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Date : 20040430

Dossier : A-490-03

Référence : 2004 CAF 172

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                           ANDRÉ TREMBLAY

                                                                             

                                                                                                                                                  intimé

                                     Audience tenue à Montréal (Québec), le 19 avril 2004

                                       Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                         LE JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                 LE JUGE NOËL

                                                                                                                              LE JUGE NADON


Date : 20040430

Dossier : A-490-03

Référence : 2004 CAF 172

CORAM :       LE JUGE DESJARDINS

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                                                           ANDRÉ TREMBLAY

                                                                             

                                                                                                                                                  intimé

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS

[1]                Cet appel met en relief les recours prévus aux articles 17 et 18 de la Loi sur les Cours fédérales (L.R. 1985, ch. F-7) (la Loi). La question en l'espèce consiste à déterminer si l'intimé pouvait procéder par voie d'action selon l'article 17 de la Loi ou si le seul recours qui lui était ouvert était celui d'une procédure en contrôle judiciaire.


[2]                L'intimé a été membre des Forces canadiennes du 1er janvier 1962 au 9 octobre 1969, puis du 26 septembre 1991 au 31 mars 1999. Il a pris sa retraite à cette date suite à l'application des dispositions sur l'âge obligatoire de la retraite prévues à l'article 15.17 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). Le dossier n'indique pas sous quelle forme la mise à la retraite s'est effectuée. Il n'est cependant pas contesté qu'il s'agissait d'un acte d'un "office fédéral" au sens de l'article 2 de la Loi.

[3]                Un peu moins de trois ans plus tard, soit le 28 mars 2002, l'intimé déposait une action dans laquelle il demandait que les articles des ORFC prescrivant l'âge de la retraite obligatoire, l'alinéa 15(1)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne sous l'empire duquel les ORFC sont adoptés ainsi que l'alinéa 15(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, soient déclarés inopérants parce qu'incompatibles avec les articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et avec la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). L'intimé réclamait sa réintégration auprès des Forces canadiennes ainsi que des dommages-intérêts.

[4]                Dans une requête en radiation, l'appelante a soutenu que l'action de l'intimé est prescrite en vertu de l'article 269 de la Loi sur la défense nationale, (L.R. 1985, ch. N-5). Elle demandait subsidiairement que les conclusions de la nature d'un contrôle judiciaire soient radiées.


[5]                Devant nous, l'appelante s'en prend à une ordonnance rendue par un juge de la Cour fédérale (le 17 octobre 2003, rapportée à [2003] A.C.F. no 1520, amendée par la suite le 24 octobre 2003), rejetant son appel d'une ordonnance du protonotaire, lequel avait rejeté à son tour sa requête en radiation de l'action de l'intimé.

1 - LE TEST APPLICABLE

[6]                Les parties reconnaissent qu'une requête en radiation ne peut être accordée que s'il est "évident et manifeste" que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable (alinéa 221 (1)a) des Règles de la Cour fédérale (1998); Succession Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 R.C.S. 263, au paragraphe 15; Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 740).

[7]                Elles reconnaissent également que le premier juge ne pouvait intervenir dans la décision discrétionnaire du protonotaire que s'il en arrivait à la conclusion que le protonotaire avait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits (Merck Co. Inc. c. Apotex Inc., [2003] CAF 488, paragraphes 19 et 20; Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450).

2 - QUESTIONS EN LITIGE


[8]                Il nous apparaît utile d'inverser les deux questions que soulève cet appel en les formulant ainsi :

(1)        l'intimé pouvait-il procéder par action ou devait-il procéder par voie de contrôle judiciaire?

(2)        dans le cas où l'intimé pouvait procéder par action, celle-ci est-elle prescrite compte tenu de la courte prescription de six mois prévue à l'article 269 de la Loi sur la défense nationale?

3 - ANALYSE

(1)         l'intimé pouvait-il procéder par action ou devait-il procéder par voie de contrôle judiciaire?

[9]                L'article 18 de la Loi traite des recours discrétionnaires qui relevaient autrefois des brefs de prérogative, auxquels se sont ajoutées l'injonction et la déclaration, lesquelles tiraient leur origine de l'equity. Ces recours sont dits "extraordinaires" parce qu'ils ne sont généralement pas accueillis si d'autres recours sont également disponibles (D. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, (Toronto: Canvasback Publishing, c. 3-1).


[10]            Cet article 18 donne à la Cour fédérale compétence exclusive dans l'exercice des recours en révision judiciaire dirigés à l'encontre de tout office fédéral. Il constitue la pierre angulaire de la Loi, laquelle fut adoptée en 1971 suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans Three Rivers Boatman Ltd. c. Canada (Conseil des Relations Ouvrières), [1969] R.C.S. 607. Le Parlement du Canada s'assurait ainsi que les offices fédéraux, dont les activités s'étendent à travers le Canada, ne soient pas soumis à des décisions, possiblement contradictoires, d'une province à l'autre. Ils relevaient dès lors du pouvoir de surveillance et de contrôle de la Cour fédérale du Canada.

[11]            La définition d'un "office fédéral" que l'on retrouve à l'article 2 de la Loi n'a pas toujours été aussi étendue. Ce n'est que par suite d'amendements, qui ont pris effet le 1er février 1992 (S.C. 1990 ch. 8, SI 92-6, Gaz. C. 1992.II.280, Vol. 126, No. 1)) qu'une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale donne maintenant ouverture à un contrôle judiciaire. La révision judiciaire était limitée auparavant aux décisions prises en vertu d'une loi fédérale. L'incorporation des décisions prises en vertu d'une prérogative royale nous oblige à lire avec prudence la remarque faite par le juge Thurlow, au nom de la Cour, dans Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) v. Creative Shoes Ltd., [1972] C.F. 993, par. 17. Le juge Thurlow avait raison d'affirmer, à l'époque, que les mots "un office, une commission ou un autre tribunal fédéral" ne comprenait pas la Couronne. Ce faisant, il s'appuyait sur le paragraphe 2g) de la Loi antérieure aux amendements de 1992.

[12]            L'article 17 de la Loi traite par ailleurs des recours intentés contre la Couronne ou ses préposés en vue d'obtenir une réparation. Le mot "réparation" à l'article 2 de la Loi s'entend notamment d'une déclaration. Les recours de l'article 17 s'exercent par voie d'action (paragraphe 17(5) de la Loi).


[13]            Une déclaration de nullité peut s'obtenir par l'application des articles 17 et 18 de la Loi. Il ne s'ensuit pas pour autant que l'intimé avait le choix de procéder suivant l'un ou l'autre de ces deux articles. Afin de déterminer le recours approprié pouvant donner ouverture aux réclamations formulées par celui-ci, il me faut examiner les conclusions mentionnées dans sa déclaration. Celles-ci sont les suivantes :

DÉCLARER que les articles sur l'âge de la retraite obligatoire des ORFC sont inopérants, car incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés;

DÉCLARER inopérant l'article 15(1)b) de la Loi canadienne des droits de la personne, car incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés et, en conséquence, déclarer que les articles sur l'âge de la retraite obligatoire des ORFC sont inopérants, car incompatibles avec les articles 3 et 7 de la Loi canadienne des droits de la personne;

ORDONNER la réintégration du demandeur au grade C-4 ou son équivalent à la date de sa réintégration.

ORDONNER le paiement de la somme de 19,000.00$, par année de services perdues, plus les ajustements requis pour la pension, le tout avec intérêt annualisé sur la base de revenus 19,000.00$ par année;


LE TOUT avec dépens.

[14]            De toute évidence, l'intimé ne peut obtenir sa réintégration dans les Forces canadiennes, ainsi que des dommages pour perte de salaire, que s'il attaque d'abord la décision qui a porté sur sa mise à la retraite, et ce, au motif que les textes législatifs qui sous-tendent sa mise à la retraite sont inopérants eu égard à la Charte. La nullité de cette décision est au coeur de sa demande et les conclusions recherchées sont fonction de cette nullité alléguée. Ce n'est que lorsque la décision sera déclarée nulle que l'intimé aura droit à sa réintégration. Ce n'est que lorsque la réintégration sera prononcée que des dommages-intérêts pourront être réclamés.

[15]            Vu les caractéristiques distinctes qui régissent le contrôle judiciaire et l'action en justice, il me faut analyser séparément les conclusions de l'intimé qui ont trait à la nullité de sa mise à la retraite et à sa réintégration, et ensuite, celle qui a trait à la perte de salaire.

a)         La nullité de la mise à la retraite de l'intimé et sa demande de réintégration


[16]            La mise à la retraite de l'intimé est une décision qui fut prise par un "office fédéral" au sens des articles 18 et 2 de la Loi. Bien que l'intimé n'ait déposé aucune lettre ou document ayant trait à sa mise à la retraite, le processus qui a été suivi lors de cette mise à la retraite constitue l'acte ou la décision d'une "personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale" (article 2 de la Loi). Une demande pour faire déclarer illégale la mise à la retraite de l'intimé parce que celle-ci aurait été prise en vertu de dispositions législatives ou réglementaires incompatibles avec la Charte, ne peut se faire qu'en attaquant cette décision par voie de contrôle judiciaire (paragraphe 18(3) de la Loi). L'article 18 de la Loi prévoit que les recours extraordinaires ne peuvent être instruits, comme s'il s'agissait d'une action, que lorsque la Cour fédérale l'estime indiqué (paragraphe 18.4(2) de la Loi). La Loi ne prévoit pas qu'une action puisse être instruite comme s'il s'agissait d'un contrôle judiciaire.

[17]            En l'espèce, l'intimé a ignoré totalement les articles 18 et suivants de la Loi. Il a intenté une action contre la Couronne fédérale selon le paragraphe 17(1) de la Loi, lequel, tel que dit plus haut, donne compétence à la Cour fédérale dans les cas de demande de réparation contre la Couronne. L'intimé invoque à son profit le mot "réparation" de l'article 2 de la Loi, en ce qu'une "réparation" comprend une "déclaration". Il explique que son action a été prise à l'intérieur du délai de trois ans prévu au Code civil du Québec, délai applicable, dit-il, en vertu de l'article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, (L.R. 1985, ch. 50).

[18]            L'intimé ne peut cependant procéder par voie d'action puisque le paragraphe 18(3) de la Loi consacre l'exclusivité du recours par voie de contrôle judiciaire lorsqu'une décision d'un office fédéral est attaquée.


[19]            L'intimé est par ailleurs hors délai dans la présentation de sa demande de contrôle judiciaire. Les demandes de contrôle judiciaire doivent être présentées dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance. Il s'agit là d'un délai statutaire qui s'explique par la nécessité d'assurer une certaine stabilité dans les décisions de l'administration fédérale. Un délai supplémentaire peut toutefois être accordé par un juge de la Cour fédérale, avant ou après l'expiration de ces trente jours (paragraphe 18.1(2) de la Loi) selon les critères usuels.

[20]            L'intimé se fonde sur l'arrêt de cette Cour dans Sweet c. Canada, [1999] A.C.F. no 1539 (Sweet), pour affirmer, aux paragraphes 23 et 35 de son mémoire, que si le contrôle judiciaire est un remède possible, la déclaration par voie d'action l'est également, et que lorsque des dommages sont réclamés, la partie concernée peut faire valoir ses demandes dans un recours unique auquel cas il appartient à la Cour de choisir la procédure la plus efficace.

[21]            La décision de notre Cour dans Sweet, précitée, n'entraînait pas les mêmes considérations que celles en l'espèce. Le détenu, dans cette affaire, avait pris action mais il aurait pu vraisemblablement agir par voie de contrôle judiciaire parce que les délais n'étaient écoulés ni dans l'un ni dans l'autre des deux cas. C'est en ce sens qu'il faut comprendre le paragraphe 16 des motifs du juge Décary lorsqu'il écrit notamment :

[16] Il est alors tout à fait inutile de demander la radiation d'actes de procédure quand, en bout de ligne, la Cour permettra au demandeur ou au défendeur de déposer un nouvel acte de procédure en bonne et due forme. [...]

[22]            C'est dans ce contexte qu'il énonce au paragraphe 17 :


[17] Il me semble que dans une affaire où l'on recherche plusieurs réparations différentes, les unes nécessitant une action, les autres un contrôle judiciaire, la marche à suivre est de déterminer quelle est la réparation qui, logiquement, est à envisager en premier lieu, ensuite de déterminer si la procédure entreprise est celle indiquée au vu de la réparation et, sinon, de permettre à la partie de la corriger en y apportant les modifications appropriées.

[Non souligné dans l'original.]

Dans l'intérêt d'un bon fonctionnement du système judiciaire, notre Cour visait à permettre à un individu de procéder aux corrections nécessaires à l'acte de procédure introduit plutôt que de se voir opposer une radiation. Il ne s'ensuit pas que la Cour entendait permettre que l'on puisse déguiser en action une procédure relevant essentiellement du contrôle judiciaire, de manière à contourner la non disponibilité de ce recours pour cause de délai.

[23]            L'affaire Zarzour c. Canada, [2000] A.C.F. no 2070, citée par les deux parties, traite également d'une question différente. Dans cette affaire, le détenu tentait de faire extirper deux lettres de son ex-épouse de ses dossiers que détenaient la Commission nationale des libérations conditionnelles et le Service correctionnel du Canada. Ces lettres, disait-il, lui causaient préjudice auprès de ces deux organismes. Il déposa une déclaration (Zarzour, paragraphe 13) dans laquelle il affirmait que ses droits en vertu de la Charte avaient été violés et qu'il avait droit à la réparation et aux dommages qu'il réclamait. La Commission nationale des libérations conditionnelles avait pour sa part rendu une décision l'autorisant à sortir sans escorte sous certaines conditions. Certaines étaient reliées à sa criminalité polymorphe. Une autre l'interdisait à entrer directement ou indirectement en contact avec son ex-épouse.


[24]            Le juge Létourneau résuma au paragraphe 46 de ses motifs la question d'ordre procédural soulevée en première instance :

[46] [...] L'intimé pouvait-il procéder par action en dommages comme il l'a fait et invoquer l'illégalité des décisions de la Commission? Ou devait-il plutôt présenter une demande de contrôle judiciaire sous l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale pour attaquer ces décisions dans le délai imparti? [...]

[Non souligné dans l'original.]

[25]            Le juge Létourneau déclara ce qui suit aux paragraphes 48 et 49 de ses motifs :

[48] Il faut en la matière, je crois, prendre une approche utilitaire et privilégier la procédure qui permet d'éliminer ou de réparer le préjudice découlant de la décision rendue. Il est inutile, par exemple, d'exiger d'un détenu qui a déjà purgé sa période d'isolement de 15 jours qu'il demande par voie de contrôle judiciaire l'annulation de la décision qui l'y a contraint. Par contre, lorsqu'une décision est toujours opérante, comme en l'espèce celle de la Commission imposant comme condition de libération une interdiction de contact, il est non seulement utile, mais nécessaire, de procéder par contrôle judiciaire pour la faire annuler. Sinon, tant la décision que ses effets perdurent et il y a même aggravation du préjudice pendant la période où l'action en dommages suit son cours.


[49] C'est, à bon droit, cette approche pragmatique que le Protonotaire Hargrave a adoptée dans l'affaire Shaw c. Canada (1997) 134 F.T.R. 128. Au paragraphe 23 de sa décision, il écrit:

[23] Je ne pense pas qu'un demandeur soit obligé, dans tous les cas, d'introduire en premier lieu une demande de contrôle judiciaire et ensuite, si la Cour y fait droit, une action en dommages-intérêts. Et ce d'autant plus qu'un jugement déclaratoire ne sert à rien. Qui plus est, il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où le demandeur engage des procédures alternatives tendant au même résultat : les réparations demandées sont très différentes. Enfin, lorsqu'il y a plusieurs approches ou procédures, la Cour doit imposer le remède le moins draconien qui puisse assurer la réparation. Bref, il ne sert à rien d'obliger le demandeur à agir en jugement déclaratoire au sujet de quelque chose qui s'est produit il y a plus d'un an, afin d'engager ensuite une autre procédure pour réclamer des dommages-intérêts

Malheureusement, il n'existe pas de formule magique applicable aux situations où une multiplicité de recours existe. Chaque cas en est un d'espèce et doit être évalué à son mérite pour déterminer la procédure appropriée.

[26]            En citant le protonotaire Hargrave, le juge Létourneau reconnaissait qu'il puisse y avoir des cas où un recours en contrôle judiciaire ne puisse être d'aucune utilité. Il reconnaissait également qu'il puisse y avoir des cas où le délai du paragraphe 18.1(2) soit respecté (voir la formulation de la question en litige devant lui). Ni l'une ni l'autre de ces deux situations ne se retrouve en l'espèce.

[27]            L'intimé ne peut choisir entre deux procédures. Pour obtenir sa réintégration, il lui faut nécessairement agir par voie de contrôle judiciaire. Ce n'est que s'il obtient la nullité de la décision ayant trait à sa mise à la retraite qu'il peut obtenir sa réintégration.


b)         La perte de salaire

[28]            L'intimé réclame une compensation monétaire pour perte de salaire. La demande de contrôle judiciaire ne permet pas de réclamer des dommages-intérêts puisque ceux-ci ne sont pas prévus au paragraphe 18.1(3) de la Loi (De-Nobile c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1727). Les dommages-intérêts ne peuvent être réclamés que par action, et seulement après que la décision de l'office fédéral soit annulée. L'article 17 de la Loi est le recours approprié dans ce cas. L'intimé devra cependant établir que l'office fédéral agissait à titre de "préposé ou mandataire de la Couronne pour des faits ... survenus dans le cadre de ses fonctions" (paragraphe 17(5) de la Loi; David J. Mullan, Administrative Law, 3ed., (Toronto: Carswell, 1996), § 721, 722). Son action ne doit évidemment pas être prescrite.

[29]            La présente affaire illustre le tracé subtil de la ligne de démarcation qui existe entre le contrôle judiciaire et l'action en justice. Cette question est abordée en ces termes par Sgayias et al. dans Federal Court Practice (édition 2004, pages 27-28) :

A fresh debate has arisen, this time involving section 18 and section 17. At issue is the boundary between an application for judicial review against a federal board and an action against the Crown. The bounday blurs when declaratory relief is involved: that form of relief is available under both section 18 and section 17. However, the boundary is real. Judicial review is obtained by way of application under section 18.1 and is only exceptionally pursued by way of action (section 18.4(2)). Relief against the Crown is obtained by way of an action under section 17, in which claims for declaratory relief may be combined with claims for other relief such as damages.

An application for judicial review must be taken where the relief sought is prerogative, injunctive or declaratory and that relief is sought against the decision or actions of a body or person exercising statutory powers. However, an application for judicial review cannot include a claim for damages: De-Nobile v. Canada (A.G.) (October 22, 1999), Doc. T-2238-98 (Fed. T.D.). Nor can it include a claim against the Crown itself: M.N.R. v. Creative Shoes Ltd., [1972] F.C. 993 (C.A.). Such claims must be pursued by action. Declaratory relief can be sought in the action:


Ward v. Samson Cree Nation No. 444 (1999), 247 N.R. 254 (Fed. C.A.). Judicial review cannot be obtained in the action: Lake Babine Indian Band v. Williams (1996), 194 N.R. 44 (Fed. C.A.). The result may be a series of proceedings, one seeking judicial review of a decision, another seeking consequential damages: Sweet v. Canada (1999), 249 N.R. 17 (Fed. C.A.). The result may also be that the validity of legislation may be challenged by action, but decisions taken under the impugned legislation cannot: McKay v. Canada (Min. of Fisheries & Oceans) (1998), 160 F.T.R. 301 (T.D.).

[30]            La réponse à la première question est donc celle-ci : l'intimé ne pouvait procéder par voie d'action pour obtenir l'annulation de la décision portant sur sa mise à la retraite et sa réintégration. Si celle-ci est prononcée suite à une demande de contrôle judiciaire, l'intimé pourra alors prendre une action en réparation s'il en remplit les conditions.

(2)         dans le cas où l'intimé pouvait procéder par action, celle-ci est-elle prescrite compte tenu de la courte prescription de six mois prévue à l'article 269 de la Loi sur la défense nationale?

[31]            Vu les conclusions auxquelles j'en arrive sur la première question, il serait prématuré, à ce stade, de répondre à la seconde question. La déclaration de nullité de la décision portant sur la mise à la retraite dépend d'une requête de prorogation de délai et d'une demande de contrôle judiciaire, lesquelles n'ont été ni déposées ni adjugées. La question de la prescription pourra être soulevée à nouveau par l'appelante dans les procédures ultérieures, si elles ont lieu.

4- CONCLUSION


[32]            La requête en radiation de l'appelante doit donc être accordée en partie puisque l'action prise par l'intimé n'a aucune chance de réussir. La procédure par voie d'action n'est pas appropriée pour permettre à l'intimé d'obtenir sa réintégration dans l'hypothèse où sa mise à la retraite serait déclarée contraire aux dispositions de la Charte.

[33]            Une décision prise par un office fédéral doit être attaquée par voie de contrôle judiciaire. L'intimé est cependant hors délai pour ce faire. Il peut toutefois être relevé de son défaut s'il rencontre les critères applicables à une demande de prorogation de délai selon le paragraphe 18.1(2) de la Loi.


[34]            L'action en justice est la procédure appropriée pour obtenir une compensation monétaire puisqu'une telle conclusion ne peut faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire. La troisième conclusion de l'action de l'intimé, ayant trait à une réclamation en dommages-intérêts, ne saurait donc être radiée tant et aussi longtemps que l'intimé n'aura pas épuisé, si tel est son intention, le recours du paragraphe 18.1(2) de la Loi, soit la demande de prorogation de délai, et ensuite celui de l'article 18 de la Loi, soit la demande de contrôle judiciaire, s'il y est autorisé. S'il devait réussir dans ces deux procédures, l'intimé pourrait alors poursuivre l'action en dommages-intérêts qu'il a déjà intentée. Son action en dommages-intérêts devrait donc être suspendue de façon à lui permettre d'exercer, si possible, son droit à une réclamation monétaire en temps utile. Si, par ailleurs, l'intimé échoue dans sa demande de prorogation de délai ou qu'il réussisse mais échoue par la suite dans sa demande de contrôle judiciaire, il ne pourra poursuivre son action. La radiation devrait prendre effet, sans autre procédure ou formalité, lors du rejet de la demande de prorogation de délai ou, si elle est accordée, lors du rejet de la demande de contrôle judiciaire par jugement final.

[35]            Je n'accorderais pas de frais vu le succès partagé.

                                                                              (s) "Alice Desjardins              

                                                                                                        juge

"Je suis d'accord

     Marc Noël"

"Je suis d'accord

     M. Nadon"


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       A-490-03

APPEL DE L'ORDONNANCE RENDUE LE 17 OCTOBRE 2003 PAR L'HONORABLE JUGE ROULEAU DE LA COUR FÉDÉRALE, DANS LE DOSSIER T-541-02.

INTITULÉ :                                                    SA MAJESTÉ LA REINE c. ANDRÉ TREMBLAY

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                                    le 19 avril 2004

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE DESJARDINS

Y ONT SOUSCRIT :                                                  LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

DATE DES MOTIFS :                                               le 30 avril 2004

COMPARUTIONS:

Me Chantal Sauriol

POUR LA PARTIE APPELANTE

Me Alain Tremblay

LA PARTIE INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

MORRIS ROSENBERG

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

LA PARTIE APPELANTE

OUELLET, NADON & ASSOCIÉS

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE INTIMÉE


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