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Date: 19980206


Dossier: A-612-95

CORAM:      LE JUGE DENAULT

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     LA CAPITALE, COMPAGNIE D'ASSURANCE GÉNÉRALE,

     intimée.

     Audience tenue à Montréal (Québec) le jeudi 11 décembre 1997

     Jugement prononcé à Ottawa (Ontario) le vendredi 6 février 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PAR:      LE JUGE LÉTOURNEAU

MOTIFS CONCORDANTS PAR:      LE JUGE DENAULT

     LE JUGE DESJARDINS


Date: 19980206


Dossier: A-612-95

CORAM:      LE JUGE DENAULT

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

ENTRE:

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     appelante,

ET:

     LA CAPITALE, COMPAGNIE D'ASSURANCE GÉNÉRALE,

     intimée.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LÉTOURNEAU

Faits et procédure

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision d'un juge de la section de première instance rendue le 7 août 1995 par laquelle il maintenait l'action de l'intimée à l'encontre d'une cotisation d'impôt émise par le Ministre du Revenu national (le Ministre) pour l'année d'imposition 1986.

[2]      La question en litige consiste à déterminer si l'intimée devait inclure dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1986 la partie non reçue des primes annuelles d'assurances souscrites qui étaient payables par voie de retenue sur le salaire et qui, pour partie, couraient sur une année fiscale subséquente. En d'autres termes, ces paiements effectués par voie de retenue sur le salaire en 1987 constituent-ils des sommes à recevoir pour l'année d'imposition 1986 en vertu des dispositions des articles 9 et 12 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) et ces sommes doivent-elles être incluses dans le revenu de l'intimée pour l'année d'imposition 1986?

[3]      L'intimée, La Capitale, est une filiale de la Mutuelle des fonctionnaires du Québec, et se spécialise dans l'assurance générale. Dans le cas présent, le litige se rapporte à l'assurance de biens vendue par l'intimée. Ses polices sont émises sur une base annuelle à sa clientèle gouvernementale. Cependant, elle offre à chaque client le choix d'effectuer le paiement de la prime selon l'une ou l'autre des modalités suivantes:

a)      au comptant;
b)      par trois (3) versements, mais à l'intérieur d'une période de 90 jours;
c)      par paiements pré-autorisés et prélevés directement dans son compte dans une institution financière; ou
d)      par voie de retenues sur son salaire conformément à l'entente entre les parties.

[4]      Dans le cas du mode de paiement au comptant ou par versements, l'intimée faisait parvenir une facture au client lors de la transmission du contrat d'assurance. Par contre, lorsqu'il s'agissait du mode de paiement par retenue sur le salaire, l'intimée produisait une facturation à l'expiration du terme convenu entre les parties pour le paiement de la prime. L'employeur de l'assuré prélevait alors la somme indiquée sur le salaire de ce dernier et la transmettait à l'intimée.

[5]      Les polices d'assurance souscrites par les assurés demeuraient résiliables en tout temps et l'assuré pouvait demander le remboursement du trop-payé de la prime pour la période de temps pour laquelle la couverture du risque n'a pas eu lieu par suite d'une résiliation.

[6]      L'intimée tient une comptabilité d'exercice et son année d'imposition se termine le 31 décembre de chaque année. Dans la détermination de son bénéfice net tant pour fins fiscales que comptables, l'intimée a inclus dans son revenu les primes payées au comptant, par versements et par paiement pré-autorisé. En vertu de l'alinéa 20(7)c) de la Loi, l'intimée pouvait réclamer une réserve pouvant aller jusqu'à 82% des primes non gagnées au 31 décembre 1986. L'intimée s'est prévalue de cette disposition et, a, de fait, réclamé comme réserve 82% des primes non gagnées sur les polices perçues au comptant, par paiement pré-autorisé ou en trois versements, soit 3 594 122,00 $. Mais l'intimée n'a pas inclus dans son revenu, et dans la réserve qu'elle a réclamée, la partie non reçue des primes annuelles souscrites dont le mode de paiement était la retenue sur le salaire.

[7]      Par son avis de cotisation en date du 26 avril 1989 pour l'année d'imposition 1986, le Ministre a ajouté au revenu de l'intimée un montant de 20 208 168,00 $ pour les primes dont le paiement se faisait par retenue sur le salaire et a accordé une réserve de 16 450 749,00 $, soit une fraction non acquise des primes nettes équivalant à 82% de ces primes.

Le montant des primes dont le paiement fait l'objet de retenues sur le salaire d'un assuré en 1987 constitue-t-il un bénéfice pour l'intimée au sens du paragraphe 9(1) de la Loi pour son année d'imposition 1986?

[8]      Le revenu d'entreprise d'un contribuable pour une année d'imposition se définit, en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi, comme le bénéfice que ce contribuable en tire pour cette année.

[9]      La notion de revenus mentionnée à l'article 9 de la Loi comprend à la fois les sommes reçues et les sommes à recevoir1. Au surplus, l'article 12 de la Loi, édicté pour plus de précision, confirme l'obligation d'inclure dans la détermination du revenu sous l'article 9 les sommes à recevoir2.

[10]      La jurisprudence a suppléé, en ces termes, à l'absence de définition de ce qu'est une somme à recevoir:

         Puisque les mots "sommes recevables" ou "recevable" ne sont pas définis dans la Loi, il faut trouver leur sens ordinaire dans le domaine où ils sont employés. En cherchant dans les dictionnaires, nous pouvons lire la définition de "receivable" [TRADUCTION] (recevable) que donne le Shorter Oxford, (troisième édition) [TRADUCTION] "qui peut être reçu". L'énoncé est si vaste qu'il ne nous est pas d'une grande utilité. D'après cette définition, est recevable toute chose qui peut être remise à quiconque est capable de la recevoir. Il est possible d'appliquer cet adjectif au legs prévu dans le testament d'une personne encore en vie, mais personne ne considérerait un tel legs comme une somme recevable du légataire potentiel. À défaut d'une définition contraire dans la loi, je pense qu'il ne suffit pas que le soi-disant bénéficiaire ait un droit précaire de recevoir la somme en question, mais il doit avoir un droit certain de la recevoir, même si elle n'est pas nécessairement exigible. Le juge Cameron mentionne une deuxième acception: [TRADUCTION] "à recouvrer", et Eric L. Kohler donne la définition suivante dans A Dictionary for Accountants, 1957, à la page 408: [TRADUCTION] "recouvrable, sans égard à l'exigibilité". À mon sens, ces deux définitions supposent un droit.3         

[11]      Cette notion de droit certain ou inconditionnel, quoique non encore exigible, a été approuvée par la Cour suprême du Canada et appliquée par cette dernière dans l'arrêt Maple Leaf Mills c. M.N.R.4. De cette dernière décision, il appert également que le montant dû doit être déterminé. Dans cette affaire, la Cour a décidé que la somme due n'était pas déterminée dans son entier, mais qu'un revenu minimum était garanti de sorte que ce montant minimum garanti constituait une somme à recevoir.

[12]      Si l'on applique ce critère aux faits de la présente instance, je me dois de conclure que l'intimée possède à l'égard des polices souscrites, mais dont le paiement de la prime se fait par voie de retenue sur le salaire, un droit certain et inconditionnel à la prime dont le montant est prédéterminé et accepté par les parties. Les articles 2570 et 2571 du Code civil du Bas-Canada énoncent sans équivoque que l'assureur a droit à la prime lorsque le risque commence et qu'il peut alors poursuivre le paiement de la prime:

     Art. 2570.      L'assureur n'a droit à la prime qu'à compter du moment où le risque commence, et uniquement pour sa durée si le risque disparaît totalement par suite d'un événement qui ne fait pas l'objet de l'assurance.         
     Art. 2571.      L'assureur peut poursuivre le paiement de la prime ou la déduire de l'indemnité qu'il doit verser.         

[13]      Puisque les polices en cause ont été souscrites et le montant de la prime fixé en 1986 et que le risque a commencé à courir en 1986, l'intimée a acquis un droit à ces primes en 1986 de sorte que le montant total de ces primes constituait en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi une somme à recevoir dans l'année d'imposition 1986. Le juge de la section de première instance en est venu à la même conclusion sur ce point et cet aspect de sa décision est irréprochable.

[14]      L'intimée a, pour échapper à l'application de ce critère, soumis quatre arguments qui, à mon sens, sont sans mérite.

[15]      Premièrement, l'intimée affirme que le montant des primes en litige ne peut constituer une somme à recevoir car ces primes ne sont dues, payables et exigibles que dans l'année subséquente, soit l'année 1987 et non l'année d'imposition 1986.

[16]      D'une part, cette prétention ignore que le critère de définition d'une somme à recevoir ne requiert pas que la somme soit exigible. Il suffit que le créancier dispose d'un droit certain et inconditionnel à un montant déterminé. La possibilité qu'il y ait éventuellement une résiliation du contrat n'a pas pour effet de rendre le droit de l'assureur incertain et conditionnel. D'une part, ce droit existe dès que le risque commence à courir. D'autre part, la résiliation n'opère que pour l'avenir et le droit de l'assureur existe, à tout le moins, pour la portion de prime acquise pour la période où le risque a été couvert, y compris la période qui court sur l'année subséquente. D'ailleurs, le principe est le même, que la cessation du contrat résulte de sa résiliation par l'une des parties au contrat ou de la disparition totale du risque par suite d'un événement qui ne fait pas l'objet de l'assurance.

[17]      D'autre part, cette prétention ignore aussi les dispositions de l'article 2571 du Code civil du Bas-Canada qui, comme je l'ai déjà mentionné, accorde à l'assureur le droit de poursuivre pour le paiement. Comme le souligne le professeur Bergeron, "à moins que l'assureur ne fasse crédit, la prime est totalement payable au moment où commence le risque"5. Le fait qu'un assureur, tel l'intimée, dans un marché compétitif et dans un domaine où les primes sont à la hausse, consente à ses assurés des modalités de paiement plus favorables ne saurait altérer la nature du droit qui lui échoit. Cette convention entre les parties ne saurait également changer la nature juridique d'un compte à recevoir sous l'article 9 de la Loi.

[18]      Deuxièmement, l'intimée a prétendu que les sommes n'étaient ni dues et ni exigibles dans l'année 1986 car la facturation pour ces sommes n'a eu lieu qu'en 1987 au fur et à mesure que les assurés recevaient leur rémunération. Par contre, elle admet que dans les cas où, par exemple, une police d'assurance est contractée le 1er décembre 1986 et que le paiement de la prime se fait en trois versements, les versements de janvier et février 1987 sont des comptes à recevoir pour fin d'imposition dans l'année 1986. Elle justifie cette différence de traitement du fait qu'une facture globale a été envoyée au client dans l'année 1986 et qu'en conséquence les trois versements ne sont que des modalités de paiement de la prime.

[19]      J'avoue qu'il m'est difficile de suivre la logique de cet argument. Qu'une police d'assurance annuelle contractée le 1er décembre 1986 au coût de 1 500 $ soit payable en trois versements ou en 26 versements parce que le régime de rémunération de l'assuré comporte 26 périodes de paye m'apparaît, dans un cas comme dans l'autre, référer à une obligation souscrite par l'assuré qui comporte tout simplement des modalités de paiement différentes d'une prime totale, déterminée à la signature du contrat en fonction du risque à couvrir et due par ce dernier à compter du moment où le risque court.

[20]      La facturation n'est pas génératrice de la dette et, contrairement à ce que prétend l'intimée, n'est pas un élément déterminant de la définition d'une somme à recevoir au terme du paragraphe 9(1) de la Loi. Elle n'est que le procédé par lequel le créancier informe le débiteur de la somme due en vertu de l'obligation déjà contractée et la lui réclame. Une convention entre un créancier et son débiteur, soit dans le présent cas l'assureur et l'assuré, quant aux modalités de temps et de lieu de la facturation et du paiement n'altère pas la notion de somme à recevoir utilisée au paragraphe 9(1) de la Loi.

[21]      Comme l'écrivait notre collègue le juge Hugessen dans R. c. Derbecker6, "l'expression "lui est due" ne vise que le droit du contribuable d'exiger le paiement et non pas la question de savoir s'il l'a effectivement exigé". À plus forte raison, l'expression ne vise pas la question de savoir quand il l'a exigé par voie de facturation.

[22]      Troisièmement, l'intimée prétend que le contrat d'assurance est, en vertu du droit civil québécois, un contrat de services continus et, en conséquence, que les sommes ne sont échues qu'au fur et à mesure que les services sont rendus. Pour appuyer sa prétention, l'intimée trouve refuge dans les concepts de résiliation et de remboursement qui, dit-elle, établissent qu'il s'agit d'un service continu car ce dernier cesse d'être fourni si le paiement cesse d'être effectué.

[23]      À mon sens, cette prétention de l'intimée n'est qu'une variante de la précédente sauf qu'elle ajoute que les sommes ne sont pas des sommes à recevoir parce qu'elles ne sont pas échues.

[24]      J'ai déjà examiné la question du terme ou de l'échéance des paiements et conclu que les modalités d'échéance de la dette n'affectent pas l'existence de celle-ci et le droit du créancier au paiement de celle-ci. La nature du contrat d'assurance ne change rien à cet aspect de la situation juridique.

[25]      Quatrièmement, l'intimée, toujours en se basant sur le principe que le contrat d'assurance est, en vertu du droit civil québécois, un contrat de services continus ou à exécution successive, a invoqué au soutien du rejet de l'appel que l'alinéa 12(1)b) de la Loi établissait que les sommes reçues en 1987 par voie de retenue sur le salaire n'étaient pas des sommes à recevoir pour l'année d'imposition 1986 car les services pour ces sommes ne furent pas rendues en 1986 mais en 1987. Elle soutient qu'il s'agit là de l'interprétation à donner à cet article que je reproduis en soulignant les mots pertinents:

     12. (1)      Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables:         
         b) les sommes à recevoir par le contribuable au titre de la vente de biens ou de la fourniture de services au cours de l'année, dans le cours des activités d'une entreprise, même si les sommes, en tout ou en partie, ne sont dues qu'au cours d'une année postérieure, sauf dans le cas où la méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du revenu tiré de son entreprise et acceptée pour l'application de la présente partie ne l'oblige pas à inclure dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition les sommes à recevoir qui n'ont pas été effectivement reçues au cours de l'année; pour l'application du présent alinéa, une somme est réputée à recevoir pour services rendus dans le cours des activités de l'entreprise à compter du premier en date des jours suivants:         
             (i) le jour où a été remis le compte à l'égard des services,         
             (ii) le jour où aurait été remis ce compte si la remise n'avait pas subi un retard indu;         

[26]      En somme, l'intimée prétend qu'une somme due ne peut constituer une somme à recevoir pour une année d'imposition que si les services ont été rendus dans cette année d'imposition. Plusieurs raisons militent en faveur du rejet de cette prétention.

[27]      Premièrement, notre Cour a déjà établi que l'inclusion, dans le revenu d'entreprise d'un contribuable, des sommes à recevoir se fait en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi et que le paragraphe 12(1) vise à élargir et non restreindre la portée de l'inclusion du paragraphe 9(1) de sorte que ce qui est inclus à l'article 9 ne peut désormais en être exclu:

         Selon l'article 9, qui en précise le sens, le revenu pour une année est le bénéfice pour cette année. On a reconnu que l'objet de l'article 12 de la Loi ne consiste qu'à préciser ce qui doit être inclus dans le calcul du revenu, mais les parties diffèrent sur la question de savoir si, en précisant les éléments à inclure, au paragraphe 12(1), on en a exclu d'autres.         
         À mon avis, le libellé et la structure de la disposition appuient la position de l'intimée. Cela est particulièrement vrai du paragraphe 12(2) qui établit que le paragraphe 12(1) n'a été édicté que pour apporter plus de précision, manifestement en prévoyant avec plus d'exactitude ce qui doit être inclus dans le revenu, et qui interdit clairement toute interprétation qui aurait pour effet de soustraire du revenu ce qui devrait normalement en faire partie. Cette interprétation est également confirmée par le paragraphe 12(1) lui-même dont voici le début: "Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable...au cours d'une année d'imposition..." [Soulignements ajoutés.]         
         Je suis d'avis que le paragraphe 12(1) a pour effet d'élargir la portée de l'inclusion du paragraphe 9(1). De toute évidence, à la ligne de démarcation de l'inclusion, il peut logiquement exister certaines exclusions, mais l'effet commun de l'article 9 et du paragraphe 12(1) est d'inclure et non d'exclure, et le paragraphe 12(2) fait en forte, à tout le moins, que rien de ce qui est manifestement inclus à l'article 9 ne soit désormais exclu.7         

[28]      Comme les sommes en litiges sont déjà des sommes à recevoir en vertu du paragraphe 9(1), l'alinéa 12(1)b) n'est donc d'aucun secours à l'intimée.

[29]      Deuxièmement, je suis d'accord avec l'appelante qu'il n'y a pas lieu, en droit fiscal, de faire de distinction entre les primes reçues dans l'année à l'égard d'un contrat d'assurance qui se poursuit dans l'année suivante et les primes à recevoir à l'égard d'un contrat qui se poursuit dans l'année suivante. L'arrêt Robertson Ltd. v. Minister of National Revenue établit qu'un contribuable ne peut exclure de son revenu les sommes reçues mais non gagnées dans l'année sous prétexte que le contrat pourrait être résilié et donner lieu à un remboursement partiel8. Appliqué au domaine de l'assurance, ce principe signifie qu'un assureur ne peut exclure de son revenu les primes reçues mais non gagnées sous prétexte que le contrat pourrait être résilié. Ainsi, lorsque le montant total de la prime est payé, par exemple, en novembre d'une année pour une protection annuelle d'assurance, cette somme doit être incluse dans l'année du paiement, même si la majeure partie de la protection sera fournie dans l'année subséquente. L'intimée a, en outre, reconnu que lorsque le paiement de la prime se faisait en trois versements dont l'un en 1986, les deux versements de 1987 constituaient des sommes à recevoir en 1986 même si la protection était accordée en 1987.

[30]      Troisièmement, le fait qu'un contrat d'assurance terrestre de dommages puisse être qualifié de contrat à exécution successive n'affecte aucunement la définition de revenu d'entreprise contenue dans l'article 9 de la Loi.

[31]      De fait, les articles 1377 et 1378 du Code civil du Québec mentionnent que les contrats peuvent revêtir une série de caractéristiques. Ils peuvent être d'adhésion ou de gré à gré, synallagmatique ou unilatéral, à titre onéreux ou gratuit, commutatif ou aléatoire et à exécution instantanée ou successive. Ils peuvent aussi être de consommation. À quelques nuances près, ces caractéristiques étaient les mêmes sous le Code civil du Bas-Canada applicable en l'espèce.

[32]      Or, cet éventail de caractéristiques qui illustre la diversité des contrats n'a toutefois, dans le cas présent, aucune incidence sur la détermination du revenu d'entreprise aux fins d'impôt car ce dernier inclut les sommes à recevoir et celles-ci ont été déterminées par le montant des primes fixées lors de la conclusion du contrat. Comme le mentionne Didier Lluelles, "le caractère onéreux du contrat d'assurance ne signifie nullement que la prime doive être payée pour que le contrat soit formé ou pour qu'il prenne effet, l'assurance étant un contrat consensuel et non réel. À l'instar du prix dans la vente, il suffit que la prime soit déterminée ou au moins déterminable. Le paiement de la prime ne conditionne donc pas la conclusion ou l'entrée en vigueur du contrat, sous réserve du cas particulier de l'assurance sur la vie où, exceptionnellement, le risque n'est pas couvert tant que la première prime n'est pas payée"9.

[33]      De même, la caractéristique "à exécution successive" ne fait qu'indiquer et déterminer la sanction de l'inexécution du contrat qui consiste en une résiliation plutôt qu'en une résolution de ce contrat alors que la règle est à l'inverse pour les contrats à exécution instantanée.

[34]      Comme le montant total des sommes à recevoir est déjà déterminé et que l'intimée possède déjà un droit certain et inconditionnel à ces sommes, la résiliation du contrat découlant de cette caractéristique du contrat ne lui est d'aucun secours puisque, à l'instar de la décision de la Cour suprême dans Maple Leaf Mills c. M.N.R. où le revenu minimum garanti fut qualifié de somme à recevoir (supra), elle a droit à un revenu minimum correspondant à la période pendant laquelle le risque a couru.

[35]      Quatrièmement, les contrats d'assurance en cause ne constituent pas une fourniture de services au sens de l'alinéa 12(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais plutôt une vente de biens.

[36]      En effet, l'alinéa 12(1)b) traite de la vente de biens ou de la fourniture de services. L'intimée a argumenté par analogie avec des exemples tirés de locations de services ou de biens qui sont fournis périodiquement (par exemple, au jour le jour ou à chaque mois) et facturés à intervalles fixes.

[37]      Cette analogie est, à mon avis, boiteuse et trompeuse car le contrat d'assurance n'est pas, en droit civil québécois, un contrat de location de biens ou de services. Il s'agit d'un contrat de vente sui generis au terme duquel l'assuré achète une indemnité payable en cas de réalisation du risque couvert par l'assurance de dommages dont il est ici question:

     Art. 2468 (C.C.B.C.)      Le contrat d'assurance est celui en vertu duquel l'assureur, moyennant une prime ou cotisation, s'engage à verser au preneur ou à un tiers une prestation en cas de réalisation d'un risque.         
     Art. 2475 (C.C.B.C.)      L'assurance de dommages garantit l'assuré contre les conséquences d'un événement pouvant porter atteinte à son patrimoine.         
                 Elle comprend l'assurance de choses, qui a pour objet d'indemniser l'assuré des pertes matérielles qu'il subit, et l'assurance de responsabilité qui a pour objet de le garantir contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité pouvant lui incomber en raison d'un fait dommageable.         

[38]      D'ailleurs, le professeur Roger Bout parle de la vente par l'assureur d'une sécurité dont l'assuré doit payer le prix10.

[39]      Le contrat est formé dès que l'assureur accepte la proposition du preneur et la police n'est que le document qui constate l'existence du contrat.

     Art. 2476 (C.C.B.C.)      Le contrat d'assurance est formé dès que l'assureur accepte la proposition du preneur.         
     Art. 2477 (C.C.B.C.)      La police est le document qui constate le contrat d'assurance.         

[40]      Or, ce que l'intimée a vendu à ses assurés dans l'année d'imposition 1986 avec paiements différés en partie jusqu'en 1987, qu'on le qualifie pour l'instant de service ou de bien, c'est le droit à une indemnité en cas de sinistre, dont le montant précis reste à déterminer jusqu'à concurrence du plafond de cette indemnité. Ces ventes ayant eu lieu dans l'année d'imposition 1986, les sommes à recevoir devraient aussi être incluses dans cette année en vertu de l'alinéa 12(1)b).

[41]      Au surplus, à mon avis, ce droit à une indemnité vendu par l'intimée en 1986 constitue un bien au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu. En effet, le mot "bien" est défini au paragraphe (1) de l'article 248 d'une manière très large et englobante qui inclut, à ce titre, la vente d'un droit de quelque nature qu'il soit:

     "biens" - "biens" signifie des biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels et comprend, sans restreindre la portée générale de ce qui précède,         
     a)      un droit de quelque nature qu'il soit, une action ou part,         
     b)      à moins d'une intention contraire évidente, de l'argent,         
     c)      un avoir forestier, et         
     d)      les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale;         

[42]      Le terme "bien" en vertu de la Loi inclut pratiquement tout type d'intérêt économique et comprend pratiquement toute sorte d'intérêt qu'une personne peut posséder11. La généralité du terme se comprend dans le contexte de cette Loi où il s'agit d'imposer toute forme de revenu d'entreprise d'un contribuable quelle qu'en soit la provenance.

[43]      Dans Vaillancourt v. The Queen, notre collègue, le juge Décary, écrivait pour la Cour en rapport avec la définition du mot "bien" de la Loi:

     "This definition could hardly be more inclusive and seems quite broad enough to me to take in a portion or fraction of property."12         

[44]      Dans l'arrêt Sani Sport Inc. c. Canada13 où il s'agissait d'interpréter la portée du sous-alinéa (iv) de l'article 54h) relatif au produit de la disposition d'un bien, lequel comprend toute indemnité afférente aux biens pris en vertu d'une loi, notre collègue, Madame le juge Desjardins, en est venue à la conclusion que le mot "bien", à cause de la définition large qui en est faite, ne couvrait pas seulement le terrain exproprié, mais qu'il s'entendait également du droit de l'expropriée de jouir d'une source de revenus dont elle fut privée par l'expropriation et pour lequel elle fut indemnisée.

[45]      Compte tenu que la définition de "bien" au paragraphe 248(1) de la Loi réfère à des biens de toute nature, corporels ou incorporels, et inclut un droit de quelque nature qu'il soit, le droit à l'indemnité vendu par l'intimée par le contrat d'assurance et acquis par l'assuré en paiement de la prime constitue, à mon avis, un bien au sens où ce terme est utilisé dans l'alinéa 12(1)b) de la Loi.

La réserve prévue à l'alinéa 20(7)c)

[46]      Cet alinéa autorise une compagnie d'assurance à déduire de son revenu pour une année d'imposition, tiré d'une entreprise d'assurance autre qu'une entreprise d'assurance-vie, certaines sommes prescrites par règlement à titre de provisions pour polices14. Les articles 1400 et 1404 du Règlement de l'impôt sur le revenu (Partie XIV - Réserves pour polices dans les entreprises d'assurance) déterminent le montant maximal et la méthode de calcul de ces sommes. L'effet combiné de l'alinéa 20(7)c) et des articles 1400 et 1404 du Règlement est de permettre à l'intimée, dans la détermination de son bénéfice net tant pour fins fiscales que comptables, de déduire des primes nettes souscrites en 1986 une provision pour les primes qui n'ont, de fait, pas été gagnées au 31 décembre de cette année, c'est-à-dire pour la fraction non acquise de la prime nette de la police à la fin de l'année.

[47]      Ces dispositions qui permettent une déduction, en fait, confirment que l'intimée doit inclure dans son revenu de 1986 le montant total des primes souscrites au cours de cette année même si la couverture du risque s'étend à l'année subséquente.

[48]      De fait, ces dispositions reflètent le fait que le montant total de la prime est dû à la signature du contrat et, en conséquence, fait partie des revenus de l'intimée. Elles reflètent également une réalité du domaine des assurances: un certain nombre de polices annuelles souscrites peuvent être résiliées par l'une ou l'autre des parties ou devenir sans objet suite à la destruction, perte ou vente du bien assuré de sorte que le risque cesse d'exister et que le montant original dû par l'assuré doit être varié à la baisse. Elles permettent à l'assureur de refléter plus adéquatement son bénéfice pour une année donnée d'imposition en reconnaissant le caractère aléatoire des contrats d'assurance.

[49]      La réserve spécifique aux contrats d'assurance autres que ceux d'assurance-vie participe de la réserve, prévue à l'alinéa 20(1)m) de la Loi, relative à certaines marchandises vendues qui sont livrées, ou à certains services qui sont rendus, dans l'année subséquente lorsque les sommes visées à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu d'entreprise du contribuable pour l'année antérieure. D'ailleurs, la Loi contient un certain nombre d'autres dispositions de cette nature applicables à divers domaines (20(1)m) Provision relative à certaines marchandises et à certains services, 20(1)m.1) Réserve pour garantie du fabricant, 20(1)m.2) Remboursement d'un montant antérieurement inclus dans le revenu, 20(1)n) Provision pour somme due dans une année ultérieure, 20(6) Réserves spéciales) et dont le but est de mieux refléter le bénéfice net d'un contribuable pour une année en excluant ce qui n'a pas été gagné ou des obligations futures prévues15.

[50]      En somme, même si l'on devait admettre la prétention de l'intimée que le contrat d'assurance est un contrat de services à exécution successive, l'effet combiné des articles 9 et 20(7)c) de la Loi est, dans un premier temps, d'exiger de l'assureur qu'il inclut dans son revenu toutes les sommes dues en rapport avec les polices souscrites en 1986 et, dans un deuxième temps, de lui permettre de déduire jusqu'à 82% des revenus correspondant à la partie non acquise de ces primes. C'est ce que l'intimée aurait dû faire pour l'année d'imposition 1986 et c'est ce que le Ministre a fait pour elle par son avis de cotisation.


[51]      Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens et rejetterais l'action de l'intimée avec dépens.

     "Gilles Létourneau"

     j.c.a.


Date: 19980206


Dossier: A-612-95

Coram :      LE JUGE DENAULT

         LE JUGE DESJARDINS

         LE JUGE LÉTOURNEAU

Entre :      SA MAJESTÉ LA REINE,

     Appelante

ET:          LA CAPITALE, COMPAGNIE D'ASSURANCE GÉNÉRALE,

     Intimée

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DENAULT

[1]      Comme mon collègue le juge Létourneau, j'estime que l'intimée devait inclure dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1986 la partie non reçue des primes annuelles souscrites par des assurés ayant choisi de payer leur prime au moyen de retenues sur leur salaire et qui, en conséquence, avaient payé une partie de leur prime au cours de l'année d'imposition 1987. Je viens à cette conclusion par une voie différente de la sienne.

[2]      Je souligne d'abord qu'en l'espèce, la Cour n'est pas saisie d'un conflit contractuel entre un assureur et son assuré mais plutôt d'un litige fiscal opposant une compagnie d'assurance et le ministère du Revenu. Il me paraît donc peu nécessaire d'épiloguer sur les caractéristiques du contrat liant l'assureur et l'assuré puisqu'une lecture attentive des articles pertinents de la Loi de l'impôt sur le revenu L.R.C. 1985 (5e supplém. ch.1) (la Loi) suffit à me convaincre que l'appel doit être accueilli.

[3]      L'article 916 de la Loi pose comme principe qu'un contribuable doit inclure dans le calcul de son revenu tiré d'une entreprise le bénéfice qu'il en tire pour l'année. L'article 1217 indique les sommes à inclure dans le revenu du contribuable : les sommes reçues au cours de l'année dans le cours des activités de l'entreprise (12(1)a)), et les sommes à recevoir au titre de paiement de biens ou de fourniture de services au cours de l'année même si les sommes, en tout ou en partie, ne sont dues qu'au cours d'une année postérieure (12(1)b)). Le législateur a aussi prévu, au paragraphe 12(2), une règle d'interprétation spécifique aux alinéas 12(1)a) et b) : "édictés par souci de précision, [ils] n'ont pas pour effet d'empêcher que les sommes qui n'y sont pas visées soient incluses dans le calcul du revenu tiré d'une entreprise pour une année d'imposition, qu'elles soient reçues ou à recevoir au cours de l'année ou non".

[4]      En l'espèce, le juge de première instance a estimé, à juste titre selon moi, que la prime annuelle, dont le montant est déterminé et connu de l'assuré lors de l'émission d'une police d'assurance, constituait une somme à recevoir par la compagnie d'assurance. Il a aussi reconnu, avec justesse, que le droit de l'assureur à la totalité de la prime était "certain, puisque l'assuré à souscrit une police d'assurance lui accordant la protection désirée pendant un an, et ce, bien qu'une partie seulement de cette prime annuelle ne soit payable et exigible que durant l'année fiscale de la demanderesse au cours de laquelle la police a été émise". Dans la mesure où ces énoncés sont conformes aux règles en matière d'assurance contenues au Code civil du Bas-Canada18, en vigueur à l'époque pertinente, et à la jurisprudence19, il me paraît inutile d'élaborer sur le sujet.

[5]      Estimant toutefois que l'alinéa 12(1)b) posait une condition additionnelle à l'existence d'une somme à recevoir par le contribuable, à savoir que la somme doit être reliée à la vente de biens ou à la fourniture de services "au cours de l'année", soit l'année d'imposition concernée, il a conclu que les sommes provenant des retenues salariales effectuées en 1987, dans la mesure où elles avaient trait à une protection d'assurance accordée "en dehors de l'année d'imposition en cause", ne pouvaient constituer, pour la compagnie d'assurance, un bénéfice au sens du paragraphe 9(1) de la Loi, pour son année d'imposition 1986.

[6]      Ce faisant, j'estime que le juge de première instance a erré en droit.

[7]      L'interprétation donnée par le juge de première instance à l'article 9 et à l'alinéa 12(1)b) de la Loi n'est pas conforme à la lettre et à l'esprit de la Loi ni à l'interprétation qu'en a donnée cette Cour. Dans Maritime Telegraph and Telephone Company of Canada, [1992] 1 C.F. 753 (C.A.F.), le juge MacGuigan, au nom de la Cour, a ainsi résumé la portée de ces articles:

     Selon l'article 9, qui en précise le sens, le revenu pour une année est le bénéfice pour cette année. On a reconnu que l'objet de l'article 12 de la Loi ne consiste qu'à préciser ce qui doit être inclus dans le calcul du revenu, mais les parties diffèrent sur la question de savoir si, en précisant les éléments à inclure, au paragraphe 12(1), on en a exclu d'autres.
     À mon avis, le libellé et la structure de la disposition appuient la position de l'intimée. Cela est particulièrement vrai du paragraphe 12(2) qui établit que le paragraphe 12(1) n'a été édicté que pour apporter plus de précision, manifestement en prévoyant avec plus d'exactitude ce qui doit être inclus dans le revenu, et qui interdit clairement toute interprétation qui aurait pour effet de soustraire du revenu ce qui devrait normalement en faire partie. Cette interprétation est également confirmée par le paragraphe 12(1) lui-même dont voici le début: "Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable... au cours d'une année d'imposition..." [Soulignements ajoutés.]
     Je suis d'avis que le paragraphe 12(1) a pour effet d'élargir la portée de l'inclusion du paragraphe 9(1). De toute évidence, à la ligne de démarcation de l'inclusion, il peut logiquement exister certaines exclusions, mais l'effet commun de l'article 9 et du paragraphe 12(1) est d'inclure et non d'exclure, et le paragraphe 12(2) fait en sorte, à tout le moins, que rien de ce qui est manifestement inclus à l'article 9 ne soit désormais exclu.

[8]      J'estime qu'en l'espèce, le juge de première instance a fait ce que la Loi et cet arrêt de la Cour interdisent clairement de faire, soit interpréter l'alinéa 12(1)b) de la Loi comme ayant pour effet de soustraire du revenu ce qui devrait normalement en faire partie. Restreindre l'application de l'alinéa 12(1)b) et par voie de conséquence le bénéfice tiré par le contribuable de son entreprise au sens de l'article 9 de la Loi constituait une erreur. Le libellé et la structure de ces dispositions législatives ne justifiaient pas qu'on exclue ainsi les sommes reçues en 1987 pour une police contractée en 1986. Même en supposant que l'interprétation de l'alinéa 12(1)b) retenue par le juge n'était pas fautive, j'estime qu'en vertu de la règle d'interprétation du paragraphe 12(2), les sommes qui ne sont pas visées aux alinéas 12(1)a) et b) devaient aussi être incluses dans le calcul du revenu, vu la portée très large de cette règle : on y vise en effet les sommes "reçues ou à recevoir au cours de l'année ou non".

[9]      De plus, en écartant le principe énoncé à l'article 9 selon lequel les sommes à recevoir doivent être incluses dans le calcul du revenu, le juge de première instance n'a pas tenu compte d'un élément important de la preuve. Le dossier révèle en effet qu'une réserve de 82% des primes non acquises, par rapport aux primes souscrites, a été accordée à l'intimée, comme l'alinéa 20(7)c) de la Loi permet à un assureur de faire.

[10]      Je n'ajouterai qu'un commentaire à propos de la méthode offerte par la compagnie d'assurance à ses assurés de payer leurs primes au moyen de 26 retenues bimensuelles sur leur salaire : elle constitue tout au plus une modalité de paiement, sans doute différente des trois autres méthodes utilisées - au comptant, par 3 versements à l'intérieur d'une période de 90 jours, par paiements préautorisés et prélevés directement dans un compte dans une institution financière - mais qui ne change rien à la nature du contrat20 et encore moins aux relations entre la compagnie d'assurance et le ministère du revenu.

[11]      Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel comme le suggère mon collègue le juge Létourneau.

     "Pierre Denault"

     J.C.A.


Date: 19980206


Dossier: A-612-95

Coram :     

         LE JUGE DENAULT
         LE JUGE DESJARDINS
         LE JUGE LÉTOURNEAU

0

Entre :

     SA MAJESTÉ LA REINE

     Appelante

Et :

     LA CAPITALE, COMPAGNIE D'ASSURANCE GÉNÉRALE

     Intimée

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DESJARDINS

[1]      J'en arrive à la même conclusion que celle suggérée par mon collègue le juge Létourneau.

[2]      N'eût été des articles 2570 et 2571 C.c.B.-C., il eût été possible d'affirmer que le paiement de la prime par retenues salariales, tout comme le paiement de la prime lors de la mise en vigueur de la police d'assurance constituait, dans l'un et l'autre cas, un mode consensuel de paiement, selon lequel les parties s'entendaient pour que la prime soit payable d'une façon plutôt que d'une autre. Les articles 2570 et 2571 C.c.B.-C. (et partant l'article 2469 C.c.Q.)21 font cependant échec à cette prétention.

[3]      Ces articles donnent droit à l'assureur d'exiger le paiement intégral de la prime dès le moment où le risque commence. Ainsi, les textes de l'ancien et du nouveau Code civil en vigueur au Québec renforcent-ils la position de l'assureur qui, autrement, n'aurait été que consensuelle. Ils lui donnent l'autorité légale pour se faire payer d'avance pour une prime qui s'acquiert jour après jour.22

[4]      Il s'ensuit que les articles 2570 et 2571 C.c.B.-C. (2469 C.c.Q.) font de la prime une "somme recevable" ou un "recevable" au sens juridique du terme, et ce, dès la mise en vigueur de la police. Le système de paiement de la prime par retenues salariales ne peut être qualifié, dès lors, que de modalité de paiement de la prime par opposition à un mode consensuel de paiement de la prime. Une somme est, en effet, dite "recevable" en droit fiscal lorsque quelqu'un a un "droit certain de la recevoir",23 qu'il peut en exiger le paiement et que la somme est déterminée.24 Ce sont là les caractéristiques de la prime lors de la mise en vigueur de la police. L'assureur, dès ce moment, a droit à la prime et peut en poursuivre le paiement. Il est vrai que selon l'article 2500 al. 2 C.c.B.-C. (2414 C.c.Q.), les parties peuvent déroger à l'article 2570 C.c.B.-C. (2469 C.c.Q.) dans la mesure où la dérogation est plus favorable à l'assuré. Ces ententes particulières ne changent, cependant, rien au droit légal de l'assureur de recevoir la prime et n'affectent pas sa position devant le fisc.

[5]      Par conséquent, dans un mode de comptabilité d'exercice, la somme totale de la prime annuelle d'un contrat entré en vigueur en 1986, doit être portée au revenu de l'intimée durant son année fiscale 1986, en vertu des termes de l'article 9 de la Loi de l'impôt sur le revenu25 (la "Loi"), que cette somme totale ait été exigée ou non durant cette période.

[6]      Le premier juge ne pouvait donc conclure comme il l'a fait.26 L'alinéa 12(1)b) de la Loi ne reçoit aucune application. Le caractère restrictif des termes "au cours de l'année" contenus dans cet alinéa, sur lequel le premier juge s'est appuyé,27 ne peut faire échec à la portée générale de l'article 9 de la Loi, vu les dispositions du paragraphe 12(2) de cette même Loi.28

[7]      La réserve prévue à l'alinéa 20(7)c) de la Loi n'ayant donné lieu à aucun débat, je disposerais de cet appel tel que le suggère mon collègue le juge Létourneau.

     "Alice Desjardins"

     j.c.a.


__________________

1      Maritime Telegraph and Telephone Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 753, à la p. 761 (C.A.F.).

2      Id.

3      West Kootenay Power and Light Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 732, à la p. 749, citant l'extrait du juge Kearney dans Minister of National Revenue v. John Colford Contracting Co. Ltd., [1960] R.C.E. 433, aux pp. 440 et 441.

4      [1977] 1 R.C.S. 558, à la p. 566.

5      J.G. Bergeron, Les contrats d'assurance, tome 2e, Les Éditions SEM Inc., Sherbrooke, 1992, pp. 306-07. Voir aussi en droit français Roger Bout, Le contrat d'assurance en droit comparé français et québécois, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Université McGill, 1988, p. 87: "Parfois la prime est, moyennant une certaine majoration, fractionnée par semestres ou même par trimestres. C'est généralement une modalité consentie pour satisfaire l'assuré".

6      [1985] 1 C.F. 160, à la p. 161.

7      Maritime Telegraph and Telephone Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 753, aux pp. 759 et 760.

8      [1944] Ex. C.R. 170.

9      Didier Lluelles, Précis des assurances terrestres, Les Éditions Thémis, Montréal, 1994, p. 22.

10      Roger Bout, Le contrat d'assurance en droit comparé français et québécois, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Université McGill, 1988, p. 10.

11      Le terme a aussi une signification très étendue en common law. Voir Re Lunness, (1919), 46 O.L.R. 320 (Ont. C.A.); The Dictionary of Canadian Law, Thomson Professional Publishing, Canada, 1991, pp. 833-34. Voir aussi Jones v. Skinner, (1836), 5 L.J. Ch. 87, à la p. 90 où le Maître des Rôles, Lord Langdale, écrivait:
         "It is well known that the word 'property' is the most comprehensive of all the terms which can be used, inasmuch as it is indicative and descriptive of every possible interest which the party can have."

12      91 D.T.C. 5408, à la p. 5413 (C.A.F.).

13      [1990] C.A.F. no. 250.

14      Les alinéas des articles 20(1)m) et 20(7)c) se lisent:
         20. (1) Malgré les alinéas 18(1)a), b) et h), sont déductibles dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition celles des sommes suivantes qui se rapportent entièrement à cette source de revenus ou la partie des sommes suivantes qu'il est raisonnable de considérer comme s'y rapportant:
             m) sous réserve du paragraphe (6), lorsque des sommes visées à l'alinéa 12(1)a) ont été incluses dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour l'année ou une année antérieure, une somme raisonnable à titre de provision dans le cas:                  (i) de marchandises qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être livrées après la fin de l'année,                  (ii) de services qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être rendus après la fin de l'année,                  (iii) de périodes pour lesquelles le loyer ou d'autres sommes relatives à la possession ou à l'usage d'un fonds de terre ou de biens meubles, ont été payées à l'avance,                  (iv) de remboursements en vertu d'arrangements ou d'ententes de la catégorie visée au sous-alinéa 12(1)a)(ii), qui, selon ce qu'il est raisonnable de prévoir, devront être faits après la fin de l'année sur remise ou revente au contribuable d'articles autres que des bouteilles;
         (7) L'alinéa (1)m) ne permet pas de faire une déduction:
             a) à titre de provision relativement à des garanties ou indemnités;
             b) dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise, pour une année d'imposition, lorsque ce revenu pour l'année est calculé suivant la méthode permise par le paragraphe 28(1);
             c) à titre de provision relativement à une assurance, sauf que, dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition, tiré d'une entreprise d'assurance autre qu'une entreprise d'assurance-vie qu'elle exploite, une compagnie d'assurance peut déduire à titre de provisions pour polices, les sommes prescrites pour l'application du présent alinéa.

15      Bulletin d'interprétation, IT-154R, Réserves ou provisions spéciales, 19 février 1988, "Dans des cas précis, la Loi prévoit des réserves ou provisions spéciales qui permettent à un contribuable de déduire, dans le calcul de son revenu tiré d'une entreprise pour une année d'imposition, des sommes incluses dans ce revenu qui, en termes très généraux, peuvent être considérées comme un revenu non gagné ou comme des obligations futures prévues".

16      9. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu'un contribuable tire d'une entreprise ou d'un bien pour une année d'imposition est le bénéfice qu'il en tire pour cette année.

17      12. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu tiré par un contribuable d'une entreprise ou d'un bien, au cours d'une année d'imposition, celles des sommes suivantes qui sont applicables:      a) les sommes reçues au cours de l'année par le contribuable dans le cours des activités d'une entreprise:          (i) soit qui sont au titre de services non rendus ou de marchandises non livrées avant la fin de l'année ou qui, pour toute autre raison, peuvent être considérées comme n'ayant pas été gagnées durant cette année ou une année antérieure,          (ii) soit qui sont, en vertu d'un arrangement ou d'une entente, remboursables en totalité ou en partie lors du retour ou de la revente au contribuable d'articles dans lesquels ou au moyen desquels des marchadises ont été livrées à un client;      b) les sommes à recevoir par le contribuable au titre de la vente de biens ou de la fourniture de services au cours de l'année, dans le cours des activités d'une entreprise, même si les sommes, en tout ou en partie, ne sont dues qu'au cours d'une année postérieure, sauf dans le cas où la méthode adoptée par le contribuable pour le calcul du revenu tiré de son entreprise et acceptée pour l'application de la présente partie ne l'oblige pas à inclure dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition les sommes à recevoir qui n'ont pas été effectivement reçues au cours de l'année; pour l'application du présent alinéa, une somme est réputée à recevoir pour services rendus dans le cours des activités de l'entreprise à compter du premier en date des jours suivants:          (i) le jour où a été remis le compte à l'égard des services,          (ii) le jour où aurait été remis ce compte si la remise n'avait pas subi un retard indu;      ...

18      Articles 2570 et 2571 C.c.B.-C. sur l'exgibilité de la prime. (Art. 2469 C.c.Q.)

19      Le juge s'est appuyé sur l'arrêt West Kootenay Power & Light Company Limited c. Canada [1992] 1 C.F. 732 (C.A.F.) selon lequel, pour qu'un montant constitue une somme à recevoir, il faut que le bénéficiaire ait un droit certain, mais non nécessairement immédiat, au paiement.

20      Voir Me Jean-Guy Bergeron, Les contrats d'assurance, tome deuxième, Les Editions SEM Inc., Sherbrooke, 1992, p.306: "Le temps du paiement [de la prime] est le moment où le risque commence pour l'assureur : ce moment est celui de la mise en vigueur du contrat, lequel coïncide souvent avec celui de la formation du contrat.      ...      À moins que l'assureur ne fasse crédit, la prime est totalement payable au moment où commence le risque.

21      L'appelante a plaidé que les contrats d'assurance dont il est question dans le présent appel ont été émis en 1986 et ont produit tous leurs effets avant l'entrée en vigueur du Code civil du Québec (ci-après "C.c.Q.") et que, par conséquent, les articles du Code civil du Bas-Canada (ci-après "C.c.B.-C."), et non ceux du Code civil du Québec régissent ces contrats. Cet énoncé est vrai. Il faut noter, cependant, que les dispositions du nouveau Code ne sont pas nécessairement nouvelles. Elles reprennent, avec une nouvelle numérotation et des modifications ponctuelles, les dispositions du précédent Code entrées en vigueur le 20 octobre 1976 qui, elles, étaient véritablement de droit nouveau (D. Lluelles, Précis des assurances terrestres, 2e éd., Les Éditions Thémis, Montréal, 1995, à la p. 12). Le Code actuel reprend donc l'essentiel des dispositions du C.c.B.-C. et, par conséquent, l'essentiel de la réforme de 1976. Il n'y a pas de réforme du droit des assurances terrestres à proprement parler dans le nouveau Code civil (C. Dubreuil, "Le droit des assurances dans le nouveau Code civil du Québec: pas de réforme mais des ajustements", (1992) 14 R.P.F.S. 395). Les dispositions du nouveau Code civil du Québec peuvent donc être utilisées dans le présent contexte sans difficulté.

22      L'article 2569 C.c.B.-C. (2479 C.c.Q.) déclare en effet que:
     Lorsque l'assurance est résiliée, l'assureur n'a droit qu'à la portion de prime acquise, calculée au jour le jour si la résiliation procède de lui, ou d'après le taux à court terme si elle procède de l'assuré. L'assureur est alors tenu de rembourser le trop-perçu.
De même, la disparition totale du risque par suite d'un événement qui ne fait pas l'objet de l'assurance oblige l'assureur à retourner à l'assuré la prime non acquise (article 2570 C.c.B.-C. (2469 C.c.Q.)).

23      Minister of National Revenue c. John Colford Contracting Company Limited, [1960] Ex. C.R. 433 aux pp. 440-41 cité avec approbation dans West Kootenay Power and Light Co. c. Canada (C.A.), [1992] 1 C.F. 732 à la p. 749; P. Dussault et N. Ratti, L'impôt sur le revenu au Canada, Éléments fondamentaux, Les Éditions Revue de Droit, Université de Sherbrooke, 1990, à la p. 7-5; V. Krishna, Income Tax Law, CGA Tax Research Centre, University of Ottawa, 1997, à la p. 117.

24      Maple Leaf Mills Ltd. v. M.N.R., [1977] 1 R.C.S. 558 à la p. 566.

25      L.R.C. 1985 (5e suppl.) c. 1, telle que modifiée.

26      La Capitale, Compagnie d'assurance générale c. Sa Majesté la Reine (1995), 95 DTC 5535 et 5587.

27      Le premier juge s'est basé sur les termes de l'alinéa 12(1)b) de la Loi qui traite "de la fourniture de service au cours de l'année" ("in respect of [...] services rendered in the course of a business in the year") pour nier la comptabilisation en 1986 des primes reçues par l'intimée après le 31 décembre 1986.

28      Maritime Telegraph and Telephone Co. c. Canada (C.A.), [1992] 1 C.F. 753 aux pp. 759-60.

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