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     A-499-96

CORAM:              LE JUGE HUGESSEN

                 LE JUGE DÉCARY

                 LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

ENTRE:                 

     LOUIS GUAY

     Requérant

ET:

             SA MAJESTÉ LA REINE

     Intimée

     Audience tenue à Montréal

     le lundi, 14 avril 1997

     Jugement prononcé à Montréal

     le mardi, 15 avril 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE DÉCARY

     A-499-96

CORAM:          LE JUGE HUGESSEN

             LE JUGE DÉCARY

             LE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER

ENTRE:                 

     LOUIS GUAY

     Requérant

ET:

             SA MAJESTÉ LA REINE

     Intimée

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Montréal,

     le mardi, 15 avril 1997)

LE JUGE DÉCARY

     Le requérant est un fonctionnaire fédéral à l'emploi du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international ("le Ministère"). Il fait partie du groupe d'employés dits permutants, lesquels sont appelés à exercer leurs fonctions aussi bien à Ottawa que dans les missions du Canada à l'étranger et peuvent passer de la moitié aux deux tiers de leur vie professionnelle à l'étranger. L'employé permutant qui joint les rangs du Ministère est informé, dès son arrivée, qu'il doit accepter "le principe de la permutabilité inhérent à ce service" et être prêt "à accepter toute affectation que le Ministère pourra juger utile ou nécessaire, soit à Ottawa, soit à l'une ou l'autre des missions diplomatiques ou consulaires du Canada à l'étranger"1.

     Les employés permutants font face à un problème de taille en ce qui concerne l'éducation en français de leurs enfants aux niveaux primaire et secondaire. L'enseignement public dispensé en français au Québec et en Ontario ne trouve pas d'équivalent à l'étranger; l'enfant qui entreprend ou poursuit des études en français au Québec ou en Ontario ou qui veut les entreprendre ou les poursuivre à l'étranger n'a de choix véritable que de fréquenter, au Canada aussi bien qu'à l'étranger, le réseau des établissements français qui relève de l'Agence (française) pour l'enseignement français à l'étranger. Ce réseau comprend (ce sont les chiffres de 1995) environ 400 lycées ou écoles répartis dans 127 pays et applique à travers le monde les programmes du Ministère de l'Éducation de France, qui sont très différents de ce qui est offert dans les systèmes québécois et ontarien. Le seul établissement dans la région de la capitale nationale qui fasse partie de ce réseau d'établissements français et qui soit en mesure de prodiguer aux enfants des employés permutants un enseignement continu en français, est le Lycée Claudel, qui a pignon sur rue dans la ville d'Ottawa2.

     Du fait, par conséquent, que leurs enfants doivent à l'étranger fréquenter un établissement membre du réseau des établissements français, les employés permutants qui sont de retour ou en attente à Ottawa envoient de préférence leurs enfants au Lycée Claudel. La preuve révèle qu'il est difficile, et souvent impossible, d'inscrire un enfant dans un établissement du réseau à l'étranger, si cet enfant n'a pas déjà entrepris ou poursuivi ses études, au Canada, dans un établissement membre de ce réseau.

     Le hic, bien sûr, c'est que le Lycée Claudel, à Ottawa, est une institution privée, que l'enseignement n'y est pas gratuit et que les coûts sont particulièrement onéreux. Ainsi, il en a coûté $9,735.00 au requérant, en 1991, pour y envoyer deux de ses enfants, alors qu'il n'aurait rien eu à débourser si ses enfants avaient fréquenté l'école publique à Gatineau, province de Québec, là où il résidait.

     Pour corriger ce désavantage financier dont souffraient les employés permutants du Ministère, le Secrétariat du Conseil du Trésor a adopté la directive suivante3 :

            33.01      Les fonctionnaires qui font carrière dans le service extérieur, au sens où l'entend la DSE 3.01a), et les agents de liaison de la GRC peuvent se prévaloir des dispositions de la présente directive pendant leur affectation dans la ville du bureau principal, afin d'assurer la continuité des études en français faites par leurs enfants à charge à l'étranger.                 
            33.02      L'administrateur général peut autoriser le paiement des frais de scolarité, des manuels obligatoires (jusqu'à l'équivalent de la 12e année/Cours pré-universitaire de l'Ontario) et des fournitures scolaires (jusqu'à l'équivalent de la 8e année de l'Ontario) engagés au Lycée Claudel à Ottawa à l'égard:                 
            a)      d'un enfant qui était inscrit dans le système des lycées français pendant l'affectation du fonctionnaire à l'étranger;                 
            b)      d'un enfant qui commence ses études primaires en première année du système des lycées pendant une affectation du fonctionnaire à Ottawa qui suit une affectation à l'étranger; et                 
            c)      d'un enfant qui est inscrit au Lycée Claudel avant que le fonctionnaire se fasse offrir une première affectation à l'étranger.                 
            33.03      Le paiement autorisé en vertu de l'article 33.02 doit normalement être limité à la période de deux ans qui suit immédiatement:                 
            a)      l'affectation à Ottawa du fonctionnaire affecté à l'étranger; ou                 
            b)      la date où il entre dans le régime d'emploi en vertu duquel il sera affecté successivement à un certain nombre de missions.                 
            33.04      L'administrateur général du ministère concerné pourra examiner, au cas par cas, la possibilité de faire exception aux limites prévues à l'article 33.03; il pourra accorder des prolongations ne dépassant pas une année à la fois, compte tenu des nécessités du service. Il pourra également exercer ce pouvoir discrétionnaire dans les cas où un fonctionnaire est affecté au Canada ou à l'étranger pendant l'année scolaire.                 
         En pratique, les parents qui envoient leurs enfants au Lycée Claudel à Ottawa paient eux-mêmes les coûts et se font ensuite rembourser par le Ministère. Si ces parents restent plus de deux années consécutives à Ottawa, ils sont "obligés de fournir une lettre de leur agent d'affectation indiquant qu'on ne leur a pas offert d'affectation à l'étranger ou qu'ils (qu'elles) n'en ont pas refusée. Les remboursements ne peuvent pas être faits sans cette lettre"4.         
         Dans sa cotisation pour l'année d'imposition 1991, le ministre du Revenu national ("le Ministre") a inclus dans le revenu du requérant la somme de $9,735.00 que ce dernier avait reçue en 1991 de son employeur, le Gouvernement du Canada, en remboursement des frais qu'il avait encourus pour envoyer ses enfants au Lycée Claudel à Ottawa. Le Ministre qualifiait au départ d'"allocation" la somme reçue par le requérant, ce qui mettait en jeu l'alinéa 6(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu ("la Loi"), mais il s'est ravisé par la suite et prétend maintenant qu'il s'agit de remboursements de frais réels engagés par le requérant qui constitueraient un avantage reçu par ce dernier en vertu de son emploi, au sens de l'alinéa 6(1)a) de la Loi. La partie liminaire de cet alinéa se lit comme suit:         
            6(1)      Doivent être inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré, pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments appropriés suivants:                 
            a)      la valeur de la pension, du logement et autres avantages de quelque nature que ce soit qu'il a reçus ou dont il a joui dans l'année au titre, dans l'occupation ou en vertu d'une charge ou d'un emploi ...                 
         Le juge de la Cour canadienne de l'impôt, après une revue exhaustive de la jurisprudence, a confirmé l'avis de cotisation. Sa conclusion se lit ainsi:         
                 ... De l'analyse qui précède, je suis porté à conclure que le remboursement par le Gouvernement du Canada des dépenses de l'appelant relatives aux études de ses enfants se situe à l'intérieur du "champ fiscal" de l'alinéa 6(1)a) de la Loi. Les facteurs suivants justifient cette conclusion:                 
                     a) ces dépenses touchent une question de nature personnelle, l'instruction des enfants d'un employé;                          
                     b) ces dépenses ont été engagées à la suite d'une décision de l'appelant d'inscrire ses enfants à un régime pédagogique de langue française bien que cette décision soit tout à fait compréhensible dans les circonstances;                          
                     c) ces dépenses ont été engagées en prévision d'une affectation de l'appelant à un poste à l'étranger.                          
                 À tout prendre, le lien entre ces dépenses remboursées par le Gouvernement du Canada et l'emploi de l'appelant, bien que rapproché, ne me paraît pas suffisamment étroit pour situer le remboursement de ces dépenses à l'extérieur du champ fiscal de l'alinéa 6(1)a) de la Loi. En outre, l'appelant n'a pas démontré que le remboursement des frais dont il est question ici ne lui a pas procuré, eu égard à certaines circonstances, un avantage économique....5                 
                            
         Avec égards, nous sommes d'avis que cette conclusion est incompatible avec la conclusion de fait à laquelle le juge en était arrivé plus tôt, à savoir:         
         ...      Tout d'abord, il est indiscutable que les frais de scolarité des enfants à charge d'un employé sont des dépenses de nature personnelle. En payant ces dépenses, les parents s'acquittent d'une obligation personnelle qui, en principe, leur incombe en leur qualité de parents. Le remboursement de ces dépenses par l'employeur constitue à prime abord un avantage au sens de l'alinéa 6(1)a) de la Loi sur le revenu . Cependant, cette dépense revêt ici un aspect particulier. En effet, ces frais ont été engagés par l'appelant en raison de la condition de permutabilité de son poste. Cette condition est inhérente à l'emploi de l'appelant au service du Gouvernement du Canada. La fréquentation de ses enfants au Lycée Claudel est la seule option réaliste dans l'hypothèse où l'appelant décide que ses enfants, lorsqu'ils seront à l'étranger, poursuivront leurs études dans le cadre d'un régime pédagogique français. ...6                      
         (nos soulignements)         
         À compter du moment où la seule option réaliste qui s'offre à un employé en raison du caractère de permutabilité de son emploi, est d'inscrire ses enfants dans la seule institution, à Ottawa, qui offre le régime pédagogique français reconnu à travers le monde, il n'est plus possible de conclure qu'il n'y a pas de lien suffisant entre les dépenses engagées par cet employé et l'emploi qu'il occupe.         
         La décision ultime, certes, appartient à l'employé, mais elle lui est en réalité imposée par la nature même de son emploi et l'employeur lui-même reconnaît la situation exceptionnelle dans laquelle se trouvent ses employés permutants. Le requérant, dans l'accomplissement de son obligation légale de voir à l'éducation de ses enfants et dans le but on ne peut plus légitime d'assurer à ses enfants une continuité dans leur éducation, se trouvait à toutes fins utiles contraint par les exigences de son emploi à renoncer à la gratuité dont il aurait bénéficié au sein du régime d'enseignement public et à assumer les coûts d'un régime d'enseignement privé que n'ont pas à assumer les employés non-permutants du Ministère.         
         Le Ministre fait grand état du choix qui s'offrait au requérant de ne pas emmener ses enfants avec lui à l'étranger ou de les inscrire à l'école publique lorsque ses fonctions le retenaient à Ottawa. Cette prétention n'est pas réaliste. Le ministre du Revenu national parait ici heurter de front la politique recherchée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Le choix du requérant est en l'espèce dicté par l'intérêt des enfants, lequel requiert que ces derniers accompagnent leurs parents à l'étranger et que leur éducation soit le moins possible compromise, ralentie ou perturbée par les déplacements des parents. De même le Ministre prétend-il que ces dépenses sont encourues non pas à cause d'un changement réel de lieu de travail, mais en prévision d'un événement incertain, soit l'affectation du requérant à un poste à l'étranger. Or, la preuve est à l'effet que l'affectation éventuelle du requérant à l'étranger est une réalité incontournable associée à son statut d'employé permutant et que dans l'hypothèse où il n'y aurait pas telle affectation après deux ans ou refus de telle affectation, le Ministère a pris, à l'article 33.03 de la directive déjà citée, les mesures nécessaires pour prévenir tout abus.         
         Nous en arrivons donc à la conclusion que le lien entre les dépenses remboursées et l'emploi du requérant est suffisant pour situer ce remboursement à l'extérieur du champ fiscal de l'alinéa 6(1)a).         
         Pour déterminer si un remboursement constitue un avantage au sens de l'alinéa 6(1)a), il faut vérifier si la valeur nette du patrimoine du requérant s'est accrue à la suite du paiement ou si, plutôt, ce paiement a simplement replacé le contribuable dans la situation dans laquelle il se serait trouvé n'eût été des dépenses engagées en raison des exigences de l'emploi. Ce principe a été exprimé comme suit par notre collègue, le juge Linden, dans Canada (Procureur général) c. Hoefele,7:         
              La Cour doit donc trancher la question de savoir si, dans chacune des présentes affaires, le contribuable a été rétabli dans la situation où il se trouvait auparavant ou s'il a réalisé un gain. Bien qu'un certain nombre d'expressions puissent être utilisées à cet égard -- comme rembourser, restituer, indemniser, dédommager, rétablir, soustraire à une dépense -- le principe sous-jacent demeure le même. Si, dans le cadre de l'opération globale, la situation financière de l'employé n'est pas améliorée, c'est-à-dire s'il s'agit d'une opération où les différents éléments s'annulent lorsqu'on les considère dans leur ensemble, la rentrée n'est pas un avantage et, par conséquent, elle n'est pas imposable en vertu de l'alinéa 6(1)a). Peu importe que la dépense soit engagée relativement à des frais occasionnés par l'accomplissement du travail, un déplacement lié à l'emploi ou l'emménagement dans un nouveau lieu de travail, tant que l'employeur ne paie pas les dépenses quotidiennes ordinaires de l'employé.         

     En l'espèce, le remboursement par le gouvernement du coût des études des enfants du requérant au Lycée Claudel à Ottawa n'a d'aucune façon accru le patrimoine du requérant; ce dernier se retrouve, du fait de ce remboursement, dans la même situation que s'il n'avait pas été contraint par la nature de son emploi à envoyer ses enfants audit Lycée.

     La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Cour canadienne de l'impôt sera annulée et le dossier sera renvoyé à la Cour canadienne de l'impôt avec instructions d'accueillir l'appel du contribuable et de renvoyer l'affaire au ministre du Revenu national pour que ce dernier établisse une nouvelle cotisation sur la base des présents motifs.

     Robert Décary

     j.c.a.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     A-499-96

ENTRE:

     LOUIS GUAY

     Requérant

ET:

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Intimée

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      A-499-96

INTITULÉ DE LA CAUSE:          LOUIS GUAY

     Requérant

                         ET:

                         SA MAJESTÉ LA REINE
                             Intimée

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDITION:              le 14 avril 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (LES HONORABLES JUGES HUGESSEN, DÉCARY ET L'HONORABLE JUGE SUPPLÉANT CHEVALIER)

LUS À L'AUDIENCE PAR:          l'Honorable juge Décary

     En date du:                  15 avril 1997

COMPARUTIONS:                     

     Me Wilfrid Lefebvre, c.r.          pour la partie requérante

    

     Me Paul Plourde, c.r.          pour la partie intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

     Ogilvy, Renault

     Montréal, (Québec)              pour la partie requérante

     George Thomson

     Sous-procureur général

     du Canada                         

     Ottawa, Ontario              pour la partie intimée

__________________

     1      Lettre d'engagement, onglet D du dossier du requérant, pièce A-4.

     2      Onglet H du dossier du requérant, pièce A-8.

     3      Partie V, DSE 33, 1er juin 1995, onglet E du dossier du requérant, pièce A-5; il est acquis qu'une directive similaire s'appliquait au moment de l'année fiscale en cause ici, soit 1991.

     4      Onglet F, dossier du requérant, pièce A-6.

     5      Motifs du jugement, à la p. 33

     6      Idem, page 30

     7      [1996] 1 C.F. 322 à la p. 331, (C.A.) permission d'appeler refusée par la Cour suprême du Canada le 22 août 1996, CSC 25037

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