recouvrant les quatre principales catégories suivantes :

     [TRADUCTION]

     " fiducies pour les secours aux pauvres; fiducies pour l'avancement de l'éducation; fiducies pour l'avancement de la religion; et fiducies pour d'autres fins bénéfiques à la société et ne relevant d'aucune des catégories susmentionnées.         

La classification de l'arrêt Pemsel, fondée sur la loi Charitable Uses Act25 communément connue sous le nom de Loi d'Elizabeth, est encore de nos jours à la base de la jurisprudence en matière d'oeuvres de bienfaisance, en Angleterre comme au Canada.

[33]      La jurisprudence dans les deux pays pose que la méthode d'analyse à adopter dans chaque cas, tout en étant conforme aux principes, doit être suffisamment souple pour prendre en compte l'évolution des besoins de la société et de la conception de ce qui peut être régulièrement considéré comme caritatif. C'est ainsi que dans In Re Hopkins' Will Trusts26, le juge Wilberforce s'est prononcé en ces termes :

     [TRADUCTION]

     J'en viens donc au seul point de droit en l'espèce : le don revêt-il un caractère caritatif? La société a fait valoir une qualification alternative, savoir l'éducation et les fins bénéfiques à la société, qu'elle plaide séparément. Ce compartimentage découle de la classification reconnue en quatre groupes des divers chefs énumérés dans la Loi d'Elizabeth (43 Eliz. 1, c. 4). Cette loi, dont seul le préambule a été retenu dans la loi Mortmain and Charitable Uses Act, 1888, a perdu jusqu'à cette place précaire dans le recueil des lois lorsque la loi de 1888 fut abrogée par la loi Charities Act de 1960, mais la classification quelque peu ossifiée qui en découlait survit dans la jurisprudence. C'est là un état de choses peu satisfaisant puisque les limites des " fins éducatives " (comme des autres catégories) ont été élargies et ne sont pas faciles à saisir avec précision, et parce que, pour ce qui est de la quatrième catégorie, il a été jugé que la condition nécessaire était la constatation par le juge de l'existence d'un bénéfice pour le public dans l'esprit de l'ancienne loi élisabéthaine. La difficulté qu'il y a à parvenir à ce résultat tout en veillant à ce que la conception juridique de ce qui est caritatif soit raisonnablement en harmonie avec les besoins des temps modernes, explique ce que lord Simmonds a accepté comme l'approche du cas d'espèce des tribunaux; voir National Anti-Vivisection Society v. Inland Revenue Commissioners [(1948) A.C. 31, 63 T.L.R. 424; [1947] 2 All E.R. 217, H.L.]. Il y a en fait des exemples d'oeuvres de bienfaisance admissibles qui ne relèvent pas définitivement d'une catégorie par rapport aux autres. On peut citer les instituts de recherche scientifique (voir National Anti-Vivisection, motifs prononcés par lord Wright), les musées (voir In re Pinion [[1963] 3 W.L.R. 778]), la préservation des anciens cottages (In re Cranstown [[1932] 1 Ch. 537; [1932] 48 T.L.R. 226]), et même la promotion du drame shakespearien (In re Shakespeare Memorial Theatre Trust [[1923] 2 Ch. 398; 39 T.L.R. 676]). Tel pourrait être le cas de l'affaire en instance.         

                                 [non souligné dans l'original]

[34]      Siégeant en Chambre des lords quatre ans après, lord Wilberforce est parvenu essentiellement à la même conclusion dans Scottish Burial Reform and Cremation Society Ltd. v. Glasgow Corporation27, où il voyait dans les règles de droit en matière d'oeuvres de bienfaisance " une matière mouvante qui est peut-être en évolution dès 1891 ". C'est ce qu'a réitéré plus récemment la Chambre des lords dans Inland Revenue Commissioners v. McMullen28. Il en est de même au Canada où notre Cour a conclu que les règles applicables aux oeuvres de bienfaisance doivent s'adapter aux besoins et attitudes propres à la société canadienne; voir Native Communications Society of British Columbia c. M.R.N.29, Positive Action Against Pornography c. M.R.N.30. Dans le même temps, notre Cour a limité la qualification de fiducie valide " pour l'avancement de l'éducation ", savoir la deuxième catégorie de la classification de lord Macnaghten, à celles qui ont pour objet soit l'enseignement formel soit l'amélioration d'une branche utile du savoir humain31.

[35]      Tout " matière mouvante " qu'elles soient, les règles régissant les oeuvres de bienfaisance ne tolèrent guère que des fins ou activités politiques soient tenues pour caritatives. Cette attitude est illustrée par le 149.1(6.2) relatif aux activités de la Loi, qui dispose que les activités politiques doivent être " accessoires " aux activités de bienfaisance et que l'organisation concernée demeure tenue de consacrer " presque toutes " ses ressources à ces dernières. Revenu Canada a interprété l'ensemble " presque toutes " comme signifiant que 10 p. 100 au maximum des ressources d'une organisation peut être consacré au cours d'une période donnée aux activités politiques admissibles32, et les mots " activités politiques " comme embrassant un " vaste éventail d'activités qui ont généralement pour but de faire changer la législation et la politique "33. Il reste, comme nous le verrons infra, une certaine difficulté à déterminer quelles activités sont " politiques " dans cette branche du droit.

[36]      Au cours de ces dix dernières années, notre Cour avait tendance à adopter dans ses décisions les vues exprimées jadis dans la jurisprudence d'Angleterre34. La qualification de " fins politiques " faite dans McGovern v. Attorney General35 par le juge Slade qui s'inspirait des décisions de la Chambre des lords et d'autres juridictions, est celle que notre Cour a appliquée le plus souvent. Cette dernière cause portait sur la question de savoir si les fins poursuivies par Amnesty International Trust étaient exclusivement caritatives au regard de la loi anglaise applicable. Répondant par la négative, le juge Slade s'est prononcé en ces termes36 :

     [TRADUCTION]

     Me fondant principalement sur les arrêts Bowman, [1917] A.C. 406, et National Anti-Vivisection Society, [1948] A.C. 31, je résume en conséquence mes conclusions sur les fiducies pour fins politiques comme suit. (1) À même supposer qu'à d'autres égards elle soit conforme à l'esprit du préambule de la Loi d'Elizabeth, une fiducie pour fins politiques correspondant à l'esprit des critères définis par lord Parker dans la cause Bowman ne peut jamais être considérée comme bénéfique au public au point d'être considérée comme caritative sur le plan juridique. (2) Les fiducies pour fins politiques correspondant à l'esprit de ces critères comprennent entre autres celles ayant pour but direct et principal, soit (i) de promouvoir les intérêts d'un certain parti politique; soit (ii) de provoquer des changements dans les lois du pays; soit (iii) de provoquer des changements dans les lois d'un pays étranger; soit (iv) de provoquer un changement dans les politiques ou dans certaines décisions des autorités gouvernementales du pays; soit (v) de provoquer des changements dans les politiques ou dans certaines décisions des autorités gouvernementales d'un pays étranger.         

La promotion ou la défense d'un changement dans la loi, dans son administration ou dans la politique générale, n'est donc pas considérée comme une fin caritative37. La raison pour laquelle une fin politique n'était pas tenue pour caritative a été expliquée en ces termes par lord Parker of Waddington dans Bowman v. Secular Society, Ltd.38 :

     [TRADUCTION]

     " une fiducie poursuivant une fin politique a toujours été inadmissible, non pas parce qu'elle est illégale car tout un chacun est libre de défendre ou de promouvoir par tout moyen licite un changement dans la législation, mais parce que le juge n'a aucun moyen de déterminer si le changement recherché dans la loi sera bénéfique au public ou non"         

Je présume qu'il est question dans le passage ci-dessus de l'aptitude de la juridiction saisie à contrôler ou à réformer une fiducie donnée. Il se trouve aussi que dans le contexte canadien, les activités des organismes de bienfaisance enregistrés sont en fait subventionnées par les deniers publics puisque les dons sont déductibles du revenu imposable.

[37]      Dans McGovern, op. cit., le juge Slade a souligné que sa qualification des " fins politiques " n'entendait pas être exhaustive39. Dans Positive Action Against Pornography40, notre Cour, s'inspirant de cette jurisprudence, a conclu que certaines fins ne correspondant pas aux paramètres qui y étaient exposés, étaient quand même politiques sur le plan juridique. Plus récemment, dans Human Life International of Canada c. M.R.N.41, notre Cour a explicitement jugé que " le fait de soutenir " des opinions sur diverses questions sociales importantes "42 était une " activité politique ", donc non caritative dans le cas d'espèce.

[38]      C'est à la lumière de la toute récente décision Vancouver Society43 qu'il faut considérer les règles actuellement applicables aux oeuvres de bienfaisance au Canada. Il est important d'analyser cette décision en détail avant d'examiner si l'appelante demeure une " oeuvre de bienfaisance " au sens de la Loi. Dans l'affaire susmentionnée, la Cour suprême s'est penchée, pour la première fois depuis plus de 25 ans, sur l'application des règles applicables aux oeuvres de bienfaisance au Canada. Sa décision contribue considérablement à la compréhension des principes propres à cette branche du droit et de leur application.

[39]      La " Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women " (la Société) avait modifié ses objectifs comme suit :

     2.      a.      organiser des rencontres, des cours, des ateliers et des séminaires éducatifs à l'intention des immigrantes afin qu'elles puissent se trouver du travail comme salarié ou travailleur autonome;         
         b.      mener des activités politiques, dans la mesure où ces activités sont accessoires aux fins énumérées ci-dessus et où elles ne comprennent pas d'activités directes ou indirectes de soutien d'un parti politique ou d'un candidat à une charge publique ou d'opposition à l'un ou à l'autre;         
         c.      recueillir des fonds au moyen de sollicitations auprès des gouvernements, des personnes morales ou des particuliers afin de poursuivre les fins décrites ci-dessus.         
         d.         
         e.      offrir des services et faire toutes choses accessoires ou propres à assurer la réalisation des fins énoncées ci-dessus, y compris solliciter des fonds auprès des gouvernements et d'autres sources pour la mise en oeuvre des objectifs mentionnés précédemment.         

[40]      L'intimé a refusé de l'enregistrer à titre d'" oeuvre de bienfaisance " parce que son cas ne s'apparentait pas à celui dont connaissait notre Cour dans Native Communications Society of British Columbia44 et qu'elle ne poursuivait pas " l'avancement de l'éducation ". À son sens, l'objectif b) était " politique ", donc non caritatif, et la Société n'avait pas fait la preuve qu'elle " consacrait presque toutes ses ressources aux activités de bienfaisance ". Les activités telles que la participation au réseau d'entraide, les services d'aiguillage, les interventions en matière d'agrément professionnel, les sollicitations d'offres d'emplois et la tenue d'un répertoire des compétences, n'étaient pas considérées comme caritatives. Notre Cour a convenu que la Société n'était pas admissible à l'enregistrement à titre d'" oeuvre de bienfaisance ", notamment par ce motif que ses objectifs étaient trop vagues et incertains.

[41]      La Cour suprême a confirmé, par une mince majorité, le jugement de notre Cour, quoique par un raisonnement quelque peu différent. Prononçant le jugement de la majorité, le juge Iacobucci est d'avis que la fin énoncée à l'alinéa e) était une fin caritative valide, savoir " l'avancement de l'éducation " au regard de la deuxième catégorie de la classification faite par lord Macnaghten dans Pemsel . Par contre, il ne voit pas que l'objectif d'aider les femmes à s'intégrer dans la société en leur trouvant du travail s'inscrive dans la quatrième catégorie de cette classification, " autres fins bénéfiques à la société et ne relevant d'aucune des catégories susmentionnées ". La présence des fins énoncées aux alinéas b) et c) ne rendait pas la Société inadmissible au statut d'" oeuvre de bienfaisance ". Ces dispositions ne faisaient que l'autoriser à se livrer à des activités politiques et à collecter des fonds, à titre d'" activités accessoires " à l'objectif énoncé en a). En fin de compte, le juge Iacobucci déclare les activités prévues à l'alinéa e) " trop vagues et imprécises pour rendre " admissible au statut d'organisme de bienfaisance enregistré suivant la quatrième catégorie énoncée dans Pemsel ", concluant qu'il était difficile de dire si l'objectif en question décrivait " un moyen de réaliser une fin ou une fin en soi " et ce, en raison de la présence des mots " propre à assurer ".

[42]      Le juge Gonthier, prononçant les motifs dissidents de la minorité, convient avec le juge Iacobucci que la fin visée à l'alinéa a) était une fin de bienfaisance valide au titre de la " promotion de l'éducation ". Il n'est cependant pas d'accord que l'objectif de la Société ne fût pas caritatif au titre de la quatrième catégorie de la classification faite par lord Macnaghten dans Pemsel . Il convient avec le juge Iacobucci que les fins visées aux alinéas b) et c) ne rendaient pas la Société inadmissible à l'enregistrement, mais n'est pas d'accord que la fin visée à l'alinéa e) fût inadmissible en raison des termes employés dans sa formulation.

[43]      Je vais essayer maintenant de dégager certaines prescriptions spécifiques de la jurisprudence Vancouver Society :

     a)      La Loi ne disant pas en quoi consiste la " bienfaisance ", le juge doit se guider sur le sens donné à ce concept en common law.
     b)      Dans ce processus, le point de départ est toujours la classification faite par lord Macnaghten dans Pemsel, qui est généralement tenue pour un renvoi au préambule de la Loi d'Elizabeth. Il appartient certes au juge de décider ce qu'est la bienfaisance, mais, comme l'a fait observer le juge Iacobucci au paragraphe 146, " [le préambule] s'est avéré une riche source d'exemples, et le droit relatif aux organismes de bienfaisance s'est développé par voie d'analogie avec les fins y énumérées ".
     c)      Ainsi que la Cour suprême l'a posé dans Guaranty Trust Co. v. Minister of National Revenue45 et réitéré dans Vancouver Society, n'est considérée comme caritative que l'oeuvre qui est utile à l'ensemble ou à un groupe appréciable de la société. Au paragraphe 148, le juge Iacobucci voit dans cette condition " une condition nécessaire, mais insuffisante, pour permettre de conclure à l'existence d'une fin de bienfaisance en common law. Si cette condition n'est pas respectée, la fin en cause ne peut alors pas être considérée comme une fin de bienfaisance "46. Cette condition n'est pas la même que celle définie par lord Macnaghten pour la quatrième catégorie de sa classification. Ainsi que l'a fait observer le juge Iacobucci au paragraphe 147 : " Ce caractère public est une condition applicable à toutes les catégories d'organismes de bienfaisance, bien qu'elle soit parfois atténuée dans le cas des organismes oeuvrant au soulagement de la pauvreté ".
     d)      Bien que le paragraphe 149.1(1) de la Loi soit centré sur les " activités de bienfaisance " et non sur les fins, le juge Iacobucci fait observer au paragraphe 152 que s'il est nécessaire d'examiner les activités de l'organisation en cause, " c'est en réalité la fin pour laquelle une activité est exercée, et non le caractère de l'activité elle-même, qui détermine s'il s'agit d'une activité de bienfaisance "47.
     e)      Ainsi que le fait observer le juge Iacobucci au paragraphe 154, la définition de " fondation de bienfaisance " et d'" oeuvre de bienfaisance " exige par ses termes mêmes que " toutes les fins ou les activités de la fondation ou de l'oeeuvre, selon le cas, soient des fins ou activités de bienfaisance ". Il s'ensuit que " seraient des activités exclusivement de bienfaisance celles qui tendent directement à la réalisation de fins de bienfaisance et non d'autres fins n'ayant pas ce caractère "48.
     f)      La condition posée au paragraphe 149.1(1) que la totalité des ressources de la fondation ou l'oeuvre de bienfaisance soit consacrée aux fins caritatives est tempérée par les exceptions prévues aux paragraphes 149.1(6.1) et (6.2) de la Loi, qui permettent, aux conditions prévues, l'affectation d'une fraction de ces ressources à des " activités politiques ". Ainsi que le fait observer le juge Iacobucci au paragraphe 155, faute de respecter les conditions du paragraphe 149.1(6.2), " un organisme qui consacre presque toutes ses ressources, mais non toutes, à des activités de bienfaisance ne satisferait pas à la condition générale d'affectation exclusive des ressources à la bienfaisance qui figure aux définitions de "fondation de bienfaisance" et d'"oeuvre de bienfaisance" au par. 149.1(1) ".
     g)      Il rappelle, au paragraphe 157, qu'une fin qui ne peut être considérée comme caritative en soi peut être admissible si elle se rapporte à une fin de bienfaisance proprement dite. Et d'ajouter au paragraphe 158 :
             La principale proposition qui se dégage de cette conclusion est que même le fait de poursuivre une fin qui n'est pas en soi une fin de bienfaisance peut ne pas avoir pour effet d'empêcher un organisme d'être considéré comme une oeuvre de bienfaisance si la fin en question est poursuivie uniquement en tant que moyen de réaliser une autre fin -- de bienfaisance celle-là -- et non comme une fin en soi. Autrement dit, si la fin s'apparente davantage à une activité menée directement en vue de réaliser une fin de bienfaisance, cela n'empêchera pas l'organisme d'être considéré comme une oeuvre de bienfaisance du seul fait qu'il a décrit l'activité comme une fin.49             
     h)      La jurisprudence instaurée au Canada au sujet de la deuxième catégorie de la classification Pemsel et qui limite la définition d'" éducation " à la " formation classique de l'esprit " ou à " l'amélioration d'un branche utile du savoir humain " est indûment restrictive et doit changer, selon les motifs pris par le juge Iacobucci.

     Au paragraphe 168 :

             Il ne semble pas exister de raison logique ou fondée sur des principes justifiant de ne pas interpréter la promotion de l'éducation de manière à inclure des moyens de formation moins traditionnels, destinés à enseigner des connaissances de base nécessaires à la vie de tous les jours ou la communication de renseignements pratiques, dans la mesure où ces moyens visent réellement à former l'esprit et non seulement à promouvoir un point de vue particulier.             

     Au paragraphe 169 :

             Comme je l'ai dit plus tôt, la fin poursuivie en accordant certains avantages aux oeuvres de bienfaisance est d'encourager la tenue d'activités qui sont considérées comme ayant un intérêt spécial pour la communauté ou servant un intérêt commun. Dans le cas de l'éducation, l'intérêt commun est la connaissance ou la formation. En conséquence, dans la mesure où l'information ou la formation est donnée d'une manière structurée et dans une fin véritablement éducative -- c'est-à-dire l'amélioration des connaissances ou des aptitudes des bénéficiaires -- et non seulement dans le but de promouvoir un point de vue particulier ou une orientation politique donnée, l'information ou la formation peut à bon droit être considérée comme relevant de la promotion de l'éducation.50             

     Et au paragraphe 170 :

             De plus, on peut souhaiter l'acquérir de bien des manières et pour toutes sortes de raisons, qu'on recherche le savoir pour le savoir ou encore comme moyen d'arriver à une fin. Dans cette optique, aucun motif valable ne s'oppose à ce que des activités non traditionnelles tels les ateliers, les séminaires, l'autoformation et autres mesures du genre soient comprises dans la définition moderne d'"éducation" au même titre que l'enseignement traditionnel en salle de classe. De même, il n'y a aucune raison d'exclure une mesure d'éducation visant à l'avancement d'un objectif pratique précis. Si l'on veut encourager des activités qui présentent un intérêt spécial pour la communauté, ce qui est en définitive la raison qui sous-tend l'octroi d'avantages fiscaux aux oeuvres de bienfaisance, on a beaucoup à perdre et rien à gagner à refuser arbitrairement des avantages à des organismes qui se consacrent à promouvoir divers types de connaissances utiles.             
     Le juge Iacobucci ajoute cette mise en garde, au paragraphe 171 :
             J'estime que le critère minimal qui doit être respecté pour qu'une activité puisse être qualifiée d'éducative est la présence d'efforts légitimes et ciblés d'éducation d'autrui, soit par un enseignement traditionnel ou non, soit par des activités de formation ou encore par des programmes d'autoformation ou d'autres types de mesures. Le simple fait de donner aux gens la possibilité de s'instruire, par exemple en mettant à leur disposition de la documentation utile à cette fin mais non indispensable, ne suffit pas. Il ne suffit pas non plus d'"éduquer" les gens au sujet d'un point de vue particulier par des méthodes qu'il serait peut-être plus juste de qualifier de persuasion ou d'endoctrinement. En revanche, l'enseignement scolaire traditionnel ne doit pas non plus être un préalable. Ce qu'il faut bien comprendre c'est que, dans des circonstances appropriées, un atelier ou séminaire -- même de type non scolaire -- sur une matière ou une aptitude pratique donnée peut être tout aussi informatif et éducatif qu'un cours suivi en salle de classe et portant sur une matière scolaire traditionnelle. Le droit devrait faire une place à toute forme légitime d'éducation.             
     i)      En ce qui concerne la quatrième catégorie d'oeuvres de bienfaisance relevée par lord Macnaghten dans Pemsel " autres fins bénéfiques à la société " le juge Iacobucci rappelle que la fin n'est considérée comme utile à la société " d'une façon à laquelle la loi reconnaît un caractère charitable " que si elle est " conforme à "l'esprit" du préambule de la Loi d'Elizabeth, si ce n'est à sa lettre ", bien qu'à son avis, pareille approche soit quelque peu " circulaire ". Au paragraphe 177, il souscrit à la méthodologie adoptée par le Conseil privé dans D'Aguiar v. Guyana Commissioner of Inland Revenue51 :
             Premièrement, [le tribunal] doit considérer la tendance qui se dégage des décisions qui ont reconnu certaines fins comme étant des fins de bienfaisance au sens de la quatrième catégorie et se demander si, par extension ou analogie raisonnable, le cas à l'étude est semblable aux précédents. Deuxièmement, il doit examiner certaines anomalies acceptées pour voir si elles couvrent les fins en cause. Troisièmement, -- et c'est vraiment un contrôle par recoupement des autres -- il doit se demander si, en conformité avec les fins déclarées, le revenu et les biens en question peuvent être affectés à des fins clairement étrangères à la notion de bienfaisance; dans l'affirmative, l'argument qu'il s'agit de fins de bienfaisance ne peut être retenu.             
     Le juge Iacobucci insiste, à ce sujet encore, sur la condition supplémentaire que la fin ne doive pas servir l'intérêt privé mais l'ensemble ou un groupe important de la communauté.
     j)      Les fins poursuivies par l'organisation ne sont pas limitées aux objectifs initialement et formellement déclarés, ni ne doivent être déterminées exclusivement par référence à ces derniers. C'est ainsi qu'un examen des activités peut révéler que d'autres fins ont été adoptées. Le juge Iacobucci fait remarquer ce qui suit au paragraphe 194 :
             En d'autres mots, comme a dit lord Denning dans l'arrêt Institution of Mechanical Engineers c. Cane, [1961] A.C. 696 (H.L.), à la p. 723, la véritable question est la suivante: " À quelles fins l'association est-elle constituée à ce moment-ci ? " [souligné dans l'original]             
     k)      Une organisation ne peut être enregistrée à titre d'" oeuvre de bienfaisance " que si ses objectifs ne sont pas vagues ou indéterminés52.

Les fins poursuivies par l'appelante sont-elles caritatives?

[44]      Je passe maintenant à l'application des principes rappelés ci-dessus au point litigieux central. Il faut en tout premier lieu examiner si les fins poursuivies par l'appelante sont " l'avancement de l'éducation " correspondant à la deuxième catégorie de la classification Pemsel ou, subsidiairement, si elles sont " d'autres fins bénéfiques à la société " correspondant à la quatrième catégorie de cette même classification, puisqu'elles visent à la promotion de la santé publique ou au relèvement du bien-être moral et spirituel de la société. L'appelante soutient que l'intimé prend une position excessivement étroite et illogique sur le concept d'" éducation " en concluant qu'il n'y a pas d'avancement de l'éducation quand les activités en cause visent à engager le public à adopter un certain point de vue sur des questions sociales controversées. La limitation, dans les anciennes décisions de la Cour, de " l'avancement de l'éducation " à la " formation classique de l'esprit " ou à " l'amélioration d'une branche utile du savoir humain " est trop restrictive. L'appelante soutient encore que ses activités sont, généralement parlant, bénéfiques à la société au sens de la quatrième catégorie de la classification Pemsel puisqu'elles visent à promouvoir la santé publique ou à relever le bien-être moral ou spirituel de la société, en informant le public que des principes moraux et spirituels sont en jeu dans le débat sur l'utilisation des contraceptifs, la sexualité et le fait de mettre fin à la vie humaine à quelque stade que ce soit de l'existence.

[45]      Dans l'examen de la question des fins caritatives, il y a lieu de noter que la situation antérieure au 22 novembre 1990, date à laquelle l'appelante s'est engagée à changer de fonctionnement et d'activités pour se conformer à l'avis donné par l'intimé dans sa lettre du 21 juin 1990, n'a aucun rapport direct avec le litige. Comme noté supra, l'appelante a procédé à la constitution d'Alliance Action à la suite de cet avis. Avant que ce projet n'ait abouti, l'intimé a soulevé des objections quant à la portée des objectifs primitifs de l'appelante. Les objectifs modifiés ont été adoptés à l'assemblée annuelle tenue par l'appelante le 21 juin 1992, et officiellement autorisés par lettres patentes du 23 novembre 1992.

[46]      La question fort circonscrite qui se pose est donc de savoir si les objectifs modifiés sont " caritatifs "? Selon mon interprétation de la jurisprudence Vancouver Society , cette question doit être envisagée initialement à la lumière des objectifs énoncés dans l'acte constitutif de l'organisation, abstraction faite des activités entreprises pour leur réalisation. L'appelante soutient que Revenu Canada avait accepté les objectifs modifiés avant qu'elle-même ne les ait adoptés lors de son assemblée annuelle de juin 1992. J'ai mentionné les preuves qu'elle produisait à ce sujet. Bien qu'elles soient assez minimales, ces preuves corroborent son assertion et n'ont pas été contestées par l'intimé. Qui plus est, il n'y a rien dans le dossier qui permette de dire qu'à un moment quelconque entre le 23 novembre 1992, date à laquelle les objectifs modifiés furent formellement adoptés, et le 27 avril 1994, date à laquelle l'appelante fut informée que ses activités allaient à l'encontre de la Loi, l'intimé ait ouvertement objecté que ces objectifs n'étaient pas caritatifs.

[47]      Je ne pense pas qu'on puisse ignorer le fait que l'intimé avait approuvé les objectifs modifiés de l'appelante avant qu'ils n'aient été formellement adoptés. Il y a lieu de se rappeler que le 28 avril 1992, date à laquelle cette approbation fut communiquée à l'appelante, le différend au sujet du maintien de l'enregistrement de cette dernière n'avait pas encore été officiellement résolu. Une condition importante de cette résolution était qu'elle modifie ses objectifs. Il appert que l'intimé considérait et continuait à considérer les objectifs modifiés de l'appelante comme " de bienfaisance " au sens de la Loi, une fois tous les éléments du règlement mis en place. Bien que l'objectif premier de l'appelante, tel qu'il est énoncé au paragraphe premier de sa charte modifiée, soit d'" éduquer les Canadiens " sur les questions y visées, et qu'un objectif secondaire, au paragraphe 3, soit d'assurer des services " éducationnels ", ces concepts ne doivent pas être interprétés au sens large, mais au regard de ce que la common law reconnaît comme éducation. Il ressort de la jurisprudence citée supra que l'" éducation ", telle que l'entend le droit en la matière, n'est pas laissée au jugement subjectif de l'organisation qui s'en réclame, mais est une question qu'il appartient au juge de décider. Il faut examiner les activités auxquelles l'organisation se livre effectivement pour découvrir si, en fait, elle travaille à l'avancement de l'éducation au sens juridique du terme.

[48]      Je n'ai pas oublié l'assertion faite par l'intimé que Revenu Canada n'a jamais changé de position sur la nature véritable des objectifs modifiés de l'appelante et n'a pas manqué de les contester. Bien qu'il en soit certainement ainsi à compter du 27 avril 1994, rien au dossier ne permet de dire qu'il avait pris nettement position dans ce sens entre le moment où le premier différend fut réglé en 1992 et le 27 avril 1994. L'intimé soutient néanmoins que, à supposer que les objectifs modifiés de l'appelante puissent être interprétés comme exprimant des fins de bienfaisance, ses activités " n'ont pas pour effet de réaliser, de façon manifeste ou nécessairement directe, ses objectifs officiels " ou, en d'autres termes, que " les fins poursuivies par l'appelante ne sont pas exprimées dans ses objectifs officiels ". Cette assertion rend nécessaire un examen un peu plus détaillé des activités de l'appelante.

Les activités de l'appelante sont-elles caritatives?

[49]      Comme nous l'avons vu, nombre d'activités de l'appelante sont jugées non caritatives par l'intimé, parce qu'elles ne visent pas à réaliser ses objectifs officiels ou qu'elles sont des " activités politiques " exclues par la Loi.

[50]      J'ai relevé ces motifs de contestation; il y a lieu d'examiner maintenant plus en détail les preuves sur lesquelles ils sont fondés.

     a)      La collecte de fonds

     L'intimé conteste les méthodes employées par l'appelante pour collecter les fonds. Pendant un certain temps, les sollicitations se faisaient sur papier à en-tête d'Alliance Action. Le donateur devait libeller le chèque à l'ordre d'" Alliance ", ce qui faisait que celui-ci pouvait être déposé au compte bancaire soit de l'appelante soit d'Alliance Action. Il appartenait au donateur de décider dans chaque cas s'il voulait ou non un reçu pour déduction d'impôt. L'intimé estimait qu'en tous les cas, cette activité avait pour objet de promouvoir un point de vue pro-vie. L'appelante a convenu de modifier les lettres de sollicitation de fonds afin que les dons soient faits soit à elle-même soit à Alliance Action, et que les reçus pour déduction d'impôt ne soient délivrés qu'à l'égard des dons faits à l'appelante. L'intimé estime cependant que cette formule " ne sépare pas suffisamment les activités de l'Alliance de celles d'AA et qu'elle est conçue pour soutenir les activités militantes d'AA ". En outre, l'intimé fait observer que les fonds recueillis au moyen de la carte " Affinity MasterCard " de la Banque de Montréal, annoncés officiellement comme étant au bénéfice de l'appelante, étaient en fait déposés dans le compte bancaire d'Alliance Action. C'est ce qu'ont reconnu les comptables de l'appelante dans leur lettre du 19 avril 1995, par laquelle celle-ci s'est engagée à remédier à cette situation.

     b)      Le prêt

     L'intimé soutient essentiellement à ce propos que les divers frais imputables à Alliance Action sont couverts par le principal et les intérêts d'un prêt consenti par l'appelante, le résultat net étant que celle-ci employait une partie de ses ressources à financer les activités non caritatives d'Alliance Action. L'intimé cite à titre d'exemples, l'allocation de frais excessifs de sollicitation des fonds, les sommes excessives versées chaque mois par l'appelante à Alliance Action pour " recherches/collecte de fonds ", et la facturation à Alliance Action de sommes insuffisantes pour le loyer et l'utilisation du matériel de bureau. Pour sa part, l'appelante fait valoir que la créance en question résultait de la vente de matériel à Alliance Action au moment du " transfert " et que ce matériel ayant été jugé surévalué par la suite, un rajustement de la créance a été nécessaire. Et aussi que la répartition des frais de fonctionnement était raisonnable compte tenu des circonstances.
     c)      Les envois aux bibliothèques et activités connexes
     L'intimé conteste la conformité de ce service par ce motif qu'il ne visait pas à l'avancement de l'éducation, mais à la promotion du point de vue pro-vie de l'appelante. Les envois aux bibliothèques publiques et scolaires consistent, selon l'appelante, en " une sélection de coupures de presse " sur certaines questions intéressant les élèves faisant des recherches pour les devoirs ou débats "53. Elle pense qu'il est " plus pratique pour les élèves de trouver les documents dans leur bibliothèque publique ou scolaire " que d'avoir à s'adresser directement à elle. Dans le cadre de ce service, elle entreprenait de " fournir des informations à jour et/ou à assurer un équilibre dans votre documentation verticale " ainsi qu'une mise à jour générale de ces documents tous les six mois " au besoin "54. Ce service était gratuit55. Les envois aux bibliothèques56 consistaient en divers articles qui, objectivement parlant, peuvent seulement être considérés comme l'expression de la position fondamentale de l'appelante que la vie humaine doit être préservée dès la conception jusqu'à la mort naturelle. Ces articles traduisent pour la plupart l'opposition déclarée de l'appelante à l'avortement, y compris l'avortement eugénique, à la transplantation de cellule foetale, à la fivète et aux expérimentations connexes, à l'euthanasie y compris le gavage et le suicide assisté, et au dépistage prénatal. Il y a bien moins d'articles d'intérêt scientifique général ou autres, concernant les séquelles psychologiques de l'avortement, l'environnement utérin de l'enfant non encore né et l'effet des influences externes sur celui-ci, les soins palliatifs pour les mourants, le déclin démographique et l'adoption à titre de solution de rechange contre l'avortement.
     d)      Les ventes par catalogue et activités connexes
     Le catalogue57 de l'appelante offre diverses publications, vidéos, boutons et affiches promotionnels, et documents sur une variété de sujets. Il y a entre autres des exposés de principe contre l'avortement, contre la contraception, contre la fivète, contre la transplantation de foetus, contre l'euthanasie, contre la transplantation d'organes, un mémoire à une commission parlementaire, des communiqués de presse, le rapport moral d'août 1993, des documents sur les maladies sexuellement transmissibles, la prévention du sida, l'adoption et d'autres sujets, le tout généralement dans le droit fil de la mission que s'est donnée l'appelante. Bien que ces articles soient favorables à cette mission, certains autres sont un peu plus neutres ou scientifiques, et d'autres encore portent sur divers sujets comme les séquelles psychologiques de l'avortement, la pornographie, les soins aux mourants et l'infanticide. Les articles en vente sont notamment destinés aux femmes enceintes et aux adolescents. L'intimé conclut qu'il n'y a pas une distinction suffisante entre les articles qui poursuivent respectivement les objectifs d'Alliance Action et ceux de l'appelante, et qu'ils continuent à faire valoir " un seul point de vue sur des questions sociales controversées ". Cette dernière objection est exprimée de façon plus explicite dans sa lettre du 5 janvier 199558, comme suit :

             [TRADUCTION]

             Au contraire, nous pensons que l'objectif primordial de l'Alliance est de promouvoir son point de vue pro-vie sur des questions comme l'avortement et l'euthanasie afin d'influencer les attitudes et croyances du public, à preuve :             
             "      L'énoncé de mission joint à votre lettre du 24 juin 1994 indique que votre objectif demeure l'action militante :             
                 " L'Alliance pour la vie est une organisation nationale d'éducation, déterminée à coopérer avec nos compatriotes canadiens à bâtir une société dans laquelle toute vie humaine, reconnue comme étant un don de notre Créateur, est précieuse et protégée de la conception jusqu'à la mort naturelle. "             
             "      Le rapport moral d'août 1993 : " Aujourd'hui je suis plus convaincu que jamais que la majorité des Canadiens est opposée à l'avortement. La majorité des Canadiens EST pro-vie. Notre travail continue d'être de les encourager à défendre leurs convictions et à agir en conséquence. "             
             "      L'éditorial écrit par Anna Desilets pour le compte de l'Alliance pour la vie dans le Western Report de mai 1992 : " Nous savons que nous l'emporterons parce que ces facteurs sont de notre côté; ils balaieront inévitablement la propagande pro-avortement/pro-euthanasie habituelle que disséminent les médias. "             
     e)      Les communiqués de presse/activités médiatiques
     Le dossier comprend neuf communiqués de presse publiés par l'appelante en 1992 et 1993, et qui, de l'avis de l'intimé, étaient tous partiaux et visaient à " persuader le lecteur d'épouser le point de vue de l'organisation "59.
     f)      Les activités de la ligne téléphonique "HELPline"
     Comme noté supra, l'appelante maintient en service une ligne téléphonique 1-800 pour donner des consultations aux personnes qui appellent, sur les tests de grossesse, les soins prénatals et postnatals, l'aide en matière de logement, le soutien familial, l'adoption, l'aide à celles qui ont eu un avortement ou ont été victimes de viol. Cette ligne est assurée 24 heures par jour tout au long de l'année, par des employés salariés durant les heures de bureau, et des bénévoles en dehors de ces heures. La principale objection de l'intimé contre la ligne "HELPline" est qu'elle servait à la fois à l'appelante et à Alliance Action et recevait ainsi les demandes d'information sur les questions pro-vie, et que les bénévoles avaient juste une formation de deux heures sur les techniques d'écoute, sans plus. L'intimé ne trouve pas non plus que " l'exploitation de la ligne HELPline à des fins caritatives soit notable par rapport aux autres activités de l'organisation "60. Il considère que le service de consultation vise à persuader toute femme qui appelle de ne pas avoir un avortement, plutôt que de l'aider à mener sa grossesse à terme.

[51]      La question qui se pose à ce propos est de savoir si l'une quelconque de ces activités vise à la réalisation des objectifs déclarés de l'appelante ou si elle est en fait non caritative.

[52]      Je commencerai par les activités de la ligne "HELPline" de l'appelante. Elle soutient que l'usage qu'elle en fait est de nature caritative puisqu'il s'agit d'aiguillage sur les services de consultation en matière de soins prénatals et postnatals, de logement, de soutien familial, d'adoption, et de conseils à l'intention de celles qui ont eu un avortement ou qui ont été victimes de viol, et pour les tests de grossesse. En bref, il s'agit de promotion de la santé publique. Il y a lieu de noter que les consultations ne sont pas données par les employés de l'appelante ou par les bénévoles dialoguant avec les personnes qui appellent, mais par d'autres organisations communautaires sur lesquelles elles sont dirigées. Il importe donc peu que les bénévoles n'aient pas reçu une formation en règle, mais juste une formation de deux heures sur les techniques d'écoute. Qui plus est, le 18 septembre 1991 encore61, l'intimé considérait comme caritatif le fait de mettre à la disposition du public, par la ligne HELPline, un service de consultation et d'aiguillage dans les cas de grossesse non voulue et de séquelles psychologiques de l'avortement. Malgré les observations susmentionnées au sujet de la ligne "HELPline" dans la lettre du 5 janvier 1995 de l'intimé, je ne trouve pas que ce service, connsidéré à part, tombe soup le coup d'accusations prouvées d'activités non caritatives, mais qu'il correspond au contraire au paragraphe 2 des objectifs déclarés de l'appelante, savoir la promotion de la santé publique, ce qui en fait une activité caritative au regard de la quatrième catégorie de la classification Pemsel; je reviendrai plus en détail sur cette question infra.

[53]      Je ne suis pas non plus convaincu que les méthodes employées pour la sollicitation des fonds en font une activité clairement non caritative du fait qu'elle ne vise pas à réaliser les objectifs déclarés de l'appelante. Il ressort certes du dossier que cette activité, telle qu'elle était initialement conçue et entreprise en 1992 et 1993, était confondue avec celle d'Alliance Action à tel point qu'elle ne pouvait raisonnablement être considérée comme une activité de bienfaisance. L'appelante l'a reconnu et a accepté de changer de méthodes de sollicitation de fonds, pour s'assurer de ne recevoir que les dons destinés au soutien de ses propres objectifs et non ceux d'Alliance Action, et faire en sorte que les reçus pour déduction d'impôt ne soient délivrés qu'à l'égard de ces dons. Il en a été de même des fonds recueillis au moyen de la carte " Affinity MasterCard " de la Banque de Montréal. L'appelante s'est engagée à ce que ces fonds ne soient pas déposés dans le compte bancaire d'Alliance Action. Il n'y a aucune preuve établissant qu'elle ait manqué à cet engagement. Il ne me semble pas que par ces techniques, elle ait consacré ses ressources à des activités non caritatives, comme l'affirme l'intimé. En bref, je ne suis pas convaincu que les activités de collecte de fonds en question fussent, comme l'affirme l'intimé, " conçues pour soutenir les activités militantes d'AA " à la date de la décision contestée.

[54]      Je dois avouer que j'ai eu un certain mal à suivre les arguments de part et d'autre au sujet du traitement comptable réservé par l'appelante à l'argent dû par Alliance Action à la suite de la scission des deux organisations en 1992. L'intimé soutient qu'elle a irrégulièrement réduit le principal et l'intérêt couru des sommes qu'elle devrait à Alliance Action pour les locaux, le matériel, les services de recherche et de sollicitation de fonds. Ce qui, dit-il, montre encore que certaines ressources de l'appelante étaient affectées au soutien des activités non caritatives d'Alliance Action, plutôt qu'à la réalisation de ses propres objectifs déclarés. Par contre, bien que le prêt ne fût visiblement pas ce qu'on pouvait attendre d'une transaction entre deux entités indépendantes l'une de l'autre, il est constant que les articles vendus à Alliance Action étaient surévalués et nécessitaient un rajustement vers le bas. Au surplus, la répartition des frais de fonctionnement est raisonnable compte tenu des heures de travail et de leur utilisation, et le loyer facturé à Alliance Action semblait basé sur l'occupation effective.

[55]      L'intimé ne considère pas que les envois aux bibliothèques et les articles vendus par catalogue soient admissibles au titre de l'avancement de l'éducation. De même les communiqués de presse émis par l'appelante, son énoncé de mission, certains éditoriaux écrits par ses dirigeants et les propos tenus par son président dans le rapport moral d'août 1993, autant d'activités considérées comme de nature " politique ". Comme noté supra , le paragraphe 149.1(1) de la Loi pose pour condition que toutes les ressources de la fondation ou l'oeuvre de bienfaisance soient consacrées aux activités de bienfaisance, ce qu'a souligné le juge Iacobucci dans Vancouver Society, op. cit., paragraphe 154, à moins qu'il ne s'agisse d'" activités politiques " permises par le paragraphe 149.1(6.2).

[56]      Dans Vancouver Society, op. cit., paragraphe 168, le juge Iacobucci conclut qu'il faut interpréter l'éducation comme s'entendant également des " moyens de formation moins traditionnels, destinés à enseigner des connaissances de base nécessaires à la vie de tous les jours ou la communication de renseignements pratiques "62. Dans ce contexte, il a été jugé que l'organisation " des rencontres, des cours, des ateliers et des séminaires éducatifs " à l'intention des personnes visées " afin qu'elles puissent se trouver du travail " est une fin de bienfaisance au titre de l'éducation entendue au sens large, en ce que, comme le fait observer le juge Iacobucci au paragraphe 173, elle vise à " former l'esprit des immigrantes en leur enseignant certaines connaissances de base importantes, et ce dans un but bien précis : les préparer à trouver et conserver un emploi au Canada ". À cette réserve près, au paragraphe 171, que " le simple fait de donner aux gens la possibilité de s'instruire, par exemple en mettant à leur disposition de la documentation utile à cette fin mais non indispensable, ne suffit pas ". Il me semble que les envois aux bibliothèques en question doivent être considérés sous cet angle.

[57]      Certains articles contenus dans les envois aux bibliothèques n'ont pas un ton polémique ou agressif ni ne prônent explicitement un changement social ou politique. De fait, ils semblent présenter un certain rapport avec les objectifs déclarés de l'appelante. Plusieurs articles sont extraits de la presse à grande diffusion, alors qu'un petit nombre sont apparemment de nature scientifique, comme par exemple un article sur l'innocuité du contraceptif RU-483. Par contre, le gros des documents en question, comme ceux qui figurent au catalogue, semblent clairement viser à faire valoir le point de vue déclaré de l'appelante sur des questions comme l'avortement et l'euthanasie63. Les informations ne sont pas données non plus sous forme structurée qui serve vraiment à l'avancement de l'éducation. Bien que les élèves ayant recours aux bibliothèques publiques ou scolaires aient la possibilité de puiser dans ces documents, rien ne prouve qu'ils y soient tenus ou qu'ils le feraient probablement. Rien ne prouve non plus qu'ils seraient en mesure de confronter les vues avancées par ces documents aux vues opposées pour décider eux-mêmes dans un sens ou dans l'autre. Dans ces conditions, je ne peux conclure que les envois aux bibliothèques servent vraiment à l'avancement de l'éducation au sens de la jurisprudence Vancouver Society. Si cette conclusion est fondée, il s'ensuit nécessairement que l'appelante ne remplit pas les conditions prévues au paragraphe 149.1(1) de la Loi, savoir que l'oeuvre de bienfaisance consacre la totalité de ses ressources aux activités caritatives. Je laisse pour le moment de côté la question de savoir si la diffusion de ces documents est une activité " politique " visée au paragraphe 149.1(6.2) et, dans l'affirmative, si elle est accessoire aux objectifs déclarés de l'appelante. Entre-temps, j'examinerai les arguments restants au cas où je me serais trompé dans ma conclusion que les envois aux bibliothèques ne servent pas à la réalisation de ces objectifs.

[58]      La principale objection opposée aux articles vendus par catalogue de l'appelante est essentiellement la même que celle qui porte sur les envois aux bibliothèques, savoir qu'ils visent aussi à présenter une vue partisane de questions sociales controversées comme l'avortement et l'euthanasie. De fait, la même objection est opposée aux communiqués de presse, à l'énoncé de mission, aux éditoriaux et au rapport moral d'août 1993. Sur la couverture du catalogue, figure la mention que l'appelante a pour mission " d'éduquer les Canadiens sur le respect et la protection de la vie humaine de la conception à la mort naturelle ". Cette formule est, on peut le voir, un peu plus générale que celle du paragraphe 1 des objectifs modifiés de l'appelante. Le dépliant sur l'adoption vise moins à expliquer le processus d'adoption qu'à faire valoir l'adoption comme " la solution de rechange positive à la solution destructive de l'avortement ". D'autres documents énumérés au catalogue sont dans la même veine64. Dans le même temps, je considère d'autres documents figurant au catalogue comme visant à la réalisation des objectifs déclarés de l'appelante, comme par exemple le mémoire à une commission parlementaire et les documents sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles et du sida. Que certains des documents en question puissent viser à la réalisation des objectifs déclarés de l'appelante ne peut occulter le fait que d'autres ont pour objet de faire valoir ses vues sur des questions de grande importance sociale et morale. Il est difficile d'y voir un moyen d'avancement de l'éducation au sens de la jurisprudence Vancouver Society, op. cit., ou de réalisation de ses autres objectifs.

Les activités politiques

[59]      L'intimé soutient encore que le catalogue, les envois aux bibliothèques et d'autres articles ne sont juste que des exemples d'activités qui ne visent en aucun cas à l'avancement de l'éducation, mais qui sont " politiques " en ce sens qu'ils ont pour objet de faire valoir des points de vue partisans sur des questions sociales et morales controversées, et que cette utilisation des ressources de l'appelante va à l'encontre des conditions prévues au paragraphe 149.1(6.2) de la Loi. Ainsi qu'il le fait remarquer dans sa lettre du 5 janvier 1995 : " " nous pensons que l'objectif primordial de l'Alliance est de promouvoir son point de vue pro-vie sur des questions comme l'avortement et l'euthanasie, et ce en vue d'influencer les attitudes et croyances du public ". Il échet donc d'examiner si les activités en question sont " politiques " et ne visent pas à l'avancement de l'éducation ou à la réalisation des autres objectifs déclarés.

[60]      La question de savoir ce qui peut constituer des " activités politiques " n'a pas été directement abordée dans Vancouver Society , op. cit. Cependant, certains passages du jugement majoritaire ont certainement un rapport avec cette question. Au paragraphe 164, le juge Iacobucci souligne que la diffusion de documents péremptoires contre la pornographie comme ceux en cause dans Positive Action Against Pornography65, " empêcherait dans la plupart des cas un organisme d'être admissible à l'enregistrement selon la deuxième catégorie d'organismes de bienfaisance sans qu'il soit nécessaire de se demander si l'organisme en cause oeuvre de quelque façon que ce soit à la "formation classique de l'esprit" au sens large ". Un peu plus loin, au paragraphe 169, il conclut que l'information diffusée en public " seulement dans le but de promouvoir un point de vue particulier ou une orientation politique donnée ", et non aux fins d'éducation proprement dite, ne saurait être considérée comme oeuvre éducative. Et au paragraphe 171, il réitère sa conclusion que " "éduquer" les gens au sujet d'un point de vue particulier par des méthodes qu'il serait peut-être plus juste de qualifier de persuasion ou d'endoctrinement " ne fait pas de l'objectif en question l'avancement de l'éducation.

[61]      Je ne pense pas que la catégorisation des " activités politiques " par le juge Slade dans McGovern , op. cit., ait été sérieusement remise en question. Ce qui est difficile cependant, c'est de l'étendre aux fins ou activités qui n'y correspondent pas exactement66. D'ailleurs, la Loi elle-même n'exclut pas toutes activités politiques comme non caritatives. De fait, le paragraphe 149.1(6.2) permet à toute oeuvre de bienfaisance d'entreprendre des activités politiques qui soient " accessoires " à ses activités de bienfaisance, à la condition qu'elle consacre " presque toutes ses ressources " à ces dernières.

[62]      Dans Human Life International67, notre Cour a jugé que l'activité en cause était politique, prenant pour postulat que la catégorisation des " activités politiques " par le juge Slade dans McGovern68 n'était pas exhaustive. Comme le fait observer le juge Strayer en page 217, " le fait de soutenir " des opinions sur diverses questions sociales importantes " est essentiellement une activité " politique ". Et en page 218 :

     Il ne faudrait pas demander aux tribunaux de rendre de telles décisions parce que cela les oblige à reconnaître ou à refuser une légitimité à ce qui constitue essentiellement des points de vue politiques : c'est-à-dire quels sont les comportements convenables, bien qu'ils ne soient pas imposés par le droit actuel, à exiger des autres membres de la collectivité? "         
     Toute décision de la Cour quant à savoir si la diffusion de telles opinions est utile à la collectivité et mérite ainsi de faire l'objet d'une exemption fiscale serait essentiellement une décision politique et il ne convient pas qu'un tribunal rende une telle décision.         

Ces conclusions du juge Strayer vont dans le même sens que celles tirées par lord Parker of Waddington dans Bowman69.

[63]      Comme noté supra, les objectifs déclarés de l'appelante ont été acceptés par l'intimé comme étant des fins de bienfaisance légitimes. Rien dans leurs termes n'indique qu'ils rentrent dans la catégorie des " activités politiques " définie par la jurisprudence McGovern , op. cit., et sont de ce fait non caritatifs. La question qui se pose véritablement en ce stade de l'analyse est de savoir si les activités de l'appelante vont à l'encontre des conditions prévues au paragraphe 149.1(6.2).

[64]      Il me semble que des activités politiques peuvent très bien être " accessoires " tout en visant à faire valoir un certain point de vue sur des questions sociales controversées70. Cela dépend certainement de l'étendue des objectifs de l'organisation et des activités y afférentes. Il se peut qu'une oeuvre de bienfaisance adopte à dessein une position relativement péremptoire et controversée afin de réaliser plus efficacement ses objectifs caritatifs au point de préconiser, au besoin, un changement dans la législation, dans la politique ou dans des décisions administratives, sans pour autant perdre son statut d'organisme de bienfaisance enregistré. La question primordiale à se poser en premier lieu est de savoir si les activités auxquelles elle s'adonne dans les faits demeurent, quoique visiblement controversées, " accessoires " aux activités de bienfaisance.

[65]      C'est dans cet esprit que je me propose d'examiner les activités litigieuses, telles que les représentent le catalogue, les envois aux bibliothèques et d'autres articles de l'appelante, afin de trouver la réponse à la question de savoir si elles sont " politiques " et " accessoires " à ses activités de bienfaisance. Dans l'affirmative, il faudra examiner si l'appelante s'est conformée à la condition supplémentaire du paragraphe 149.1(6.2) en continuant de consacrer " presque toutes ses ressources " à ces dernières, et si elle s'est conformée à la règle établie par l'intimé, savoir qu'une oeuvre de bienfaisance ne peut, au cours d'une période donnée, affecter que 10 p. 100 au maximum de ses ressources aux activités politiques.

[66]      J'ai évoqué certains précédents anglais et canadiens sur les fins ou activités " politiques " dans ce domaine du droit. Il me semble qu'il faut se référer aux principes qui s'en dégagent pour examiner si une activité à laquelle se livre l'appelante peut être considérée comme " politique ". Ce n'est pas là une question à laquelle il est facile de répondre. Comme noté supra , les activités " comme les fins " qui rentrent dans la catégorisation établie par le juge Slade dans McGovern , op. cit., ne sont pas habituellement considérées comme caritatives. Un certain nombre d'autres précédents portent sur la question de savoir quels genres d'activités, qui échappent à cette qualification, doivent être tenues pour " politiques " en matière d'oeuvres de bienfaisance.

[67]      Dans Anglo-Swedish Society v. Inland Revenue Commissioners71, le juge Rowlett a conclu qu'une fiducie ayant pour but de " promouvoir un attitude mentale, une optique sous laquelle une nation considère une autre " n'était pas une oeuvre de bienfaisance. Par la suite, dans Buxton v. Public Trustee72, le juge Plowman était d'avis que les objectifs poursuivis pour une cause politique " par la création d'un climat dans l'opinion publique " n'étaient pas éducationnels, mais " tout juste de la propagande ". De même, dans Re Bushnell v. Lloyd's Bank73, le juge Goulding a conclu que les termes de l'acte de fiducie n'indiquaient pas le désir " d'éduquer le public afin qu'il puisse choisir lui-même, à partir d'informations neutres, de soutenir ou de rejeter ce qu'il appelait la "médecine socialisée", mais de promouvoir sa propre théorie de l'éducation par la "propagande" ". Dans Human Life International , op. cit., notre Cour a jugé que " le fait de soutenir des opinions sur diverses questions sociales importantes " était une activité politique. Par contraste, le lord juge Slade, siégeant en Cour d'appel dans l'affaire In re Koeppler Will Trusts74, a jugé que les fiducies en cause ne tombaient pas dans la catégorie des fins " politiques " définie dans McGovern . Ces fiducies avaient pour but de modeler une opinion publique internationale informée et de " promouvoir une plus grande coopération en Europe et à l'Ouest ", et comprenaient la mise sur pied d'un centre de conférences et l'organisation de séminaires pour permettre aux notabilités de discuter et d'examiner des problèmes communs dans une atmosphère intellectuellement stimulante, et d'appendre du peuple britannique. En leur reconnaissant le statut d'oeuvres de bienfaisance, le juge Slade a conclu de leurs activités que " bien qu'elles touchent aux questions politiques, elles ne constituent, d'après ce que j'ai pu voir, que des tentatives honnêtes de découvrir et de diffuser la vérité, de manière objective "75.

[68]      J'ai du mal à conclure qu'il en est de même des envois aux bibliothèques et des articles vendus par catalogue de l'appelante. S'il est vrai que certains de ces documents peuvent être considérés comme scientifiques ou certainement dénués de vues particulièrement partisanes, l'appelante ne fait guère d'efforts pour promouvoir un débat véritable sur des questions importantes comme l'avortement et l'euthanasie, mais pour faire valoir sa forte opposition. Dans sa lettre du 24 juin 1994, l'appelante exprime sa conviction, dont ses comptables se font l'écho dans leur lettre du 17 avril 1995, qu'elle n'assure qu'une " présentation complète et objective des faits " parce que ces faits " ne sont pas présentés " par des groupes ayant des convictions opposées ", et qu'un " équilibre " est nécessaire pour que le public puisse former sa propre opinion. Je ne vois dans la plupart des documents en question aucun réel désir d'assurer l'objectivité. Ce n'est pas exagéré, à mon avis, de considérer le gros de ces documents comme " politique ". Il en est de même des communiqués de presse, de l'énoncé de mission, des éditoriaux et du rapport moral d'août 1993.

[69]      Ces activités ne me semblent pas non plus " accessoires " aux activités caritatives de l'appelante, en particulier celles qui visent à éduquer les Canadiens sur " le développement humain, l'expérimentation humaine, la procréation médicalement assistée, l'adoption, l'avortement, la chasteté, l'euthanasie, et d'autres questions touchant la vie humaine ". Ainsi que le fait observer le juge Iacobucci dans Vancouver Society , op. cit., " le fait d'"éduquer" les gens au sujet d'un point de vue particulier par des méthodes qu'il serait peut-être plus juste de qualifier de persuasion ou d'endoctrinement " n'est pas l'" éducation " au sens caritatif du terme. La proclamation ci-dessus indique plutôt que, malgré les objectifs déclarés dans son document constitutif, la véritable mission que s'est donnée l'appelante est plutôt de faire valoir de façon partisane ses convictions sur d'importantes questions sociales et morales, à l'exclusion dans les faits de toutes convictions contraires et tout aussi fortes.

[70]      Si, comme je l'ai conclu, l'appelante s'est livrée à des activités politiques qui ne sont pas " accessoires " à ses activités de bienfaisance, il doit s'ensuivre que ces activités ne sont pas permises par le paragraphe 149.1(6.2). En outre, elle contreviendrait aussi à la condition plus fondamentale prévue dans la définition d'" oeuvre de bienfaisance " au paragraphe 149.1(1), savoir que toutes ses ressources doivent être exclusivement affectées aux activités de bienfaisance. Dans Vancouver Society , op. cit., paragraphe 155, le juge Iacobucci souligne que dans le cas où les conditions du paragraphe 149.1(6.2) ne sont pas remplies, " un organisme qui consacre presque toutes ses ressources, mais non toutes, à des activités de bienfaisance ne satisferait pas à la condition générale d'affectation exclusive des ressources à la bienfaisance qui figure aux définitions de "fondation de bienfaisance" et d'"oeuvre de bienfaisance" au par. 149.1(1) ".

La quatrième catégorie de la classification Pemsel

[71]      Enfin, l'appelante soutient que ses activités sont caritatives au sens de la quatrième catégorie de la classification Pemsel, celle des activités bénéfiques à d'autres titres à la société, en ce qu'elles visent à la promotion de la santé publique ou au relèvement du bien-être moral ou spirituel au Canada.

[72]      Parmi les fiducies pouvant être considérées comme " caritatives ", il y a celles qui sont énumérées au préambule de la Loi d'Elizabeth comme étant au bénéfice " des gens âgés, des infirmes et des pauvres ". Le terme " infirme " s'entend ici des fiducies ayant pour but l'aide aux malades. Dans le contexte canadien, il a été jugé que l'aide aux malades embrasse non seulement les soins médicaux, mais aussi les soins de santé76. Dans Vancouver Society, op. cit., le juge Iacobucci fait observer au paragraphe 177 que les cas prévus au préambule de la Loi d'Elizabeth " semblent dépourvus de tout dénominateur ou fil commun susceptible d'étayer une argumentation par analogie qui soit cohérente ". Par contre, il a trouvé, comme noté supra , une approche utile dans la décision D'Aguiar, loc. cit., du Conseil privé.

[73]      Les objectifs déclarés de l'appelante ne visent certes pas explicitement à la promotion de la santé publique, mais il a été jugé que les fins caritatives effectivement poursuivies doivent être évaluées et leur validité, vérifiée77. L'appelante, comme nous l'avons vu, est engagée dans une grande variété d'activités, dont elle qualifie certaines de promotion de la santé. Elle cite en particulier, à ce titre et au titre des activités bénéfiques à la société, la diffusion de l'information sur des questions touchant la procréation, les maladies sexuellement transmissibles, l'abstinence sexuelle et la grossesse, ainsi que les services de consultation et d'aiguillage pour séquelles psychologiques de l'avortement et pour grossesse imprévue.

[74]      L'appelante invoque certains précédents à l'appui de son argument que les activités de ce genre peuvent être considérées comme caritatives au titre de la promotion de la santé. En Angleterre, les recherches et l'éducation pour " consultations, traitement et aide au bénéfice des femmes qui souffrent d'une maladie ou de troubles physiques ou mentaux en cours ou pour cause de grossesse " ont été tenues pour caritatives78. Certaines décisions de Nouvelle-Zélande font droit à l'argument que les activités en cause visaient à la promotion de la santé publique et étaient de ce fait caritatives79. Je pense cependant qu'au mieux, ces précédents pourraient être invoqués à l'appui de l'argument que la ligne "HELPline" est de cette nature, possibilité que j'ai déjà relevée. Cependant, à même supposer que certaines activités de l'appelante puissent être considérées comme visant à aider des malades ou à des fins semblables que la jurisprudence tient pour admissibles, il demeure que toutes ses ressources ne sont pas affectées aux activités de bienfaisance, comme le prescrit la Loi. Qui plus est, rien dans la jurisprudence n'indique que l'inadmissibilité de l'activité politique est limitée au domaine de l'avancement de l'éducation.

[75]      Le dernier argument de l'appelante est que ses activités sont caritatives en ce que le but en est le relèvement moral et spirituel de la société. Je conviens que la jurisprudence d'Angleterre et d'ailleurs corrobore plus ou moins l'argument que le relèvement moral et spirituel de la communauté est une activité caritative80. Je ne vois cependant pas en quoi ces causes s'apparentent à l'affaire en instance. Quoi qu'il en soit, à même supposer qu'on puisse dire que certaines ressources de l'appelante étaient consacrées au relèvement moral et spirituel de la société dans un sens caritatif, toutes ses ressources ne sont pas affectées aux activités de bienfaisance.

[76]      En conclusion, je dois souligner encore une fois que nous ne sommes pas appelés à juger l'à-propos ou la légitimité des activités de l'appelante du point de vue moral, mais à juger si elles sont caritatives au sens juridique du terme. Je ne doute pas un seul moment que les vues de l'appelante sur les activités litigieuses soient parfaitement sincères ou qu'en fait, elles soient partagées par un grand nombre. Il est aussi indubitable que les questions morales en jeu en l'espèce ont divisé la société et continueront à la diviser. En entreprenant les activités contestées, l'appelante ne fait, à mon avis, que ce qu'elle considère comme son droit et son devoir de faire. Cependant, la révocation de l'enregistrement ne l'empêcherait nullement de se livrer à ces activités bien que les conséquences puissent être graves pour elles81. Certainement, la décision prise par l'intimé de révoquer son enregistrement ne peut être considérée comme " hâtive ", étant donné que le règlement de 1992 était subordonné à l'observation par l'appelante de son engagement de se conformer aux conditions prévues par la Loi et qu'elle savait qu'une nouvelle vérification serait effectuée au bout de deux ans à ce sujet. Par application des principes de droit rappelés supra , je ne vois rien qui justifie de toucher à la décision du 30 novembre 1995 de l'intimé.

[77]      Cette conclusion fait que je dois maintenant examiner les quatre arguments subsidiaires de l'appelante.

L'équité procédurale

[78]      L'appelante soutient que l'intimé était tenu à l'obligation d'équité dans le processus de révocation de son enregistrement, et qu'il n'a pas respecté cette obligation. Que l'intimé ne lui a pas communiqué tous les faits relevés contre elle ni ne lui a donné la pleine possibilité d'y répondre. Selon l'appelante, Revenu Canada changeait constamment sa position et relevait au fur et à mesure diverses activités qui seraient " non caritatives ". Et sa lettre du 30 novembre 1995 contenait certaines objections qui n'avaient pas été antérieurement communiquées en toute équité à l'appelante.

[79]      L'intimé réplique qu'il a rempli son obligation d'équité avant de décider de révoquer l'enregistrement de l'appelante, en ce qu'à plusieurs reprises, il l'avait invitée à produire des informations sur ses activités, ce qu'elle avait fait chaque fois. Il ressort de l'audit de 1993 que Alliance Action ne prenait pas en charge toutes les activités non caritatives de l'appelante, contrairement à l'engagement pris par celle-ci dans sa lettre du 22 novembre 1990. L'audit révélait encore qu'une grande partie des ressources de l'appelante était consacrée à des activités politiques. L'intimé fait savoir que ces deux motifs d'inadmissibilité avaient été communiqués à l'appelante et avaient donné lieu à un volumineux échange de correspondance et de nombreuses discussions entre les parties bien avant que la décision en question ne fût prise.

[80]      Dans Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)82, le juge Sopinka fait remarquer que les règles de justice naturelle et l'obligation d'agir équitablement sont des " normes variables " dont le contenu dépend " des circonstances de l'affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher ". Il a réitéré ce principe dans Old Boniface Residents Assn. Inc. c. Winnipeg (Ville)83. Dans Knight c. Indian Head School Division No. 1984, Mme le juge L'Heureux-Dubé, prononçant le jugement de la majorité, a défini le critère suivant à observer pour juger si l'obligation d'équité est en jeu dans une affaire de congédiement :

     L'existence d'une obligation générale d'agir équitablement dépendra de l'examen de trois facteurs : (i) la nature de la décision qui doit être rendue par l'organisme administratif en question, (ii) la relation existant entre cet organisme et le particulier, et (iii) l'effet de cette décision sur les droits du particulier. Notre Cour a affirmé dans l'arrêt Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, précité, que dans les cas où ces trois éléments se retrouvent, une obligation générale d'agir équitablement incombe à un organisme décisionnel public (le juge Le Dain au nom de la Cour, à la p. 653).         

[81]      Dans Renaissance International c. Ministre du Revenu national85, notre Cour a rejeté l'argument proposé par le ministre que l'appel avait pour effet de remédier à tout manquement de sa part pour ce qui était de l'équité procédurale. Le juge Pratte s'est prononcé à ce propos en ces termes86 :

     Je conclus, par conséquent, que l'appel visé au paragraphe 172(3) constitue ce que j'appellerais un appel ordinaire, que le tribunal tranche habituellement à la lumière du dossier constitué par le tribunal de première instance. Il s'ensuit, à mon avis, que le processus préalable à la décision du Ministre d'envoyer un avis d'annulation en vertu du paragraphe 168(1) doit lui permettre de constituer un dossier suffisamment complet pour que cette Cour puisse l'utiliser pour statuer sur l'appel. Ceci présuppose, à mon avis, que le Ministre doit suivre une procédure qui lui permet de constituer un dossier reflétant non seulement son point de vue mais également celui de l'organisme concerné.         

                                                         [non souligné dans l'original]

Le juge Heald, qui prononçait le jugement de la majorité, est parvenu à la même conclusion87 :

     Par conséquent, l'appel devrait être formé à partir du dossier complet de la preuve produite devant le directeur et qui l'a convaincu de rendre les décisions qui font l'objet du présent litige. En l'espèce, le dossier de la preuve soumis au directeur est incomplet, puisque, tout le monde en convient, il ne contient pas tous les éléments de preuve produits devant ce dernier. Ce dossier de la preuve comporte une lacune encore plus grave puisqu'il ne contient aucun document fourni par l'appelante. Il ressort de ces circonstances, à mon avis, que les règles de justice naturelle et l'obligation d'agir équitablement n'ont pas été respectées.         

[82]      Après examen du dossier sur lequel l'intimé fondait sa décision du 30 novembre 1995, je conclus que l'appelante ne s'est pas vu dénier l'équité procédurale dans les circonstances de la cause. C'est dès 1989, à la suite d'une vérification des activités de bienfaisance de l'appelante, que l'intimé lui a reproché de ne pas y avoir consacré toutes ses ressources. Il s'en est suivi un échange volumineux de correspondance et de nombreuses discussions entre les parties. Les choses sont arrivées au point critique après la lettre du 21 juin 1990 de l'intimé et la réponse du 22 novembre 1990, par laquelle l'appelante s'engageait à " former une organisation à but non lucratif distincte pour s'occuper des activités que d'après votre lettre du 21 juin 1990, le ministère considère comme non caritatives " et à " donner une nouvelle orientation au fonctionnement et aux activités de l'Alliance pour la vie de manière conforme aux vues du ministère ". Le 16 septembre 1991, l'intimé lui a rappelé de conserver ses livres puisqu'elle " pourrait faire l'objet d'une nouvelle vérification pour ce qui est de l'observation de la Loi par suite de ces négociations ". La correspondance et les discussions qui suivirent en 1994 et 1995, avant l'avis du 30 novembre 1995, font que l'appelante était officiellement informée des motifs d'inadmissibilité essentiels, à savoir que malgré la formation d'Alliance Action, les activités des deux organisations n'étaient pas suffisamment séparées, que nombre des activités de l'appelante ne visaient pas à l'avancement de l'éducation ou à quelque autre objectif déclaré, et qu'elle continuait à consacrer des ressources aux activités politiques, en contravention à la Loi.

[83]      Il se peut que la lettre du 30 novembre 1995 ait soulevé quelques points " nouveaux ", mais je ne pense pas qu'il y ait là déni d'équité procédurale. La plupart de ces points se rapportaient aux principaux motifs d'inadmissibilité dont il avait fait état dans sa lettre du 27 avril 1994. Quoi qu'il en soit, presque tous ces points touchaient aux informations qui se dégageaient des dossiers mêmes de l'intimé. Les motifs d'inadmissibilité qu'il relevait sont demeurés les mêmes tout au long, savoir qu'en dépit de son engagement du 22 novembre 1990, l'appelante n'avait pas suffisamment séparé ses activités de celles d'Alliance Action, que ces activités ne visaient pas à l'avancement de l'éducation, et qu'elle poursuivait des activités politiques en contravention à la Loi.

L'attente légitime

[84]      L'appelante soutient à ce sujet que la pratique adoptée par l'intimé de " négocier " avec elle au sujet des irrégularités relevées par les audits de 1985 et de 1986, et de lui permettre de prendre certaines " mesures correctives ", donne lieu à l'attente légitime que la même pratique serait observée après la vérification de 1993. Je ne trouve pas cet argument convaincant. À mon avis, le processus suivi durant les négociations du début n'a rien dégagé qui permette d'y voir une " pratique ", et surtout pas une pratique qui consisterait en d'autres négociations et en l'acceptation de " mesures correctives " sans fin. D'ailleurs, je ne pense pas que la doctrine de l'attente légitime ait application en l'espèce. Ainsi que l'a fait observer le juge Sopinka sans Renvoi : Régime d'assistance du Canada (C.-B.)88, cette doctrine ne crée pas des droits proprement dits :

     Or, ni la jurisprudence canadienne ni celle d'Angleterre n'appuient la position selon laquelle la théorie de l'expectative légitime peut créer des droits fondamentaux. Cette théorie fait partie des règles de l'équité procédurale auxquelles peuvent être soumis les organismes administratifs. Dans les cas où elle s'applique, elle peut faire naître le droit de présenter des observations ou d'être consulté. Elle ne vient pas limiter la portée de la décision rendue à la suite de ces observations ou de cette consultation.         

L'argument d'irrecevabilité

[85]      L'argument d'irrecevabilité de l'appelante est tiré de l'assurance donnée par l'intimé dans sa lettre du 23 décembre 1991 que 16 de ses publications étaient considérées comme visant des fins de bienfaisance et pouvaient être distribuées sans conséquence fâcheuse, et de la rétractation subséquente dans sa lettre du 30 novembre 1995 portant révocation de l'enregistrement. L'intimé explique cette rétractation par le fait qu'il avait antérieurement approuvé à tort ces publications et qu'elles n'étaient plus considérées comme de nature caritative. Il affirme que ce changement de position ne figurait pas dans la décision dont est appel, parce que les publications contestées constituaient moins de 50 p. 100 des publications considérées comme de nature non caritative. Et que leur suppression du catalogue de l'appelante ne changerait rien à la conclusion que les activités de cette dernière ne sont pas caritatives.

[86]      Je note que dans Human Life International89 aussi, la contribuable a proposé l'argument d'irrecevabilité, lequel n'a pas été retenu. Il est constant que les circonstances de cette cause sont différentes. Je conclus néanmoins que le dossier corrobore la position de l'intimé. Il semble d'ailleurs que celui-ci n'est pas lié par une conclusion antérieure si elle a été prise par erreur, et qu'il pourrait redresser l'erreur abstraction faite de la position antérieure; v. Ludmer c. Canada90.

L'alinéa 2b) de la Charte

[87]      Le même point a été tranché après délibérations en détail par une autre formation de cette Cour dans Human Life International. Je ne saurais faire mieux à ce sujet que de reprendre la conclusion suivante tirée par le juge Strayer dans le jugement prononcé au nom de la Cour91 :

     En ce qui a trait à l'argument fondé sur la Charte et plus précisément sur la violation alléguée de la liberté d'expression, la prémisse fondamentale de l'appelante ne tient pas. Celle-ci soutient essentiellement que le refus d'accorder une exemption fiscale à ceux qui désirent promouvoir certaines opinions constitue un déni de liberté d'expression. Selon cette prémisse, on pourrait également soutenir que quiconque recherche la satisfaction psychologique de voir ses vues personnelles transmises à ses concitoyens a droit en vertu de la constitution à un crédit d'impôt pour toute somme d'argent qu'il verse à cette fin. La Loi de l'impôt sur le revenu n'empêche nullement l'appelante de diffuser ses opinions, quelles qu'elles soient. En garantissant la liberté d'expression, l'alinéa 2b) de la Charte ne garantit pas aux citoyens qu'ils obtiendront au moyen d'exemptions fiscales le financement public requis pour diffuser leurs opinions peu importe leur degré de justesse ou de sincérité. Naturellement, il se peut que, si l'on prouvait qu'il y a eu discrimination dans l'enregistrement et la révocation de l'enregistrement d'organismes d'une manière qui contrevienne à l'article 15 de la Charte, cela justifie jusqu'à un certain point une contestation fondée sur la constitution. Mais l'appelante n'allègue pas l'existence d'une telle discrimination en l'espèce et n'en a certainement pas apporté la preuve.         

[88]      Je me prononce pour le rejet de l'appel mais, à la demande de l'intimé, sans dépens.

     Signé : A. J. Stone

     ________________________________

     J.C.A.

" Je souscris aux motifs ci-dessus.

     Signé : A.M. Linden, J.C.A. "

" Je souscris aux motifs ci-dessus.

     Signé : F.J. McDonald, J.C.A. "

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     Date : 19990505

     Dossier : A-94-96

Entre

     L'ALLIANCE POUR LA VIE,

     appelante,

     - et -

     LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     intimé

     MOTIFS DU JUGEMENT

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              A-94-96

APPEL CONTRE UN JUGEMENT EN DATE DU 30 NOVEMBRE 1995 DE LA COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT

INTITULÉ DE LA CAUSE :      L'Alliance pour la vie c. Le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      24 novembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT

DE LA COUR                  (les juges Stone, Linden, McDonald)

PRONONCÉS LE :              5 mai 1999

ONT COMPARU :

M. David Sherriff-Scott              pour l'appelante

M. Arthur Drache

M. Roger Leclaire                  pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Arthur B.C. Drache              pour l'appelante

Drache, Burke-Robertson & Buchmayer

Ottawa (Ontario)

M. Morris Rosenberg              pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.).

2      [1996] 2 C.T.C. (C.A.F.); (1996), 195 N.R. 235; 96 D.T.C. 6232.

3      Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. M.R.N., non rapporté, dossier no 25359.

4      Dossier de l'instance, vol. II, p. 307.

5      Dossier de l'instance, vol. I, p. 242.

6      Ibid., page 231.

7      Ibid., page 232.

8      Ibid., page 231.

9      Ibid., page 202.

10      Ibid., page 203.

11      Ibid., page 170.

12      Ibid., page 166.

13      Ibid., page 160. Cette approbation n'a pas été formellement donnée, mais consistait en une mention manuscrite, dans une note de service interne, de l'acceptabilité des modifications envisagées. Selon cette inscription, les deux premiers objectifs étaient " O.K. " et le troisième a été approuvé par téléphone le 28 avril 1992.

14      Ibid., page 156.

15      Ibid., page 98.

16      Ibid., page 102.

17      Ibid., page 85.

18      Ibid.

19      Ibid., page 67.

20      Ibid., page 60.

21      Ibid., page 8.

22      Ibid., page 13.

23      Ibid., page 12.

24      [1891] A.C. 531 (H.L.), page 583.

25      43 Eliz. 1, c. 4.

26      [1965] 1 Ch. 669 (Ch.D.), pages 678 et 679.

27      [1968] A.C. 138 (H.L.), page 154.

28      [1981] A.C. 1 (H.L.), page 15.

29      [1986] 3 C.F. 471 (C.A.), page 482.

30      [1988] 2 C.F. 340 (C.A.), page 350.

31      Voir Positive Action Against Pornography, note 30 supra; Briarpatch Inc. c. La Reine, 96 D.T.C. (C.A.F.); Interfaith Development Education Association of Burlington c. M.R.N., 97 D.T.C. 5424 (C.A.F.).

32      Circulaire d'information 87-1, " Organismes de charité enregistrés " Activités politiques accessoires ", paragraphes 12 à 17.

33      Annexe A de la circulaire d'information 87-1. Les activités politiques y sont classées en trois catégories générales, savoir : a) activités partisanes consistant à soutenir un parti ou un candidat, b) présentation de points de vue aux députés, aux comités parlementaires, etc.; et c) mobilisation de l'opinion publique en vue d'engager les élus à adopter une certaine ligne de conduite.

34      Voir Positive Action Against Pornography c. M.R.N., note 30 supra; N.D.G Neighbourhood Association c. Revenu Canada, 88 D.T.C. 6279 (C.A.F.); Toronto Volgograd Committee c. M.R.N., [1988] 3 C.F. 251 (C.A.).

35      [1982] Ch. 321 (Ch. D.). Cf. Farewell c. Farewell (1892) 22 O.R. 573, où des fins politiques de l'aveu même des intéressés ont été jugées caritatives. Voir aussi Lewis v. Doerle (1898), 25 O.A.R. 206 (C.A.).

36      En page 340.

37      D'ailleurs, certaines juridictions ne considéraient pas comme caritative l'action pour la promotion ou la défense du maintien de la législation en vigueur. Ainsi que l'a fait remarquer le juge Vaisey dans Re Hopkinson, [1949] 1 All E.R. 346 (Ch. D.), en page 350 : " La propagande politique " sous couvert d'éducation ne vaut pas éducation au sens de la Loi d'Elizabeth" En d'autres termes, elle n'est pas une activité de bienfaisance ". Voir In re Koeppler Will Trusts , [1984] Ch. 243, pages 260 et 261, infirmé par d'autres motifs. Voir aussi D.W.M. Waters, Law of Trust in Canada, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1984), page 566, où l'auteur fait observer, dans le même ordre d'idées, qu'" il n'y a guère de doute que, si le but véritable et unique est d'éclairer le public sur les théories et concepts de la conviction politique en général, il y a éducation ". Par contre, il a été jugé qu'une fiducie ayant pour objet de faire respecter la loi en vigueur était une oeuvre de bienfaisance; voir Inland Revenue Commissioners v. City of Glasgow Police Association , [1953] A.C. 380 (H.L.). En jugeant que certains objectifs d'Amnesty International Trust n'étaient pas admissibles pour cause de promotion d'un changement dans la loi ou dans l'orientation sociale, le juge Slade a relevé la différence entre la cause dont il était saisi et la décision Jackson v. Phillip (1867), 96 Mass. 539, par laquelle la Cour suprême du Massachussetts a fait droit à une fiducie pour l'abolition de l'esclavage, et où le juge Gray concluait en page 567 que " délivrer les hommes de l'asservissement que la loi tient pour contraire au droit naturel, à l'humanité, à la justice et à la saine politique sociale, n'est certainement pas moins charitable que d'alléger les souffrances d'animaux ".

38      [1917] A.C. 406 (H.L.), page 442.

39      Note 35 supra, page 340, où il a souligné que " le simple fait que les fiduciaires puissent avoir la faculté d'employer des moyens politiques pour promouvoir des fins non politiques ne fait pas nécessairement de ces dernières des fins non caritatives ". Cf. le paragraphe 149.1(6.2) de la Loi.

40      Note 30 supra.

41      [1998] 3 C.F. 202. Demande d'autorisation de pourvoi en Cour suprême du Canada rejetée, dossier no 26661, jugement en date du 21 janvier 1999.

42      Ibid., page 217.

43      Note 3 supra.

44      Note 29 supra.

45      [1967] R.C.S. 133.

46      Cette conclusion se retrouve dans les motifs dissidents du juge Gonthier, qui s'est prononcé en ces termes au paragraphe 41 :
         Il faut qu'un bienfait objectivement mesurable et socialement utile soit apporté; il faut en outre que ce bienfait soit apporté à un groupe suffisamment large de la population pour être considéré comme un bienfait public.

47      Ce raisonnement se retrouve dans les motifs dissidents prononcés par le juge Gonthier qui note au paragraphe 53 qu'il est possible " de déterminer, dans l'abstrait, si une fin est une fin de bienfaisance ou non, alors qu'on ne peut affirmer la même chose dans le cas des activités ". C'est pourquoi " il faut examiner les fins poursuivies par l'organisme, et ce n'est qu'ensuite qu'on se demande si ses activités se rapportent suffisamment aux fins en question ".

48      Le juge Gonthier a tiré essentiellement la même conclusion au paragraphe 60 des motifs dissidents.

49      Sur ce point encore, le juge Gonthier semble être du même avis, notant au paragraphe 60 que " le facteur clé est la connexité entre l'activité en question et la fin de bienfaisance qu'elle doit servir ".

50      Cette définition d'" éducation " est expressément partagée par le juge Gonthier au paragraphe 77.

51      [1970] T.R. 31, page 33.

52      Cette condition n'a pas été analysée dans le jugement de la majorité, mais dans les motifs dissidents. Au paragraphe 111, le juge Gonthier fait état des deux facteurs suivants : " si les fins poursuivies par l'organisme ne sont pas spécifiées avec suffisamment de clarté, l'oeuvre de bienfaisance pourrait consacrer des dépenses à des fins autres que des fins de bienfaisance ", et le contrôle des oeuvres de bienfaisance par les tribunaux " serait impossible si les fins poursuivies par l'organisme étaient trop vagues ou incertaines ".

53      Dossier de l'instance, vol. 1V, page 719.

54      Ibid.

55      Dans sa lettre du 27 avril 1994, l'intimé fait remarquer que ces envois consistaient en " articles choisis des dossiers de recherche, qui font valoir le point de vue pro-vie de l'organisme de bienfaisance plutôt que de mettre à la disposition du lecteur des informations qui lui permettent de se faire lui-même une opinion sur des questions sociales controversées ".

56      Dossier de l'instance, vol. IV, pages 718 à 820.

57      Ibid., pages 823-835, 867 et s.

58      Dossier de l'instance, vol. I, page 31.

59      Dossier de l'instance, vol. I, page 102.

60      Dossier de l'instance, vol. IV, pages 29-46.

61      Dossier de l'instance, vol. I, page 179.

62      Cf. la conclusion tirée par le juge Slade dans In re Besterman's Will Trust, et qu'il a lui-même citée dans McGovern, note 35 supra, pages 352 et 353 : " " pour qu'une fiducie pour fins de recherche soit valide, il n'est pas nécessaire a) qu'il y ait des rapports enseignant/élève, ou b) que les personnes devant bénéficier des connaissances à acquérir soient en train de recevoir un "enseignement" au sens classique du terme ".

63      Si, comme noté, certains articles en harmonie avec le point de vue pro-vie sont tirés de la presse à grande diffusion, les documents contenus dans les envois aux bibliothèques révèlent une forme plus péremptoire de cette prise de position. Par exemple, un article intitulé " Abortion and Dried Fruit " traite le Dr Henry Morgentaler d'" infâme avorteur " et affirme que les décisions de justice dans ce pays sont déroutantes pour " les Canadiens qui savent que l'enfant encore dans le ventre de sa mère a droit à la protection ". Un autre article, qui s'oppose à la fivète, note que " si l'avortement est immoral, alors le fait de provoquer délibérément la fertilisation en laboratoire, sachant que la vie sera sacrifiée à la science, est doublement immoral ". Même la présentation des statistiques trahit une prise de position morale, sinon idéologique, en ce que les avortements sont classés " morts ".

64      Les brochures destinées aux adolescents sont présentées comme visant à " promouvoir l'abstinence en dehors du mariage " ou à " présenter plein de faits convaincants qui encourageront les jeunes à retarder les rapports sexuels jusqu'au mariage ". De même, les documents sur l'état prénatal semblent clairement présenter le foetus comme comparable à un être humain en vie, malgré les conclusions en sens contraire des tribunaux. Par exemple, l'encart publicitaire du document " Very Much Alive " assure que celui-ci démontre ce qui suit :
         La nature humaine de l'être humain de la conception à la mort repose sur des preuves scientifiques dans cette brochure. Celles-ci anéantissent la théorie démodée et galvaudée de l'" amas de cellules " et démontrent que nous sommes des bébés fonctionnant de façon splendide, qui croissent et se développent dès le moment de la conception.

65      Note 30 supra.

66      Cf. Re Collier (Deceased) (1998), 1 NZLR 81 (H.C.), pages 89 à 96.

67      Note 41 supra.

68      Note 35 supra.

69      Note 38 supra.

70      Cf. Public Trustee v. Attorney General of New South Wales and Ors, [1997] NSW LEXIS 1180 (S.C. (Eq. Div.), page *56-7.

71      (1931), 16 T.C. 34 (Ch. D.), page 38.

72      (1962) 41 T.C. 235 (Ch. D.), page 242.

73      [1975] 1 All E.R. 721 (Ch. D.), page 729.

74      [1986] 1 Ch. 423 (C.A.). Cf. Re Public Trustee and Toronto Humane Society et al. (1987), 40 D.L.R. (4th) 111 (H.C. Ont.), pages 126-129.

75      Ibid., page 432. Cf. Attorney General v. Scott, [1985] 3 All E.R. 334 (Ch. D.). Voir aussi Webb v. O'Doherty and Others, The Times (Londres), 11 février 1991 (Ch. D.), et Southwood and another v. HM Attorney General, The Times (Londres), 9 octobre 1998 (Ch. D.).

76      Everywoman's Health Centre Society (1988) c. M.R.N., [1992] 2 C.F. 52 (C.A.).

77      Cf. Vancouver Society, note 3 supra, motifs prononcés par le juge Iacobucci, paragraphe 194.

78      British Pregnancy Advisory Service, [1976] Ch. Comm. Rep. 26, paragraphe 83(b).

79      McGregor v. Commissioner of Stamp Duties, [1942] NZLR 164 (S.C.); Auckland Medical Aid Trust v. Commissioner of Inland Revenue, [1979] NZLR 382 (S.C.).

80      La jurisprudence en la matière a été récapitulée par H. Picarda dans son ouvrage The Law and Practice Relating to Charities, 2e éd. (Londres : Butterworths, 1995), page 149.

81      Dans Vancouver Society, note 3 supra, paragraphe 67, le juge Gonthier qualifie de " draconiennes " les conséquences de la révocation de l'enregistrement.

82      [1989] 2 R.C.S. 879, pages 895 et 896.

83      [1990] 3 R.C.S. 1170, pages 1191 et 1192.

84      [1990] 1 R.C.S. 653, page 669.

85      (1982), 142 D.L.R. (3d) 539.

86      Ibid., page 544.

87      Ibid., page 548.

88      [1991] 2 R.C.S. 525, pages 557 et 558.

89      Note 41 supra, page 220.

90      [1995] 2 C.F. 3 (C.A.).

91      Note 41 supra, pages 220 et 221.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.