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     A-332-95

CORAM :      LE JUGE DENAULT

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :


PATRICIA WATT

Modifié lors de l'audience

PATRICIA WATT

PAR SON EXÉCUTEUR TESTAMENTAIRE

DONALD WATT,


appelante,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.

AUDIENCE TENUE à Toronto (Ontario), le lundi 22 septembre 1997 et le mercredi 24 septembre 1997.

JUGEMENT rendu à l'audience à Toronto (Ontario), le mercredi 24 septembre 1997.

MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE DÉCARY

     A-332-95

CORAM :      LE JUGE DENAULT

         LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE ROBERTSON

ENTRE :


PATRICIA WATT

Modifié lors de l'audience

PAR L'INTERMÉDIAIRE DE SON EXÉCUTEUR TESTAMENTAIRE

DONALD WATT,


appelante,


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE,


intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

(Prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario)

le mercredi 24 septembre 1997.)

LE JUGE DÉCARY :

     Il s'agit, encore une fois, d'une affaire portant sur la notion d'"attente raisonnable de profit", dans le cadre de ce que le juge de la Cour de l'impôt a décrit comme étant :

                 [... ] Cette affaire constitue une situation unique dans laquelle des parents entrepreneurs ayant de gros moyens cherchent à établir une entreprise dans un contexte où leur fille apprend à monter à cheval et à exécuter des sauts en vue d'atteindre le plus haut niveau dans les concours internationaux.                 

     Dans l'exposé de ses motifs, le juge de la Cour de l'impôt n'a pas pu s'inspirer des arrêts récemment rendus par la Cour dans les affaires Tonn c. Canada1, Mastri c. Canada2 et Mohammad c. Canada3. S'il avait eu accès à l'arrêt Tonn, il se serait peut-être exprimé différemment.

     En un mot, la requérant soutient que le juge de la Cour de l'impôt a commis trois erreurs dans sa manière d'appréhender le problème : a) il a commis une erreur sur le principe à appliquer lorsque, au début de l'exposé de ses motifs, il a déclaré que "En l'absence de profit effectif, il semblerait que ce seul fait soit une présomption qui empêche de conclure à une attente raisonnable de profit"; b) il a permis à l'"élément personnel" de l'entreprise de décider de l'appel; et c) il a mal défini la nature de l'entreprise du contribuable et, ce faisant, est parvenu à des conclusions erronées que n'étaye pas la preuve.

     En ce qui concerne la première erreur alléguée par l'appelante, nous convenons, avec son avocat, que ce principe ne peut se réclamer de la jurisprudence. Tout en reconnaissant que cette manière d'énoncer le problème [traduction] "était un peu outrée", l'avocat de l'intimée fait néanmoins valoir que ladite affirmation n'a aucunement influencé la manière dont le juge a ensuite analysé la preuve. Nous en convenons avec l'avocat de l'intimée. Après avoir examiné dans leur intégralité les motifs du jugement, nous estimons que le juge de la Cour de l'impôt n'a pas fait une application erronée du critère posé par la jurisprudence.

     En ce qui concerne la deuxième erreur présumée, une interprétation juste des arrêts Tonn4 et Mastri5 nous permet d'affirmer que : a) un élément personnel peut effectivement coexister avec un but lucratif; b) l'existence d'un élément personnel portera la Cour à faire une application plus assidue du critère de l'attente raisonnable de profit; et c) là où l'élément personnel est "poursuivi d'abord et avant tout"6, la preuve incombant au contribuable sera beaucoup plus exhaustive. La Cour estime que le juge de la Cour de l'impôt a conclu que, au vu de la preuve qui lui était présentée, l'avantage personnel prédominait en l'occurrence et, dans ce contexte-là, il a appliqué le critère de l'attente raisonnable de profit. Il n'a en cela commis aucune erreur.

     En ce qui concerne la troisième erreur présumée, l'avocat de l'appelante fait valoir que c'est à tort que le juge de la Cour de l'impôt a décrit l'entreprise du contribuable comme la "vaste entreprise de l'appelante que représentent les sauts d'obstacles, l'entraînement et l'écurie...", estimant en conclusion que "...le perfectionnement d'un cavalier principal, en l'absence d'autres indices commerciaux importants, [n']étaye [pas] la conclusion du profit ou de l'attente raisonnable de profit". Pour l'avocat, une entreprise telle que celle-là doit se développer petit à petit, la première étape étant la formation d'un cavalier principal et toutes les pertes découlant de cette formation d'un cavalier principal doivent être considérées comme des pertes imputables au lancement de l'entreprise.

     Cet argument est contraire à la déposition de l'appelante qui a donné de sa prétendue entreprise équestre la description suivante :

                 [traduction]                 
                 Une entreprise équestre comprend l'achat et l'entraînement de chevaux; leur installation dans un lieu adapté; des locaux qui leur sont affectés et qui permettent d'accueillir des élèves; la possibilité de louer des emplacements dans la grange, de former des élèves, de réunir les fonds nécessaires pour participer à des concours hippiques; la fourniture de capitaux permettant d'acheter des poulains, de les revendre, de les entraîner, de les revendre.                 
                 C'est une sorte de processus qu'il faut enclencher. Ce qu'il faut, cependant -- l'essentiel -- c'est que cette personne, votre cavalier principal, ait atteint une certaine notoriété dans le monde, afin d'attirer des gens qui voudront venir s'entraîner-là."                 
                 [Dossier d'appel, App. II, aux p. 294, 295]                 
                 (non souligné dans l'original)                 

     Son témoin expert, M. Ian Millar, a déclaré que, pour être viable, une entreprise équestre a besoin de trois choses, par ordre décroissant d'importance : un cavalier accompli qui occupera le poste de cavalier/professeur/entraîneur, de bons chevaux et des locaux adaptés. Il estime que pour être un cavalier accompli, il faut remporter des concours de grand prix, un cavalier commençant généralement à y participer vers l'âge de 18 ans. M. Millar a ensuite dit que l'expérience acquise sur le circuit des grands prix revêt une importance essentielle et que la plupart des cavaliers de haut niveau ont atteint la trentaine et la quarantaine. (Dossier d'appel, App. I, Vol. III, aux p. 368-373, 386 et 413-415). Il y a lieu de noter qu'au cours des années d'imposition en cause, la fille de l'appelante avait entre 13 et 15 ans.

     Lorsque le juge de la Cour de l'impôt a parlé de "vaste entreprise que représentent les sauts d'obstacles, l'entraînement et l'écurie", il s'agissait d'une conclusion de fait qui est inattaquable. D'ailleurs, il ressort clairement de la preuve qu'au cours des années d'imposition en cause, la fille de l'appelante était loin d'être une cavalière "accomplie", selon la définition qu'en a donnée M. Millar, et en était au tout début de ce processus d'apprentissage ou de formation. Vu les circonstances, le juge de la Cour de l'impôt pouvait à bon droit conclure que "on s'est engagé sur la voie menant à la création d'une entreprise, mais, durant les années en question, l'ensemble ou la plupart des éléments nécessaires étaient absents.".

     Au vu de la preuve, le juge de la Cour de l'impôt a en fait conclu que, au cours des années 1986, 1987 et 1988, l'entreprise de l'appelante n'était pas structurée, organisée, équipée, financée et planifiée de manière à pouvoir, à l'époque, être considérée comme raisonnablement susceptible d'être un jour rentable. Autrement dit, le juge de la Cour de l'impôt pouvait à bon droit considérer que, en ce qui concerne les années d'imposition en question, la période de démarrage de l'entreprise " "un délai de grâce pour les nouvelles entreprises", pour reprendre les termes du juge Linden dans l'arrêt Tonn7 " n'avait pas encore débuté. Dans l'arrêt Landry c. La Reine8, la Cour a décidé qu'un délai de grâce ne peut durer éternellement. La question qui se pose en l'occurrence est donc de savoir à quelle époque peut-on dire que le délai de grâce commence réellement. Il semblerait que, dans un cas comme celui-ci, la période de démarrage commence, non pas lorsqu'on pourrait raisonnablement s'attendre à ce que la cavalière soit devenue une cavalière accomplie, mais lorsqu'elle l'est effectivement devenue, à supposer bien sûr qu'à cette époque-là tous les autres facteurs prévus se trouvent également réunis. En attendant, les coûts de formation de la cavalière ne peuvent être considérés que comme des dépenses de formation préalable au lancement de l'entreprise, ainsi que M. Millar l'a lui-même fait remarquer, en réponse à la question [traduction] "comment former une cavalière?", la cavalière [traduction] "s'adresserait à une entreprise qui enseigne comment monter à cheval, comment entraîner les chevaux, comment s'en occuper et comment gérer un élevage" (Dossier d'appel, App I, Vol. III, à la p. 379). Notons que pas plus tard que 1991, c'est-à-dire trois ans après les années d'imposition en cause et à l'époque où la fille de l'appelante avait commencé à s'entraîner à la Millar Brook Farm, l'élevage de Ian Millar, son père estimait encore que sa fille était inscrite à [traduction] "l'université hippique" (Dossier d'appel, App. I, Vol. I, à la p. 97). Suivre des cours et une formation c'est comme aller à l'université; à ce stade-là, on ne peut guère encore parler d'entreprise et encore mois d'entreprise ayant une attente raisonnable de profit9.

     L'appel est donc rejeté avec dépens.


"Robert Décary"

Juge

Traduction certifiée conforme :     
                     François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA


Avocats et procureurs inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :          A-332-95
INTITULÉ :                  PATRICIA WATT modifié à l'audience
                     PATRICIA WATT PAR L'INTERMÉDIAIRE DE SON
                     EXÉCUTEUR TESTAMENTAIRE DONALD WATT,
                     - et -
                     SA MAJESTÉ LA REINE
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 22 SEPTEMBRE 1997 et
                     LE 24 SEPTEMBRE 1996
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DU JUGEMENT :      LE JUGE DÉCARY

Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario),

le mercredi 24 septembre 1997.

ONT COMPARU :

                                         Mme Deborah E. Palter
                                         Mme Catherine E. Willson
                                                      pour l'appelante
                                         Mme Margaret J. Nott
                                                      pour l'intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                                         Me Catherine E. Willson
                                         346-67, avenue Mowat
                                         Toronto (Ontario)
                                         M6K 3E3
                                                      pour l'appelante
                                         M. George Thomson
                                         Sous-procureur général du Canada
                                                      pour l'intimée

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

Numéro du greffe : A-332-95

Entre :

PATRICIA WATT modifié à l'audience

PATRICIA WATT PAR L'INTERMÉDIAIRE DE

SON EXÉCUTEUR DONALD WATT,

     appelante,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

     Intimée.


MOTIFS DU JUGEMENT

__________________

1      [1996] 2 C.F. (C.A.F).     

2      (27 juin 1997), A-650-96, A-651-96 (C.A.F.), [1997] J.C.F no 880 (QL).

3      (28 juillet 1997), A-652-96 (C.A.F.), [1997] J.C.F. no 1020 (QL).

4      Précité, note 1.

5      Précité, note 2.

6      Tonn, précité, note à la p. 98.

7      Précité, note 1 à la p. 107.

8      (1994), 94 DTC 6624 (C.A.F.), (1994), 173 N.R. 213 (C.A.F).

9      Note : voir Daley v. M.N.R. (1950), 50 D.T.C. 877 (C. Éch.); Rolland c. M.R.N. (1987), 87 D.T.C. 341 (C.C.I.); McClure et autres c. M.R.N. (1988), 88 D.T.C. 1504 (C.C.I.).

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