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Date : 20030306

Dossier : A-5-02

Référence neutre : 2003 CAF 118

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                                      JOHN McCOY

                                                                                                                                                        Appelant

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                            Intimé

                                      Audience tenue à Montréal (Québec), le 6 février 2003.

                                          Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 mars 2003.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LE JUGE DESJARDINS

                                                                                                                                        LE JUGE NADON


Date : 20030306

Dossier : A-5-02

Référence neutre : 2003 CAF 118

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE LÉTOURNEAU

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                                      JOHN McCOY

                                                                                                                                                        Appelant

                                                                                   et

                                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                            Intimé

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU


[1]                 Le juge de la Section de première instance (juge) s'est-il trompé lorsqu'il a avalisé la décision d'un Comité de discipline (Comité) par laquelle ce dernier trouvait l'appelant coupable d'avoir agi de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent du Service correctionnel du Canada (agent) au point de l'inciter à la violence? Il y a lieu de répondre par l'affirmative à cette question parce que la condamnation était illégale. Et cette condamnation était illégale pour les raisons que j'élaborerai plus loin. Mais au préalable, un bref rappel des faits, du cadre légal applicable ainsi que du contexte dans lequel l'incident reproché à l'appelant s'est déroulé.

Faits et procédure

[2]                 L'appelant, M. McCoy, est détenu à l'Établissement de Port-Cartier (Québec). Le 16 novembre 2000, il comparaît devant un tribunal disciplinaire suite à une accusation portée par l'agent correctionnel Pelletier. Il est trouvé coupable et condamné à une amende de 15$. La sentence prononcée, l'appelant s'adresse à l'agent et lui aurait dit : "Tu me dois 15$ et je vais m'arranger pour que tu me les rendes". Plus tard, lors de son témoignage dans les présentes procédures ainsi que dans son affidavit déposé au dossier de la Section de première instance, l'agent rapporte les paroles suivantes : "Tu me dois 15$ puis tu dois me les rendre" : voir l'affidavit, paragraphe 7, à la page 31 du Dossier d'appel et la transcription du témoignage, ibid., à la page 36. Je retiendrai donc cette dernière formulation puisque c'est sur la base de cette dernière que repose la condamnation.

[3]                 Suite au prononcé de ces paroles, l'agent a demandé à l'appelant s'il s'agissait de menaces. Ce dernier a confirmé qu'il s'agissait de menaces. L'agent a alors rapporté l'incident dans un rapport d'infraction. Une infraction disciplinaire fut, en conséquence, reprochée à l'appelant en vertu de l'alinéa 40g) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 (Loi).


[4]                 Je reproduis les alinéas 40g) et h) puisque le débat devant le Comité et le juge est empreint d'une certaine confusion à cause de la prééminence accordée à l'élément "menace" :

g) agit de manière irrespectueuse ou outrageante envers toute personne au point d'inciter à la violence;

h) se livre ou menace de se livrer à des voies de fait ou prend part à un combat;

(g) is disrespectful or abusive toward any person in a manner that is likely to provoke a person to be violent;

(h) fights with, assaults or threatens to assault another person;

[5]                 Au terme de l'audition sur cette infraction tenue le 22 février 2001, l'appelant est trouvé coupable d'avoir agi de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent au point d'inciter à la violence, le tout conformément aux termes de l'accusation portée en vertu de l'alinéa 40g) de la Loi.

[6]                 L'appelant se pourvoit à l'encontre de cette décision de nature disciplinaire par voie de contrôle judiciaire devant la Section de première instance de la Cour fédérale. Le juge saisi de la demande la rejette. Il confirme le verdict. De là, le présent appel.

La décision du juge saisi de la demande de contrôle judiciaire


[7]                 Une lecture de la décision révèle que le juge partage la conclusion du tribunal disciplinaire que les propos de l'appelant constituait une menace. Ensuite, le juge se dit d'avis "qu'une personne raisonnable aurait considéré les paroles prononcées par le demandeur comme une véritable menace, soit une façon d'agir irrespectueuse ou outrageante envers un agent correctionnel, incitant à la violence". Il s'empresse d'ajouter, à bon droit, que l'incitation à la violence n'implique pas nécessairement l'exercice de la violence.

[8]                 Pour en venir à cette conclusion de la personne raisonnable, le juge a retenu les circonstances suivantes entourant le prononcé des propos. Il les énumère au paragraphe 9 de sa décision et je me contente de les reproduire intégralement :

[9] Il importe aussi de considérer le contexte où les paroles reprochées au demandeur ont été prononcées : (1) elles ont été adressées à un agent correctionnel à la sortie d'une cour disciplinaire; (2) elles ont été confirmées par le demandeur à l'agent correctionnel comme constituant des menaces; (3) elles ont été dites dans un pénitencier à sécurité maximale où l'on retrouve une tension particulière entre détenus et représentants des autorités carcérales; et (4) aucune explication sérieuse ou crédible n'a été offerte par le demandeur pour justifier ses propos.

Analyse de la décision

[9]                 Avec respect, je crois que la décision du Comité, entérinée par le juge, est illégale parce qu'au moins un des éléments constitutifs de l'infraction, i.e., l'actus reus, n'a pas été prouvé.

Les éléments constitutifs de l'infraction


[10]            L'actus reus de l'infraction contenue à l'alinéa 40g) de la Loi consiste dans le fait de poser un geste qui n'est pas simplement irrespectueux, mais bien un geste qui est si irrespectueux qu'il va inciter la personne visée à faire usage de violence. Je laisse de côté le terme "outrageant" puisque le litige n'a pas porté sur cet aspect de l'infraction et que, de toute façon, il est difficile de voir en quoi les propos de l'appelant peuvent justifier l'attribut de cet épithète. En d'autres termes, l'infraction requiert un degré marqué d'irrespect, une incitation à la violence et une relation causale entre l'irrespect et l'incitation : le geste doit être irrespectueux "au point" d'inciter une réaction violente, même si, dans les faits, la violence ne se matérialise pas. Le texte anglais "in a manner that is likely to provoke" confirme également cette nécessité d'un comportement suffisamment irrespectueux pour inciter une réaction violente.

La preuve au soutien de la condamnation

[11]            En l'espèce, le geste de l'appelant a pris la forme des propos suivants, déjà mentionnés, mais que je répète à des fins utilitaires :

Tu me dois 15$ puis tu dois me les rendre.


En soi, ces propos n'ont rien de désobligeant ou, pour utiliser la définition du dictionnaire du mot "irrespectueux", ne sont pas nécessairement "impertinent", "insolent" ou "irrévérencieux" : Le Nouveau Petit Robert, 1993, page 1359. Ils établissent l'existence d'une créance et l'obligation pour le débiteur de l'acquitter. D'ailleurs, l'agent n'a pas perçus les propos tels qu'ici formulés comme un manque de respect, mais plutôt comme une menace dans le contexte où ils furent prononcés, ce qu'a confirmé l'appelant, mais sans préciser de quelle sorte de menace il s'agissait. Faut-il dire qu'en règle générale, une menace est un indice ou une manifestation de danger et qu'elle s'extériorise par des propos de nature différente de ceux qui caractérisent l'irrévérence.

[12]            Lors de l'audience devant le Comité, l'agent a affirmé dans le cours de son témoignage que l'appelant lui avait répété ces propos à plusieurs reprises et d'une façon menaçante. Pour sa part, l'appelant a indiqué au Comité que, par ses propos, il entendait exercer ses recours en justice pour récupérer cet argent. Il est vrai qu'au moment où il a tenu les propos qu'on lui reproche, l'appelant pouvait contester à l'interne et éventuellement devant la Cour fédérale la condamnation et la sanction prononcées contre lui. À tout événement, tel qu'il appert de la transcription des témoignages, Dossier d'appel, page 44, le Comité n'a pas cru l'explication de l'appelant :

PAR M. LE PRÉSIDENT :

Vous avez des recours auprès des services lorsque vous n'avez pas tous les droits ou qu'on ne vous accorde pas quelque chose. Mais je serais surpris que vous vous adressiez à une cour pour demander votre quinze piastres (15$) à monsieur Pelletier, que vous l'auriez, puis qu'un juge vous écouterait.

Le Comité a conclu à l'existence de menaces, vraisemblablement au sens de l'alinéa 40h), i.e., de voies de fait, mais a trouvé l'appelant coupable de l'infraction sous l'alinéa 40g) de la Loi.


[13]            Je ne crois pas que le Comité et le juge aient fait l'équation qu'une menace équivaut nécessairement à un manque de respect envers la personne visée. Tout dépend, bien sûr, des propos émis, de la nature de la menace, de sa légitimité et du contexte dans lequel elle est proférée. Je suis disposé à admettre que, dans les circonstances, le Comité pouvait conclure que les propos de l'appelant, en apparence anodins, constituaient une menace de voies de fait au sens de l'alinéa 40h) et que cette menace pouvait peut-être témoigner d'un comportement irrespectueux envers l'agent et l'autorité qu'il représente. Mais, avec respect, je ne crois pas que la preuve établisse que ce comportement était irrespectueux au point d'inciter l'agent à la violence.

[14]            Les parties devant nous ont perpétué la confusion engendrée par la référence constante à l'allégation de menaces et à la jurisprudence de la Cour suprême du Canada dans les affaires R. c. McGraw, [1991] 3 R.C.S. 72 et R. c. Clémente, [1994] 2 R.C.S. 758. Dans ces deux arrêts, la Cour suprême a jugé qu'il était nécessaire, aux fins de faire la preuve d'une menace, d'établir si l'accusé avait l'intention d'intimider ou si les termes employés visaient à être pris au sérieux. Cette détermination de l'intention de l'accusé, en l'absence d'explication de la part de l'accusé, doit se faire d'une manière objective, en fonction des mots utilisés, du contexte dans lequel ils s'inscrivent et de la personne à qui ils étaient destinés : R. c. Clémente, supra, page 762 (mon soulignement). En d'autres termes, en l'absence d'explication de la part de l'accusé, les propos doivent être examinés objectivement et la signification à leur être attribuée devrait être celle que leur donnerait une personne raisonnable : R. c. McGraw, supra, page 88. La nécessité de cette démarche objective revêt moins d'importance lorsqu'un accusé choisit de témoigner et son explication n'est pas crue. Il est possible d'apprécier l'intention de l'accusé à partir de son témoignage sans devoir nécessairement recourir à l'appréciation d'une personne raisonnable.


[15]            Dans la cause qui nous occupe, l'accusation, je le rappelle, n'en est pas une de menace, mais plutôt d'avoir agi d'une manière irrespectueuse au point d'inciter à la violence l'agent visé par les propos tenus. Or, tant l'agent que l'accusé ont témoigné. L'agent, en aucun temps ou moment, n'a déclaré ou affirmé s'être senti victime d'un manque de respect. Qui plus est : en aucun endroit de son témoignage n'a-t-il déclaré avoir été ou qu'il y avait matière à être incité à la violence. Le seul passage de la transcription des témoignages qui fait référence à cet élément capital de l'actus reus de l'infraction se retrouve à la page 38 du Dossier d'appel. Il résulte du contre-interrogatoire de l'avocat de l'appelant où ce dernier a demandé à l'agent si ce n'était pas plutôt lui qui, par des propos, aurait incité l'appelant à faire usage de violence. L'échange a pris cette forme :

PAR M. FRANCIS PELLETIER :

La première menace qu'il a faite c'est à la Cour disciplinaire. Puis la partie (inaudible) c'était pas chez moi, c'était en dehors du bureau de la Cour disciplinaire, entre la grille de la détention, secteur détention, et le bureau de la Cour disciplinaire. Il y avait monsieur Jean-Marie (inaudible) qui était là, ainsi que monsieur Michel Tremblay qui était présent.

PAR Me GAUDRAULT :

(Inaudible).

PAR M. FRANCIS PELLETIER :

Comme j'ai dit tout à l'heure, je me souvenais pas, mais je penserais pas.

PAR Me GAUDRAULT :

Et ce que vous avez prononcé, disons, incitait à la violence?

PAR M. FRANCIS PELLETIER :

Non, du tout, je n'avais pas incité à la violence. Par contre lui a fait des menaces.

                                                                                                                                         (mon soulignement)


[16]            Le poursuivant avait le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable les éléments de l'infraction :

43.(3) La personne chargée de l'audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l'infraction reprochée.

43.(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

Il y a, à mon humble avis, absence totale de preuve sur un élément essentiel de l'infraction. Il ne serait pas approprié, dans les circonstances, d'inférer qu'une personne raisonnable se serait sentie victime d'un manque de respect et incitée à la violence lorsque la personne visée par les propos a témoigné et n'a pas déclaré ou n'a pas voulu affirmer sous serment que tel était le cas. L'agent eut-il, au terme d'explications plausibles, affirmé en quoi et pourquoi il s'était senti incité à la violence par les propos tenus et eut-il été cru qu'on ne ferait pas appel à la personne raisonnable pour déterminer cette question. À l'inverse, eut-il, au terme d'explications plausibles, déclaré en quoi et pourquoi il ne s'était pas senti incité à la violence dans les circonstances et eut-il été cru qu'on ne recourrait toujours pas à la personne raisonnable pour décider la question. Je ne vois donc pas pourquoi il y aurait lieu de recourir à ce concept pour déterminer dans l'abstrait la question alors que le principal intéressé a, de fait, témoigné sans fournir de preuve sur cet élément essentiel et alors que l'obligation incombait à la poursuite d'en faire la preuve. Bref, il serait injuste de combler les omissions et les carences de la preuve en spéculant sur ce qu'aurait été la perception d'une personne raisonnable.


[17]            J'ajouterais ceci. L'agent Pelletier est un professionnel entraîné à transiger dans un milieu carcéral avec des détenus aux profils diversifiés et complexes. À l'instar d'autres professionnels qui oeuvrent dans de pareilles conditions, il est entraîné à faire preuve de contrôle et de réserve face aux quolibets, à l'irrévérence, à la frustration et même à la menace. Sa réaction en l'espèce indique qu'il a agi en professionnel et affiché le comportement qu'on attend de lui. Son comportement révèle celui d'une personne qui ne s'est pas sentie incitée à la violence et qui a agi conformément aux normes en rédigeant un rapport d'infraction pour menace. Comme on le sait, ce n'est pas en définitive l'infraction qui fut reprochée à l'appelant et la preuve d'un élément essentiel de l'infraction portée sous l'alinéa 40g) n'a pas été faite.

[18]            Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en suis venu, il n'est pas nécessaire de décider du mérite de certains reproches faits au juge en rapport avec la connaissance qu'il a prise judiciairement de certains faits.

[19]            Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens, j'annulerais la décision du juge de la Section de première instance rendue le 7 décembre 2001 et, procédant à rendre le jugement qu'il aurait dû rendre, j'accueillerais la demande de contrôle judiciaire avec dépens et j'annulerais la décision du Comité de discipline du 22 février 2001.

                                                                                                                                         "Gilles Létourneau"                

                                                                                                                                                                 j.c.a.

"Je souscris à ces motifs

Alice Desjardins j.c.a."

"Je suis d'accord

M. Nadon j.c.a."


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                 SECTION D'APPEL

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

   

DOSSIER :                                                 A-5-02

  

INTITULÉ :                                                JOHN MCCOY c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

  

LIEU DE L'AUDIENCE :                        MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 6 février 2003

MOTIFS DU JUGEMENT :                  LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                 LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                              le 6 mars 2003

  

COMPARUTIONS :

Me Daniel Royer                                                                            POUR L'APPELANT

Me Sébastien Gagné                                                                       POUR L'INTIMÉ

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                                                                                 

Me Daniel Royer                                                                            POUR L'APPELANT

LABELLE, BOUDRAULT, COTE ET ASSOCIÉS

434 rue Ste-Hélène

Montréal, Québec H2Y 2K7

Me Sébastien Gagné                                                                       POUR L'INTIMÉ

Direction des Affaires Civiles du Québec

Ministère de la Justice du Canada

284, rue Wellington, Pièce SAT-6037

Ottawa, Ontario    K1A 0H8

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