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Date : 20180717


Dossier : A-165-17

Référence : 2018 CAF 134

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

 

 

THE ARMOUR GROUP LIMITED

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Halifax (Nouvelle-Écosse), le 24 avril 2018.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 juillet 2018.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS


Date : 20180717


Dossier : A-165-17

Référence : 2018 CAF 134

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

 

ENTRE :

 

 

THE ARMOUR GROUP LIMITED

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  La Cour est saisie de l’appel du jugement défavorable à The Armour Group Limited (AGL) rendu par le juge Paris de la Cour canadienne de l’impôt (2017 CCI 65) relativement à la contestation par AGL de la nouvelle cotisation dans laquelle lui était refusée la déduction de 2 240 000 $ déclarée en 2003 pour des frais d’annulation de bail.

[2]  Pour les motifs suivants, je rejetterais l’appel.

I.  Rappel des faits

[3]  La province de la Nouvelle-Écosse (la province) était propriétaire de certains terrains et bâtiments situés au centre‑ville de Halifax. Founders Square Limited (FSL), une filiale en propriété exclusive d’AGL, a conclu une convention de bail avec la province le 6 juillet 1984 (le bail foncier). FSL agissait également à titre de nue-fiduciaire pour AGL au cours des périodes visées par le présent appel. Outre le bail foncier, FSL avait convenu de réaménager le bien et de construire un immeuble de bureaux. La superficie louable totale du nouvel immeuble et des bâtiments existants devait s’élever à 200 600 pieds carrés. Selon les modalités du bail foncier, le loyer à la charge de FSL devait être de 100 000 $ par année pendant 10 ans et un pourcentage du revenu brut pour les 70 années restantes de la durée du bail. La durée totale du bail foncier était de 80 ans. À la fin du bail, le bien devait redevenir la propriété de la province. Le bien a été réaménagé, et l’immeuble de bureaux a été construit.

[4]  Dans les conventions conclues entre FSL et la province, cette dernière avait convenu de louer 50 000 pieds carrés de locaux à bureaux pendant une période de 30 ans. Initialement, la province a loué cette superficie; or, au début des années 1990, la superficie qu’elle louait est passée à moins de 50 000 pieds carrés. FSL a intenté une action en Cour suprême de la Nouvelle-Écosse au motif que la province n’avait pas respecté les modalités de la convention. Avant la résolution du litige qui a suivi, FSL et la province sont parvenues à un règlement amiable daté du 21 février 2003 afin de régler leurs différends. Dans le règlement amiable, la province a reconnu qu’elle devait verser à FSL 4 456 250 $. Elle a convenu de payer la somme forfaitaire de 2 056 250 $, laissant ainsi un solde de 2 400 000 $. Dans le règlement amiable, la province a accordé à FSL une option lui permettant d’acquérir le bien à sa juste valeur marchande qui s’élevait, selon ce qui a été convenu, à 2 400 000 $. Par conséquent, si FSL levait l’option d’achat du bien, le prix d’achat de 2 400 000 $ serait affecté en compensation des 2 400 000 $ dus par la province.

[5]  La province a accordé une option d’achat à FSL le 20 mars 2003. L’option reflétait les modalités de la convention de règlement et, plus précisément, le paragraphe 7 indique que si l’option était levée, les 2 400 000 $ versés en contrepartie de l’achat du bien seraient crédités et déduits du solde de 2 400 000 $ que la province devait payer à FSL au titre du règlement amiable. Le paragraphe 3 de l’option précise également ce qui suit :

[traduction]

Le titre du bien doit être un titre marchand et être libre et quitte de toute charge, à l’exception d’un bail foncier daté du 6 juillet 1984 conclu entre Sa Majesté et Founders Square Limited et à l’exception de l’enregistrement prévu par la Heritage Property Act [R.S.N.S. 1989, ch. 199].

(Dossier d’appel, p. 132)

[6]  Aux termes des attendus de l’option, la cession visait également le bail foncier et le terme « bien » s’entend des terrains (y compris les bâtiments) et du bail foncier. La partie de l’option où sont précisées les modalités de la convention d’achat-vente du bien qui découlerait de la levée de l’option ne contient aucune mention distincte de la cession du bail foncier. Les modalités ne font mention que de la vente du bien.

[7]  Le 10 juin 2003, FSL a cédé ses droits en application de l’option à Armour Developments Limited (ADL), une autre filiale en propriété exclusive d’AGL (la convention de transfert). Dans le cadre de la convention de transfert, FSL a transféré à ADL 160 000 $ des 2 400 000 $ du passif résiduel de la province au titre du règlement amiable. En outre, dans le cadre de la convention de transfert, ADL a convenu que, dès que FSL deviendrait propriétaire des terrains, elle lui accorderait un bail foncier selon les mêmes modalités et conditions que celles contenues dans le bail foncier conclu entre FSL et la province, sauf que le loyer passerait de 100 000 $ à 10 $ par année. Le bail conclu entre ADL et FSL (comme le prévoyait la convention de transfert) est daté du 11 juillet 2003 (dossier d’appel, p. 162), et les modalités de ce bail, prévues à l’article 3.01 de ce dernier, sont entrées en vigueur le 11 juillet 2003. Cette date est antérieure à celle de l’acte (19 septembre 2003).

[8]  Aux termes de la convention de transfert, FSL a convenu de transférer [traduction] « à ADL la totalité de son droit, de son titre et de son intérêt à l’égard de l’option d’achat des terrains » (dossier d’appel, p. 135). La mention de « terrains » figure dans l’attendu suivant de la convention de transfert :

[traduction]

ATTENDU :

[...]

2.  qu’en application d’une option d’achat dont une copie certifiée constitue l’Annexe B ci-jointe, Founders [FSL] a le droit d’acheter les terrains précisément décrits à l’Annexe C ci-jointe (les terrains).

[9]  Les terrains sont les mêmes que ceux décrits dans l’option. Il ne fait aucun doute que les terrains comprennent les bâtiments qui y sont situés (ce qui concorde avec l’alinéa 13d) de la Conveyancing Act, R.S.N.S. 1989, ch. 97). La convention de transfert ne fait aucunement mention d’une cession du bail foncier.

[10]  Le même jour (le 10 juin 2003), FSL et ADL ont levé l’option d’achat du bien auprès de la province. L’avis visant la levée de l’option exécutée par FSL indiquait que celle-ci levait l’option [traduction] « d’achat du bien visé par l’option, sauf l’intérêt transféré à ADL ».

[11]  En outre, le 10 juin 2003, FSL a envoyé à la province un avis indiquant qu’elle avait cédé à ADL ses droits en application de l’option d’achat, [traduction] « mais pas le bail daté du 6 juillet 1984, dont l’annulation concordera avec la remise de l’acte » (dossier d’appel, p. 152). Toutefois, comme il est mentionné plus haut, il n’est indiqué nulle part dans la convention de transfert que le bail foncier serait annulé.

[12]  Le 11 juin 2003, l’avocat de FSL a déclaré qu’il enverrait à la province les documents suivants :

1.  la levée de l’option d’achat visant les terrains où se trouve FSL et son exécution par celle-ci;

2.  l’avis exécuté par FSL ayant été envoyé à Sa Majesté la Reine dans lequel il est indiqué que FSL a cédé son droit à l’égard de la portion de l’option visant les terrains;

3.  la levée de l’option d’achat ayant été exécutée par ADL.

Suivant les documents envoyés, l’acte doit être remis à ADL, conformément à l’option. En ce qui concerne le bail foncier, les documents relatifs à l’option précisent qu’il ferait l’objet d’une cession simultanée entre la province et FSL.

(Dossier d’appel, p. 153)

[13]  Le 20 juin 2003, l’avocat de la province a fourni la réponse d’une ligne suivante : [traduction] « Je confirme que l’option a été levée correctement » (dossier d’appel, p. 156). Il n’y a aucune mention de la cession du bail foncier ou de l’option à ADL. Puisque l’acte exécuté par la province visait le transfert des terrains à ADL, il était raisonnable de déduire que la province consentait à ce qu’ADL achète les terrains.

[14]  Les seuls documents mentionnant la cession du bail foncier sont la lettre susmentionnée envoyée par l’avocat de FSL, une lettre datée du 8 juillet 2003 envoyée par l’avocat de la province, l’agenda de conclusion et la cession du bail. La lettre datée du 8 juillet 2003 envoyée par l’avocat de la province ne mentionne que ce qui suit au sujet de la cession du bail :

[traduction]

En ce qui concerne la contrepartie visant la cession du bail, je confirme que vous modifierez le document afin qu’il indique une contrepartie de 10 $ et toute autre contrepartie bonne et valable.

(Dossier d’appel, p. 157)

[15]  L’agenda de conclusion préparé pour [traduction] « l’achat effectué le 16 juillet 2003 du titre franc à l’égard des terrains de la province de la Nouvelle-Écosse conformément à une convention d’option datée du 20 mars 2003 » (dossier d’appel, p. 199) indique que [traduction] « l’ensemble des documents et des autres instruments et remises seront déposés et détenus en main tierce jusqu’à ce que tous les documents et instruments soient remis, auquel moment l’entiercement prendra fin, permettant ainsi de libérer simultanément les documents et instruments et de considérer la conclusion comme achevée ». Les documents énumérés dans l’agenda de conclusion comprennent l’acte de garantie et la cession de bail.

[16]  La cession de bail est datée du 22 juillet 2003 et prévoit [traduction] « qu’en contrepartie de la somme de dix dollars (10 $) et de toute autre contrepartie bonne et valable, par la présente, le locataire [FSL] cède au locateur [la province] les lieux mentionnés dans le bail et est libéré de l’ensemble de ses engagements et obligations en application du bail » (dossier d’appel, p. 200).

[17]  Le paragraphe 2.02 de cette cession de bail est libellé ainsi :

[traduction]

Les parties reconnaissent que la présente cession est exécutée et remise au même moment que l’exécution et la remise du transfert, et que la cession et le transfert devraient être déposés en main tierce jusqu’à ce qu’ils soient tous deux remis, auquel moment l’entiercement doit prendre fin, de sorte que la cession et le transfert sont libérés simultanément et que la remise de la cession et du transfert ne consiste aucunement en une fusion du titre en fief simple et du titre à bail à l’égard des terrains.

(Dossier d’appel, p. 201)

[18]  Il est difficile d’établir la date exacte de la conclusion. L’agenda de conclusion mentionne le 16 juillet 2003, la cession de bail est datée du 22 juillet 2003 et l’acte est daté du 19 septembre 2003 (dossier d’appel, p. 206). À un moment donné en 2003, la conclusion a été achevée. Dans la déclaration de revenus qu’elle a produite, AGL a demandé une déduction de 2 240 000 $ pour des frais d’annulation de bail.

II.  Décision du juge de la Cour de l’impôt

[19]  Le juge de la Cour de l’impôt a conclu qu’AGL n’avait pas démontré qu’elle avait versé à la province 2 240 000 $ en frais d’annulation de bail en 2003. Pour en arriver à cette conclusion, il a tiré une déduction défavorable au motif qu’AGL n’avait pas réussi à appeler une personne de la province à témoigner au sujet des ententes et des frais d’annulation de bail. Il a également conclu qu’il y avait eu une fusion entre le droit de tenure à bail et le titre en fief simple.

III.  Question en litige

[20]  La Cour doit décider en l’espèce si AGL a établi qu’elle a le droit de déclarer en 2003 une déduction de 2 240 000 $ pour des frais d’annulation de bail.

IV.  Norme de contrôle

[21]  La norme de contrôle à appliquer aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit (ne comportant pas de question de droit isolable) est celle de l’erreur manifeste et dominante et, aux questions de droit, celle de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33 [2002] 2 R.C.S. 235).

V.  Analyse

[22]  Bien que le juge de la Cour de l’impôt ait tiré une conclusion défavorable au motif qu’AGL n’avait pas réussi à appeler une personne de la province à témoigner afin de confirmer l’entente et qu’il ait également conclu qu’il y avait eu une fusion entre le droit de tenure à bail et le titre en fief simple, il n’est pas nécessaire à mon avis de tenir compte de ces conclusions pour régler la question en litige en l’espèce. Il suffit d’examiner les documents ayant été communiqués ainsi que les observations ayant été présentées par l’avocat d’AGL pour trancher la question en l’espèce.

[23]  AGL soutient que les deux sommes suivantes ont été affectées en compensation du solde de 2 400 000 $ dû par la province au titre du règlement amiable au moment de la conclusion de l’achat du bien :

a)  les frais d’annulation de bail de 2 240 000 $ payés par FSL pour résilier le bail;

b)  les 160 000 $ payés par ADL pour acheter les terrains.

[24]  Il est raisonnable de conclure à partir de ces observations qu’ADL, FSL et AGL souhaitaient qu’ADL (et non FSL) soit l’acheteur des terrains (y compris les bâtiments) en application de l’option. Au moment de la conclusion, la valeur estimative des bâtiments était supérieure à 14 000 000 $ (transcription de l’audience tenue devant la Cour canadienne de l’impôt, p. 58).

[25]  Au cours de l’audience, l’avocat d’AGL a affirmé à maintes reprises que la présente affaire reposait sur le fait que les documents relatifs à la conclusion avaient été déposés en main tierce et que les modalités de l’entiercement prévoyaient l’achèvement simultané des opérations. Cet aspect ressort de la lettre qu’a envoyée l’avocat de FSL, de la cession de bail de même que de l’agenda de conclusion susmentionné. Le paragraphe 31 du mémoire déposé par AGL indique que [traduction] « dans l’agenda de conclusion, les parties ont confirmé qu’un processus d’entiercement simultané était en place ». Le paragraphe cite ensuite l’extrait de l’agenda de conclusion fourni au paragraphe 15 plus haut.

[26]  Au paragraphe 32 de son mémoire, AGL s’est exprimé en ces termes :

[traduction]

Il importe de noter que l’entente de cession de bail en soi confirme ce processus d’entiercement simultané et indique expressément l’intention des parties de contrer toute fusion entre le droit de tenure à bail (détenu par FSL) et le titre en fief simple (transféré à ADL). En fait, il s’agissait du seul moyen de prévenir une fusion qui aurait été contraire à l’objectif de la cession de FSL à l’endroit d’ADL en premier lieu.

[27]  Rien n’indiquait que les parties avaient prévu que la conclusion se déroulerait dans un ordre particulier. Dans son mémoire des faits et du droit ainsi que tout au long de l’audition du présent appel, AGL a persisté à soutenir que les opérations avaient été achevées simultanément. Pendant l’audition du présent appel, notre Cour a soulevé la question du droit éventuel de la province au paiement des frais d’annulation de bail découlant de la cession du bail foncier au moment où elle a transféré le titre relatif aux terrains à ADL. Les parties ont présenté des observations écrites supplémentaires à ce sujet.

[28]  Bien qu’elle ait maintenu tout au long de l’audition du présent appel que les opérations avaient été achevées simultanément, AGL a notamment indiqué ce qui suit au paragraphe 4 des observations supplémentaires qu’elle a présentées :

[TRADUCTION]

d)  Dans cette affaire, les parties souhaitaient que l’entiercement se déroule nécessairement dans l’ordre suivant et selon les limites de son cadre protecteur : (i) cession du bail foncier lors du paiement des frais d’annulation du bail; (ii) transfert du fief simple à ADL; (iii) amélioration du nouveau bail foncier conclu entre ADL et FSL.

e)  Puisque l’entiercement permettait la remise et la conclusion simultanées de toutes les opérations, FSL a pu conserver son droit à l’égard de la location de l’immeuble; à aucun moment la validité et l’intégrité de ses ententes de sous-location avec les locataires des bureaux n’ont été compromises.

[29]  Ainsi, il semble qu’AGL soutienne que les trois opérations mentionnées à l’alinéa 4d) se sont déroulées à la fois simultanément et selon l’ordre indiqué dans cet alinéa. Toutefois, ces deux points de vue sont incompatibles. Si les opérations ont eu lieu simultanément, elles ne peuvent pas s’être déroulées selon l’ordre indiqué à l’alinéa 4d). Ce n’est pas dire que, selon le droit applicable, les opérations se sont déroulées simultanément, mais seulement que les deux points de vue sont incompatibles.

[30]  Il est toujours loisible à un tribunal judiciaire de déterminer si, selon le droit applicable, les opérations se sont déroulées de la manière proposée par une personne donnée. Même si les parties prenant part à une opération ont convenu que certaines opérations se dérouleraient simultanément, un tribunal judiciaire pourrait en décider autrement (DeGasperis Muzzo Corp. c. 951865 Ontario Inc., 35 R.P.R. (3d) 243, [2000] O.J. No. 3218, au paragraphe 14 (Cour supérieure de justice de l’Ontario), confirmée en appel dans 42 R.P.R. (3d) 63), 2001 CarswellOnt 2285 (Cour d’appel de l’Ontario)).

[31]  En l’espèce, nous examinerons les deux scénarios proposés afin de déterminer si l’un d’eux permet de conclure que des frais d’annulation de bail de 2 240 000 $ ont été versés à la province.

[32]  Dans le premier scénario, il est présumé que le bail foncier a été cédé et que les frais d’annulation de bail ont été payés immédiatement avant que les terrains soient transférés à ADL. Le « cadre protecteur de l’entiercement » n’atténuerait en rien les effets juridiques qui découleraient de ce déroulement des événements. Selon ce scénario, ADL achèterait les terrains libres de toute charge liée au bail foncier. Dans le cadre de la convention de transfert, FSL a transféré à ADL tous ses droits en application de l’option d’achat des terrains. Par conséquent, ADL était titulaire d’une option d’achat des terrains, sous réserve de la charge liée au bail foncier, laquelle correspondait à 2 400 000 $.

[33]  Aux paragraphes 27 et 28, page 201, de l’arrêt Mitsui & Co. (Canada) Ltd. c. Banque Royale du Canada, [1995] 2 R.C.S. 187, la Cour suprême du Canada a expliqué la nature d’une option :

Un contrat d’option est un avant-contrat parce qu’il précède le contrat d’achat‑vente qui résultera si l’occasion accordée par l’option est « saisie ». Une fois l’option levée, les parties remplissent leurs obligations en vertu du contrat d’option en concluant le contrat d’achat‑vente. La levée d’une option est le choix d’acquérir un bien aux conditions établies dans le contrat d’option, et équivaut à l’acceptation de l’offre irrévocable faite dans l’option. La même option ne peut être levée deux fois. La levée de l’option doit signifier l’acceptation de l’offre. Cette acceptation doit être inconditionnelle, ne doit être faite qu’une fois et doit être conforme aux conditions de l’option.

Qualification de l’option à l’article 32

La levée d’une option doit mener à un contrat d’achat‑vente ayant force obligatoire. Le mécanisme de conversion d’une option d’achat en un contrat d’achat‑vente a été décrit par lord Diplock dans l’arrêt Sudbrook Trading Estate Ltd. c. Eggleton, [1983] 1 A.C. 444 (H.L.), aux pp. 476 et 477 :

[traduction] La clause d’option ne saurait être qualifiée de simple « engagement à conclure un accord. » Il ne reste aucune condition sur laquelle les parties doivent s’entendre. En langage moderne, elle doit être qualifiée de contrat unilatéral ou conditionnel. Bien qu’elle crée, dès le départ, pour les locataires un droit qu’ils pourront, sans y être obligés, opposer aux bailleurs à une date ultérieure, elle ne donne naissance à aucune obligation légale pour ni l’une ni l’autre des parties tant et aussi longtemps que les locataires n’avisent pas par écrit les bailleurs, dans le délai imparti, de leur désir d’acheter la réversion de propriétaire franc relative au bail. Cette notification change toutefois le contrat conditionnel en un contrat synallagmatique ou bilatéral qui crée des droits et des obligations juridiques réciproques entre les bailleurs et les locataires.

[Non souligné dans l’original.]

[34]  Par conséquent, au moment de lever cette option, ADL aurait accepté l’offre de la province et aurait été tenue de payer le prix d’achat de 2 400 000 $.

[35]  AGL soutient que les 2 400 000 $ visés par l’option correspondaient à la valeur du flux des rentrées à venir découlant du bail foncier détenu par la province ainsi qu’à la valeur actuelle de l’intérêt réversif de la province à l’égard du bien. Toutefois, je suis d’avis qu’il ne s’agit pas d’une description exacte de l’option. L’option vise la « vente du bien », lequel s’entend des terrains et du bail foncier. Si le bail foncier est retiré (par suite de la cession du bail foncier), la province est alors propriétaire des terrains (y compris les bâtiments), sous réserve de leur enregistrement conformément à la Heritage Property Act uniquement. Les terrains (y compris les bâtiments) seraient toujours la propriété de la province (sans toutefois la charge liée au bien foncier) et l’option prévoirait toujours la vente de ces terrains au coût de 2 400 000 $. Rien n’indique dans l’option que le prix d’achat des terrains sans la charge liée au bail foncier serait moins élevé que 2 400 000 $.

[36]  Rien n’indique que des modifications ont été apportées aux modalités et conditions de l’option et, plus précisément, aucun document n’indique que les obligations d’ADL découlant de la levée de l’option ont changé en raison de la cession du bail foncier. Par conséquent, aucun document n’indique que le prix que devrait payer ADL pour les terrains (qui comprendraient des bâtiments d’une valeur estimative supérieure à 14 000 000 $) sans la charge liée au bail foncier passerait à 160 000 $. Ainsi, dans ce scénario, le prix d’achat que devrait payer ADL pour les terrains correspondrait vraisemblablement toujours à 2 400 000 $ (soit la somme correspondant au prix d’achat établi dans la convention d’option visant le bien), et ce prix s’ajouterait à tout autre coût se rapportant à la cession de bail que devrait payer FSL (une entité distincte).

[37]  Rien n’indique dans l’agenda de conclusion qu’une somme doive être payée au moment de la conclusion (outre le paiement déduit du prix à payer par la province conformément au règlement amiable). Or, si, comme l’a proposé AGL dans ses observations supplémentaires, le bail était cédé immédiatement avant le transfert du bien, il serait impossible de conclure qu’une autre somme, outre le prix d’achat de 2 400 000 $ prévu par l’option, a été payée par FSL ou ADL ou était due et, plus précisément, il serait impossible de conclure que des frais d’annulation de bail de 2 240 000 $ ont été payés par FSL à la province ou étaient dus. Le résultat le plus probable est qu’ADL a acheté les terrains au coût de 2 400 000 $ et que ce prix d’achat a été affecté en compensation des 2 400 000 $ dus par la province à FSL au titre du règlement amiable.

[38]  Si la cession de bail avait eu lieu avant le transfert des terrains, il y aurait eu un court laps de temps où aucun bail n’aurait été en vigueur. Or, malgré la brièveté de ce laps de temps, cela aurait été à l’encontre de l’intention clairement établie par FSL de conserver le bail (alinéa 4e) des observations supplémentaires d’AGL figurant au paragraphe 28 plus haut).

[39]  L’autre scénario proposé par AGL est que les opérations se sont déroulées simultanément. Toutefois, cette thèse n’appuierait pas la position d’AGL selon laquelle des frais d’annulation de bail de 2 240 000 $ ont été payés à la province ou lui étaient dus. Si des frais d’annulation de bail étaient dus au moment précis où la province a transféré le titre à l’égard des terrains, alors il est difficile de comprendre pourquoi la province aurait droit à ce paiement. Puisque, comme il est indiqué au paragraphe 23 plus haut, AFL estime que seuls les 160 000 $ à la charge d’ADL pour l’achat des terrains sont dus à la province (outre les frais d’annulation de bail), il appert que, sans les frais d’annulation de bail de 2 240 000 $ à payer à la province, il n’y aurait pas suffisamment de fonds à affecter en compensation des 2 400 000 $ dus par la province au titre du règlement amiable.

[40]  Le déroulement simultané des opérations ne permettrait pas non plus de déterminer la raison pour laquelle, selon la convention, la somme à la charge d’ADL par suite de la levée de l’option passerait de 2 400 000 $ à 160 000 $.

[41]  Par conséquent, aucun des scénarios ne permet de conclure que, pendant que la province était propriétaire des terrains, le bail foncier lui a été cédé au coût de 2 240 000 $.

[42]  Je suis donc d’avis que le juge de la Cour de l’impôt n’a pas tiré une conclusion erronée, comme l’indique le paragraphe 50 de ses motifs : « selon l’interprétation appropriée des conventions dont je dispose, FSL a utilisé le crédit de 2,4 millions de dollars prévu dans le règlement amiable pour payer le transfert du bien à ADL ».

[43]  Par conséquent, AGL n’a pas démontré que des frais d’annulation de bail de 2 240 000 $ ont été payés à la province ou lui étaient dus en 2003.

[44]  Je rejetterais l’appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’ac,cord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J. Woods, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 24 AVRIL 2017, DOSSIER NO 2013-3902(IT)G

DOSSIER :

A-165-17

 

INTITULÉ :

THE ARMOUR GROUP LIMITED C. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Halifax (Nouvelle-Écosse)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 avril 2018

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE WOODS

DATE DES MOTIFS :

Le 17 juillet 2018

COMPARUTIONS :

John T. Shanks

Scott R. Campbell

Virginia Jones

Pour l’appelante

THE ARMOUR GROUP LIMITED

David I. Besler

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Pour l’appelante

THE ARMOUR GROUP LIMITED

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

SA MAJESTÉ LA REINE

 

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