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     A-309-94


OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 18 MARS 1997


CORAM :      MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

         MONSIEUR LE JUGE STRAYER

         MADAME LE JUGE DESJARDINS


Entre :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -



     DIVERSIFIED HOLDINGS LTD.,

     intimée.




     JUGEMENT



     L'appel et l'appel incident sont rejetés avec dépens.



     Signé : James K. Hugessen

     ________________________________

     J.C.A.







Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.






     A-309-94


CORAM :      MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

         MONSIEUR LE JUGE STRAYER

         MADAME LE JUGE DESJARDINS


Entre :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -



     DIVERSIFIED HOLDINGS LTD.,

     intimée.






AUDIENCE tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le jeudi 27 février 1997





JUGEMENT rendu à Ottawa (Ontario), le mardi 18 mars 1997







MOTIFS DU JUGEMENT

PRONONCÉS PAR :      LE JUGE STRAYER


Y ONT SOUSCRIT :      LE JUGE HUGESSEN

     LE JUGE DESJARDINS






     A-309-94


CORAM :      MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

         MONSIEUR LE JUGE STRAYER

         MADAME LE JUGE DESJARDINS


Entre :

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -


     DIVERSIFIED HOLDINGS LTD.,

     intimée.




     MOTIFS DU JUGEMENT



Le juge STRAYER



Les faits de la cause


     Il y a en l'espèce appel formé contre la décision rendue le 27 mai 1994 par la Cour canadienne de l'impôt sur diverses questions concernant des compagnies affiliées et leurs propriétaires. Cet appel est limité à la décision de la Cour de l'impôt portant annulation du rejet par le ministre du report prospectif d'une perte de 239 328 $ à l'égard de l'année d'imposition 1986 de l'intimée. Il y a aussi appel incident de l'intimée contre la décision du ministre portant qu'une fraction des frais d'exploitation du ranch K-2 de la première n'était pas déductible du fait qu'elle représentait des frais de subsistance de son propriétaire, Hans Hartwig. Cet appel est entendu en même temps que l'appel Hans Hartwig c. S. M. la Reine (A-313-94), où les mêmes dépenses étaient en cause à titre d'avantage conféré à un actionnaire.

     La contribuable, Diversified Holdings Ltd. (désignée ci-après D.H.), est une corporation établie en Colombie-Britannique et possédée en propriété exclusive par Hans Hartwig et sa famille. À l'époque considérée, elle exploitait un ranch tout en s'occupant de promotion immobilière. Prévoyant de gros bénéfices imposables pour 1984 et les années subséquentes, elle a entrepris d'acheter des pertes fiscales, en recherchant, par une annonce publiée en juin 1984 dans les journaux, une compagnie immobilière ou une entreprise de construction ayant des pertes supérieures à 1 500 000 $. Elle en a trouvé une, 860 Holdings, Limited (désignée ci-après 860), qui était une autre compagnie de Colombie-Britannique et qui, au 31 octobre 1984, avait un actif consistant en des comptes clients valant 99 $ et un fonds de terre valant 731 000 $, exploité comme terrain de stationnement. Ce terrain était grevé d'une hypothèque, arrêtée à 1 281 100 $ au 30 septembre 1985, en faveur de Central Trust Company. Apparemment 860 avait des dettes réelles et " en gestation " s'élevant à quelque 1 150 000 $ à l'époque. Par une série de transactions, les opérations suivantes ont été effectuées à compter du 25 octobre 1985.

     (i)      D.H. achète toutes les actions de 860.
     (ii)      Central Trust Company achète le terrain hypothéqué pour 400 000 $, qu'elle " paie " à 860.
     (iii)      860 transfère la propriété du terrain à Central Trust Company qui, à son tour et notamment contre " paiement " de la somme de 400 000 $ transférée par 860 à 173235 B.C. Ltd. (une autre compagnie appartenant en propriété exclusive à Hans Hartwig, ci-après désignée 173235) et moyennant la somme de 50 000 $ effectivement versée par D.H., transfère la créance hypothécaire à 173235.
     (iv)      173235 purge l'hypothèque, transférant ainsi à Central Trust Company le titre libre sur le terrain, mais retient pour elle-même une créance qui s'élèverait à 1 281 100 $; cette créance qui était auparavant celle de Central Trust Company est maintenant la sienne propre, mais sans la garantie hypothécaire.
     (v)      173235 retient la créance non garantie (établie parfois à 1 281 110 $ parfois à 1 150 000 $ " le montant précis ne présente aucune importance) que 860 devait auparavant à Central Trust Company. Aucune condition de paiement ou taux d'intérêt n'a été fixé pour cette créance, et au moment du procès, rien n'a été payé.
     (vi)      Subséquemment, le 30 décembre 1985, 860 est fusionnée avec D.H. qui continue à exploiter son entreprise en 1986 sous la dénomination sociale de Diversified Holdings Ltd., et la nouvelle compagnie résultant de la fusion est le successeur dans la dette de 860 vis-à-vis de 173235.

     L'acquisition des pertes de 860 a coûté au total 152 400 $ à D.H., y compris le prix des actions de 860 et les 50 000 $ payés à Central Trust Company en échange de son transfert de la créance à 173235.

     Dans ses déclarations d'impôt, 860 a fait valoir entre autres une perte autre qu'en capital de 239 328 $ pour 1982. D.H. revendique cette perte dans le calcul de son revenu imposable pour 1986, après le fusionnement des deux compagnies. Le ministre du Revenu national a rejeté le report prospectif de la perte autre qu'en capital de 239 328 $ de 1982 par ce motif que dès le moment où l'hypothèque, antérieurement détenue par Central Trust Company puis transférée à 173235 B.C. Ltd., fut purgée par cette dernière à compter du 25 octobre 1985, la dette de 860 a été réglée ou éteinte au sens du paragraphe 80(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu et, partant, ne donne plus lieu à aucune perte autre qu'en capital.

     L'appel formé par D.H. contre cette nouvelle cotisation a été accueilli le 27 mai 1994 par la Cour canadienne de l'impôt. En réponse aux arguments proposés par le ministre en la matière, le juge de la Cour de l'impôt a tiré les conclusions suivantes : la dette existait toujours malgré la purge de l'hypothèque, qui n'est qu'une garantie; il y avait donc en 1986 une dette que la nouvelle compagnie D.H. devait à 173235, qui en était la cessionnaire; 173235 ne faisait pas fonction de mandataire de D.H. en devenant la créancière de 860 puis du successeur de cette dernière dans la dette, c'est-à-dire la nouvelle compagnie D.H.; l'entreprise de 860 n'avait pas pris fin avant 1986 de façon à en exclure la continuation par la nouvelle compagnie D.H. en 1986.

     La Couronne soulève les mêmes points litigieux dans cet appel.

     En ce qui concerne l'appel incident sur la nature des dépenses subies par D.H. dans l'exploitation du ranch, les faits de la cause ont été brièvement invoqués dans les motifs de la décision relative au dossier A-313-94.

Les points litigieux

     La Cour est appelée à se prononcer sur les points litigieux suivants :

     (1)      La dette a-t-elle été réglée ou éteinte de façon à en exclure la déductibilité à titre de perte autre qu'en capital?
     (2)      La compagnie 173235 faisait-elle fonction de mandataire de D.H. en assumant la dette due à Central Trust Company et en la détenant à titre de créancière de 860 ou de D.H. après le 25 octobre 1985?
     (3)      La nouvelle compagnie D.H. revendiquait en 1986 la perte autre qu'en capital de 860, mais est-ce qu'elle exploitait l'entreprise qui avait accusé cette perte?
     (4)      Pour ce qui est de l'appel incident, une fraction quelconque des frais engagés par le ranch K-2 au cours de ses années d'imposition 1984, 1985 et 1986, était-elle en fait des frais personnels ou frais de subsistance de Hans Hartwig, et non des frais engagés par D.H. en vue de gagner un revenu?

Analyse

     La dette de 860 Holdings Limited a-t-elle été

     " réglée ou éteinte "?

     Bien que l'appelante ait mis en doute, en passant, la cession de la dette de 860 à 173235, le juge de première instance a visiblement conclu qu'il y a eu cession, et il n'y a aucune raison valide d'ignorer cette conclusion. La question se pose alors de savoir si, du simple fait qu'elle a été transférée à 173235, cette dette a été réglée ou éteinte.

     Le critère à appliquer en l'espèce est défini par le paragraphe 80(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui prévoit ce qui suit :

     80.(1) Lorsque, à une date quelconque pendant une année d'imposition, une dette contractée par un contribuable, ou une autre obligation contractée par un contribuable de payer une somme, est réglée ou éteinte " sans que ce contribuable effectue de paiement, ou par le paiement d'une somme inférieure au principal de la dette ou de l'obligation, " la fraction du moins élevé des montants suivants : ce principal ou le montant pour lequel l'obligation a été émise par le contribuable, qui est en sus de la somme versée, le cas échéant, doit servir
         a) à réduire, dans l'ordre suivant :
             (i) les pertes autres que les pertes en capital "
         subies par le contribuable pour des années d'imposition antérieures "

L'appelante soutient que les opérations en question n'ont aucun objectif commercial, mais ne visent qu'à réduire l'obligation fiscale de l'intimée, ce qui est manifestement le cas en l'espèce. De surcroît, du point de vue de la réalité économique, la dette de 860 qu'a assumée D.H. au moment du fusionnement a été purgée dans les faits : la même personne, Hans Hartwig, contrôle à la fois la " créancière " (173235) et la " débitrice " (D.H.), et il n'y aurait aucune raison pour qu'il fasse payer sa compagnie débitrice à sa compagnie créancière. Aucun échéancier de paiement n'a été fixé, aucun taux d'intérêt n'a été établi, et la " dette " demeure non payée.

     Je conviens tout à fait que la dette n'existe plus dans les faits, mais elle n'a pas disparu pour autant, juridiquement parlant. Du point de vue strictement juridique, 173235 peut forcer D.H. à la payer. Bien qu'au moment du procès, il s'agisse là d'une éventualité entièrement soumise à la volonté de M. Hartwig, en théorie il serait possible que quelqu'un d'autre acquière le contrôle de 173235 et exerce le droit de cette compagnie de recouvrer la créance, ou qu'il y ait un jugement rendu contre 173235 et que cette créance puisse être saisie-arrêtée pour couvrir l'obligation découlant du jugement. Le sens des mots " réglé ou éteint " figurant au paragraphe 80(1) a été récemment analysé par la Cour canadienne de l'impôt dans Carma Developers Ltd. c. S.M. , décision que notre Cour a confirmée par motifs prononcés à l'audience1. Dans cette dernière affaire, des créanciers ont transféré à la société mère des dettes que leur devait la filiale, moyennant quoi ils acquéraient des actions dans la société mère. La question se posait de savoir si les dettes de la filiale en avaient été réglées ou éteintes au regard du paragraphe 80(1). Le juge en chef Bowman de la Cour canadienne de l'impôt a tiré, au sujet du sens du paragraphe 80(1), la conclusion suivante :

     L'expression " régler " peut prendre divers sens, dont certains relèvent du langage courant, dans le sens où un problème peut être résolu d'une façon ou d'une autre. Les expressions " settle " (régler) ou " compromise " (régler par compromis) sont utilisés dans certains des documents. Dans le contexte de l'article 80, cependant, l'expression " régler " désigne le règlement définitif et légal de l'obligation d'un contribuable en vertu duquel on réduit cette obligation ou l'on y met fin. Elle doit être considérée du point de vue du contribuable qui serait visé par l'article 80, et non de celui du créancier. En outre, il doit s'agir d'une réduction ou d'une cessation définitive et exécutoire des obligations du débiteur. Or, ce n'est pas le cas dans la situation qui nous occupe. Il est compréhensible que les créanciers et le groupe CL considèrent la mise en oeuvre du plan comme un règlement du problème immédiat d'endettement et de trésorerie de CL et, sous cet angle, on pourrait parler de " règlement " au sens général et courant du terme. Son utilisation par des gens d'affaires ne signifie pas qu'en droit les dettes ont été réglées. L'article 80 a pour effet d'assigner certains attributs fiscaux à la remise ou à la réduction formelle exécutoire d'une dette"

Il est vrai que dans cette dernière affaire, les créanciers n'avaient initialement aucun lien de dépendance avec les compagnies en question et que, selon les preuves et témoignages produits, il était prévu de part et d'autre que cette dette serait remboursée. N'empêche que je conviens avec le juge en chef Bowman de la Cour canadienne de l'impôt que pour qu'une dette soit réglée ou éteinte au sens du paragraphe 80(1), il faut qu'il y ait un apurement en bonne et due forme, légalement opposable aux parties; tel n'est pas le cas en l'espèce.

     L'appelante cite diverses décisions de la Cour suprême sur la méthodologie à appliquer pour interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu2 dans le cas où une partie soutient que de par sa réalité économique ou commerciale, une opération ne tombe pas dans le champ d'application manifeste de l'avantage conféré par la loi. Je ne trouve dans ces précédents aucune règle jurisprudentielle permettant de donner aux mots " réglé ou éteint " une autre application que celle que prescrit leur sens juridique normal. Je ne suis pas convaincu, vu l'objet et l'esprit du paragraphe 80(1), que celui-ci doive être considéré comme applicable au règlement de facto des dettes. Par ailleurs, le ministre n'a parlé ni d'opération fictive ni de réduction factice du revenu au sens de l'article 245 de la Loi, allégations qui pourraient, ainsi que l'a fait observer la Cour suprême, engager à exclure l'opération de la protection du sens juridique ordinaire d'une disposition telle que le paragraphe 80(1).

     Il est certainement facile d'imaginer des abus du paragraphe 80(1) commis au moyen d'opérations effectuées avec lien de dépendance, mais il s'agit là d'une question qu'il appartient au législateur de résoudre.

     La compagnie 173237 n'était-elle que la mandataire

     en acquérant et détenant la dette due par 860 et D.H.?

     Par des motifs assez elliptiques, le juge de la Cour de l'impôt a jugé que 173235 ne faisait pas fonction de mandataire ou de représentante de D.H. lorsqu'elle assuma la dette de 860 de façon à faire de D.H. la créancière et la débitrice tout à la fois. Bien que le juge de la Cour de l'impôt n'ait pas développé les motifs pris pour arriver à cette conclusion, l'appelante n'a pas été en mesure, dans son argumentation, de faire la preuve d'aucune intention de la part des parties de faire en sorte que l'une fût la mandataire de l'autre, ni d'aucun principe de droit qui nous obligerait à conclure à l'existence implicite d'un tel mandat. Nous ne voyions donc aucune erreur dirimante de la part du juge de la Cour de l'impôt et n'avons pas jugé nécessaire d'entendre l'intimée sur ce point.

     D.H. exploitait-elle en 1986 l'entreprise dans le cadre

     de laquelle 860 Holdings Ltd. avait subi la perte initiale?

     Voici les dispositions applicables à cet égard de la Loi de l'impôt sur le revenu :

     Le paragraphe 87(2.1) prévoit notamment ce qui suit :

     (2.1) Lorsqu'il y a eu fusion de deux ou plusieurs corporations, aux seules fins
         a) de déterminer la perte autre qu'une perte en capital " de la nouvelle corporation pour une année d'imposition quelconque, et
         b) de déterminer dans quelle mesure les paragraphes 111(3) à (5.4) s'appliquent de manière à restreindre le montant que peut déduire la nouvelle corporation à titre de perte autre qu'une perte en capital "
     la nouvelle corporation est réputée être la même corporation que chacune des corporations remplacées et est réputée assurer la continuation de chacune d'elles "

En l'espèce, cela signifie qu'après le fusionnement intervenu le 30 décembre 1985, la nouvelle compagnie D.H. était réputée être la même corporation que 860 pour ce qui était des pertes autres que les pertes en capital. Autrement dit, toutes choses étant égales, les pertes autres qu'en capital qu'avait subies 860 avant le fusionnement seraient réputées être celles accusées par D.H. après le fusionnement.

     Il faut cependant se référer au paragraphe 111(5) qui prévoit ce qui suit :

     (5) En cas d'acquisition, à une date quelconque, du contrôle d'une corporation par une personne "
         a) la fraction de la perte autre qu'une perte en capital " pour une année d'imposition se terminant avant cette date, et qui peut raisonnablement être considérée comme étant la perte qu'elle a subie dans l'exploitation d'une entreprise , est déductible par la corporation pour une autre année d'imposition donnée se terminant après cette date,
             (i) seulement si cette entreprise a été exploitée par la corporation à profit ou dans une attente raisonnable de profit
                 (A) tout au long de la partie de l'année donnée qui tombe après cette date, lorsque le contrôle de la corporation a été acquis dans l'année donnée,
                 (B) tout au long de l'année donnée, dans les autres cas "

                                                     [non souligné dans l'original]

Cette disposition signifie que dans le cas où, comme en l'espèce, le contrôle de la corporation a été acquis en octobre 1985, une perte autre qu'en capital n'est déductible à l'égard d'une " année donnée " (en l'occurrence 1986, l'année d'imposition en question) que si la corporation absorbée (860 telle qu'elle a fusionné avec D.H.) exploite en 1986 la même entreprise que lors de l'année d'imposition précédant la prise de contrôle et au cours de laquelle la perte a été subie. Autrement dit, les mots " cette entreprise " figurant au sous-alinéa (i) s'entendent de l'" entreprise " visée au début de l'alinéa 80a), c'est-à-dire l'entreprise de la corporation avant fusionnement, au moment où elle subissait les pertes en question.

     L'appelante soutient que l'entreprise avant fusionnement de 860, dans le cadre de laquelle celle-ci a subi les pertes en question en 1982, a cessé d'exister au 25 octobre 1985, bien qu'elle soit encore préservée sur papier. Puisque, au 25 octobre, 860 avait aliéné son seul élément d'actif capable de produire un revenu, c'est-à-dire le fonds de terre qui avait servi de terrain de stationnement productif de revenu, et qu'elle n'avait rien que des dettes et aucune perspective d'activité commerciale, son entreprise avait cessé bien avant " l'année donnée " à prendre en considération en l'espèce, savoir 1986. Ainsi donc, dit l'appelante, bien que par application du paragraphe 87(2.1), D.H. soit réputée être le successeur de 860 en 1986, et bien que D.H. exerce la même entreprise que 860, il y avait un hiatus entre la dissolution de l'entreprise de 860 en octobre 1985 et les activités de la nouvelle compagnie D.H. en 1986.

     Le juge de première instance a visiblement conclu que malgré la perte de son bien producteur de revenu dès le 25 octobre 1985 et de toute perspective réaliste de faire des affaires pour le temps qui restait à courir de l'année, 860 a poursuivi son entreprise existante. Comme elle a été absorbée le 30 décembre 1985 par D.H., qui est une compagnie de promotion immobilière en activité, il a vu dans cet intervalle d'un peu plus de deux mois un simple " hiatus " et non une longue période telle que les choses seraient suspendues " dans l'entreprise de promotion immobilière.

     L'avocat de l'appelante cite trois décisions d'instances administratives inférieures à l'appui de son argument général que si dans les faits, une entreprise n'a aucune perspective de continuation, ou n'est pas exploitée sous sa forme primitive, son successeur ne peut invoquer le paragraphe 111(5) pour déduire les pertes subies par l'entreprise antérieure. Il faut noter en premier lieu que ces décisions, ainsi qu'un grand nombre d'autres portant sur cette question et sur des questions connexes en matière de cessation d'entreprise, sont surtout fonction des faits de la cause. Dans Garden Investments Ltd. c. M.R.N.3, décision de la Commission de révision de l'impôt, les pertes revendiquées avaient été subies au cours d'une année où il était clairement prouvé que la compagnie n'avait aucune activité et, d'après le témoignage d'un propriétaire, n'avait aucune vélléité d'exercice. Elle n'a donc pas été autorisée à déduire ces pertes pour une année subséquente, au cours de laquelle elle a repris ses activités. Dans North Pacific Towing and Salvage Limited c. M.R.N.4, autre décision de la Commission de révision de l'impôt, il n'y avait aucune preuve indiquant que la compagnie ait en fait repris ses activités au cours des années subséquentes. Il y a lieu de noter que ni l'une ni l'autre de ces causes ne portait directement sur le paragraphe 111(5). Cette disposition était cependant en jeu dans Garage Montplaisir Limitée c. M.R.N.5. Dans cette dernière affaire, la compagnie contribuable, qui était une concession d'automobiles, a racheté une compagnie concurrente, laquelle avait renoncé à sa propre concession. Le propriétaire de la seconde compagnie vient travailler chez la nouvelle compagnie résultant de la fusion, laquelle a invoqué le paragraphe 111(5) pour déduire les pertes précédemment subies par la compagnie absorbée. La juge de la Cour de l'impôt a conclu qu'au regard du paragraphe 111(5), l'" entreprise " était l'entreprise propre de la compagnie qui avait renoncé à sa concession. Elle n'en a trouvé trace dans la nouvelle compagnie. En effet, la fusion avait pour but d'éliminer une concurrente, et non d'en continuer l'exploitation. La juge de l'impôt était certainement en droit de tirer cette conclusion eu égard aux faits de la cause, à la lumière en particulier des caractéristiques propres au commerce d'automobiles où l'identité du produit et du concessionnaire, et le système de vente et de service après-vente de ce dernier, sont autant de facteurs qui définissent l'" entreprise ". En l'espèce, le juge de première instance était en présence d'un type générique d'entreprise, savoir une compagnie de promotion immobilière, et il était en droit de conclure que l'entreprise en question n'avait pas disparu. Il était aussi en droit de conclure qu'une période d'inactivité de deux mois n'était pas suffisante pour prouver que l'entreprise a cessé d'exister ou qu'elle ne pouvait être exploitée dans " une attente raisonnable de profit " (qui est la condition d'application du sous-alinéa 111(5)a)(i)). Il s'agit là essentiellement de conclusions sur les faits, et il n'y a aucun motif suffisant pour les infirmer.

     L'appelante soutient encore que par ses termes mêmes, le sous-alinéa 111(5)a)(i) prescrit que l'entreprise devait être en exploitation pendant le restant de l'année 1985 et tout au long de l'année d'imposition à l'égard de laquelle les pertes autres qu'en capital ont été revendiquées, savoir 1986. Rappelons que ce sous-alinéa prévoit qu'en cas d'acquisition du contrôle d'une corporation, une perte d'entreprise est déductible pour une " année d'imposition donnée " se terminant après la date d'acquisition, seulement si cette entreprise a été exploitée

                 (A) tout au long de la partie de l'année donnée qui tombe après cette date, lorsque le contrôle de la corporation a été acquis dans l'année donnée,
                 (B) tout au long de l'année donnée, dans les autres cas "

L'avocat de l'appelante soutient, si je ne me trompe, que les dispositions (A) et (B) sont cumulatives, que (A) s'applique en l'espèce à la période allant du 25 octobre 1985 (date à laquelle D.H. acquit le contrôle de 860) au 30 décembre 1985 (date du fusionnement de 860 et D.H.), et qu'il n'y avait aucune activité durant cette période, à supposer que l'entreprise ait été exploitée par la nouvelle compagnie en 1986. En premier lieu, je constate que la formulation stricte de la disposition (A) ne s'applique qu'à la période allant du 25 octobre 1985 au 31 octobre 1985, qui était la date de clôture de l'année d'imposition 1985 de 860. Le contrôle de 860 a été acquis au cours de cette année d'imposition, qui est " l'année donnée " visée par cette disposition. En second lieu, et ce qui est plus important encore, j'estime que la conjonction " and " figurant à la fin du texte anglais de la disposition (A) a une fonction disjonctive. Ce que prévoit l'alinéa 111(5)a), c'est la déductibilité d'une perte antérieure dans une " année d'imposition donnée ". Les dispositions (A) et (B) prévoient deux cas possibles : (A) prévoit la déductibilité de la perte dans l'année d'imposition même où le contrôle est acquis; et (B) prévoit la déductibilité d'une perte au cours de n'importe quelle année d'imposition subséquente. Donc tout ce qui nous intéresse en l'espèce, c'est l'application de la disposition (B) à l'égard de l'entreprise exploitée en 1986. L'appelante ne dit pas que D.H. n'exploitait pas une entreprise de promotion immobilière en 1986.

     Sur ce point encore, il y a lieu de souligner que l'appelante ne dit pas qu'il y a eu opération fictive ou réduction factice du revenu au sens de l'article 245 et que le juge de la Cour de l'impôt a appliqué le sens ordinaire des dispositions susmentionnées aux faits qu'il était en droit de constater.

     L'appel incident

     Par les motifs par lesquels nous avons conclu dans Hans Hartwig c. Sa Majesté la Reine (A-313-94) que le juge de la Cour de l'impôt avait raison de juger qu'une fraction des dépenses engagées par D.H. pour le ranch K-2 constituait un avantage imposable conféré à l'actionnaire qu'est M. Hartwig, je me prononce aussi pour la confirmation de sa conclusion que ces dépenses n'étaient pas déductibles du revenu de D.H. en ce qu'elles n'avaient pas été faites en vue de gagner un revenu.

Conclusion

     Il y a lieu en conséquence de rejeter l'appel et l'appel incident avec dépens.

     Signé : B.L. Strayer

     ________________________________

     J.C.A.


Je souscris aux motifs ci-dessus.

     Signé : James K. Hugessen, J.C.A.

Je souscris aux motifs ci-dessus.

     Signé : Alice Desjardins, J.C.A.






Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.



     COUR D'APPEL FÉDÉRALE



     A-309-94


Entre:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

     - et -


     DIVERSIFIED HOLDINGS LTD.,

     intimée.






     MOTIFS DU JUGEMENT


     COUR D'APPEL FÉDÉRALE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER




NUMÉRO DU GREFFE :          A-309-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Sa Majesté la Reine

                             c.

                             Diversified Holdings Ltd.


LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)


DATE DE L'AUDIENCE :      27 février 1997


MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE STRAYER


Y ONT SOUSCRIT :          Le juge Hugessen

                             Le juge Desjardins


LE :                              18 mars 1997




ONT COMPARU :



M. Luther P. Chambers, c.r.              pour l'appelante


M. Craig Sturrock                  pour l'intimée

Mme Joanne K. Glover




PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :



M. George Thomson                  pour l'appelante

Sous-procureur général du Canada          (intimée dans l'appel incident)

Ottawa (Ontario)


Thorsteinssons                      pour l'intimée

Vancouver (C.-B.)                  (appelante dans l'appel incident)

__________________

1      (1996) 96 D.T.C. 1798 (C.C.I.), confirmée 15 octobre 1996, arrêt non rapporté, A-449-96 (C.A.F.).

2      Notamment Stubart Investments Limited c. La Reine (1984), 84 D.T.C. 6305; Atosko c. La Reine (1994), 94 D.T.C. 6314.

3      (1974), 74 D.T.C. 1014 (C.R.I.).

4      (1975), 76 D.T.C. 1054 (C.R.I.).

5      (1992), 92 D.T.C. 2317 (C.C.I.).

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