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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
United Grain Growers Ltd. c. Lang Michener (C.A.) [2001] 3 C.F. 102

Date : 20010220

Dossier : A-356-00

                                                                                                      Référence neutre : 2001 CAF 66

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON                          

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                           UNITED GRAIN GROWERS LIMITED

                                                                                                                                            appelante

                                                                          - et -

                                                             LANG MICHENER

                                                                                                                                                  intimé

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le mardi 20 février 2001

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le mardi 20 février 2001

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR    

                                                                                                                                                           


Date : 20010220

Dossier : A-356-00

                                                                                                      Référence neutre : 2001 CAF 66

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                           UNITED GRAIN GROWERS LIMITED

                                                                                                                                            appelante

                                                                          - et -

                                                             LANG MICHENER

                                                                                                                                                  intimé

                                           MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

LA COUR

[1]                Il s'agit de l'appel d'une ordonnance de la Section de première instance confirmant la décision du registraire des marques de commerce de radier la marque de commerce COUNTRY LIVING de l'appelante du registre des marques de commerce aux termes d'une instance introduite par l'intimé en vertu de l'article 45 de la Loi sur les marques de commerce.


LES FAITS

[2]                L'appelante publie le magazine COUNTRY GUIDE dans lequel paraît une chronique régulière intitulée COUNTRY LIVING. À chaque numéro, cette chronique fait partie de la table des matières et la publicité du magazine en fait la promotion. COUNTRY LIVING est une section destinée aux questions concernant la tenue de maisons de ferme. L'appelante a déposé la marque de commerce COUNTRY LIVING en liaison avec « des périodiques imprimés, à savoir des magazines » le 31 mai 1991.

[3]                Selon le dossier, l'intimé est l'agent de Hearst Corporation qui a présenté une demande pour l'utilisation de la marque de commerce COUNTRY LIVING AND COUNTRY LIVING GARDEN en liaison avec des magazines.

[4]                Le 4 mars 1997, à la demande de l'intimé, le registraire a, en vertu de l'article 45, donné à l'appelante, un avis lui enjoignant de fournir la preuve que la marque de commerce avait été employée au cours des trois années précédentes. Les paragraphes 45(1) et (5) disposent :

45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement d'une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.

                            [...]

45. (1) The Registrar may at any time and, at the written request made after three years from the date of the registration of a trade-mark by any person who pays the prescribed fee shall, unless the Registrar sees good reason to the contrary, give notice to the registered owner of the trade-mark requiring the registered owner to furnish within three months an affidavit or a statutory declaration showing, with respect to each of the wares or services specified in the registration, whether the trade-mark was in use in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and, if not, the date when it was last so in use and the reason for the absence of such use since that date.

                                  [...]


(3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard de l'une de ces marchandises ou de l'un de ces services, n'a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l'avis et que le défaut d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.

(3) Where, by reason of the evidence furnished to the Registrar or the failure to furnish any evidence, it appears to the Registrar that a trade-mark, either with respect to all of the wares or services specified in the registration or with respect to any of those wares or services, was not used in Canada at any time during the three year period immediately preceding the date of the notice and that the absence of use has not been due to special circumstances that excuse the absence of use, the registration of the trade-mark is liable to be expunged or amended accordingly.

                                                                                  

En réponse à l'avis du registraire, l'appelante a déposé un affidavit. L'affidavit contenait des extraits de numéros du magazine COUNTRY GUIDE dans lesquels COUNTRY LIVING figurait à la table des matières dans une section distincte. Après avoir examiné la preuve, le registraire a rendu une ordonnance radiant la marque de commerce du registre.

[5]                L'appelante a interjeté appel de cette décision à la Section de première instance et a déposé un affidavit supplémentaire. Ce second affidavit contenait des éléments de preuve montrant que l'appelante avait, dans la publicité distribuée aux abonnés et annonceurs potentiels, présenté COUNTRY LIVING comme une section distincte de COUNTRY GUIDE.

[6]                Le juge de la Section de première instance a confirmé l'ordonnance du registraire pour les mêmes motifs et a rejeté l'appel. L'appelante fait appel de cette décision devant la présente Cour.


LA DÉCISION DU REGISTRAIRE

[7]                Étant donné que le juge de première instance n'a pas donné de motifs distincts dans sa décision, il est nécessaire d'examiner les motifs du registraire. Le registraire a conclu que la principale question était de savoir si la preuve établissait que les mots COUNTRY LIVING ont été employés comme marque de commerce pour des magazines. Répondant par la négative à cette question, le registraire a conclu que l'utilisation des mots COUNTRY LIVING ne distinguait pas le magazine de l'appelante des autres magazines. Le titre du magazine COUNTRY GUIDE se trouvait sur la couverture et sur chacune des pages du magazine dont les pages de la chronique COUNTRY LIVING. COUNTRY LIVING ne figurait pas à la table des matières de façon différente des autres sections importantes. Même si les consommateurs pouvaient feuilleter le magazine avant de l'acheter et l'acheter spécialement pour la section COUNTRY LIVING, c'est l'utilisation des mots COUNTRY GUIDE qui distinguaient le magazine de l'appelante des autres magazines et non l'utilisation des mots COUNTRY LIVING.

LA NORME DE CONTRÔLE

[8]                Dans Labatt c. Molson, [2000] 3 C.F. 145, la Cour a conclu que les décisions du registraire, de fait, de droit ou résultant de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Lorsqu'une preuve additionnelle pouvant influer sur les conclusions de fait ou l'exercice du pouvoir discrétionnaire du registraire est déposée devant la Section de première instance, le juge de première instance doit tirer ses propres conclusions quant à l'exactitude de la décision du registraire.


[9]                En l'espèce, le registraire a conclu que l'utilisation des mots COUNTRY LIVING ne distinguait pas le magazine de l'appelante des autres magazines et que, par conséquent, les mots COUNTRY LIVING n'étaient pas utilisés comme marque de commerce. La question est de savoir si, selon une juste interprétation de l'article 45, le registraire doit, à l'égard des marchandises que spécifie l'enregistrement, prendre en compte le fait que l'utilisation d'une marque de commerce déposée distingue ou non ces marchandises. Cette question ne relève pas du champ d'expertise du registraire. Il s'agit plutôt d'une question d'interprétation de l'article 45.

[10]            Plus encore, le juge de la Section de première instance a passé sous silence la preuve supplémentaire déposée devant lui. La preuve plus précise de l'emploi prolongé dans chacune des éditions du magazine COUNTRY GUIDE depuis janvier 1974, aussi bien que la preuve montrant que COUNTRY LIVING est présenté dans le matériel publicitaire, comme étant une section du magazine constituent, à notre avis, des éléments de preuve qui auraient pu influer sur les conclusions du registraire en l'espèce. En conséquence, la norme de contrôle est l'exactitude.

ANALYSE


[11]            L'article 45 ne s'applique que lorsqu'une marque de commerce a été déposée. La seule question est alors de savoir si la marque de commerce déposée était, à l'égard des marchandises que spécifie l'enregistrement, employée au Canada au cours des trois ans précédant la date de l'avis donné en vertu de cet article. En vertu du paragraphe 4(1), une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, la marque de commerce est apposée sur ces marchandises. Le paragraphe 4(1) stipule :

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.                                               

[12]            En l'espèce, le fait que les mots COUNTRY LIVING étaient apposés sur le magazine COUNTRY GUIDE lors du transfert de la propriété ou de la possession du magazine, dans la pratique normale du commerce, n'est pas contesté. Il n'y a aucune allégation selon laquelle la marque de commerce, en l'occurrence les mots COUNTRY LIVING, n'apparaissait pas sous la même forme que dans le registre[1] et n'était pas employée en liaison avec les marchandises désignées dans l'enregistrement, à savoir un magazine. L'appelante a fait la preuve de l'utilisation de sa marque de commerce déposée à l'égard des marchandises que spécifie l'enregistrement, conformément au paragraphe 4(1).


[13]            Toutefois, le registraire a jugé nécessaire d'évaluer si les mots COUNTRY LIVING pouvaient être perçus comme une marque de commerce servant à distinguer le magazine COUNTRY GUIDE. À cet égard, le registraire a pris en considération l'article 2 qui donne la définition de marque de commerce :

a) marque employée par une personne pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres;                                                                                          [...]

(a) a mark that is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others,

                                [...]                                                         

Citant l'arrêt Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Filters Inc. (1980), 53 C.P.R. (2d) 62 (C.A.F.), le registraire a conclu que les mots COUNTRY LIVING n'étaient pas utilisés pour distinguer le magazine de l'appelante et par conséquent qu'ils n'étaient pas utilisés comme marque de commerce. C'est pour cette raison qu'elle a radié COUNTRY LIVING du registre.

[14]            En toute déférence, le registraire a mal interprété ses fonctions sous l'article 45 et a commis une erreur de droit en s'engageant dans une enquête pour décider si les mots COUNTRY LIVING étaient utilisés de façon à distinguer le magazine de l'appelante. Il n'y a rien dans l'article 45 qui demande au registraire de réexaminer la question de savoir si la marque de commerce déposée est employée pour distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises. Aux termes de l'article 45, le seul devoir du registraire est plutôt de déterminer, à l'égard des marchandises que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce, telle qu'elle se trouve dans le registre, a été employée dans les trois ans précédant l'avis.    


[15]            En l'espèce, le fait que la marque de commerce déposée COUNTRY LIVING était apposée sur le magazine COUNTRY GUIDE lors du transfert de la propriété ou de la possession du magazine dans la pratique normale du commerce n'est pas contesté. Nous somme d'avis qu'une fois qu'il a été établi qu'une marque de commerce déposée, telle qu'elle est inscrite dans le registre, était employée en liaison avec les marchandises que spécifie l'enregistrement, l'enquête prévue à l'article 45 est terminée.

[16]            Comme l'a dit le juge Hugessen, de la Cour d'appel dans Meredith & Finlayson c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1991), 40 C.P.R. (3d) 409, à la page 412, relativement à l'article 45 :

[...] cette disposition ne vise manifestement pas la tenue d'une instruction qui porterait sur une question de faits contestée mais, plus simplement, à donner au propriétaire inscrit l'occasion d'établir, s'il le peut, que sa marque est employée, ou bien d'établir les raisons pour lesquelles elle ne l'est pas, le cas échéant.

Comme le souligne le juge Hugessen, l'article 45 n'est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce, autre que la procédure litigieuse courante. Il s'agit d'une méthode simple et rapide, et d'utilité publique, de radier du registre les marques tombées en désuétude. Si le but recherché par l'intimé est d'empêcher l'appelante d'utiliser la marque de commerce déposée COUNTRY LIVING à cause d'un conflit potentiel entre l'appelante et le client de l'intimé, il peut le faire en utilisant le recours prévu à l'article 57 de la Loi sur les marques de commerce.


CONCLUSION

[17]            L'appel sera accueilli avec dépens tant en appel qu'en première instance et il sera ordonné au registraire de rétablir la marque de commerce de l'appelante COUNTRY LIVING au registre des marques de commerces.

                                                                                                                           « Marshall Rothstein »     

                                                                                                                                J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


                                                                                                                                 Date : 20010220

Dossier : A-356-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 20 FÉVRIER 2001                                                                            

CORAM :       LE JUGE ROTHSTEIN

LE JUGE SEXTON

LE JUGE MALONE

ENTRE :

                                           UNITED GRAIN GROWERS LIMITED

                                                                                                                                            appelante

                                                                          - et -

                                                             LANG MICHENER

                                                                                                                                                  intimé

                                                                   JUGEMENT

                                                                             

L'appel est accueilli avec dépens tant en appel qu'en première instance, les décisions de la Section de première instance et du registraire sont annulées et il est ordonné au registraire de rétablir la marque de commerce de l'appelante COUNTRY LIVING au registre des marques de commerce.

                                                                                                                           « Marshall Rothstein »             

                                                                                                                        J.C.A.

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         A-356-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :             United Grain Growers Limited c. Lang Michener

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                20 février 2001

MOTIFS DU JUGEMENT PAR : Le Juge Rothstein

Le Juge Sexton

Le Juge Malone

DATE :                                                20 février 2001

ONT COMPARU :

Robert A. Watchman                             POUR L'APPELANTE

Dale E. Schlosser                                  POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pitblado Buchwald Asper                      POUR L'APPELANTE

Winnipeg (Manitoba)

Lang, Michener                                     POUR L'INTIMÉ

Toronto (Ontario)



[1]    Voir par exemple, Filodordo Calze S.p.A. c. Manufacturier de bas de nylon Doris Ltée (1998), 85 C.P.R. (3d) 76, qui traite de cette question.

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