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                                                                                                                                 Date : 20040527

                                                                                                                             Dossier : A-444-03

                                                                                                                Référence : 2004 CAF 206

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                            PAMELA ALLCHIN

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                       Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 mai 2004

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 27 mai 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT                                                                                        LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON


                                                                                                                                 Date : 20040527

                                                                                                                             Dossier : A-444-03

                                                                                                                Référence : 2004 CAF 206

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                                            PAMELA ALLCHIN

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                                intimée

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MALONE

La question en litige


[1]                Pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995, Pamela Allchin a prétendu qu'elle était résidente des États-Unis et qu'elle n'était pas assujettie à l'impôt en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi de l'impôt sur le revenu). Elle a notamment revendiqué son droit à la protection des dispositions de la Loi de 1984 sur la Convention Canada-États-Unis en matière d'impôts, L.C. 1984, ch. 20, annexe I. (la Convention). Au cours de ces années, Mme Allchin détenait une « carte verte » , connue officiellement sous le nom de carte de résident permanent, laquelle lui donnait droit de vivre en permanence et de travailler aux États-Unis.

[2]                La question de la résidence de Mme Allchin aux fins de l'impôt a été décidée par un juge de la Cour canadienne de l'impôt dans une décision datée du 14 juillet 2003 (publiée à 2003 DTC 935). Le juge a examiné l'arrêt de principe en droit canadien, Thomson c. Minister of National Revenue (1945) 2 DTC 812 (C.S.C.) ainsi que les éléments de preuve qui ont été présentés. Il a conclu que les liens de Mme Allchin avec les États-Unis ne présentaient pas une « permanence suffisante » pour rompre tous les liens de résidence avec le Canada. Cela étant, le juge a conclu que le paragraphe 2 de l'article IV de la Convention, lequel traite de la double résidence (les dispositions prépondérantes), ne s'appliquait pas. Mme Allchin interjette maintenant appel de cette décision.

[3]                Je suis d'avis d'accueillir l'appel pour les motifs qui suivent.

Les faits


[4]                Mme Allchin est née au Canada et, en 1967, elle a déménagé avec ses parents à Détroit (Michigan). Elle a obtenu une carte verte à cette époque. En 1969, elle est retournée à Windsor (Ontario) mais elle a conservé sa carte verte en travaillant comme infirmière autorisée au Michigan. Sa carte verte a été renouvelée à tous les six mois en raison de l'emploi occasionnel qu'elle occupait à Détroit. Elle faisait la navette entre Windsor et Détroit pour travailler des quarts de jour.

[5]                Mme Allchin travaillait également dans un hôpital de Windsor depuis 1983. Toutefois, en raison de problèmes d'emploi à cet hôpital, elle a remis sa démission en avril 1991 et a décidé de chercher du travail à temps plein aux États-Unis. Elle s'est ensuite inscrite dans une école au Michigan afin de parfaire ses études. À partir de septembre 1992, et tout au long des années en litige, Mme Allchin a travaillé dans l'industrie des fournitures pour hôpitaux et a vendu des fournitures pour hôpitaux dans l'ensemble des États-Unis.

[6]                Mme Allchin a témoigné qu'elle avait produit ses déclarations d'impôt américaines quant à son revenu de toute provenance comme résidente américaine. Il a été admis au procès que son conseiller fiscal attitré aux États-Unis avait fait ses déclarations d'impôt de résidente américaine pour ces années et les avait produites en tenant compte du fait qu'elle avait déclaré être résidente américaine. De l'impôt américain a été payé sur son revenu de toutes provenances.

[7]                Le ministre du Revenu national a conclu que Mme Allchin n'avait pas coupé ses liens avec le Canada et que, par conséquent, elle doit, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, déclarer et payer de l'impôt sur son revenu de toutes provenances pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995.

[8]                Mme Allchin est maintenant à la retraite et vit à Windsor.


La loi

[9]                L'article IV de la Convention est ainsi libellé :

1. Au sens de la présente Convention, l'expression « résident d'un État contractant » désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet État, est assujettie à l'impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction, de son lieu de constitution ou de tout autre critère de nature analogue [...]

1. For the purposes of this Convention, the term "Resident of a Contracting State" means any person that, under the laws of that State, is liable to tax therein by reason of that person's domicile, residence, citizenship, place of management, place of incorporation or any other criterion of a similar nature ...

2. Lorsque, selon les dispositions du paragraphe 1, une personne phsyique est un résident des deux États contractants, sa situation est réglée de la manière suivante :

2. Where by reason of the provisions of paragraph 1 an individual is a resident of both Contracting States, then his status shall be determined as follows:

(a) Cette personne est considérée comme un résident de l'État contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent; si elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans les deux États ou ne dispose d'un tel foyer dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de l'État contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux);

(a) he shall be deemed to be a resident of the Contracting State in which he has a permanent home available to him; if he has a permanent home available to him in both States or in neither State, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State with which his personal and economic relations are closer (centre of vital interests);

(b) Si l'État contractant où cette personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, elle est considérée comme un résident de l'État contractant où elle séjourne de façon habituelle;

(b) if the Contracting State in which he has his centre of vital interests cannot be determined, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State in which he has an habitual abode;

(c) Si cette personne séjourne de façon habituelle dans les deux États ou si elle ne séjourne de façon habituelle dans aucun des États, elle est considérée comme un résident de L'État contractant dont elle possède la citoyenneté; et

(c) if he has an habitual abode in both States or in neither State, he shall be deemed to be a resident of the Contracting State of which he is a citizen; and

(d) Si cette personne possède la citoyenneté des deux États ou si elle ne possède la citoyenneté d'aucun d'eux, les autorités compétentes des États contractants tranchent la question d'un commun accord.

[Je souligne]

(d) if he is a citizen of both States or of neither of them, the competent authorities of the Contracting States shall settle the question by mutual agreement.

[Emphasis added]

[10]            L'avocat de Mme Allchin a prétendu devant la Cour que le juge a commis une erreur de droit en présumant que le critère de « résident habituel » de la common law canadienne établi par l'arrêt Thomson est le critère qu'il convient d'appliquer pour déterminer la résidence aux États-Unis. En particulier, on a prétendu que le critère des « liens coupés » ne sert que pour la détermination de la fin de la résidence canadienne et ne doit pas être utilisé lorsque la résidence commence ailleurs. On a prétendu qu'en agissant comme il l'a fait, le juge a ignoré le concept de « double résidence » .

La norme de contrôle

[11]            La Cour suprême du Canada a établi la norme de contrôle que la Cour doit appliquer lorsqu'elle examine les décisions rendues par la Cour canadienne de l'impôt. Pour les questions de droit, la norme applicable est celle de la décision correcte alors que pour les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit, la norme applicable est celle de l'erreur manifeste et dominante. Il existe toutefois une exception quant aux conclusions mixtes de fait et de droit. Si une erreur de droit évidente peut être isolée des faits, l'erreur sera examinée selon la norme de la décision correcte (voir Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235).


L'analyse

[12]            Il est reconnu qu'une convention en matière d'impôt doit être interprétée de façon libérale de manière à appliquer les véritables intentions des parties. Il faut éviter une interprétation littérale ou légaliste lorsque l'objet fondamental du traité pourrait être rejeté (voir la décision J. N. Gladden Estates c. La Reine _1985_ 1 C.T.C. 163 (C.F. 1re inst.), pages 166 et 167, citée ave approbation par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Crown Forest Industries Ltd. c. Canada _1995_ 2 R.C.S. 802, paragraphe 43). Dans l'arrêt Crown Forest Industries, la Cour suprême du Canada a souligné que la Convention avait pour but de bénéficier aux Canadiens qui travaillent aux États-Unis ou vice versa, en les protégeant contre la double imposition. La Convention viserait également, de façon accessoire, à réduire les complexités administratives engendrées par l'obligation de produire simultanément des déclarations d'impôt sur le revenu dans deux régimes fiscaux non coordonnées (précité, paragraphe 46).

[13]            Le juge a apparemment fait son analyse de la manière préconisée par l'avocat. Il a écrit au ce qui suit paragraphe 8 :

Au cours des plaidoiries, les avocats ont déclaré que la détermination de la résidence aux fins de l'impôt procède de l'interprétation des faits pertinents, et je suis d'accord avec eux.

Après avoir fait une interprétation factuelle, il a conclu au paragraphe 13 que la résidence au Canada n'avait pas été coupée :

J'ai examiné attentivement tous les faits pertinents et je conclus que les liens de l'appelante avec les États-Unis ne présentent pas une permanence suffisante pour rompre tous les liens de résidence avec le Canada au cours des années d'imposition 1993, 1994 et 1995.


Il a poursuivi au paragraphe 14 :

[...] _P_uisque j'ai conclu que l'appelante n'était pas une résidente des États-Unis au cours des années d'imposition 1993, 1994 et 1995, les dispositions de la convention fiscale Canada-États-Unis relatives à la rupture des liens ne s'appliquent pas en l'espèce.

[14]            Selon moi, il s'agit d'une approche erronée. Le juge a omis de tenir compte que Mme Allchin pouvait avoir la double résidence, lequel concept comporte nécessairement la possibilité que la résidence soit établie aux États-Unis sans que les liens ne soient brisés avec le Canada. Après avoir conclu que Mme Allchin était résidente du Canada, le juge, en conformité avec l'approche préconisée dans l'arrêt Thomson, aurait dû examiner si elle était également résidente des États-Unis aux fins de la Convention (voir Sobolev c. Sa Majesté la Reine, 2002 DTC 1217, paragraphe 15).

[15]            Le juge a ignoré à tort le fait que, en tant que détentrice d'une carte verte, Mme Allchin était tenue de payer de l'impôt aux États-Unis, peu importe sa résidence physique. Le statut de détenteur d'une carte verte est un « critère de nature analogue » à celui de la résidence aux États-Unis, de façon à ce que Mme Allchin soit visée par la définition de « résident d'un État contractant » mentionnée au paragraphe 1 de l'article IV. Par ailleurs, les conclusions de fait tirées par le juge établissant la résidence au Canada en vertu de l'analyse préconisée dans l'arrêt Thomson donne lieu à la double résidence et à la nécessité de faire une analyse libérale en vertu des dispositions prépondérantes du paragraphe 2 de l'article IV(2). L'omission de faire l'analyse prévue par la Convention constitue manifestement une erreur de droit.


[16]            Malgré que la Cour ne soit pas liée par les explications techniques annexées aux conventions, celles-ci peuvent servir d'indications valables (voir Kubicek Estate c. Canada, 97 DTC 5454 at 5456). Dans cette affaire, le commentaire qui suit quant au paragraphe 2 de l'article IV concernant la définition de « résidence » et l'utilisation des dispositions prépondérantes est pertinent :

Au sujet de la notion de foyer d'habitation, il faut observer que toute forme d'habitation peut être prise en considération (maison ou appartement qui est la propriété de l'intéressé ou pris en location, chambre meublée louée). Mais la permanence de l'habitation est essentielle, ce qui signifie que l'intéressé fait le nécessaire pour avoir le logement à sa disposition en tout temps, d'une manière continue et pas occasionnellement pour effectuer un séjour qui, compte tenu des raisons qui le motivaient, est nécessairement lié à une courte durée (voyage d'agrément, voyage d'affaires, voyage d'études, stage dans une école, etc.).

[17]            Je suis d'avis d'accueillir l'appel, la décision de la Cour canadienne de l'impôt datée du 14 juillet 2003 doit être annulée et l'affaire renvoyée à un juge de la Cour canadienne de l'impôt pour nouvelle décision. Les parties devraient avoir la possibilité de présenter des éléments de preuve supplémentaires si elles le désirent. Les dépens en appel et à la Cour canadienne de l'impôt de Mme Allchin devraient être fixés à 12 000 $, débours et TPS compris.

« J. Brian D. Malone »

Juge                               

« Je souscris aux présents motifs                                                                                               

Robert Décary, juge »

« Je souscris aux présents motifs

J. Edgar Sexton, juge »

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                          A-444-03

INTITULÉ :                                                         PAMELA ALLCHIN

et

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                 LE 17 MAI 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                              LE JUGE MALONE

Y ONT SOUSCRIT :              (LES JUGES DÉCARY ET SEXTON)

DATE DES MOTIFS :                                       LE 27 MAI 2004

COMPARUTIONS :

John Mill                                                                POUR L'APPELANTE

Roger Leclaire                           POUR L'INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mill Professional Corporation     POUR L'APPELANTE

Avocats

Windsor (Ontario)                                                                                            

Morris Rosenberg                                                  POUR L'INTIMÉE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                                                  


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