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Date : 20001221

Dossier : A-152-99

OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 21 DÉCEMBRE 2000

CORAM :         LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE SEXTON                 

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                      KWONG YAU YUEN

                                                                                                                                   appelant

                                                                          (demandeur à la Section de première instance)

                                                                       et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                       intimé

                                                                            (défendeur à la Section de première instance)

                                                             JUGEMENT

La question suivante reçoit une réponse négative :

L'alinéa 19(1)c2) de la Loi sur l'immigration, en ce qu'il s'applique à un ressortissant étranger, contrevient-il à l'alinéa 2d) de la Charte et, si oui, est-ce une contravention dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique?


L'appel est rejeté avec dépens.

                                                                                                                      Gilles Létourneau                

                                                                                                                                      J.C.A.                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20001221

Dossier : A-152-99

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE SEXTON               

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                      KWONG YAU YUEN

                                                                                                                                   appelant

                                                                          (demandeur à la Section de première instance)

                                                                       et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                       intimé

                                                                            (défendeur à la Section de première instance)

Entendu à Toronto (Ontario), le mercredi 13 décembre 2000

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le jeudi 21 décembre 2000

MOTIFS DE JUGEMENT :                                                                     LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                      LE JUGE LÉTOURNEAU

                                                                                                               LE JUGE SEXTON


                                                                                                                                               

Date :200012221

Dossier : A-152-99

CORAM :       LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE SEXTON                 

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                      KWONG YAU YUEN

                                                                                                                                   appelant

                                                                          (demandeur à la Section de première instance)

                                                                       et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                       intimé

                                                                            (défendeur à la Section de première instance)

                                                  MOTIFS DE JUGEMENT

LE JUGE MALONE

[1]                Cet appel porte sur une question certifiée suite à la décision du juge Cullen, en date du 5 mars 1999, par laquelle il rejetait la demande de contrôle judiciaire de l'appelant. La question certifiée formulée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration est la suivante :

L'alinéa 19(1)c2) de la Loi sur l'immigration, en ce qu'il s'applique à un ressortissant étranger, contrevient-il à l'alinéa 2d) de la Charte et, si oui, est-ce une contravention dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique?[1]

[2]    L'appelant est un citoyen de Hong Kong qui est arrivé au Canada comme visiteur en 1982. Son statut de visiteur a expiré le 22 octobre de la même année, mais il est demeuré au Canada depuis lors. Il a épousé une citoyenne canadienne, avec qui il a eu deux enfants nés au Canada.

[3]    En mars 1986, l'appelant a bénéficié d'un permis du ministre qui lui permettait de rester au Canada. Ce permis a été prolongé jusqu'en janvier 1994, période durant laquelle l'appelant a fait une demande de résidence permanente. Cette demande a été rejetée. Une enquête tenue en vertu de l'article 27 a conclu que l'appelant était une personne au Canada, autre qu'un citoyen canadien ou un résident permanent, qui n'était pas admissible en vertu de l'alinéa 19(1)c2) et du sous-alinéa 19(2)a1)(1) de la Loi.


[4]    Cette conclusion qu'il n'était admissible a été tirée du fait que l'appelant avait, au cours de son adolescence, été membre de la bande « 14K triad » à Hong Kong. Personne ne conteste qu'alors qu'il était à Hong Kong, l'appelant a été trouvé coupable de diverses infractions, notamment le fait d'avoir été membre d'une triade, la possession d'écrits d'une triade, le vol et la possession d'équipement utilisé pour perpétrer des vols, ainsi que le fait d'avoir été passager dans un véhicule pris sans autorisation. Il a aussi été arrêté au Canada avec un vieil ami de Hong Kong qui était venu lui rendre visite. Ils étaient accusés de conspiration pour exporter et faire le trafic d'un narcotique, ainsi que d'avoir fait le trafic. Les accusations contre l'appelant ont été suspendues, mais son ami a été condamné à 15 ans de prison pour possession d'héroïne en vue du trafic[2].

[5]    Ayant conclu que l'alinéa 19(1)c2) de la Loi, en ce qu'il s'applique à un ressortissant étranger, ne contrevenait pas à l'alinéa 2d) de la Charte, le juge des requêtes a rejeté la demande de contrôle judiciaire. Selon l'appelant, il s'agit d'une erreur de droit. De plus, l'appelant soutient que la violation de l'alinéa 2d) ne peut être justifiée par l'article premier de la Charte.

[6]    Je suis d'avis que cet appel doit être rejeté. Devant nous, l'appelant a la charge d'établir qu'il y a eu violation de ses droits garantis par la Charte et que l'alinéa 19(1)c2) de la Loi sur l'immigration est inconstitutionnel[3]. Afin de déterminer si les dispositions de la Charte sont enclenchées, les tribunaux doivent examiner les principes et les politiques qui sous-tendent la Loi sur l'immigration. Un principe fondamental de la Loi veut que les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au Canada ou d'y demeurer. Le gouvernement canadien, agissant par l'entremise du ministre, a le devoir d'empêcher des étrangers d'entrer et celui de les expulser s'il le juge à propos[4].


[7]                L'appelant n'est pas citoyen canadien, non plus qu'un résident permanent. Il et un ressortissant étranger. L'organisation à laquelle l'appelant veut s'associer ou s'est déjà associé est la « 14K triad » , qui est installée à Hong Kong. La preuve démontre que l'unique objectif de cette organisation est la commission de crimes en vue d'un gain financier.

[8]                Dans l'arrêt Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), la Cour suprême du Canada a fait remarquer qu'on avait reconnu l'importance de la liberté d'association comme droit fondamental avant l'adoption de la Charte. Elle consistait en la liberté pour deux ou plusieurs personnes de s'associer, pourvu qu'elles n'enfreignent aucune règle spécifique de common law ou de droit écrit en poursuivant un objet illicite ou en cherchant à atteindre un objet licite par des moyens illicites[5]. Dans l'arrêt Institut professionnel de la Fonction publique du Canada, la Cour suprême a décrit la portée de la garantie prévue à l'alinéa 2d)[6] :

La première proposition ... selon la quelle l'al. 2d) protège la liberté de constituer une association, de la maintenir et d'y appartenir ... la deuxième proposition, ... l'idée que l'al. 2d) ait été conçu pour protéger une activité parce que cette activité est essentielle à l'existence de l'association [est rejetée] ... La troisième proposition, selon laquelle l'al. 2d) protège l'exercice collectif des droits et libertés individuels consacrés par la Constitution ... liberté de conscience et de religion. ...La quatrième proposition, selon laquelle l'al. 2d) protège l'exercice des droits légitimes des personnes.


[9]                La formulation de la Charte démontre clairement que l'alinéa 2d) ne protège l'exercice du droit d'association que pour des fins ou des objectifs licites. Le fait de restreindre l'exercice collectif d'une activité illicite ne peut être une violation du droit d'association, puisque la garantie visant la liberté du droit d'association n'accorde pas le droit de s'associer à des fins illicites[7]. Tant que la restriction visée par la loi ne vise pas la mise sur pied ou l'existence même de l'association, elle n'enfreint pas l'alinéa 2d)[8].

[10]            Lorsqu'une organisation, comme celle qui est en cause ici, n'a qu'une seule fin brutale, la simple appartenance suffit à soumettre l'appelant à l'alinéa 19(1)c2) de la Loi[9]. Comme le juge Linden, J.C.A., le dit dans l'arrêt Sivakumar[10] :


« En bref, l'association avec une personne ou une organisation responsable de crimes internationaux peut emporter complicité si l'intéressé a personnellement ou sciemment participé à ces crimes, ou les a sciemment tolérés. La simple appartenance à un groupe responsable de crimes internationaux ne suffit pas, à moins que cette organisation ne poursuive des ‘fins limitées et brutales'. »

[11]            Ce principe a été réitéré par notre Cour plus tôt cette année, dans l'arrêt Hussein Ali Sumaida[11] exprimant l'avis unanime de la Cour et appliquant l'arrêt Sivakumar, le juge Létourneau, J.C.A., décrit la question comme suit :

Notre Cour n'a jamais exigé . . . qu'un demandeur soit lié à des crimes précis en tant que leur auteur réel ou que les crimes contre l'humanité commis par une organisation soient nécessairement et directement attribuables à des omissions ou à des actes précis du demandeur. En fait, en l'absence de cette participation directe et d'une preuve pour l'appuyer, notre Cour a accepté la notion de complicité définie comme une participation personnelle et consciente dans l'affaire Ramirez (voir la page 438 de l'arrêt Sivakumar), de même qu'une complicité par association qui s'entend du fait qu'un individu peut être tenu responsable d'actes commis par d'autres personnes en raison de son association étroite avec les auteurs principaux (voir pages 439 et 440 de l'arrêt Sivakumar).

[12]            Selon moi, le juge des requêtes a aussi fait une distinction correcte entre la présente affaire et celle d'Al Yamani[12]. Dans cette affaire, la Cour n'avait pas à traiter de l'alinéa 19(1)c2), mais bien d'une disposition différente. C'est le fait que la description de l'organisation à l'alinéa 19(1)g) était vague, savoir une de celles dont on peut penser qu'elles commettront des actes de violence, qui a amené la Cour dans cette affaire à conclure que la disposition en question violait l'alinéa 2d) de la Charte.


[13]            De plus, l'organisation en cause ici n'a aucun objectif légitime, contrairement à celle en cause dans l'affaire Yamani. De plus, les activités qui sont interdites par l'alinéa 19(1)c2) sont plus précises que celles en cause dans l'affaire Yamani. En l'instance, les activités se limitent à des infractions aux dispositions du Code criminel ou de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Lorsque les activités interdites ont été perpétrées à l'extérieur du Canada, il est nécessaire qu'il y ait une équivalence et une conclusion de criminalité dans les deux instances pour que l'alinéa 19(1)c2) s'applique. Finalement, même s'il y a eu un crime, il reste possible qu'une personne reçoive le bénéfice d'une disposition qui autorise l'admission au Canada dans la mesure où celle-ci est compatible avec l'intérêt national.

[14]            Au vu de mes conclusions que le juge des requêtes a correctement décidé qu'il n'y a pas eu violation de l'alinéa 2d) de la Charte, je n'ai pas à traiter de l'argument fondé sur l'article premier. Je réponds donc à la question certifiée par la négative et rejette l'appel avec dépens.

                                                                                            B. Malone           

                                                                                                  J.C.A.               

Je souscris à ces motifs

Gilles Létourneau

J.C.A.

Je souscris à ces motifs

J. Edgar Sexton

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                              A-152-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Kwong Yau Yuen

et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 13 décembre 2000

MOTIFS DE JUGEMENT : le juge Malone, J.C.A.

Y ONT SOUSCRIT :              le juge Létourneau, J.C.A.

le juge Sexton, J.C.A.

EN DATE DU :                                   21 décembre 2000

ONT COMPARU

M. Irvin H. Sherman, c.r.                       pour l'appelant

Mme Lori Hendricks                               pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Martinello & Associates                         pour l'appelant

Toronto (Ontario)

Morris A. Rosenberg                             pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada



[1]Yuen c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] J.C.F. no 167 (C.F.C.).

[2] Dossier d'appel, p. 77 à 98.

[3] R. c. Collins, (1987) 1 R.C.S. 265, à la p. 277; Delisle c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 989.

[4] Chiarelli c. Canada (M.C.I.), [1992] 1 R.C.S. 711, à la p. 733; Dehghani c. Canada (M.E.I.), [1993] 1 R.C.S. 1053, à la p. 1070.

[5]Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.) (1987) 1 R.C.S. 313, à la p. 403.

[6]Institut professionnel de la Fonction publique du Canada c. Territoire du Nord-Ouest (commissaire), [1990] 2 R.C.S. 367, aux p. 402 et 403.

[7]Institut professionnel de la Fonction publique du Canada, précité, à la p. 379; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), précité, aux p. 227 à 229.

[8]Institut professionnel de la Fonction publique du Canada, précité, à la p. 379.

[9] L'alinéa 19(1)c2) est rédigé comme suit :

s. 19(1) no person shall be granted admission who is a member of the following classes:

s. 19.(1) Les personnes suivante appartiennent à une catégorie non admissible:

(c.2) persons, who there are reasonable grounds to believe are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity, planned and organized by number of persons acting in concert in the furtherance of the omission of any offense under the Criminal Code or Controlled Drugs and Substances Act that may be punishable by way of indictment or in the commission outside of Canada of an act or omission that if committed in Canada would constitute such an offence except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest.

c.2) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction au Code criminel ou à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui peut être punissable par mise en accusation ou a commis à l'étranger un fait -- acte ou omission -- qui, s'il avait été commis au Canada, constituerait une telle infraction, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

[10] Sivakumar c. M.E.I.(1994) 1 C.F. 433, à la p. 442.

[11]Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66, à la p. 79.

[12]Al Yamani c. Canada (Procureur général) et autres, (1995) 129 D.L.R. (4th) 226.

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