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Date : 20040210

Dossier : A-699-02

Référence : 2004 CAF 61

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                             YVES CHARBONNEAU,

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                                      défendeur

                                      Audience tenue à Montréal (Québec), le 5 février 2004.

                                      Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 février 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                        LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                        LE JUGE NOËL

                                                                                                                                        LE JUGE NADON


Date : 20040210

Dossier : A-699-02

Référence : 2004 CAF 61

CORAM :       LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

LE JUGE NADON

ENTRE :

                                                             YVES CHARBONNEAU,

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                                                      défendeur

                                                           MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                 Il s'agit, dans cette demande de contrôle judiciaire, de vérifier si le juge-arbitre (CUB 53297A) était justifié de renverser la décision d'un conseil arbitral et de rétablir la décision de la Commission de l'assurance-emploi selon laquelle le demandeur n'était pas en état de chômage durant la période en cause et avait sciemment fait de fausses déclarations.


L'état de chômage

[2]                 Un prestataire qui exploite une entreprise est considéré n'être pas en état de chômage s'il exploite son entreprise « dans une mesure si limitée que [...] cette activité ne représenterait pas normalement son principal moyen de subsistance » (article 30(2) du Règlement sur l'assurance-emploi, DORS\96-332).

[3]                 Cette « mesure si limitée » ( « to such a minor extent » , dans le texte anglais) est déterminée à la lumière des circonstances décrites à l'article 30(3) du Règlement :

Semaine entière de travail -- travailleur indépendant

30. (3) Les circonstances qui permettent de déterminer si le prestataire exerce un emploi ou exploite une entreprise dans la mesure décrite au paragraphe (2) sont les suivantes :

        a) le temps qu'il y consacre;

        b) la nature et le montant du capital et des autres ressources investis;

c) la réussite ou l'échec financiers de l'emploi ou de l'entreprise;

d) le maintien de l'emploi ou de l'entreprise;

e) la nature de l'emploi ou de l'entreprise;

f) l'intention et la volonté du prestataire de chercher et d'accepter sans tarder un autre emploi.

Self-employed Person Working a Full Working Week

30. (3) The circumstances to be considered in determining whether the claimant's employment or engagement in the operation of a business is of the minor extent described in subsection (2) are

(a) the time spent;

(b) the nature and amount of the capital and resources invested;

(c) the financial success or failure of the employment or business;

(d) the continuity of the employment or business;

(e) the nature of the employment or business; and

(f) the claimant's intention and willingness to seek and immediately accept alternate employment.


[4]                 L'article 43 de l'ancien Règlement sur l'assurance-chômage ne définissant pas les circonstances qui devaient être prises en considération, les tribunaux avaient, au fil des ans, dressé une liste de critères (voir Re Schwenk (CUB 5454 et P.G. Canada c. Jouan (1995), 179 N.R. 127 (C.A.F.). C'est cette liste qu'est venu codifier, en 1996, l'article 30(3) du Règlement sur l'assurance-emploi.

[5]                 La décision de cette Cour dans Jouan a constitué un tournant décisif, en ce que le juge Marceau y érigeait en facteur « le plus important » le facteur « temps consacré à l'entreprise » :

Depuis la décision rendue dans l'affaire Re Schwenk (CUB 5454), et selon la jurisprudence des juges-arbitres, le critère qu'il convient d'appliquer pour dire si, dans un cas donné, « il y consacre si peu de temps [à l'emploi en question] qu'il ne saurait normalement compter sur cet emploi comme principal moyen de subsistance » , suppose que l'on tienne compte de divers facteurs, à savoir le temps effectivement consacré, le capital et autres ressources investis, la réussite ou l'échec financier de l'entreprise, la durée de l'entreprise, la nature de l'emploi en question, la volonté, chez le prestataire, d'accepter un autre emploi. Dans deux arrêts récents, Magee c. Canada (1993), 162 N.R. 236 et Veillet c. CEIC (1994), A-58-94, la Cour a dans une certaine mesure cautionné cette approche.

Il est vrai que les mots utilisés par le législateur pour définir la portée de l'exception prévue ne sont pas entièrement clairs. Non seulement l'expression anglaise « so minor in extent » est-elle ambiguë, mais l'application de l'idée de « principal moyen de subsistance » n'est ni simple, ni claire. Il est également vrai qu'il y avait à l'origine de l'exception prévue la volonté de ne pas encourager la paresse et de ne pas pénaliser le chômeur qui entend simplement occuper utilement une partie du temps dont il dispose. Pour appliquer correctement la disposition susvisée, il y a peut-être lieu d'analyser un certain nombre de facteurs.

J'estime, cependant, que le facteur le plus important, le plus pertinent, et qui est aussi le seul facteur essentiel à entrer en ligne de compte, doit dans tous les cas être le temps qui est consacré à l'entreprise. C'est ce que prévoit de manière non ambiguë la version française, le membre de phrase ambiguë « so minor in extent » qui se trouve dans la version anglaise devant être lu dans le contexte des mots dénués de toute ambiguïté « il y consacre si peu de temps » utilisés dans la version française. (Voir, à cet égard, Côté, Pierre-André, Interprétation des lois, Blais, 1982, aux pp. 297-298). C'est d'ailleurs la démarche qu'impose le bon sens. Qujelle que soit l'importance des autres facteurs en jeu (qu'il s'agisse des capitaux investis, de la réussie de l'entreprise, ou encore de la durée de celle-ci), ces autres éléments n'ont pas de pertinence propre, car, dans chaque cas, la conclusion dépendra directement ou nécessairement du « temps consacré » , car la seule chose qui nous intéresse en l'occurrence c'est l'idée de « travailler une semaine entière » . Le prestataire qui, chaque semaine, consacre ordinairement 50 heures aux activités de sa propre entreprise ne saurait en aucun cas se prévaloir de l'exception prévue au paragraphe 43(2). Un tel prestataire se verra nécessairement appliquer la présomption générale posée au paragraphe 43(1) et sera considéré comme travaillant une semaine entière.


Les efforts engagés par l'intimé afin de se créer un nouvel emploi en lançant sa propre entreprise sont, bien sûr, tout à fait louables. Ses efforts ont malheureusement eu pour effet de le soustraire aux dispositions de l'assurance-chômage. La Loi est là pour assurer des prestations temporaires aux personnes sans emploi qui cherchent activement un autre travail. On ne peut donc pas y recourir pour subventionner les entrepreneurs qui lancent leur propre affaire. Même si l'on conteste la politique qui est à l'origine des dispositions en cause, il s'agit quand même de la Loi et on doit l'appliquer telle qu'elle est rédigée.

[6]                 Le juge Marceau ayant fondé une partie de son raisonnement sur le fait que le texte français de l'article 43(2) du Règlement sur l'assurance-chômage, « il y consacre si peu de temps » , était clair et permettait de dissiper l'ambiguïté découlant du texte anglais « so minor in extent » , et le texte de l'article 30(2) du Règlement sur l'assurance-emploi ayant substitué aux mots « il y consacre si peu de temps » , les mots « dans une mesure si limitée » , d'aucuns ont vu dans la nouvelle formulation un désaveu de la décision rendue dans Jouan.

[7]                 Je suis d'avis, avec égards, que tel n'est pas le cas. Le texte anglais, avec le sens qu'y avait donné le juge Marceau en s'inspirant du texte français, avait perdu son ambiguïté, et c'est ce même texte qui est employé dans la version de 1996. Je ne crois pas que l'ambiguïté revive du simple fait que le nouveau texte français emploie « mesure » plutôt que « temps » . Il eut été incongru, dans un nouveau texte où le facteur « temps » était dorénavant mentionné à l'article 30(3) comme facteur servant à déterminer si l'exception prévue à l'article 30(2) trouvait application, qu'on conservât le mot « temps » dans la formulation de l'exception. On imagine mal de dire que le temps sert à déterminer le temps... Le nouveau texte, lu à la lumière de l'arrêt Jouan qui était la décision-maîtresse au moment de son adoption, harmonise les versions française et anglaise de fort élégante et logique façon.


[8]                 Quoi qu'il en soit et de manière plus fondamentale, la raison première, me semble-t-il, qui avait amené le juge Marceau à consacrer la prééminence du facteur « temps » est que ce facteur était « le plus pertinent » , « le seul facteur essentiel à entrer en ligne de compte » dans tous les cas. La seule choses qui nous intéresse, dira-t-il, est l'idée de travailler une semaine entière et « la conclusion dépendra directement et nécessairement du "temps consacré" » . Or, cette raison première existe toujours, rien n'est changé à cet égard.

[9]                 Je me permettrai cependant d'ajouter que pas très loin derrière le facteur « temps » , en termes d'importance, se trouve celui de « l'intention et la volonté du prestataire de chercher et d'accepter sans tarder un autre emploi » . Comme le soulignait le juge Marceau dans Jouan, « La loi est là pour assurer des prestations temporaires aux personnes sans emploi qui cherchent activement un autre travail » (mon soulignement). Un prestataire ne sera pas en état de chômage s'il se contente de se dire disponible et n'effectue pas, tout au long de sa période de prestations, des démarches sérieuses et réelles pour se trouver du travail.

[10]            En conclusion, s'il est exact de dire que tous les facteurs énumérés à l'article 30(3) du Règlement sur l'assurance-emploi doivent être pris en considération, le fait est que le facteur « temps » (l'alinéa a)) et le facteur « intention et volonté » (l'alinéa f)) sont d'une importance primordiale. Un prestataire qui n'a pas le temps de travailler ou qui ne se cherche pas activement un emploi ne devrait pas bénéficier du système d'assurance-emploi.


[11]            En l'espèce, le conseil arbitral a commis des erreurs manifestes et dominantes, notamment en concluant que le fait de consacrer quelque quarante heures par semaine à son entreprise pendant neuf mois et de n'effectuer pendant cette période aucune recherche d'emploi ne suffisait pas à rendre le prestataire inadmissible. Le juge-arbitre était dès lors justifié d'intervenir et de se former sa propre opinion relativement à toute la durée de la période en litige, et il lui était loisible, vu la preuve au dossier, de conclure que même après cette période initiale de neuf mois, le prestataire n'était pas davantage admissible.

Les pénalités et l'avis de violation

[12]            Le conseil arbitral a annulé les pénalités et l'avis de violation pour le motif, si je le comprends bien, que le prestataire avait fait ses fausses déclarations sur la foi d'une explication qui lui avait été donnée par un fonctionnaire de la Commission.

[13]            Le juge-arbitre, infirmant la décision du conseil arbitral sur ce point, s'est contenté de dire que le prestataire n'avait pas réussi à rencontrer son fardeau de preuve. Il appert des motifs du juge-arbitre qu'il semble croire que dès lors qu'une déclaration est fausse, elle a été faite sciemment. C'est là, bien sûr, une erreur de taille. Il se devait de déterminer si le conseil arbitral avait erré en se fiant à l'explication obtenue du fonctionnaire pour conclure que la fausse déclaration n'avait pas été faite sciemment.


[14]            Le défendeur reconnaît la véracité de l'allégation du prestataire, mais estime, dans les circonstances, qu'elle ne saurait justifier le fait d'avoir répondu « non » à la question « avez-vous travaillé? » .

[15]            Quoique la solution ne s'impose pas d'elle-même, j'estime que le juge-arbitre n'a pas justifié son intervention et qu'il y avait au dossier suffisamment de preuve pour permettre au conseil arbitral d'en arriver à la conclusion que les fausses déclarations n'avaient pas été faites sciemment.

[16]            Quant aux autres conclusions que recherche le demandeur, le dossier tel que constitué ne permet tout simplement pas à la Cour d'y donner suite.

[17]            Je serais d'avis d'accueillir en partie, avec dépens, la demande de contrôle judiciaire, d'infirmer cette partie de la décision du juge-arbitre qui rétablit la validité des pénalités et de l'avis de violation et de renvoyer l'affaire au juge-arbitre en chef ou à son délégué pour qu'il rende une nouvelle décision en tenant pour acquis que le prestataire n'était pas admissible, mais que les pénalités et l'avis de violation n'étaient pas fondés.

                                                                                                                                          « Robert Décary »                             

                                                                                                                                                                 j.c.a.

« Je suis d'accord.

     Marc Noël, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

     Marc Nadon, j.c.a. »


                                                         COUR D'APPEL FÉDÉRALE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                                                                                       

DOSSIER :                                           A-699-02

INTITULÉ :                                        YVES CHARBONNEAU c. PGC

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)        

DATE DE L'AUDIENCE :              Le 5 février 2004           

MOTIFS DU JUGEMENT :           Le juge Décary

Y ONT SOUSCRIT :                         Le juge Noël

Le juge Nadon

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 février 2004

COMPARUTIONS :

Me JEAN-GUY OUELLET

POUR LE DEMANDEUR

Me PAULINE LEROUX

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me JEAN-GUY OUELLET

POUR LE DEMANDEUR

Me PAULINE LEROUX

Me PASCALE-CATHERINE GUAY

POUR LE DÉFENDEUR


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