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Date : 20031208

Dossier : A-61-03

Référence : 2003 CAF 471

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                          appelante

                                                                            et

                         POTASH CORPORATION OF SASKATCHEWAN INC.

                                                                                                                                              intimée

                              Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2003.

                               Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                               LE JUGE ROTHSTEIN

                                                                                                                     LA JUGE SHARLOW


Date : 20031208

Dossier : A-61-03

Référence : 2003 CAF 471

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LA JUGE SHARLOW

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                    SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                          appelante

                                                                            et

                         POTASH CORPORATION OF SASKATCHEWAN INC.

                                                                                                                                              intimée

                                                    MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

Point litigieux


[1]                 L'appelante interjette appel contre l'ordonnance par laquelle un juge de la Cour de l'impôt (le juge) a accordé à l'intimée Potash Corporation of Saskatchewan Inc. (PCS), le 28 janvier 2003, l'autorisation de modifier ses actes de procédure. Les motifs de cette décision sont publiés sous l'intitulé Potash Corp. of Saskatchewan Inc. c. Canada, 2003 D.T.C. 509, [2003] C.T.C. 2640 (C.C.I.). Il s'agit maintenant de savoir si le juge a commis une erreur en interprétant le paragraphe 169(2.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la Loi).

[2]                 L'ordonnance visée par l'appel a été rendue à la suite d'une requête présentée par PCS à l'égard de l'appel qu'elle avait interjeté contre de nouvelles cotisations d'impôt établies pour les années 1993, 1994, 1995 et 1996, lequel est maintenant en instance devant la Cour de l'impôt.

Contexte législatif

[3]                 PCS est une « grande société » au sens du paragraphe 225.1(8) de la Loi. Certaines règles spéciales doivent être suivies par les grandes sociétés qui veulent s'opposer à une nouvelle cotisation ou en appeler d'une nouvelle cotisation. Ces règles (les règles relatives aux grandes sociétés) figurent aux paragraphes 165(1.11) et 169(2.1) de la Loi, dont les parties pertinentes sont ainsi libellées :

165. (1.11) Dans le cas où une société qui était une grande société au cours d'une année d'imposition, au sens du paragraphe 225.1(8), s'oppose à une cotisation établie en vertu de la présente partie pour l'année, l'avis d'opposition doit, à la fois :

165. (1.11) Where a corporation that was a large corporation in a taxation year (within the meaning assigned by subsection 225.1(8)) objects to an assessment under this Part for the year, the notice of objection shall

a)         donner une description suffisante de chaque question à trancher;

(a)        reasonably describe each issue to be decided;

b)         préciser, pour chaque question, le redressement demandé, sous la forme du montant qui représente la modification d'un solde, au sens du paragraphe 152(4.4), ou d'un solde de dépenses ou autres montants non déduits applicable à la société;

(b)        specify in respect of each issue, the relief sought, expressed as the amount of a change in a balance (within the meaning assigned by subsection 152(4.4)) or a balance of undeducted outlays, expenses or other amounts of the corporation; and

c)         fournir, pour chaque question, les motifs et les faits sur lesquels se fonde la société.

(c)        provide facts and reasons relied on by the corporation in respect of each issue.

169. (2.1) Malgré les paragraphes (1) et (2), la société qui était une grande société au cours d'une année d'imposition, au sens du paragraphe 225.1(8) et qui signifie un avis d'opposition à une cotisation établie en vertu de la présente partie pour l'année ne peut interjeter appel devant la Cour canadienne de l'impôt pour faire annuler ou modifier la cotisation qu'à l'égard des questions suivantes :

169 (2.1) Notwithstanding subsections 169(1) and 169(2), where a corporation that was a large corporation in a taxation year (within the meaning assigned by subsection 225.1(8)) served a notice of objection to an assessment under this Part for the year, the corporation may appeal to the Tax Court of Canada to have the assessment vacated or varied only with respect to

a)         une question relativement à laquelle elle s'est conformée au paragraphe 165(1.11) dans l'avis, mais seulement à l'égard du redressement, tel qu'il est exposé dans l'avis, qu'elle demande relativement à cette question;

b)          [...]

(a)        an issue in respect of which the corporation has complied with subsection 165(1.11) in the notice, or

(b)        ...

and, in the case of an issue described in paragraph 169(2.1)(a), the corporation may so appeal only with respect to the relief sought in respect of the issue as specified by the corporation in the notice.


[4]                 Les Règles relatives aux grandes sociétés ont été prises en 1995 en vue de décourager les grandes sociétés de réorganiser complètement leurs déclarations de revenu pour une année particulière, après que la procédure d'opposition ou d'appel a été engagée, en se fondant sur de nouvelles interprétations et sur le résultat de décisions judiciaires rendues dans des litiges intéressant d'autres contribuables. R.M. Beith a bien établi la raison d'être de ces dispositions dans le document intitulé « Draft Legislation on Income Tax Objections and Appeals » figurant dans le Report of Proceedings of the Forty-Sixth Tax Conference, 1994 Conference Report (Toronto: Association canadienne d'études fiscales, 1995), 34:2 :

[TRADUCTION] La législation en question vise notamment à définir beaucoup plus tôt les questions contestées, de façon que l'obligation fiscale finale se rapportant à une année d'imposition puisse être déterminée en temps opportun.

Étant donné la complexité de la législation et le nombre de questions soulevées, les années d'imposition d'un nombre important de grandes sociétés sont longtemps demeurées en suspens pendant que des oppositions ou des appels étaient en instance, de sorte que ces sociétés ont pu soulever de nouvelles questions en se fondant sur de nouvelles interprétations et sur le résultat de décisions judiciaires contestées par d'autres contribuables.

Récemment, le vérificateur général et le Comité des comptes publics ont décelé un problème particulier. Une affaire portant sur le calcul de la « déduction relative aux ressources » qui avait abouti à une décision défavorable au ministère a donné lieu à des demandes qui étaient non seulement fondées sur les faits particuliers sur lesquels la cour s'était prononcée, mais aussi sur une nouvelle question se rapportant au calcul de la « déduction relative aux ressources » . Ces demandes, découlant directement et indirectement de la décision rendue par le tribunal, mettaient en cause des montants élevés, au titre de l'impôt et des intérêts.

En résumé, il est essentiel que les revenus soient davantage prévisibles et que les obligations potentielles soient donc déterminées et réglées dans un délai plus raisonnable.


Bref, le Parlement veut que le ministre du Revenu national (le ministre) puisse établir le plus tôt possible la nature et le montant de l'obligation fiscale en souffrance et ses effets fiscaux possibles.

[5]                 Les parties avancent des théories contradictoires au sujet de la portée de ces deux dispositions. L'appelante affirme que les Règles relatives aux grandes sociétés constituent sur le plan juridique un obstacle qui restreint l'appel interjeté devant la Cour de l'impôt aux questions et redressements clairement invoqués dans l'avis d'opposition de la grande société. Le montant du redressement demandé ne peut jamais être supérieur à celui qui est réclamé dans l'avis d'opposition, sauf pour permettre la correction d'erreurs de calcul et d'erreurs techniques mineures.

[6]                 D'autre part, PCS affirme que ces dispositions constituent simplement des règles procédurales qui ne peuvent pas porter atteinte au droit d'une grande société d'être imposée conformément aux règles de fond qui régissent expressément le calcul de son revenu en vertu, par exemple, du paragraphe 2(1), de l'article 3, du sous-alinéa 20(1)(vi) et de l'article 65 de la Loi. PCS soutient qu'en autorisant la modification, le juge exerce son pouvoir discrétionnaire d'une façon raisonnable.


Les faits pertinents

[7]                 Les déclarations de revenu de PCS pour les années visées par l'appel comprenaient des demandes pour la déduction relative aux ressources et la déduction pour épuisement gagnée, lesquelles sont toutes deux déterminées selon une formule qui inclut les bénéfices relatifs à des ressources. Les bénéfices relatifs à des ressources sont de leur côté calculés selon la formule prévue à l'article 1204 du Règlement de l'impôt sur le revenu et comprennent de nombreux éléments factuels.

[8]                 Les nouvelles cotisations visées par l'appel découlaient des modifications apportées au calcul des bénéfices relatifs à des ressources par suite de l'exclusion de certains éléments du revenu. Les catégories de revenu qui étaient exclues du calcul, et le montant du revenu de chaque catégorie, étaient indiqués dans un tableau qui était joint aux avis de nouvelle cotisation; un résumé est donné dans le tableau suivant, tiré du dossier.

Catégorie

1993

($)

1994

($)

1995

($)

1996

($)

Gain sur les opérations de change

3 004 134,00

Revenus tirés d'une entreprise agricole

*122 527,58

*198 137,04

*297 682,00

Revenus de location

*37 124,16

*30 499,74

*26 597,00

Frais de gestion reçus de Saskterra

*1 062,480,00

*1 062 480,00

*708 320,00

Frais de gestion reçus de Transport

*186 000,00

*186 000,00

Revenu tiré de Bredenbury

(22 118,82)

Revenus divers

*192 455,00

*385 523,00

Frais juridiques (Lanigan)

*912 102,18

Ventes de rebuts (Patience Lake)

*21 867,55

Revenus d'intérêt

*913 216,00

Revenus d'intérêt intersociétés

*4 691 618,00

Revenus divers (Patience Lake)

*25 651,56

Revenus d'intérêt (Lanigan)

*814,44

Revenus d'intérêt (siège social)

*1 081 168,96

*2 825 581,00

Revenus d'intérêt (ventes - PCS)

*2 416 459,51

*3 820 790,26

Bail du port

*636 000,00

*636 000,00

*636 000,00

Règlement - assurances (Rocanville)

*3 654 097,00

Nouveau-Brunswick - prime (Potocan)

*71 491,01

Nouveau-Brunswick, revenus de subvention

                  

*10 793,88

*41 370,64

*6 786,00

1 271 503,93

10 236 071,86

8 734 795,90

9 637 277,00

[9]                 PCS a déposé des avis d'opposition pour les années 1993, 1994, 1995 et 1996. Les astérisques, ci-dessus, indiquent les montants qui sont expressément mentionnés dans les avis d'opposition préparés par PCS. La forme de l'opposition pour chaque année est à peu près la même. Ainsi, pour l'année 1995, la partie pertinente de l'avis d'opposition est ainsi libellée :


[TRADUCTION]

II.             Déduction relative aux ressources

Exposé des faits

1. Pour le calcul des bénéfices relatifs à des ressources, en ce qui concerne la déduction relative aux ressources prévue au sous-alinéa 20(1)(v.1) et au règlement, le contribuable a inclus divers éléments de revenu, notamment : un revenu tiré d'une entreprise agricole de 297 682 $; un revenu de location de 26 597 $; les frais de gestion reçus de Saskterra, de 708 320 $; les frais de gestion reçus de Transport, de 186 000 $; divers revenus s'élevant à 192 455 $; des revenus d'intérêt du siège social (les 90 p. 100 restants) de 2 825 581 $; des revenus d'intérêt des ventes de PCS, de 3 820 790,26 $; le bail du port, de 636 000 $ et des revenus de subvention du Nouveau-Brunswick, de 41 370,64 $, ce qui représente en tout une somme de 8 734 795,90 $.

2. La nouvelle cotisation a eu pour effet de réduire les bénéfices relatifs à des ressources du montant de ces divers éléments de revenu, ce qui a entraîné la réduction des déductions relatives aux ressources et de la déduction pour épuisement gagnée.

Motifs de l'opposition

Les divers revenus se rapportent à l'entreprise de production et de commercialisation de potasse et sont liés à l'exploitation de cette entreprise. Comme il en est fait mention dans la décision Echo Bay Mines Ltd. (92 DTC 6437), il s'agit d'un revenu tiré d'une entreprise, par opposition à une activité, de production devant être inclus dans les bénéfices relatifs à des ressources. Ce revenu devrait donc être considéré comme se rapportant à des bénéfices relatifs à des ressources pour ce qui est de la déduction relative aux ressources et de la déduction pour épuisement gagnée.

Redressement demandé

Le redressement demandé est une réduction du revenu net du contribuable pour l'année 1995, de 3 821 473,20 $, soit la somme de la déduction relative aux ressources de 2 183 698,97 $ (25 p. 100 du total des montants imputables aux divers revenus) et de la déduction pour épuisement gagnée de 1 637 774,23 $ (25 p. 100 du total des montants imputables aux divers revenus moins la déduction relative aux ressources).

[10]            En tout, PCS s'est opposée à ce qu'un montant de 1 293 622,75 $ pour l'année 1993, de 10 236 071,86 $ pour l'année 1994, de 8 734 795,90 $ pour l'année 1995 et de 6 633 143 $ pour l'année 1996 soit soustrait de ses bénéfices relatifs à des ressources.


[11]            Le ministre a ratifié les nouvelles cotisations pour ce qui est de la détermination des bénéfices relatifs à des ressources. PCS en a ensuite appelé devant la Cour de l'impôt. Les avis d'appel déposés devant la Cour de l'impôt reprenaient fondamentalement les allégations relatives à la détermination des bénéfices relatifs à des ressources dont il était fait mention dans les avis d'opposition et renfermaient les mêmes précisions.

[12]            Dans le cadre des interrogatoires préalables, l'avocat du ministre a demandé que l'on s'engage à fournir des renseignements au sujet de la question de savoir si certaines catégories de revenu étaient exclues de la détermination des bénéfices relatifs à des ressources pour certaines années, mais y étaient incluses pour d'autres années, et pourquoi elles l'étaient. Par suite de cet engagement, PCS a découvert, ou l'on a rappelé à PCS, que la détermination des bénéfices relatifs à des ressources dans les déclarations de revenu qu'elle avait produites excluait les montants suivants qui, selon ce que PCS affirme maintenant, ont par inadvertance été omis :

1993

Revenus divers

                      98 943 $

1994

Revenus divers

                   240 718 $

1995

Opérations de change

                 3 855 967 $

1996

Revenus tirés d'une entreprise agricole

                    518 497 $

1996

Revenus de location

                      29 565 $


[13]            Toutefois, un examen plus approfondi du dossier permet d'expliquer différemment certaines exclusions. En effet, trois des montants en question semblent avoir été accidentellement exclus; en ce qui concerne deux éléments, une explication obscure est toutefois donnée, à savoir qu'ils ont été [TRADUCTION] « exclus par mesure de précaution compte tenu de la vérification relative à l'année antérieure » . Cela donne à entendre que ces dernières exclusions étaient de nature stratégique et qu'il ne s'agissait pas d'exclusions accidentelles.

[14]            Environ trois semaines avant l'instruction, PCS a présenté devant la Cour de l'impôt une requête en vue de faire modifier son avis d'appel, de façon à inclure ces éléments pour le motif qu'ils ne soulèvent pas de questions qui n'ont pas déjà été soulevées à l'égard d'autres éléments et que le ministre ne subirait aucun préjudice. PCS affirme que cette modification est nécessaire pour éviter que le ministre allègue dans l'avenir que ces cinq nouveaux éléments sont assujettis à un plaidoyer fondé sur la chose jugée ou sur l'irrecevabilité pour identité des questions en litige (voir Canada c. Chevron Canada Resources Ltd. (C.A.), [1999] 1 C.F. 349).

[15]            À moins que les avis d'appel ne soient modifiés comme l'a demandé PCS, la Loi ne prévoit aucun mécanisme permettant à PCS d'obliger le ministre à en tenir compte, même si PCS a raison de dire que ces éléments auraient dû être inclus dans la détermination de ses bénéfices relatifs à des ressources. La Loi permet au contribuable de contester l'exactitude d'une cotisation au moyen d'une opposition ou d'un appel mais, à part la procédure d'opposition et la procédure d'appel, le ministre ne peut pas être contraint à établir une nouvelle cotisation (à quelques exceptions près, dont aucune n'est ici pertinente).


[16]            Le juge a accueilli la requête, de sorte qu'il a permis à PCS de modifier son avis d'appel devant la Cour de l'impôt. Selon l'interprétation de l'alinéa 169(2.1)a) de la Loi que le juge avait donnée, PCS avait suffisamment observé le paragraphe 165(1.11) en précisant dans les avis d'opposition la question à trancher, à savoir la question des réductions concernant les bénéfices relatifs à des ressources, en utilisant le simple titre : « Déduction relative aux ressources » et en indiquant les montants controversés aussi exactement qu'il était alors possible de le faire. Le juge a conclu que le fait que PCS avait omis de préciser certaines catégories du calcul des bénéfices relatifs à des ressources, ce qui voulait dire que le montant total controversé était légèrement supérieur à celui qui était mentionné dans l'avis d'opposition, n'empêchait pas PCS de faire examiner ces éléments additionnels en tant que partie intégrante de la détermination de la question de savoir si les bénéfices relatifs à des ressources avaient été correctement déterminés.

Norme de contrôle


[17]            PCS soutient que l'expertise de la Cour canadienne de l'impôt en matière de droit fiscal justifie que l'on fasse preuve de retenue envers cette cour sur pareilles questions, y compris l'interprétation de la Loi. Cet argument est fondé sur l'analyse pragmatique et fonctionnelle de la norme de contrôle à appliquer aux décisions administratives, telle qu'elle a été élaborée dans une série d'arrêts, notamment Pushpanathan c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 982, Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20 et Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19. Je dois rejeter cet argument. En effet, la Cour canadienne de l'impôt n'est pas un tribunal administratif. Conformément à l'article 3 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. 1985, ch. T-2, il s'agit d'une cour d'archives (une cour supérieure d'archives depuis le 2 juillet 2003, soit la date d'entrée en vigueur de l'article 60 de la Loi sur le service administratif des tribunaux judiciaires, L.C. 2002, ch. 80). Dans les nombreux examens qu'elle a effectués au sujet de la question de la norme de contrôle, la Cour suprême du Canada n'a jamais statué que l'analyse pragmatique et fonctionnelle s'applique aux appels de décisions rendues par des tribunaux de première instance.

[18]            La détermination de la question de savoir si un contribuable a décrit d'une façon raisonnable une question pour l'application du paragraphe 165(1.11) est une question mixte de fait et de droit. Cela étant, la présente cour peut uniquement annuler la décision si une erreur manifeste dominante a été commise, dans la mesure où la décision est fondée sur une interprétation correcte du droit (Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, paragraphe 28). Il n'est pas nécessaire de faire preuve de retenue à l'égard d'une conclusion viciée par une mauvaise interprétation du critère juridique approprié (voir Baker Petrolite Corp. c. Canwell Enviro-Industries Ltd. [2002] A.C.F. no 614 (C.A.), juge Rothstein, paragraphe 52).


[19]            En l'espèce, le juge a entrepris son analyse légale en se fondant sur la thèse selon laquelle les Règles relatives aux grandes sociétés doivent être interprétées strictement parce qu'elles « dérogent au droit étendu des contribuables d'en appeler d'une cotisation fiscale, et le restreignent » . Cette approche n'est pas correcte. La Cour suprême du Canada a rejeté l'interprétation stricte des lois fiscales lorsqu'elle a statué ce qui suit dans l'arrêt Stubart Investments Ltd. c. Sa Majesté la Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 :

Comme nous l'avons vu, le rôle des lois fiscales a changé dans la société et l'application de l'interprétation stricte a diminué. Aujourd'hui, les tribunaux appliquent à cette loi la règle du sens ordinaire, [...]

Bien que les remarques E.A. Dreidger dans son ouvrage Construction of Statutes (2e éd. 1983), à la p. 87, ne visent pas uniquement les lois fiscales, il y énonce la règle moderne de façon brève :

[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

(Voir également Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, [2002] A.C.S. no 43; 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804). À mon avis, le fait que le juge a mal compris l'approche qu'il convenait d'adopter à l'égard de l'interprétation l'a amené à tirer une conclusion erronée au sujet de la question de savoir ce qui constituait une description raisonnable de la question. Par conséquent, selon l'approche qu'il convient d'adopter, la présente cour doit déterminer ce qui constitue une description raisonnable de la question en litige.

Analyse


[20]            Le paragraphe 165(1) confère à chaque contribuable le droit d'obliger le ministre à réexaminer la cotisation d'impôt qu'il a établie en signifiant à celui-ci un avis d'opposition dans lequel sont énoncés les motifs de l'opposition et tous les faits pertinents. D'autre part, le paragraphe 169(1) confère au contribuable qui a signifié un avis d'opposition le droit d'en appeler de la cotisation devant la Cour de l'impôt. La Loi ne donne aucune directive au sujet de ce qu'il faut inclure dans l'avis d'appel.

[21]            Les règles relatives aux grandes sociétés imposent des exigences additionnelles aux grandes sociétés qui s'opposent à une cotisation établie par le ministre. En l'espèce, la question principale se rapporte au sens à attribuer aux mots « chaque question » figurant dans l'expression « donner une description suffisante de chaque question à trancher » à l'alinéa 165(1.11)a) de la Loi. En interprétant ces mots, le juge a fait les remarques suivantes :

La question est le problème juridique en litige entre le contribuable et l'ADRC. Elle n'a pas à être décrite de façon précise mais, si elle l'est, elle peut renvoyer aux numéros d'articles pertinents de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou reproduire ou paraphraser leur libellé.

[22]            Je ne souscris pas à cette remarque. Contrairement à ce que le juge a dit, une grande société n'est pas tenue de décrire la question « de façon précise » , mais elle est tenue de donner une description « suffisante » . Or, ce qui est suffisant diffère d'un cas à l'autre et dépend du degré de précision nécessaire pour permettre au ministre de connaître chaque question à trancher.


[23]            En établissant une nouvelle cotisation à l'égard de PCS, le ministre énonce les éléments précis de revenu qui ont été refusés en tant que partie intégrante des bénéfices relatifs à des ressources (voir le paragraphe 8). En déposant son avis d'opposition, PCS s'est opposée au rejet de ces éléments de revenu, en les décrivant de la même façon que le ministre. Cela était conforme à l'alinéa 165(1.11)a) puisque les questions visées par l'opposition étaient alors définies d'une façon suffisante.

[24]            Contrairement à ce qu'a dit le juge, il n'aurait pas été suffisant de se contenter de dire que c'était la question de la détermination de la « déduction relative aux ressources » ou des « bénéfices relatifs à des ressources » qui était en litige sans préciser les éléments particuliers qui devaient être déterminés par le ministre ou par la Cour de l'impôt. Une description aussi générale aurait pour effet de rendre inutiles les Règles relatives aux grandes sociétés et irait à l'encontre de leur objet.

[25]            L'interprétation de l'alinéa 165(1.11)a) que le juge a donnée pourrait uniquement être retenue si le libellé de la disposition l'exigeait clairement, ce qui n'est pas ici le cas. Par conséquent, le juge a commis une erreur en accordant l'autorisation de modifier l'avis d'appel en vue d'inclure les cinq éléments susmentionnés et de modifier en conséquence le montant du redressement demandé.

[26]            Je reconnais que ce résultat est dur pour PCS et qu'il s'agit d'une règle dure pour les grandes sociétés. En effet, une grande société qui découvre une erreur dans une déclaration de revenu après avoir déposé un avis d'opposition ou un avis d'appel pourrait constater qu'elle ne peut pas engager des procédures en vue d'obliger le ministre à corriger l'erreur. Toutefois, tel est le résultat visé par le législateur.


[27]            Le juge a fait un certain nombre de remarques au sujet de l'exigence légale voulant qu'un « montant » soit précisé pour chaque question. S'il avait conclu, comme il aurait dû le faire, que PCS n'a pas le droit d'inclure les cinq éléments contestés dans l'avis d'appel, il n'aurait pas été nécessaire de traiter de la quantification. Je n'ai pas non plus de remarques à faire à ce sujet. Je préfère remettre à plus tard la question de savoir si l'obligation de « préciser, pour chaque question, le redressement demandé, sous la forme du montant qui représente la modification d'un solde, au sens du paragraphe 152(4.4), ou d'un solde de dépenses ou autres montants non déduits applicables à la société » lie nécessairement une grande société pour ce qui est du montant mentionné, ou pour un montant inférieur. Il est possible de soutenir que, dans certains cas, la modification d'un avis d'appel serait permise si la modification portait uniquement sur le montant sans qu'une nouvelle question soit soulevée.

Charte canadienne des droits


[28]            PCS soutient que les Règles relatives aux grandes sociétés violent l'alinéa 2e) de la Charte canadienne des droits. Je ne suis pas d'accord. Cette disposition garantit le droit à une audience équitable conformément aux principes de justice fondamentale. PCS a le droit de faire déterminer par la Cour de l'impôt l'obligation fiscale qui lui incombe en vertu de la Loi. En l'espèce, elle a perdu le droit d'en appeler des cinq nouvelles questions compte tenu de la façon dont elle a libellé ses avis d'opposition. Puisqu'elle a elle-même défini les questions à trancher, PCS a en fait renoncé au droit d'en appeler d'autres questions et ne peut pas maintenant affirmer que ces deux dispositions portent atteinte à son droit à une audience équitable.

Résumé et conclusion

[29]            Les modifications que l'on envisage d'apporter à l'avis d'appel visent à inclure dans la détermination des bénéfices relatifs à des ressources au cours des quatre années visées par l'appel cinq nouveaux éléments de revenu non mentionnés dans l'avis d'opposition et, par conséquent, visent à augmenter le montant de la déduction relative aux ressources et de la déduction pour épuisement gagnée par rapport au montant mentionné dans les avis d'opposition. Il serait contraire aux dispositions du paragraphe 169(2.1) d'autoriser PCS à modifier ainsi son acte de procédure.


[30]            L'appel devrait être accueilli, les dépens étant adjugés devant la présente cour et devant la Cour de l'impôt. L'ordonnance que la Cour de l'impôt a rendue le 28 janvier 2003, telle qu'elle a été modifiée par une ordonnance en date du 13 février 2003, devrait être annulée et la requête que l'intimée a présentée devant la Cour de l'impôt le 14 janvier 2003 en vue de faire modifier son avis d'appel devrait être rejetée.

« B. Malone »

Juge

« Je souscris aux présents motifs.

Marshall Rothstein, juge »

« Je souscris aux présents motifs.

K. Sharlow, juge »

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         A-61-03

INTITULÉ :                                                        Sa Majesté la Reine

c.

Potash Corporation of Saskatchewan Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 19 novembre 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                          le juge Malone

Y ONT SOUSCRIT :                                        le juge Rothstein

la juge Sharlow

DATE DES MOTIFS :                                     le 8 décembre 2003

COMPARUTIONS :

Wendy Burnham et

Ifeanyichukwu Nwachukwu                                 POUR L'APPELANTE

Guy Du Pont

Mathieu Bouchard

Michael Kandev                                                   POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    

Ottawa (Ontario)                                                  POUR L'APPELANTE

Davies Ward Phillips & Vineberg

Montréal (Québec)                                               POUR L'INTIMÉE


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