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     Date : 20000620

    

     A--106-99


CORAM :      LE JUGE LINDEN
         LE JUGE ROTHSTEIN
         LE JUGE MALONE

E n t r e :


     MARINE ATLANTIC INC.

     demanderesse

     et


     GUILDE DE LA MARINE MARCHANDE DU CANADA

     et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeurs





AUDIENCE tenue à Montréal (Québec) le mardi 20 juin 2000

JUGEMENT prononcé à l'audience le mardi 20 juin 2000



MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :      LE JUGE ROTHSTEIN

    




     Date : 20000620

    

     A--106-99


CORAM :      LE JUGE LINDEN
         LE JUGE ROTHSTEIN
         LE JUGE MALONE

E n t r e :


     MARINE ATLANTIC INC.

     demanderesse

     et


     GUILDE DE LA MARINE MARCHANDE DU CANADA

     et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     défendeurs



     MOTIFS DU JUGEMENT

     (prononcés à l'audience à Montréal (Québec)

     le mardi 20 juin 2000)

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]      La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire d'une ordonnance en date du 19 janvier 1999 par laquelle le Conseil canadien des relations industrielles a accrédité la

Guilde de la marine marchande du Canada comme agent négociateur d'une unité comprenant les personnes suivante :

         [TRADUCTION]
         [...] tous les employés travaillant à bord de navires possédés, exploités ou affrétés par Marine Atlantic Inc. qui sont classés comme capitaines supérieurs, capitaines, chefs mécaniciens principaux, chefs mécaniciens, ingénieurs électriciens principaux et ingénieurs électriciens.


[2]      L'employeur, Marine Atlantic Inc., invoque plusieurs moyens pour contester l'ordonnance.

    


     1.      Le Conseil a-t-il violé les principes de justice naturelle en ne motivant pas son ordonnance ?     

[3]      La demanderesse invoque l'arrêt Baker c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1999] 2 R.C.S. 817, dans lequel la Cour suprême du Canada a imposé pour la première fois aux tribunaux administratifs l'obligation de common law de motiver leurs décisions lorsque les circonstances l'exigent. Voici ce que déclare le juge L'Heureux-Dubé au paragraphe 43 :

         À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

La demanderesse affirme que la question en cause dans la présente accréditation revêtait une grande importance pour la compagnie, étant donné qu'elle mettait en cause l'inclusion de cadres dans l'unité de négociation. La demanderesse affirme également que la décision doit être motivée pour qu'elle puisse satisfaire à la norme de contrôle du caractère manifestement déraisonnable qui s'applique en règle générale aux décisions du Conseil.

[4]      Suivant le raisonnement suivi dans l'arrêt Baker, bien qu'ils n'y soient pas obligés dans tous les cas, les tribunaux administratifs devraient en règle générale adopter l'habitude salutaire de motiver leurs décisions. Il n'est cependant pas nécessaire en l'espèce de décider s'il s'agit d'un cas dans lequel le Conseil devait motiver sa décision. La demanderesse admet qu'elle n'a pas demandé au Conseil de motiver sa décision. De fait, bien qu'elle ait demandé au Conseil de réexaminer sa décision, l'absence de motifs ne faisait pas partie des moyens invoqués par la demanderesse pour réclamer ce réexamen.

[5]      Dans le jugement Liang c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (1999) F.C.J. 1301, le juge Evans a déclaré, au paragraphe 31 :

         Toutefois, à mon avis, l'obligation d'équité exige simplement que des motifs soient fournis à la demande de la personne à laquelle cette obligation est due et, en l'absence d'une telle demande, il n'y a aucun manquement à l'obligation d'équité.

Nous sommes d'accord avec le juge Evans. Avant de demander le contrôle judiciaire d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, l'intéressé doit d'abord demander au tribunal en question de motiver sa décision. Si le tribunal administratif refuse de motiver sa décision ou fournit des motifs insuffisants, la personne visée peut recourir à notre Cour. On compliquerait toutefois inutilement l'administration de la justice si l'on permettait à l'intéressé de s'adresser à la Cour pour obtenir l'annulation d'une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n'a pas motivé sa décision, sans avoir d'abord demandé à celui-ci de motiver sa décision.

[6]      Le Conseil peut répondre à cette demande en motivant sa décision ou en exposant les raisons pour lesquelles il estime qu'il n'est pas nécessaire de le faire, compte tenu des circonstances de l'espèce. À notre avis, le fait d'obliger une partie à demander au tribunal administratif de motiver sa décision avant d'introduire une instance en contrôle judiciaire devant notre Cour ne la lèse aucunement.

[7]      Nous tenons à préciser que, bien qu'habituellement, la partie visée doive d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision, il peut exister des situations dans lesquelles l'obligation du tribunal administratif de motiver sa décision est tellement évidente que l'intéressé peut recourir à la Cour sans devoir d'abord demander au tribunal administratif de motiver sa décision. Il existe peut-être aussi des circonstances dans lesquelles une partie se trouve dans l'impossibilité de demander au Conseil de motiver sa décision. Ces circonstances seraient, à notre avis, extrêmement rares.

[8]      En l'espèce, le défaut de la demanderesse de demander au Conseil de motiver sa décision entraîne nécessairement le rejet de cet aspect de sa demande de contrôle judiciaire. Bien que la question revête peut-être beaucoup d'importance pour elle, la demanderesse n'a invoqué aucune raison satisfaisante pour expliquer pourquoi elle n'avait pas demandé au Conseil de motiver sa décision. Ce moyen de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est mal fondé.

     2.      Le Conseil a-t-il commis une erreur de droit ou violé des principes de justice naturelle en ne donnant pas à la demanderesse l'occasion de faire valoir son point de vue oralement ?

[9]      La demanderesse admet que la loi n'oblige pas le Conseil à tenir une audience. Elle affirme cependant que, dans son rapport daté du 16 novembre 1999, l'enquêteur du Conseil a soulevé plusieurs questions qui faisaient en sorte que le Conseil était tenu, en vertu des principes de justice naturelle, de tenir une audience pour permettre aux parties de faire valoir leur point de vue et de contester les éléments de preuve recueillis par l'enquêteur.

[10]      Le rapport de l'enquêteur a été communiqué aux parties. Les parties ont été expressément invitées à présenter leurs observations si elles n'étaient pas d'accord avec les parties du rapport où leur thèse était exposée. Rien ne les empêchait toutefois de faire valoir leur point de vue sur tout autre aspect du rapport auquel elles s'opposaient. Or, ni l'une ni l'autre n'a formulé d'observations devant le Conseil au sujet du rapport.

[11]      Bien que les principes de la justice naturelle exigent dans certains cas la tenue d'une audience, la présente affaire n'entre manifestement pas dans cette catégorie. La demanderesse n'a pas saisi l'occasion qui lui était donnée de formuler ses observations au sujet du rapport de l'enquêteur. Il est vrai qu'elle affirme que le rapport est entaché de diverses irrégularités, mais rien ne l'empêchait de signaler par écrit au Conseil ces présumées irrégularités. Rien dans les éléments dont dispose la Cour ne permet de penser que la présentation d'observations écrites n'aurait pas constitué une façon appropriée d'aborder ces questions. Rien ne nous permet donc de conclure que le Conseil a violé les principes de justice naturelle en ne tenant pas d'audience en l'espèce.

     3.      Le Conseil a-t-il rendu une décision manifestement déraisonnable ?

[12]      Le principal reproche que la demanderesse adresse au Conseil est d'avoir inclus les cadres dans les professions -- notamment les capitaines -- visées par son ordonnance d'accréditation. Elle soutient que, comme ces professions comporte l'exercice de certains pouvoirs disciplinaires, la participation à l'élaboration des politiques et d'autres critères propres à des postes de gestion, ces professions ne devraient pas faire partie de l'unité de négociation. Elle affirme également que le Conseil a commis une erreur en interprétant le Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, en incluant dans l'unité de négociation des employés des personnes qui exécutent des tâches de gestion. La demanderesse, qui reconnaît que la norme de contrôle applicable à ces questions est celle du caractère manifestement déraisonnable, affirme qu'il s'agit là d'erreurs manifestement déraisonnables.

[13]      Il ressort des éléments qui ont été portés à notre connaissance que les parties ont analysé à fond ces questions dans les observations qu'elles ont formulées devant le Conseil. La demanderesse s'est concentrée sur l'aspect gestion des postes en question, tandis que le syndicat a réfuté les assertions de la demanderesse. Par exemple, le syndicat a soutenu que, bien que le capitaine et l'ingénieur principal puissent déposer auprès de la direction un rapport disciplinaire accompagné de recommandations, ils ne sont pas habilités à prendre la décision finale en matière de discipline. Suivant le préambule de son ordonnance, le Conseil disposait des éléments que les parties lui avaient soumis et a rendu sa décision sur le fondement de ces éléments et du rapport de l'enquêteur. Si le Conseil avait rendu une décision qui ne reposait absolument pas sur les éléments dont il disposait, son ordonnance aurait fort bien pu être qualifiée de décision manifestement déraisonnable. Or, ce n'est pas le cas. Le syndicat a présenté ses observations en réponse aux arguments des cadres de la demanderesse. Il semble que ces observations ont persuadé le Conseil d'accorder l'accréditation. Ce faisant, le Conseil agissait parfaitement dans le cadre de ses attributions. Le fait que le Conseil a accordé l'accréditation en se fondant sur les éléments dont il disposait ne constitue pas selon nous une décision manifestement déraisonnable.

[14]      L'alinéa 16p) du Code confère au Conseil le pouvoir de déterminer si une personne est un employeur ou un employé, et si un groupe d'employés constitue une unité habile à négocier collectivement. En vertu du paragraphe 27(5), le Conseil peut décider qu'une unité proposée par le syndicat et regroupant ou comprenant des employés dont les tâches consistent entre autres à surveiller d'autres employés est habile à négocier collectivement. En l'espèce, le Conseil a exercé sa compétence en vertu de ces dispositions. Il a décidé que les personnes en question étaient des employés et qu'ils constituaient une unité habile à négocier collectivement.

[15]      Il n'existe à notre avis aucune interprétation de ces dispositions ou de toute autre disposition du Code qui permettrait de conclure que la certification ordonnée par le Conseil était manifestement déraisonnable. Malgré le fait que certains éléments de preuve tendaient à démontrer que certaines fonctions comportaient un aspect de gestion, le Conseil pouvait à bon droit décider que les personnes qui demandaient l'accréditation en l'espèce étaient des employés au sens du Code.

[16]      La demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée avec dépens.



     « Marshall Rothstein »

     J.C.A.




Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              A-106-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada et autre

LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :          Le mardi 20 juin 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR (les juges Linden, Rothstein et Malone)


PRONONCÉS À L'AUDIENCE par le juge Rothstein


ONT COMPARU :

Me Ian Pickard                          pour la demanderesse
Me Kimberley Turner                          pour la défenderesse, la Guilde de la marine marchande du Canada
Personne n'a comparu                      pour le défendeur, le procureur général du Canada

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Patterson Palmer Hunt Murphy                  pour la demanderesse

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pink Breen Larkin                          pour la défenderesse, la Guilde de la marine marchande du Canada
Me Morris Rosenberg                          pour le défendeur, le procureur
Sous-procureur général du Canada                  général du Canada

Ottawa (Ontario)

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