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Date : 20050408

Dossier : A-229-04

Référence : 2005 CAF 122

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                    SHARONE THANARATNAM

                                                                                                                                                  intimé

                                      Audience tenue à Toronto (Ontario), le 7 mars 2005.

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 avril 2005.

MOTIFS DU JUGEMENT PAR :                                                                            LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                 LE JUGE NOËL

                                                                                                                             LE JUGE SEXTON


Date : 20050408

Dossier : A-229-04

Référence : 2005 CAF 122

CORAM :       LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

LE JUGE EVANS

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                              appelant

                                                                             et

                                                    SHARONE THANARATNAM

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]                Sharone Thanaratnam est un citoyen du Sri Lanka âgé de 27 ans qui est résident permanent au Canada depuis juin 1993. Dans une décision rendue en septembre 2002, un membre de la Section de l'Immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) l'a déclaré interdit de territoire et, par conséquent, passible d'expulsion.


[2]                La Commission a pris note du fait que, bien que la procédure ait été engagée à la suite d'un rapport remis conformément à la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, elle s'était conclue sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) qui est entrée en vigueur pendant l'audience. On ne conteste pas que, dans la mesure où les deux lois diffèrent, la LIPR s'applique : LIPR, article 190.

[3]                La Commission a fondé sa décision sur deux motifs. Premièrement, ayant été reconnu coupable au Canada d'infractions punissables d'un emprisonnement de dix ans ou plus, il est interdit de territoire en vertu de l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Il a été condamné à cinq mois d'emprisonnement pour ces infractions. Au moment de l'enquête devant la Commission, il a reconnu être passible d'expulsion pour ce motif.

[4]                Deuxièmement, en gros, il existe des motifs raisonnables de croire qu'il a été impliqué dans des gangs participant à des activités criminelles et que, par conséquent, il est interdit de territoire en vertu de l'alinéa 37(1)a) de la LIPR. La conclusion de la Commission selon laquelle M. Thanaratnam est interdit de territoire en vertu de l'alinéa 37(1)a) prive ce dernier d'un droit d'appel à la Section d'appel de l'Immigration de la Commission pour contester son expulsion : LIPR, paragraphe 64(1).


[5]                M. Thanaratnam a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission. Un juge de la Cour fédérale a annulé la décision selon laquelle il était interdit de territoire en vertu de l'alinéa 37(1)a), concluant qu'il n'existait aucune preuve selon laquelle la Commission pouvait conclure de façon rationnelle que M. Thanaratnam était « membre » d'une organisation criminelle : Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 349.

[6]                Le juge a certifié la question suivante pour fins d'appel, conformément à l'alinéa 74(d) de la LIPR :

[traduction]

Afin de prouver l'appartenance à une organisation criminelle en vertu de l'alinéa 37(l)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, est-ce que la preuve d'une participation aux activités de l'organisation est suffisante ou doit-il exister des indices d'une appartenance effective?

[7]                J'autoriserais l'appel du ministre. À mon humble avis, le juge a commis une erreur de droit en considérant seulement si M. Thanaratnam était « membre » d'un gang. Ayant conclu qu'il ne l'était pas, le juge aurait dû examiner si M. Thanaratnam était tout de même interdit de territoire aux termes du dernier membre de phrase de l'alinéa 37(1)a), à savoir le fait de « se livrer à des activités faisant partie d'un [...] plan » d'activités criminelles organisées.


[8]                Étant donné, selon moi, qu'il n'est pas nécessaire selon les faits en cause de déterminer si M. Thanaratnam était membre d'une organisation criminelle, je ne me propose pas de répondre à la question certifiée. L'appel se résume à une question de fait : a-t-on présenté à la Commission une preuve suffisante pour lui permettre de déterminer qu'il existait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam s'était livré à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées et qu'il était par conséquent interdit de territoire en vertu de l'alinéa 37(l)a)?

B.        CADRE LÉGISLATIF

[9]                Voici les dispositions de loi pertinentes permettant de trancher le présent appel :

                                     Loi sur l'immigration

19. (1)c.2) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont ou ont été membres d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction au Code criminel, à la Loi sur les stupéfiants ou aux parties III ou IV de la Loi sur les aliments et drogues qui peut être punissable par mise en accusation ou a commis à l'étranger un fait - acte ou omission -qui, s'il avait été commis au Canada, constituerait une telle infraction, sauf si elles convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

19. (1)(c.2) persons who there are reasonable grounds to believe are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of any offence under the Criminal Code, the Narcotic Control Act or Part III or IV of the Food and Drugs Act that may be punishable by way of indictment or in the commission outside Canada of an act or omission that, if committed in Canada, would constitute such an offence, except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest;

              Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés



33. Les faits - actes ou omissions - mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

...

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants:

a) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d'une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d'un tel plan;

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

...

37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for (a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment,or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern;

C.        DÉCISION DU MEMBRE DE LA SECTION DE L'IMMIGRATION

[10]            Au cours d'une audience qui a duré 13 jours, la Commission a examiné de nombreux éléments de preuve documentaires et oraux, dont la majeure partie a été fournie par des policiers connaissant la nature et les activités de groupes tamouls à Toronto. La preuve pertinente relativement au présent appel concernait deux gangs tamouls rivaux présents dans l'agglomération torontoise, les V.V.T., un groupe avec lequel M. Thanaratnam aurait été associé, et le groupe A.K. Kannan.


[11]            Un policier a déclaré lors de son témoignage qu'environ 100 personnes étaient impliquées avec ces groupes et qu'elles se livraient à des guerres pour protéger leur « territoire » , un territoire servant à la réalisation de leurs activités criminelles. Les crimes auxquels ces groupes tamouls auraient participé comprennent : meurtre, tentative de meurtre, voies de fait graves, extorsion, enlèvement, cartes de crédit frauduleuses, faux passeports, passage de clandestins et des infractions liées aux drogues et aux armes. La plupart de leurs victimes sont des Tamouls.

[12]            À l'aide de critères d'appartenance à un gang, élaborés par le Service canadien de renseignements criminels, la police de Toronto a procédé en 2001 au lancement du « Projet 1050 » , un projet comportant la préparation de « dossiers d'enquête/d'application » afin de déterminer si des individus étaient membres de l'un de ces deux gangs. Par suite de ce projet, un nombre important de personnes, soupçonnées d'être membres de ces gangs et contre lesquelles des sanctions en matière d'immigration pouvaient être imposées, ont été arrêtées. M. Thanaratnam a été arrêté en octobre 2001, dans le cadre du Projet 1050, et il est demeuré en détention jusqu'à sa libération en septembre 2003. Il a été établi qu'à la suite du projet 1050, le niveau d'activités des gangs tamouls avait considérablement diminué.

[13]            La Commission a résumé (au paragraphe 13) sa conclusion au sujet des deux gangs, conclusion qui n'a pas été contestée.

[traduction]

a) Les groupes ou « gangs » connus sous les noms de V.V.T. et A.K. Kannan sont des organisations qui existent, et qui oeuvrent principalement dans la région de Toronto. Ces groupes ont une structure de meneurs et de suiveurs.


b) Il y a des motifs raisonnables de croire que ces deux groupes se livrent à des activités criminelles, notamment des agressions, des infractions liées aux drogues, des enlèvements, des infractions relatives aux armes, etc. Ces activités sont contraires soit au Code criminel, soit à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

c) Les activités criminelles sont planifiées et organisées par plusieurs personnes agissant de concert, elles sont planifiées en particulier par les chefs de groupe et exécutées par les membres.

[14]            Beaucoup plus controversée était la question de savoir s'il existait des motifs raisonnables pour relier M. Thanaratnam à ces activités criminelles de gang afin de l'assujettir à l'alinéa 37(1)a) en tant que membre du groupe V.V.T., ou à titre d'individu se livrant à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles planifiées et organisées par le V.V.T. en vue de commettre des actes criminels.

[15]            Bien que la preuve présentée devant la Commission au sujet des liens entre M. Thanaratnam et les activités criminelles du groupe V.V.T. puisse être divisée selon les catégories principales indiquées ci-dessous, il est important de ne pas perdre de vue le portrait global.

[16]            Premièrement, à partir de l'année 1995 et de façon plus fréquente après l'année 1999, M. Thanaratnam a eu plus de 20 « interactions » avec la police, au cours desquelles il a été arrêté, soupçonné ou accusé pour diverses infractions, dont notamment pour agressions, attaque à main armée en bande, tentative de meurtre et complot en vue de commettre un meurtre. Toutes les autres personnes impliquées étaient d'origine sri lankaise, y compris quelques-unes soupçonnées d'être membres du groupe V.V.T. Aucune des accusations n'a été portée devant un tribunal.


[17]            Des détails ont été présentés à la Commission relativement aux circonstances qui ont mené à certaines de ces « interactions » . Lors d'une de ces interactions par exemple, la police a fait enquête au sujet de ce qu'elle croyait être un coup de feu entendu dans un parc et elle a découvert un groupe d'hommes d'origine sri lankaise, dont M. Thanaratnam, en possession de machettes et d'une hache. Lors d'une autre interaction, M. Thanaratnam et d'autres personnes ont été accusés de tentative de meurtre perpétrée à l'aide d'une automobile, mais l'accusation a été retirée lorsqu'on a découvert que le véhicule impliqué ne lui appartenait pas. Cet incident est survenu le jour après que M. Thanaratnam eut été brutalement battu à l'aide d'une barre de fer.

[18]            Il existait également des preuves établissant que la police avait mis sous table d'écoute le téléphone et capté un appel téléphonique fait par M. Thanaratnam au chef du groupe V.V.T., qui apparemment n'était pas chez lui. Lors d'un autre incident, M. Thanaratnam avait été aperçu en compagnie de membres des groupes V.V.T. et de A.K. Kannan en train de discuter fermement.


[19]            Deuxièmement, en 1995 et en 1999, des tireurs à bord de véhicules ont tenté d'abattre M. Thanaratnam au moment où il circulait à bord de véhicules en compagnie d'autres personnes d'origine sri lankaise. De plus, comme cela est mentionné plus haut, il a été victime d'une attaque à l'aide d'une barre de fer en 2000 et il a été gravement blessé par des individus qui étaient présumés être également d'origine sri lankaise. M. Thanaratnam a tout d'abord affirmé à la police que ses blessures étaient dues à une chute, mais plus tard il a affirmé avoir été attaqué parce qu'il avait témoigné au procès de personnes accusées d'avoir assassiné son ami. La police a jugé qu'il s'agissait d'une attaque « liée aux gangs » et probablement de représailles des membres d'un groupe rival. En 2001, il était l'une des deux victimes d'une « attaque à main armée en bande » perpétrée par un groupe d'assaillants.

[20]            Après avoir examiné les différents critères pertinents pour déterminer si une personne est « membre » d'une organisation criminelle, la preuve exposée ci-dessus et le témoignage de M. Thanaratnam selon lequel les activités de l'église dans la collectivité occupaient la majeure partie de son temps, la Commission est arrivée à la conclusion suivante (au paragraphe 24) :

[traduction]

Ce qui se dégage de l'examen des événements attestés par les témoignages et les documents afférents à ces événements, c'est le portrait d'un jeune homme qui, depuis le début de l'année 1995, s'est retrouvé de façon constante « dans le feu de l'action » .

[21]            Ayant conclu que le refus de M. Thanaratnam d'admettre toute connaissance au sujet des gangs tamouls et sa participation à leurs activités n'était pas crédible, la Commission a poursuivi comme suit dans le cadre de sa conclusion (au paragraphe 33) :

[traduction]

Je ne suis pas arrivé à la conclusion que la preuve fournie par M. Thanaratnam quant au fait qu'il n'est pas impliqué dans des activités criminelles ou au sein du V.V.T. était convaincante. Je crois que la preuve indique qu'il s'est trouvé à de nombreuses reprises en compagnie de personnes qui auraient également participé à des activités criminelles ou de gangs. À mon avis, une personne raisonnable qui examine l'ensemble de la preuve qui a été recueillie au cours de la présente audience en arriverait à la conclusion qu'il participait aux activités du gang. En dernière analyse, par conséquent, je suis convaincu que le critère des « motifs raisonnables de croire » est respecté et qu'il est membre du gang V.V.T. ou qu'il participe à des activités perpétrées par ce groupe.


C.        DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[22]            Le juge a soulevé deux points de preuve quant aux « motifs raisonnables de croire » . Premièrement, les décideurs peuvent avoir des « motifs raisonnables de croire » fondés sur des preuves non admissibles dans un procès (au paragraphe 13). Toutefois, la norme commande que les « motifs raisonnables de croire » soient « plus qu'un simple soupçon. Ils impliquent un degré de probabilité fondé sur une preuve crédible » , bien qu'il s'agisse « certainement d'une norme inférieure à celle de la prépondérance des probabilités » . Deuxièmement, le juge a déclaré (au paragraphe 19) que, dans le contexte de l'alinéa 37(1)a), le fait qu'une personne ait été accusée d'un crime « peut être pertinent à la question de l'appartenance » à une organisation criminelle.

[23]            Pour ce qui est d'établir si M. Thanaratnam était « membre d'une organisation » se livrant à des activités criminelles, le juge était convaincu que la preuve présentée devant la Commission était suffisante pour conclure que le V.V.T. était une « organisation » au sens de la définition établie à l'alinéa 37(1)a).


[24]            Il a toutefois conclu (au paragraphe 39) que, bien qu'il existât des preuves selon lesquelles M. Thanaratnam « a participé à certains incidents liés à des gangs et qu'il a été vu à l'occasion avec des membres du gang » , il fallait davantage pour prouver l'appartenance à un gang : par exemple, l'aveu d'appartenance à un gang par la personne concernée, une identification à titre de membre d'un gang appuyée à l'aide de preuves matérielles ou de sources d'information fiables, ou des conclusions judiciaires préalables.

[25]            En l'absence de telles preuves, le juge a conclu (au paragraphe 41) qu'il n'existait aucun fondement pour justifier la conclusion de la Commission

selon laquelle il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam était membre d'une organisation se livrant à des activités criminelles au sens où il appartenait réellement à un tel groupe [non souligné dans l'original].

D.        POINTS LITIGIEUX ET ANALYSE

Question 1 : Norme de contrôle judiciaire

[26]            En ce qui a trait aux questions de fait et aux inférences reposant sur des faits, les décisions de la Commission sont assujetties à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision manifestement déraisonnable, conformément à la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, alinéa 18.1(4)d). Par contre, il n'y a pas lieu de faire preuve de déférence à l'égard de l'interprétation donnée par la Commission aux dispositions particulières de ses lois habilitantes : Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982; Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, 2002 CSC 3.


[27]            Deux questions doivent être tranchées dans le présent appel. Premièrement, est-ce que le juge saisi de la demande a commis une erreur de droit en omettant de considérer si M. Thanaratnam « se livrait à des activités faisant partie » d'un plan d'activités criminelles, au sens de l'alinéa 37(1)a)? Deuxièmement, est-ce que la Commission a commis une erreur en concluant que la preuve qui lui avait été présentée était suffisante pour constituer des « motifs raisonnables de croire » ? Il s'agit d'une question mixte de fait et de droit. Toutefois, dans la présente affaire, les éléments factuels sont si importants qu'il faudrait infirmer la décision de la Commission seulement si elle est manifestement déraisonnable.

Question 2 : Est-ce que l'analyse des points litigieux réalisée par le juge était erronée?

[28]            Il est implicite dans les motifs de la Commission qu'elle a conclu que M. Thanaratnam était interdit de territoire en vertu des deux parties de l'alinéa 37(1)a), c'est-à-dire, en tant que « membre » d'une organisation criminelle et en tant que personne se livrant à des activités liées à un gang. Bien qu'elle ait consacré la majeure partie de son analyse de la conduite de M. Thanaratnam à la question de son appartenance, la Commission n'a pas établi de distinction entre les deux motifs. La Commission a par exemple déclaré vers la fin de ses motifs (au paragraphe 33) :

En dernière analyse, par conséquent, je suis convaincu que le critère des « motifs raisonnables de croire » est respecté et qu'il est membre du gang V.V.T. ou qu'il participe aux activités perpétrées par ce groupe.

Voir également les mentions similaires aux paragraphes 14 et 22 de ses motifs.


[29]            Ayant conclu que la Commission avait fait erreur en concluant que M. Thanaratnam était « membre » du V.V.T., le juge saisi de la demande n'a pas considéré si la preuve selon laquelle il « participait à des activités liées à un gang » (le premier critère utilisé par la police pour identifier les membres d'un gang) suffisait pour conclure qu'il était interdit de territoire du fait qu'il se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles du gang V.V.T., même s'il n'était pas « membre » du gang.

[30]            Selon moi, cela constitue une erreur de droit. L'alinéa 37(1)a) précise bien que « l'appartenance » à un gang et le fait de participer à des activités liées à un gang sont des motifs distincts qui se chevauchent, permettant de tenir une personne pour interdite de territoire au titre de la « criminalité organisée » . Le motif consistant à « se livrer à des activités liées à un gang » dans le cadre de la « criminalité organisée » a été ajouté par la LIPR et ne figurait pas à l'alinéa 19(1)c.2) de la loi antérieure, la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2. Afin de donner un sens à la modification apportée à la disposition précédente par la LIPR, il faut présumer que le législateur avait prévu d'étendre cette loi aux types de participation à des gangs qui ne sont pas visés (ou qui ne sont pas clairement visés) par le terme « membre » .

[31]            Faute de conclusion du juge sur la question de savoir si la décision de la Commission pourrait être confirmée au motif qu'une preuve suffisante lui avait été présentée pour lui permettre de conclure qu'il existait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam se livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles organisées au sein du V.V.T., j'aborde maintenant cette question.


Question 3 : Est-ce que la conclusion de la Commission était manifestement déraisonnable?

[32]            La question à trancher est de savoir s'il existait des preuves permettant d'appuyer de façon rationnelle la conclusion de la Commission selon laquelle il existait des motifs raisonnables de croire que M. Thanaratnam se « livrait à des activités faisant partie d'un plan d'activités criminelles » « organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d'une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation » .

[33]            Il est important de rappeler que la Cour n'occupe pas les mêmes fonctions que la Commission. Notre fonction n'est pas de décider si, selon la preuve présentée à la Commission, il existait des « motifs raisonnables de croire » mais seulement de décider s'il était irrationnel de toute évidence pour la Commission de tirer cette conclusion. En l'absence d'une allégation selon laquelle la Commission a commis une erreur de droit, ou que sa procédure était inéquitable, il est difficile d'établir que la conclusion de la Commission, selon laquelle il existait des « motifs raisonnables de croire » , était manifestement déraisonnable. Et, en dépit de son argumentation habile, Mme Jackman, l'avocate de M. Thanaratnam, n'a pas réussi.

[34]            Une conclusion n'est pas manifestement déraisonnable simplement parce que des déductions différentes de celles de la Commission peuvent être faites de façon raisonnable à partir de la preuve. Bien qu'aucun élément de preuve dans la présente affaire ne soit déterminant, lorsque la preuve est examinée dans son ensemble, elle était suffisante selon moi pour que la décision de la Commission ne puisse être considérée comme manifestement déraisonnable.


[35]            Prenons, par exemple, le fait que l'on ait attenté à la vie de M. Thanaratnam à trois reprises, dont notamment en deux occasions par des tireurs à bord d'une automobile et en une occasion par un groupe d'assaillants armés d'une barre de fer, dans les circonstances décrites plus haut, laisse à penser que ces incidents faisaient partie d'une guerre continue entre les groupes rivaux au sein de laquelle M. Thanaratnam était impliqué. Une déduction similaire peut être faite à partir du fait que l'on a retrouvé ce dernier dans un parc en compagnie d'autres individus, en possession de machettes, et de sa participation à une bagarre entre groupes à l'extérieur d'une boîte de nuit. En dernier lieu, bien que l'accusation portée contre M. Thanaratnam pour tentative de meurtre à l'aide d'un véhicule motorisé ait été retirée, cette infraction peut être perçue comme une mesure de représailles suite à la volée de coups assenés à l'aide d'une barre de fer qu'il avait subie le jour précédent et par conséquent, indiquer sa participation à des activités liées à des gangs.

[36]            Le caractère raisonnable de cette déduction est étayé par le témoignage de l'un des policiers travaillant au Projet 1050, qui a affirmé devant la Commission que le fait qu'une personne soit victime d'un enlèvement perpétré par un gang pouvait être considéré comme une indication qu'elle était impliquée dans des activités criminelles de gangs. En se fondant sur les attaques portées contre M. Thanaratnam, la fréquence des « interactions » portées par la police à son dossier et le fait que d'autres individus impliqués dans ces interactions étaient soupçonnés d'être membres de gangs, le policier était d'avis que la plupart des incidents en question impliquant M. Thanaratnam étaient liés à des activités de gangs.


[37]            Il est possible, bien sûr, comme son avocate l'a affirmé, que M. Thanaratnam se soit simplement « tenu » avec des membres du groupe V.V.T. et qu'il ait été tout simplement assez malchanceux de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Néanmoins, je le répète, le fait qu'il puisse exister une explication plus anodine ne rend pas la conclusion opposée manifestement déraisonnable, particulièrement lorsque l'on tient compte du nombre élevé d' « interactions » survenues entre la police et M. Thanaratnam avant sa détention en 2001.

E.        CONCLUSIONS

[38]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire et je rétablirais la décision rendue par le membre de la Section de l'Immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

                                                                               « John M. Evans »            

                                                                                                     Juge                      

« Je souscris aux présents motifs

     Marc Noël, juge »

« Je souscris aux présents motifs

     Edgar Sexton, juge »

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                             COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     A-229-04

APPEL D'UNE ORDONNANCE DE LA COUR FÉDÉRALE EN DATE DU 13 AVRIL 2004, DOSSIER DE LA COUR FÉDÉRALE NO IMM-4621-02.

INTITULÉ :                                                    MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION C. SHARONE THANARATNAM

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 7 MARS 2005

MOTIFS DU JUGEMENT :                         LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NOËL

LE JUGE SEXTON

DATE DES MOTIFS :                                   LE 8 AVRIL 2005

COMPARUTIONS

Greg George                                                     POUR L'APPELANT

Barbara Jackman                                               POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR L'APPELANT

Barbara Jackman

Avocate

Toronto (Ontario)                                              POUR L'INTIMÉ


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