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Date : 20040722

Dossier : A-467-03

Référence : 2004 CAF 263

CORAM :          LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                              L'AGENCE CANADIENNE DE L'INSPECTION DES ALIMENTS

                                                                                                                                             appelante

                                                                             et

                                LE FORUM DES MAIRES DE LA PÉNINSULE ACADIENNE

                                                                                                                                                  intimé

                                                                             et

                                      LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

                                                                                                                                        intervenante

                                                                             et

                                      LA SOCIÉTÉ DES ACADIENS ET ACADIENNES DU

                                                       NOUVEAU-BRUNSWICK INC.

                                                                                                                                        intervenante

                             Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 14 juin 2004.

                                        Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2004.

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                          LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                                     LE JUGE NOËL


Date : 20040722

Dossier : A-467-03

Référence : 2004 CAF 263

CORAM :       LE JUGE EN CHEF RICHARD

LE JUGE DÉCARY

LE JUGE NOËL

ENTRE :

                     L'AGENCE CANADIENNE DE L'INSPECTION DES ALIMENTS

                                                                                                                                            appelante

                                                                             et

                        LE FORUM DES MAIRES DE LA PÉNINSULE ACADIENNE

                                                                                                                                                  intimé

                                                                             et

                                 LA COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

                                                                                                                                       intervenante

                                                                             et

                                LA SOCIÉTÉ DES ACADIENS ET ACADIENNES DU

                                                   NOUVEAU-BRUNSWICK INC.

                                                                                                                                       intervenante


                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DÉCARY

[1]                Le paragraphe 58(2) de la Loi sur les langues officielles (la Loi) permet à tout « groupe » de porter plainte devant la Commissaire aux langues officielles (la Commissaire). S'autorisant de ce paragraphe, le Forum des maires de la péninsule acadienne (le Forum ou l'intimé), en octobre 1999, s'est plaint auprès de la Commissaire de ce qu'une réorganisation administrative effectuée au Nouveau-Brunswick par l'Agence canadienne d'inspection des aliments (l'Agence) l'avait été au détriment des régions francophones du nord de la Province. Le Forum reprochait plus précisément à l'Agence d'avoir transféré quatre inspecteurs du bureau de Shippagan, dans la péninsule acadienne, au bureau de Shédiac situé dans le sud-est de la Province, d'avoir confié la supervision du bureau d'inspection des aliments pour la péninsule acadienne à un gestionnaire unilingue anglophone du bureau de Blacks Harbour et d'avoir constamment diminué, depuis les années 1990, le nombre d'employés à la division de l'inspection de Shippagan. Le Forum soutenait que les décisions prises par l'Agence avaient un impact, non seulement sur le service au public et sur la capacité de l'Agence de respecter le droit des employés du bureau de Shippagan de travailler en français, mais aussi sur l'économie de la région. Le Forum soutenait également que les décisions de l'Agence reflétaient une tendance d'érosion graduelle des services en place qui se développait dans la région (d.a. vol. 1, p. 46).


[2]                La Commissaire fit enquête et, en juillet 2001, publiait un "Rapport d'enquête sur la plainte concernant la réorganisation de l'Agence canadienne d'inspection des aliments à son bureau de Shippagan (Nouveau-Brunswick)" (le premier rapport) dont je reproduis les sections V « Conclusions et recommandations » , VI « Commentaires de l'Agence » , VII « Réaction de la Commissaire » , VIII « Commentaires des plaignants » et IX « Réaction de la Commissaire » :

V             CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Notre enquête nous a permis de confirmer les faits en ce qui concerne le transfert des quatre employés et la gestion des opérations d'inspection pour le bureau de Shippagan. Nous ne nous sommes pas attardés à tenter de justifier si les décisions prises par l'Agence, sur le plan administratif, étaient les meilleures qui soient dans les circonstances. D'une façon générale, on peut cependant avancer l'opinion qu'il y a eu une diminution constante des effectifs au bureau d'inspection de Shippagan, tant sous Pêches et Océans Canada que sous l'Agence, et que les récentes décisions de l'Agence ont été prises sans consulter la communauté minoritaire de langue officielle.

Notre enquête nous amène à conclure que les décisions prises par l'Agence ne lui permettent pas de satisfaire pleinement à ses obligations aux termes de la Partie IV de la LLO (service au public). Il se peut fort bien que les problèmes reliés à la prestation des services au public existaient avant la réduction du personnel au bureau de Shippagan et avant que ce bureau ne relève, hiérarchiquement, du bureau de Blacks Harbour. Si tel est le cas, il nous faut conclure que les récentes décisions de l'Agence n'ont pas permis de remédier à la situation.

De plus, les exigences renfermées dans la Partie VII de la LLO (engagement à favoriser le développement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement) ont été laissées pour compte. Étant donné le contexte régional et historique, particulier à la péninsule acadienne, il nous semble que la Partie VII de la LLO créait tout au moins pour l'Agence l'obligation de consulter la communauté minoritaire de langue officielle avant de prendre les décisions qu'elle a prises.

Les décisions de l'Agence se sont traduites par la disparition de quatre postes d'employés du gouvernement fédéral dans la péninsule acadienne, postes indéterminés-saisonniers et bien rémunérés. À notre avis, les décisions prises par l'Agence s'inscrivent à contre courant des efforts déployés. Les deux études dont nous avons fait état dans ce rapport ne font pas qu'exposer un problème. Elles présentent également des pistes de solutions. Parmi ces solutions, il y a celle pour la péninsule acadienne de chercher à diversifier sa base économique; les emplois reliés aux services gouvernementaux constituent, en partie du moins, la réponse à cette diversification. Le rapport Gaudet fait d'ailleurs référence à l'importance du secteur des emplois gouvernementaux en ces termes: « [...] les secteurs d'emplois dans les industries de services de soins de santé et sociaux, de l'hébergement et de la restauration, et des services gouvernementaux pourraient faire meilleure figure dans cette structure de l'emploi dans la péninsule acadienne et serviraient à mieux équilibrer et rendre par le fait même plus stables les emplois dans la région » .


La communauté de langue officielle minoritaire de la région croit que les décisions prises par l'Agence sont lourdes de conséquence parce qu'elles s'ajoutent à d'autres décisions déjà prises qui, combinées les unes aux autres, affaiblissent la structure économique locale. Parmi ces autres décisions, on peut citer celle de procéder à la fermeture du laboratoire de microbiologie de Pêches et Océans Canada à Shippagan, la réduction constante du nombre d'employés dans le bureau de Shippagan depuis les années 1990, la perte du statut de ce bureau, qui a déjà bénéficié du statut de bureau de district, la réforme de l'assurance-chômage et, d'une façon générale, la réduction continuelle des emplois gouvernementaux dans les régions rurales.

Le rapport Gaudet en fait état en ces termes : [...] Au début de la décennie, « [...] de plus en plus on voyait disparaître les emplois saisonniers et les emplois permanents, autrefois vus comme un indice de croissance et de santé économique. En autres (sic), la Péninsule Acadienne a perdu plusieurs emplois stables et bien rémunérés dans les secteurs de soins de santé, de l'enseignement, de la gestion d'usines de transformation, de la vente, etc... Évidemment, la diminution des emplois gouvernementaux, en même temps que celle du secteur des pêches, a eu des conséquences importantes sur les communautés » . (Le soulignement est le nôtre)

Étant donné les conclusions auxquelles nous sommes arrivés lors de notre enquête, la Commissaire recommande à l'Agence canadienne d'inspection des aliments, dans les six mois suivant la publication de ce rapport, de:

1.              revoir la prestation des services d'inspection dans la péninsule acadienne de telle sorte qu'ils soient offerts et disponibles dans les deux langues officielles, conformément aux exigences de la Partie IV de la Loi sur les langues officielles (LLO);

2.              s'assurer que toute décision reliée à la prestation de ces services a pour effet d'appuyer le développement de la communauté francophone et la reconnaissance et l'usage du français dans la pleine mesure de son mandat, conformément à la Partie VII de la LLO;

3.              réviser sa politique nationale sur les langues officielles pour qu'elle tienne compte de l'engagement du gouvernement énoncé à la Partie VII de la LLO.

VI             COMMENTAIRES DE L'AGENCE

D'entrée de jeu, l'Agence dit souscrire aux recommandations du rapport préliminaire et compte mettre en place les mesures nécessaires afin de se conformer aux dispositions de la Partie VII de la LLO.

Dans la section portant sur le fusionnement des services d'inspection, l'Agence aurait souhaité que l'on situe la réduction des effectifs de Pêches et Océans Canada, dans les années 1990, dans un contexte propre à son époque, à savoir que le gouvernement fédéral avait entamé une réduction majeure des effectifs de tout l'appareil fédéral, réductions qui se sont faites sentir non seulement chez Pêches et Océans Canada mais dans toutes les institutions fédérales et partout au pays.


Par ailleurs, l'Agence n'est pas d'accord avec le point de vue exprimé dans le rapport selon lequel leur décision de transfert des employés repose principalement sur l'analyse d'un secteur d'activités, soit l'inspection dans le secteur de la pêche. L'Agence fait valoir que les autres secteurs de l'inspection avaient été pris en compte avant que les employés visés par le transfert ne le leur demande. L'Agence soutient également que, contrairement au point de vue énoncé dans le rapport, il y a eu consultation dans une certaine mesure avec les représentants de la communauté de langue officielle et avec le Forum des maires de la péninsule acadienne en ce sens qu'elle a reçu entre les mois d'avril et août 1999, pas moins de 15 pièces de correspondances provenant de différente organisations (municipalités, chambres de commerce, entreprises) faisant toutes état de leurs préoccupations vis-à-vis les décisions de l'Agence concernant le bureau de Shippagan.

Au chapitre du service au public, l'Agence insiste pour faire valoir qu'en dépit de la réduction du nombre d'inspecteurs au bureau de Shippagan, elle est pleinement en mesure d'assurer la prestation des services dans les deux langues officielles grâce à la présence des cinq inspecteurs qui sont toujours en poste. Ceux-ci se sont partagés les tâches qui étaient accomplies par les employés indéterminés-saisonniers de qui les postes ont été retranchés.

En ce qui concerne la mise en oeuvre de la recommandation portant sur la Partie VII de la LLO, l'Agence voudrait obtenir des clarifications quant à la façon de se conformer à cette partie de la LLO. Elle se demande, par ailleurs, si cette recommandation s'applique pour toutes décisions futures ou s'il faut en tenir compte pour la décision qui a fait l'objet de ce rapport d'enquête.

VII            RÉACTION DE LA COMMISSAIRE

Il est vrai, comme le fait valoir l'Agence, que le gouvernement fédéral a procédé à un exercice de compression budgétaire et de réduction de l'appareil fédéral dans les années 1990. Toutefois, l'objectif de notre rapport n'était pas de faire ressortir en détails l'impact de ces réductions sur tout l'appareil gouvernemental. Notre objectif était surtout de mettre en lumière de quelle façon ces compressions avaient particulièrement affecté le bureau visé par la plainte.

Nous maintenons notre constatation selon laquelle la décision de l'Agence repose principalement sur l'analyse d'un secteur d'activités, soit l'inspection dans le secteur de la pêche. Selon la documentation à notre disposition, il appert que l'analyse coûts-bénéfices des autres secteurs de l'inspection ait été faite après que la décision de relocalisation des employés ait été prise.

Nous maintenons également notre constatation en ce qui a trait à l'absence de consultation au moment de la prise de décision de l'Agence. Le fait que l'Agence ait reçu plusieurs lettres provenant de différents groupes (municipalités, chambres de commerce, entreprises) ne constituent pas, à notre point de vue, un processus de consultation car il n'y a pas eu de discussions et d'échanges avec les signataires de ces lettres avant la prise de décision.

Au chapitre du service au public, le rapport a voulu faire ressortir que certains services d'inspection de l'Agence, dans la péninsule acadienne, étaient livrés par des employés unilingues anglophones sans égard à la préférence linguistique des usagers de ces services. Le fait que le bureau de Shippagan soit toujours en place et bénéficie de la présence de cinq inspecteurs bilingues ne changent rien à cette situation, puisque certains services d'inspection sont assurés par des employés de l'extérieur de ce bureau. Nous avons tenu à préciser que la répartition des services entre les employés présentait possiblement des lacunes au chapitre du service au public, avant la relocalisation des employés du bureau de Shippagan.


Finalement, pour ce qui est de la mise en oeuvre de l'article 41 de la LLO, il nous fera plaisir de participer, dans toute la mesure du possible, à l'élaboration du plan d'action de l'Agence et des représentants du Commissariat sont disposés à rencontrer les représentants de l'agence à ce sujet lorsque ceux-ci le jugeront opportun.

VIII          COMMENTAIRES DES PLAIGNANTS

Les plaignants sont d'avis que l'enquête couvre le sujet et que la problématique est bien décrite dans le rapport. Ils font valoir que certains aspects du rapport auraient pu être plus descriptifs, afin d'apporter un éclairage supplémentaire.

Au chapitre du fusionnement des services d'inspection, les plaignants défendent l'opinion selon laquelle le Nord de la province est désavantagé par rapport au Sud; désavantagé en termes de nombre d'employés et en termes de qualité de service. Ils font valoir que le bureau de Shippagan est celui qui a le plus long littoral à inspecter, qu'il est situé dans la région où il y a la plus grande concentration d'engins de pêche, et que c'est la région où il y a le plus de pêcheurs et d'aquaculteurs au Nouveau-Brunswick. En dépit de cette réalité, c'est le bureau qui a le moins d'employés.

Au chapitre de la réorganisation de l'Agence, les plaignants mettent en doute la décision de l'Agence de réduire le nombre d'employés au bureau de Shippagan en se basant principalement sur la revue des activités en fonction du déclin dans le secteur des pêches. Ils font valoir que ce déclin ne s'est pas fait seulement dans le Nord du Nouveau-Brunswick, mais partout dans les Maritimes et en Gaspésie. Selon eux, cet argument ne justifie pas une diminution du personnel à Shippagan, d'autant plus que l'industrie de la pêche connaît un essor important dans la péninsule acadienne depuis 1997. Ils ajoutent également que l'Agence a sous-estimé l'importance du travail d'inspection dans tous les autres secteurs d'activités industrielles de la région. L'industrie de la tourbe dans le nord de la province, précisent-ils, représente 80 p.cent de la production provinciale sans compter une effervescence sans précédent du côté de l'agro-alimentaire. Les plaignants estiment également que les coûts facturés aux utilisateurs des services leur donnent un droit de parole et un droit de regard quant aux décisions de réorganisation qui les concernent. Finalement, ils se demandent pourquoi la réorganisation a ffecté uniquement le bureau de Shippagan.

En ce qui a trait aux obligations de l'institution au chapitre de la langue de service, les plaignants se demandent pourquoi le bureau de Shippagan doit relever hiérarchiquement de celui de Blacks Harbour, le bureau qui est le plus éloigné de la péninsule acadienne. Ils font également valoir qu'il leur semble inacceptable que la péninsule acadienne bénéficie de services d'inspection par des inspecteurs unilingues anglophones, ce qui oblige les gens de la péninsule à utiliser l'anglais.

Les plaignants ont finalement soutenu que les recommandations étaient trop vagues et par conséquent, seraient faciles à contourner.

IX             RÉACTION DE LA COMMISSAIRE


Il ressort des commentaires des plaignants qu'ils auraient souhaité que le rapport fasse davantage ressortir les disparités pouvant exister quant à la façon dont les services de l'Agence sont offerts dans les différentes régions du Nouveau-Brunswick, et quant à la répartition des bureaux et des effectifs de l'Agence dans cette province. Bien que leur point de vue soit fort légitime, compte tenu des préoccupations qu'ils ont fait valoir en déposant leur plainte, il nous a semblé inapproprié d'orienter l'enquête sur ce plan. D'une part, cela n'aurait en rien modifié les conclusions auxquelles nous sommes arrivés. D'autre part, c'eut été entrer dans des considérations de nature administrative.

Essentiellement, l'enquête devait nous permettre de déterminer si l'Agence, dans le cadre des décisions qu'elle a prises, avait satisfait à ses engagements aux termes de la Partie VII de la LLO. Nous sommes arrivés à la conclusion que tel n'était pas le cas. Cette conclusion ayant été acceptée par l'Agence, celle-ci devra maintenant tenir compte de la portée de la Partie VII. Les commentaires des plaignants, tout comme le contenu de notre rapport d'enquête, serviront sans doute à l'Agence dans l'établissement de son plan d'action qui sera manifestement élaboré afin de satisfaire aux engagements renfermés à la Partie VII de la LLO.

En ce qui concerne les recommandations elles-mêmes, nous croyons qu'il ne faut pas confondre les exigences de la LLO et le droit de gestion qu'ont les gestionnaires des institutions fédérales. Il nous a semblé difficile d'aller plus en détails dans nos recommandations sans empiéter sur le terrain de la prise de décisions administratives. Fort des explications et du rapport qui lui est présenté, c'est maintenant à l'Agence canadienne d'inspection des aliments de développer les solutions qui lui permettront de se conformer aux recommandations formulées dans ce rapport d'enquête. Nous en ferons éventuellement le suivi afin de vérifier l'état de leur mise en oeuvre.

                                                                         [d.a. vol. 1, pp. 53-60]

[3]                Le 28 septembre 2001, le Forum déposait en Cour fédérale « une demande en vertu de l'article 77 de la Loi sur les langues officielles » (d.a. vol. 1, p. 39).

[4]                L'objet de la demande était le suivant :

a)              Le rétablissement à la ville de Shippagan, Nouveau-Brunswick, des postes d'inspecteurs saisonniers transférés par le défendeur à la ville de Shédiac, Nouveau-Brunswick à l'automne 1999;

b)              La possibilité pour les quatre individus touchés par ce transfert de réintégrer leur poste à la ville de Shippagan s'ils le désirent et ce avec les mêmes conditions qu'ils auraient eues n'eut été du transfert;

                                                                                [d.a. vol. 1, p. 41]


[5]                Les motifs de la demande étaient les suivants :

a)              Le transfert en question a été effectué sans tenir compte des obligations du demandeur en vertu de la partie IV de la Loi sur les langues officielles;

b)              Le défendeur ne respecte pas, dans la Péninsule Acadienne, ses obligations prévues à la partie IV de la Loi sur les langues officielles;

c)              le transfert en question représente un exercice illégal de la discrétion du défendeur.

                                                                                [d.a. vol. 1, p. 41]

[6]                L'audition de la demande en Cour fédérale devait commencer le 7 janvier 2003. Elle fut ajournée au 24 mars 2003 dans les termes suivants :

Considérant les dispositions de l'article 77(4) de la Loi sur les langues officielles;

Considérant que la Cour n'a pas en main toutes les données nécessaires et qu'il est dans l'intérêt de la Justice et des parties que soit examinée avec attention l'évolution du dossier depuis la décision initiale de la défenderesse qui est l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire;

Considérant le consentement des parties;

LA COUR ORDONNE:

1)              que l'audition soit ajournée au 24 mars 2003 à 11h00 a.m. (heure d'Ottawa); les parties seront entendues par conférence téléphonique à partir d'Ottawa.

2)              que les parties ont accepté de se rencontrer d'ici le 24 mars 2003 pour évaluer les progrès réalisés, s'il y a lieu, et envisager les réparations qu'elles estiment convenables et justes, le cas échéant; et pour examiner la nécessité de présenter une preuve additionnelle lors d'une audition ultérieure qui est fixée au 14 mai 2003 à 9h30 à Fredericton, Nouveau-Brunswick, pour terminer l'audition.

                                                                     [d.a. vol. 2, pp. 415-416]

[7]                En mars 2003, la Commissaire publiait un « rapport de suivi » (le rapport de suivi) qu'elle faisait parvenir aux parties afin d'obtenir leurs commentaires. Elle concluait comme suit, relativement à sa première recommandation, qui est celle qui nous intéresse :


Il était ressorti de notre enquête que l'Agence ne respectait pas en tout temps la préférence linguistique de sa clientèle. Certains services d'inspection étaient livrés dans le territoire desservi par le bureau de Shippagan par des inspecteurs et inspectrices unilingues anglophones sans égard à la préférence linguistique des personnes utilisant ces services. À l'opposé, de la clientèle désirant être servie en français devait parfois parler anglais en appelant certains bureaux de l'Agence, ailleurs qu'à Shippagan. Nous avions nous-même constaté lors de l'enquête l'absence de services en français au bureau de Blacks Harbour. Afin de corriger la situation, l'Agence a essentiellement agi sur deux fronts, soit sur celui de la formation professionnelle et sur celui de la formation linguistique.

L'Agence a développé un plan de formation professionnelle pour ses inspecteurs et inspectrices du bureau de Shippagan, avec l'objectif que l'ensemble des services d'inspection de la région puisse dorénavant être assuré par le personnel de ce bureau. Ce plan de formation visait l'accréditation du personnel de Shippagan pour des activités d'inspection qu'il n'était pas autorisé à faire au moment de notre enquête, afin d'éviter de recourir à des inspecteurs et des inspectrices unilingues anglophones provenant d'autres régions. En février 2003, la formation est terminée à l'exception de celle d'une personne et certains examens d'accréditations sont prévus en juin. L'Agence nous assure tout de même, qu'entre temps, le personnel du bureau de Shippagan peut procéder aux inspections nécessaires sur son territoire sauf qu'il le fait sous la surveillance de personnes accréditées d'autres régions. Les vérifications faites auprès de bénéficiaires des services de l'Agence tendent à démontrer que la situation, au chapitre de la prestation des services en français pour la région desservie par le bureau de Shippagan, n'est pas encore totalement corrigée. Nous espérons que le service en français sera adéquat lorsque les accréditations nécessaires au personnel du bureau de Shippagan et la formation linguistique du personnel de Blacks Harbour sera complétée.

Un seul secteur d'inspection continuera d'être assuré par du personnel provenant de l'extérieur du territoire de Shippagan et c'est celui de l'inspection des champs de pomme de terre de semence. Cette inspection continuera d'être assurée par un inspecteur ou inspectrice bilingue de Grand-Sault compte tenu de la faible demande pour ce genre de service et de la complexité de la formation requise.

Au chapitre de la formation linguistique, l'Agence a développé un plan de formation pour le directeur et pour l'adjointe administrative du bureau de Blacks Harbour afin que ce bureau puisse éventuellement assurer la prestation des services en français. Au moment de la parution de notre rapport préliminaire, l'Agence ne peut encore garantir la prestation des services en français à ce bureau. Ainsi, les appels téléphoniques que les inspecteurs et inspectrices du bureau de Shippagan ne peuvent prendre, sont acheminés au bureau de Fredericton. Il s'agit là d'une mesure administrative qui sera en place au moins jusqu'en septembre 2003, car le plan de formation linguistique présenté ne prévoit pas que le directeur du bureau atteigne le niveau C de compétence linguistique en français avant cette date. Bien que l'on puisse conclure à des mesures positives prises par l'Agence pour corriger l'absence de services en français au bureau de Blacks Harbour, force nous est également de constater la lenteur de l'organisme à corriger la situation.


Finalement, l'Agence nous a informés de son intention de mener une consultation auprès de sa clientèle desservie par le bureau de Shippagan dont l'objectif est de mesurer son degré de satisfaction vis-à-vis la prestation des services dans la langue de leur choix. Cette consultation doit prendre place en mars 2003. Cela nous semble une excellente initiative qui permettra à l'Agence, au besoin, d'ajuster son tir si elle constatait certaines déficiences à ce chapitre.

Somme toute, en formant son personnel du bureau de Shippagan pour la quasi totalité des services d'inspection de ce territoire, l'Agence aura remédié à un volet des lacunes que nous avons constatées dans la prestation des services en français. Néanmoins, l'Agence n'a pas pris les mesures nécessaires, dans des délais appropriés, pour régler la question de l'absence de prestation de services en français au bureau de Blacks Harbour.

Degré de mise en oeuvre de la recommandation 1 : partiellement mise en oeuvre.

                                                                     [d.a. vol. 2, pp. 472-473]

Sa conclusion générale était la suivante :

La commissaire arrive à la conclusion que l'Agence a progressé dans la mise en oeuvre de ses recommandations, mais aucune d'entre elles n'a été mise en oeuvre de façon totalement satisfaisante.

En ce qui concerne la première recommandation, soit celle qui porte sur la prestation des services au public, l'Agence a réagi trop lentement pour la mettre en oeuvre. Il nous semble que le temps mis à sa disposition depuis la sortie du rapport final aurait dû permettre à l'Agence de corriger la situation de façon totalement adéquate.

                                                                              [d.a. vol. 2, p. 476]

[8]                Le 24 mars 2003, la Cour accordait un nouvel ajournement :

Les parties sont entendues en conférence téléphonique en date du 24 mars 2003 à 11h00. Les parties font rapport à la Cour de l'état d'avancement du dossier.

Suivant l'ordonnance d'ajournement rendue le 7 janvier 2003, les parties ne sont pas en mesure de représenter au tribunal les réparations qu'elles estiment convenables et justes dans le présent dossier.

Les parties ont convenu qu'il était nécessaire de présenter une preuve additionnelle, laquelle pourra être débattue lors d'une audition ultérieure.

Il appert que la Commissaire aux langues officielles a émis un rapport de suivi intérimaire et que les parties doivent y répondre de part et d'autre.

Les parties on représenté à la Cour que la date du 14 mai 2003 était un peu prématurée, compte tenu des circonstances.

CONSIDÉRANT le consentement des parties:

LA COUR ORDONNE QUE:


1.              L'audition soit ajournée au 26 mai 2003, à 17h00, heure de l'Atlantique;

2.              Les parties seront entendues par conférence téléphonique à partir de Vancouver;

3.              Entre temps, les parties vont échanger la preuve supplémentaire par affidavits et procéder aux interrogatoires sur affidavits, s'il y a lieu, d'ici au 14 mai 2003;

4.              Les parties vont continuer leurs discussions d'ici le 26 mai 2003 pour évaluer les progrès réalisés, s'il y a lieu, et envisager les réparations qu'elles estiment convenables et justes, le cas échéant.

5.              En tout état de cause, une audition ultérieure est fixée au 25 juin 2003, à 9h30, à Fredericton, Nouveau-Brunswick, pour compléter et terminer l'audition.

                                                                     [d.a. vol. 2, pp. 417-419]

[9]                En mai 2003, la Commissaire publiait un « rapport final de suivi » . Elle résume comme suit les commentaires émis par le Forum :

Le représentant du Forum des maires de la péninsule acadienne se dit généralement satisfait du contenu du rapport sauf qu'à certains égards, il aurait voulu que nous soyons plus ferme.

Du point de vue des plaignants, pour vraiment satisfaire aux exigences de l'article 41 de la Loi sur les langues officielles, le bureau de Shippagan devrait relever d'un bureau plus en mesure d'assurer la prestation des services en français que celui de Blacks Harbour et même bénéficier d'une plus grande autonomie. Ils se disent peu impressionnés des initiatives présentées par l'Agence pour justifier la mise en oeuvre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Somme toute, le Forum des maires voudrait que l'Agence fasse marche arrière et revienne sur la décision qu'elle a prise de restructurer le bureau de Shippagan.

                                                                              [d.a. vol. 2, p. 517]

et y répond de la manière suivante :

En réaction aux propos tenus par les plaignants, nous devons réitérer la position défendue dans le rapport d'enquête de juillet 2001, à savoir qu'il ne faut pas confondre les exigences de la Loi sur les langues officielles et le droit de gestion qu'ont les gestionnaires des institutions fédérales. Notre responsabilité était de déterminer si les recommandations avaient été ou non mises en oeuvre. L'Agence, tout comme les autres institutions fédérales, doit trouver ses propres solutions dans sa démarche de mise en oeuvre de nos recommandations.

                                                                              [d.a. vol. 2, p. 518]


[10]            Le 26 mai, un nouvel ajournement est autorisé :

Les parties sont entendues en conférence téléphonique en date du 26 mai 2003 à 17h00 (heure de Fredericton). Les parties font rapport à la Cour de l'état d'avancement du dossier.

Les parties ont déposé à la Cour des affidavits supplémentaires, de part et d'autre, en plus de déposer le rapport préliminaire et le rapport final de suivi de la Commissaire aux Langues Officielles.

Les parties conviennent qu'il est difficile de préciser d'un commun accord les réparations qu'elles estiment convenables et justes le cas échéant;

CONSIDÉRANT l'état d'avancement du dossier;

LA COUR ORDONNE QUE:

1.              L'audition soit ajournée au 25 juin 2003, à 9h30 a.m. à Fredericton, Nouveau-Brunswick pour compléter et terminer l'audition.

                                                                     [d.a. vol. 2, pp. 518-519]

[11]            Les parties ne s'entendent pas sur la nature des réparations et l'affaire est prise en délibéré le 25 juin 2003.

[12]            Jugement est rendu le 8 septembre 2003. La Cour fédérale accueille alors la demande ([2004] 1 R.C.F. 136) et rend l'ordonnance suivante :

[1]            La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

[2]            La décision de transférer les postes de quatre travailleurs saisonniers de Shippagan à Shédiac est annulée;

[3]            Conformément aux pouvoir d'accorder la réparation estimée convenable et juste eu égard aux circonstances, prévus au paragraphe 77(4) de la LLO :

LA COUR ORDONNE QUE:

1.              La défenderesse rétablisse les postes des quatre inspecteurs au bureau de Shippagan;

2.              La défenderesse s'assure de donner suite aux conclusions de la commissaire dans le Rapport, daté de mars 2003 et particulièrement aux recommandations 1 et 2;


3.              La prestation des services en français pour la région desservie par le bureau de Shippagan soit assurée;

4.              Les accréditations nécessaires au personnel du bureau de Shippagan et la formation linguistique du personnel de Blacks Harbour soit complétée dans un délai maximum de 12 mois de la présente ordonnance;

5.              Les engagements pris par la défenderesse dans son plan d'action proposé, soit d'entreprendre une série de consultations dans la péninsule acadienne auprès d'un large éventail des membres de la communauté de langue officielle minoritaire soit mis en oeuvre et réalisés dans un délai maximum de 12 mois de la présente ordonnance;

6.              Le tout avec dépens en faveur du demandeur.

                                                                         [d.a. vol. 1, pp. 23-25]

[13]            D'où le présent appel. Quoique l'annulation de la décision de transférer les postes à Shédiac ne fasse pas littéralement partie de la « réparation » ordonnée par le juge, je ne crois pas qu'on puisse la considérer autrement qu'une forme de réparation et c'est ainsi que je la traiterai dans les présents motifs.

Dispositions législatives pertinentes

[14]            Le débat porte sur la nature et la portée du « recours judiciaire » prévu à la partie X de la Loi (les articles 76 à 81), sur le caractère déclaratoire ou exécutoire de la partie VII et sur l'interaction entre différentes parties de la Loi. Aussi sera-t-il utile de rappeler, dans un premier temps, la structure de la Loi :

Préambule

Titre abrégé (art. 1)

Objet (art. 2)

Définitions (art. 3)

Partie I - Débats et travaux parlementaires (art. 4)

Partie II - Actes législatifs et autres (art. 5 à 13)

Partie III - Administration de la justice (art. 14 à 20)

Partie IV - Communications avec le public et prestation des services (art. 21 à 33)


Partie V - Langue de travail (art. 34 à 38)

Partie VI - Participation des canadiens d'expression française et d'expression anglaise (art. 39 et 40)

Partie VII - Promotion du français et de l'anglais (art. 41 à 45)

Partie VIII - Attributions et obligations du Conseil du Trésor en matière de langues officielles (art. 46 à 48)

Partie IX - Commissaire aux langues officielles (art. 49 à 75)

Partie X - Recours judiciaire (art. 76 à 81)

Partie XI - Dispositions générales (art. 82 à 93)

et, dans un second temps, certaines dispositions auxquelles je me référerai :

Attendu :

que la Constitution dispose que le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada et qu'ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada;

[...]

qu'il s'est engagé à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones, au titre de leur appartenance aux deux collectivités de langue officielle, et à appuyer leur développement et à promouvoir la pleine reconnaissance de l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne;

[...]

WHEREAS the Constitution of Canada provides that English and French are the official languages of Canada and have equality of status and equal rights and privileges as to their use in all institutions of the Parliament and government of Canada;

...

AND WHEREAS the Government of Canada is committed to enhancing the vitality and supporting the development of English and French linguistic minority communities, as an integral part of the two official language communities of Canada, and to fostering full recognition and use of English and French in Canadian society;

...




                             objet

2.     La présente loi a pour objet_:

a)      d'assurer le respect du français et de l'anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l'égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l'administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en oeuvre des objectifs de ces institutions;

b)     d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais;c)           de préciser les pouvoirs et les obligations des institutions fédérales en matière de langues officielles.

[...]

                  Purpose of act

2.      The purpose of this Act is to

(a)    ensure respect for English and French as the official languages of Canada and ensure equality of status and equal rights and privileges as to their use in all federal institutions, in particular with respect to their use in parliamentary proceedings, in legislative and other instruments, in the administration of justice, in communicating with or providing services to the public and in carrying out the work of federal institutions;

(b)    support the development of English and French linguistic minority communities and generally advance the equality of status and use of the English and French languages within Canadian society; and(c)              set out the powers, duties and functions of federal institutions with respect to the official languages of Canada.

...

PARTIE IV

COMMUNICATIONS AVEC LE PUBLIC ET PRESTATION DES SERVICES

Communications et services

21.    Le public a, au Canada, le droit de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services conformément à la présente partie.

22.    Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que le public puisse communiquer avec leur siège ou leur administration centrale, et en recevoir les services, dans l'une ou l'autre des langues officielles. [...]

          Dispositions générales

31.    Les dispositions de la présente partie l'emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V.

[...]

PART IV

COMMUNICATIONS WITH AND SERVICES TO THE PUBLIC

Communications and Services

21.    Any member of the public in Canada has the right to communicate with and to receive available services from federal institutions in accordance with this Part.

22.    Every federal institution has the duty to ensure that any member of the public can communicate with and obtain available services from its head or central office in either official language, ...

                          General

31.    In the event of any inconsistency between this Part and Part V, this Part prevails to the extent of the inconsistency.

...




PARTIE VII

PROMOTION DU FRANÇAIS ET DE L'ANGLAIS

41.    Le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement, ainsi qu'à promouvoir la pleine reconnaissance et l'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne.

42.    Le ministre du Patrimoine canadien, en consultation avec les autres ministres fédéraux, suscite et encourage la coordination de la mise en oeuvre par les institutions fédérales de cet engagement.

43.    (1)    Le ministre du Patrimoine canadien prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne [...]

PART VII

ADVANCEMENT OF ENGLISH AND FRENCH

41.    The Government of Canada is committed to

(a) enhancing the vitality of the English and French linguistic minority communities in Canada and supporting and assisting their development; and

(b) fostering the full recognition and use of both English and French in Canadian society.

42.    The Minister of Canadian Heritage, in consultation with other ministers of the Crown, shall encourage and promote a coordinated approach to the implementation by federal institutions of the commitments set out in section 41.

43.    (1)    The Minister of Canadian Heritage shall take such measures as that Minister considers appropriate to advance the equality of status and use of English and French in Canadian society ...

PARTIE VIII

ATTRIBUTIONS ET OBLIGATIONS DU CONSEIL DU TRÉSOR EN MATIÈRE DE LANGUES OFFICIELLES

46.    (1)    Le Conseil du Trésor est chargé de l'élaboration et de la coordination générales des principes et programmes fédéraux d'application des parties IV, V et VI dans les institutions fédérales, à l'exception du Sénat, de la Chambre des communes et de la bibliothèque du Parlement.

[...]

PART VIII

RESPONSIBILITIES AND DUTIES OF TREASURY BOARD IN RELATION TO THE OFFICIAL LANGUAGES OF CANADA

46.    (1)    The Treasury Board has responsibility for the general direction and coordination of the policies and programs of the Government of Canada relating to the implementation of Parts IV, V and VI in all federal institutions other than the Senate, the House of Commons and the Library of Parliament.

...










PARTIE IX

COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES

[...]

Plaintes et enquêtes

58.    (1)    Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le commissaire instruit toute plainte reçue - sur un acte ou une omission - et faisant état, dans l'administration d'une institution fédérale, d'un cas précis de non-reconnaissance du statut d'une langue officielle, de manquement à une loi ou un règlement fédéraux sur le statut ou l'usage des deux langues officielles ou encore à l'esprit de la présente loi et à l'intention du législateur.

(2)    Tout individu ou groupe a le droit de porter plainte devant le commissaire, indépendamment de la langue officielle parlée par le ou les plaignants.

[...]

60.    (1)    Les enquêtes menées par le commissaire sont secrètes.

(2)    Le commissaire n'est pas obligé de tenir d'audience, et nul n'est en droit d'exiger d'être entendu par lui. Toutefois, si au cours de l'enquête, il estime qu'il peut y avoir des motifs suffisants pour faire un rapport ou une recommandation susceptibles de nuire à un particulier ou à une institution fédérale, il prend, avant de clore l'enquête, les mesures indiquées pour leur donner toute possibilité de répondre aux critiques dont ils font l'objet et, à cette fin, de se faire représenter par un avocat.

[...]

63.    (1)    Au terme de l'enquête, le commissaire transmet un rapport motivé au président du Conseil du Trésor ainsi qu'à l'administrateur général ou à tout autre responsable administratif de l'institution fédérale concernée, s'il est d'avis_:

a) soit que le cas en question doit être renvoyé à celle-ci pour examen et suite à donner si nécessaire;

b) soit que des lois ou règlements ou des instructions du gouverneur en conseil ou du Conseil du Trésor devraient être reconsidérés, ou encore qu'un usage aboutissant à la violation de la présente loi ou risquant d'y aboutir devrait être modifié ou abandonné;c) soit que d'autres mesures devraient être prises.

[...]

(3)    Le commissaire peut faire les recommandations qu'il juge indiquées dans son rapport; il peut également demander aux administrateurs généraux ou aux autres responsables administratifs de l'institution fédérale concernée de lui faire savoir, dans le délai qu'il fixe, les mesures envisagées pour donner suite à ses recommandations.

64.    (1)    Au terme de l'enquête, le commissaire communique, dans le délai et de la manière qu'il juge indiqués, ses conclusions au plaignant ainsi qu'aux particuliers ou institutions fédérales qui ont exercé le droit de réponse prévu au paragraphe 60(2).

[...]

65.    (1)    Dans la situation décrite au paragraphe 63(3), le commissaire peut en outre, à son appréciation et après examen des réponses faites par l'institution fédérale concernée ou en son nom, transmettre au gouverneur en conseil un exemplaire du rapport et de ses recommandations.

[...]

(3)    Si, dans un délai raisonnable après la transmission du rapport, il n'y a pas été donné suite, à son avis, par des mesures appropriées, le commissaire peut déposer au Parlement le rapport y afférent qu'il estime indiqué.

[...]

PART IX

COMMISSIONER OF OFFICIAL LANGUAGES

...

Investigations

58.    (1)    Subject to this Act, the Commissioner shall investigate any complaint made to the Commissioner arising from any act or omission to the effect that, in any particular instance or case,

(a)    the status of an official language was not or is not being recognized,

(b)    any provision of any Act of Parliament or regulation relating to the status or use of the official languages was not or is not being complied with, or

(c)     the spirit and intent of this Act was not or is not being complied within the administration of the affairs of any federal institution.

(2)    A complaint may be made to the Commissioner by any person or group of persons, whether or not they speak, or represent a group speaking, the official language the status or use of which is at issue.

...

60.    (1)    Every investigation by the Commissioner under this Act shall be conducted in private.

(2)    It is not necessary for the Commissioner to hold any hearing and no person is entitled as of right to be heard by the Commissioner, but if at any time during the course of an investigation it appears to the Commissioner that there may be sufficient grounds to make a report or recommendation that may adversely affect any individual or any federal institution, the Commissioner shall, before completing the investigation, take every reasonable measure to give to that individual or institution a full and ample opportunity to answer any adverse allegation or criticism, and to be assisted or represented by counsel for that purpose.

...

63.    (1)    If, after carrying out an investigation under this Act, the Commissioner is of the opinion that

(a) the act or omission that was the subject of the investigation should be referred to any federal institution concerned for consideration and action if necessary,

(b) any Act or regulations thereunder, or any directive of the Governor in Council or the Treasury Board, should be reconsidered or any practice that leads or is likely to lead to a contravention of this Act should be altered or discontinued, or

(c) any other action should be taken,

the Commissioner shall report that opinion and the reasons therefor to the President of the Treasury Board and the deputy head or other administrative head of any institution concerned.

...

(3)    The Commissioner may

(a) in a report under subsection (1) make such recommendations as he thinks fit; and

(b) request the deputy head or other administrative head of the federal institution concerned to notify the Commissioner within a specified time of the action, if any, that the institution proposes to take to give effect to those recommendations.

64.    (1)    Where the Commissioner carries out an investigation pursuant to a complaint, the Commissioner shall inform the complainant and any individual by whom or on behalf of whom, or the deputy head or other administrative head of any federal institution by which or on behalf of which, an answer relating to the complaint has been made pursuant to subsection 60(2), in such manner and at such time as the Commissioner thinks proper, of the results of the investigation.

...

65.    (1)    If, within a reasonable time after a report containing recommendations under subsection 63(3) is made, adequate and appropriate action has not, in the opinion of the Commissioner, been taken thereon, the Commissioner, in his discretion and after considering any reply made by or on behalf of any federal institution concerned, may transmit a copy of the report and recommendations to the Governor in Council.

...

(3)    If, within a reasonable time after a copy of a report is transmitted to the Governor in Council under subsection (1), adequate and appropriate action has not, in the opinion of the Commissioner, been taken thereon, the Commissioner may make such report thereon to Parliament as he considers appropriate.

...




PARTIE X

RECOURS JUDICIAIRE

76.    Le tribunal visé à la présente partie est la Cour fédérale.

77.    (1) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie.

(2)    Sauf délai supérieur accordé par le tribunal sur demande présentée ou non avant l'expiration du délai normal, le recours est formé dans les soixante jours qui suivent la communication au plaignant des conclusions de l'enquête, des recommandations visées au paragraphe 64(2) ou de l'avis de refus d'ouverture ou de poursuite d'une enquête donné au titre du paragraphe 58(5).

[...]

(4)    Le tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances.

(5)    Le présent article ne porte atteinte à aucun autre droit d'action.

[...]

79.    Sont recevables en preuve dans les recours les renseignements portant sur des plaintes de même nature concernant une même institution fédérale.

80.    Le recours est entendu et jugé en procédure sommaire, conformément aux règles de pratique spéciales adoptées à cet égard en vertu de l'article 46 de la Loi sur les Cours fédérales.

[...]

PART X

COURT REMEDY

76.    In this Part, "Court" means the Federal Court.

77.    (1)    Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV or V, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part.

(2)    An application may be made under subsection (1) within sixty days after

(a)    the results of an investigation of the complaint by the Commissioner are reported to the complainant under subsection 64(1),

(b)    the complainant is informed of the recommendations of the Commissioner under subsection 64(2), or

(c)     the complainant is informed of the Commissioner's decision to refuse or cease to investigate the complaint under subsection 58(5),

or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those sixty days, fix or allow.

77(3) Application six months after complaint

...

(4)    Where, in proceedings under subsection (1), the Court concludes that a federal institution has failed to comply with this Act, the Court may grant such remedy as it considers appropriate and just in the circumstances.

(5)    Nothing in this section abrogates or derogates from any right of action a person might have other than the right of action set out in this section.

...

79.    In proceedings under this Part relating to a complaint against a federal institution, the Court may admit as evidence information relating to any similar complaint under this Act in respect of the same federal institution.

80.    An application made under section 77 shall be heard and determined in a summary manner in accordance with any special rules made in respect of such applications pursuant to section 46 of the Federal Courts Act.

...

PARTIE XI

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

82.    (1)    Les dispositions des parties qui suivent l'emportent sur les dispositions incompatibles de toute autre loi ou de tout règlement fédéraux_:

a)     partie I (Débats et travaux parlementaires);

b)     partie II (Actes législatifs et autres);

c)      partie III (Administration de la justice);

d)     partie IV (Communications avec le public et prestation des services);

e)     partie V (Langue de travail).

(2)    Le paragraphe (1) ne s'applique pas à la Loi canadienne sur les droits de la personne ni à ses règlements.

[...]

91.    Les parties IV et V n'ont pour effet d'autoriser la prise en compte des exigences relatives aux langues officielles, lors d'une dotation en personnel, que si elle s'impose objectivement pour l'exercice des fonctions en cause.

PART XI

GENERAL

82.    (1)    In the event of any inconsistency between the following Parts and any other Act of Parliament or regulation thereunder, the following Parts prevail to the extent of the inconsistency:

(a) Part I (Proceedings of Parliament);

(b) Part II (Legislative and other Instruments);

(c)    Part III (Administration of Justice);

(d) Part IV (Communications with and Services to the Public); and

(e)    Part V (Language of Work).

(2)    Subsection (1) does not apply to the Canadian Human Rights Act or any regulation made thereunder.

...

91. Nothing in Part IV or V authorizes the application of official language requirements to a particular staffing action unless those requirements are objectively required to perform the functions for which the staffing action is undertaken.


La nature du recours prévu à l'article 77

[15]            Le juge a qualifié à plusieurs reprises la procédure déposée par le Forum de « demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale » . C'est là une erreur. Le paragraphe 77(2) établit un « recours » ( « an application » dans le texte anglais) et c'est « une demande en vertu de l'article 77 de la Loi sur les langues officielles » que le Forum avait déposée. Ce recours n'est pas une demande de contrôle judiciaire, encore qu'il soit régi, sur le plan procédural, par les règles applicables à ces dernières (voir l'article 300b) des Règles de la Cour fédérale (1998)). Ce recours s'apparente, plutôt, à une action.

[16]            La Commissaire, il est important de le rappeler, n'est pas un tribunal. Elle ne rend pas de décision proprement dite; elle reçoit des plaintes, elle mène une enquête, puis elle fait un rapport qu'elle peut assortir de recommandations (para. 63(1), 63(3)). Si l'institution fédérale concernée ne donne pas suite au rapport ou aux recommandations, la Commissaire peut s'en plaindre au gouverneur en conseil (para. 65(1)) et, si ce dernier ne donne pas suite non plus, la Commissaire peut s'en plaindre au Parlement (para. 65(3)). Le remède, à ce niveau, est politique.


[17]            Pour s'assurer, toutefois, que la Loi sur les langues officielles ait des dents, que les droits ou obligations qu'elle reconnaît ou impose ne demeurent pas lettres mortes, et que les membres des minorités linguistiques officielles ne soient pas condamnés à se battre sans cesse et sans garantie au seul niveau politique, le législateur a créé un « recours » devant la Cour fédérale dont peut se prévaloir la Commissaire elle-même (art. 78) ou le plaignant (art. 77). Ce recours, dont j'examinerai l'étendue plus loin, cherche à vérifier le bien-fondé de la plainte, pas le bien-fondé du rapport de la Commissaire (para. 77(1)), et le cas échéant, à assurer une réparation convenable et juste dans les circonstances (para. 77(4)). Le rapport de la Commissaire n'en est pas moins la source ou le prétexte du recours ou, pour reprendre les mots du juge Desjardins relativement au rapport comparable que dépose le Commissaire à l'information, une condition « préalable à l'exercice du recours » (Commissaire à l'information du Canada c. Canada (Ministre de la Défense nationale) (1999), 240 N.R. 244 (C.A.F.), à la p. 255) : c'est la qualité de « plaignant » devant la Commissaire qui confère la qualité de « demandeur » devant la Cour (para. 77(1)) et c'est la date de communication du rapport qui sert de point de départ pour le calcul des délais (para. 77(2)). Le « plaignant » , selon le paragraphe 58(2), peut être un « individu » ou un « groupe » .

[18]            On voit dès lors que le recours n'a rien d'une demande de contrôle judiciaire au sens de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Il n'attaque pas en tant que telle la « décision » de l'institution fédérale. Il peut être entrepris par une personne ou un groupe qui peut n'être pas « directement touché par l'objet de la demande » (voir le para 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales). Le redressement que peut rechercher le demandeur n'est pas limité à ceux prescrits au paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour ayant de manière exceptionnelle la discrétion qu'elle « estime convenable et juste eu égard aux circonstances » (para. 77(4)). Des éléments de preuve inédits sont recevables (art. 79). L'affaire est entendue et jugée en procédure sommaire (art. 80).


[19]            Le fait que le recours prévu à la partie X s'apparente, sur le fond, à une action entraîne des conséquences importantes.

[20]            Ainsi, le juge entend l'affaire de novo et n'est pas limité à la preuve offerte lors de l'enquête de la Commissaire. Le recours est en mouvance constante en ce sens que même si le bien-fondé de la plainte est déterminé en fonction du moment de la violation alléguée, le remède, s'il en est un qui soit alors convenable et juste, doit être adapté aux circonstances qui prévalent au moment où l'affaire est mise en délibéré. Le remède variera selon que la violation perdure ou non.

[21]            Par ailleurs, les rapports de la Commissaire sont recevables en preuve, mais ils ne lient pas le juge et peuvent être contredits comme tout autre élément de preuve. Cela s'explique aisément. La Commissaire mène son enquête en secret et ses conclusions peuvent s'appuyer sur des faits que les parties concernées par la plainte n'auront pas nécessairement été en mesure de vérifier. Qui plus est, pour des raisons que je donnerai tantôt, l'objet du recours judiciaire est plus limité que celui de l'enquête par la Commissaire et il se peut que la Commissaire prenne en compte des considérations que ne pourra prendre en compte le juge. Aussi, suis-je d'accord avec la décision du juge Nadon, alors juge en première instance, dans Rogers c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (2001), 201 F.T.R. 41, qui avait conclu, après avoir accepté en preuve le rapport de la Commissaire, que :

La conclusion qu'il y a eu un manquement à la Loi dans un cas donné doit être établie par le juge, après qu'il a entendu et soupesé la preuve présentée par les deux parties.

                                                                                 [para. 40, note 8]


Je note que dans Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, le juge Gonthier avait souligné que la Commissaire aux langues officielles détenait « un mandat dont plusieurs éléments importants sont propres au rôle d'un ombudsman » (para. 37), qu'elle utilise une « approche qui [la] distingue d'une cour de justice » et qu'elle a « pour mission propre de résoudre les tensions d'une manière informelle » (para. 38).

La portée du recours prévu au paragraphe 77(1) de la Loi

et le caractère déclaratoire ou exécutoire de l'article 41 de la partie VII

[22]            L'intimé et les intervenantes soutiennent que l'article 41 de la Loi, en vertu duquel « le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada... » , confère aux membres de ces minorités des droits susceptibles d'être sanctionnés par les tribunaux et que ces droits qui se trouveraient dans la partie VII de la Loi donnent ouverture au recours prévu au paragraphe 77(1) même s'il n'y sont pas expressément mentionnés.

[23]            Je traiterai d'abord de la portée du paragraphe 77(1).


[24]            Cette Cour, dans Devinat c. Canada (Commission de l'immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 C.F. 212 (C.A.), a jugé qu'une plainte déposée en vertu de l'article 20 de la Loi, qui se trouve dans la partie III, était recevable, non pas en raison du paragraphe 77(1) de la Loi puisqu'il n'y est pas fait mention de la partie III, mais en raison du paragraphe 77(5) qui préserve tout « autre droit d'action » . L'intimé et les intervenantes nous demandent au fond de remettre en question la décision rendue dans Devinat. Or Devinat, à mon avis, est bien fondé.

[25]            Le texte du paragraphe 77(1) est clair et explicite. Le législateur a voulu que seules les plaintes visant une obligation ou un droit prévus à certains articles ou dans certaines parties de la Loi puissent faire l'objet du recours prévu dans la partie X. La suggestion de la procureure de la Commissaire à l'effet qu'il suffit qu'une plainte soit déposée en vertu des articles ou des parties de la Loi énumérés au paragraphe 77(1), pour que puisse être enclenché par le plaignant un recours visant quelque article de la Loi que ce soit, ne saurait être retenue. Non seulement le législateur aurait-il parlé pour ne rien dire en prenant le soin d'énumérer certains articles et parties de la Loi au paragraphe 77(1), mais aussi, et peut-être surtout, cette énumération est-elle tout à fait compatible avec l'intention du législateur clairement exprimée ailleurs dans la Loi de ne pas assurer à chaque article ou à chaque partie de la Loi le même statut non plus que la même protection devant les tribunaux.


[26]            Le paragraphe 82(1) est particulièrement révélateur à cet égard, puisqu'il établit la primauté de certaines parties seulement de la Loi sur toute autre loi, et la partie VII n'est pas de celles-là. Par ailleurs, l'imputabilité politique varie selon les parties de la Loi qui sont en cause, le Conseil du Trésor, par exemple, étant responsable de l'application des parties IV, V et VI (voir l'article 46) et le ministre du Patrimoine canadien, de l'application de la partie VII (voir les articles 42, 43 et 44). Selon l'article 31, les dispositions de la partie IV l'emportent sur les dispositions incompatibles de la partie V. Enfin, l'article 91 de la Loi précise qu'en matière de dotation en personnel, les parties IV et V de la Loi ne produisent pas certains effets.

[27]            Cette asymétrie de la Loi s'explique aisément quand on constate qu'elle traite aussi bien de politiques et d'engagements, que de droits et d'obligations. Le paragraphe 77(1) est lui-même des plus instructif à cet égard puisqu'il précise que les plaintes dont il traite visent non pas des articles ou des parties de la Loi en eux-mêmes, mais « une obligation ou un droit prévus » aux dits articles ou aux dites parties. Le législateur s'est donc exprimé avec beaucoup de prudence, de manière à ce que ne puissent être portés devant la Cour que ces litiges visant des obligations ou des droits. Cette prudence est d'autant plus justifiée que le pouvoir de réparation que confère le paragraphe 77(4) est d'une ampleur exceptionnelle et qu'on comprend aisément que le Parlement n'ait pas voulu permettre aux tribunaux de s'ingérer dans le domaine de politiques et d'engagements qui n'est habituellement pas de leur ressort.

[28]            J'en arrive ainsi à la conclusion que le recours prévu à l'article 77 est limité aux plaintes fondées sur les articles et parties énumérées au paragraphe 77(1).


[29]            Ce qui m'amène à traiter de l'autre argument avancé par l'intimé et les intervenantes, à savoir que l'article 41 créerait un droit ou une obligation susceptible d'être sanctionné par les tribunaux, auquel cas, à défaut du recours prévu au paragraphe 77(1) et de par le jeu du paragraphe 77(5) tel qu'interprété par Devinat, une demande de contrôle judiciaire pourrait être instituée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[30]            Un mot d'abord sur Devinat. L'article en litige était l'article 20 de la Loi, qui impose ( « shall » en anglais, le temps présent en français) l'obligation de publier une version bilingue « des décisions définitives - exposé des motifs compris - des tribunaux fédéraux » . L'existence d'une obligation ne faisait aucun doute, c'était l'existence d'un recours qui créait problème. L'article 41 ne contient pas de termes analogues.

[31]            Un mot, ensuite, sur le fait qu'en l'espèce le recours entrepris par l'intimé était un recours en vertu du paragraphe 77(4) et non une demande de contrôle judiciaire en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, et sur le fait que de toute manière le recours entrepris ne s'appuyait que sur la partie IV de la Loi et ne recherchait de remède qu'en fonction de la partie IV. Cela suffirait, en principe, pour disposer de cette partie du litige, le juge n'étant saisi ni d'une demande de contrôle judiciaire ni saisi d'une demande fondée sur la partie VII de la Loi.


[32]            Cependant, les procureurs nous ont informés à l'audience qu'en Cour fédérale le débat s'était également engagé sur la partie VII de la Loi. Comme le juge semble avoir accepté, à tort ou à raison, de traiter une partie de la demande qu'il avait devant lui et qui visait la partie IV de la Loi comme une demande de contrôle judiciaire visant un manquement à la partie VII de la Loi, il m'incombe, je pense, d'en faire autant. Cela dit, il va de soi que si cette partie de la demande qui constituerait une demande de contrôle judiciaire devait être permise puis accueillie - comme elle l'a été par le juge - le remède que la Cour pourrait accorder ne serait pas celui prévu au paragraphe 77(4) de la Loi, mais celui, plus restreint, prévu au paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[33]            L'article 41 de la Loi fait état d'un « engagement » du gouvernement fédéral ( « committed » dans le texte anglais) qui reprend à toutes fins utiles le septième attendu du préambule de la Loi. Le préambule, selon l'article 13 de la Loi d'interprétation (S.R.C., c. I-21), « fait partie du texte et en constitue les motifs » ( « shall be read as a part of the enactment intended to assist in explaining its purport and object » ). L'article 41 fait aussi écho, encore qu'en des termes non identiques, à l'objet défini à l'alinéa 2b) de la Loi.

[34]            L'article 42 confie au ministre du Patrimoine canadien la responsabilité de susciter et d'encourager « la coordination de la mise en oeuvre par les institutions fédérales de cet engagement » . L'alinéa 43(1)a) confie à ce même ministre la responsabilité de prendre « les mesures qu'il estime indiquées » pour « favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement » .

[35]            Les obligations - on le voit par l'emploi du mot « shall » dans le texte anglais - se retrouvent donc aux articles 42 et 43; elles ne se retrouvent pas à l'article 41. Elles sont par ailleurs des plus générales et vagues et se prêtent mal à l'exercice du pouvoir judiciaire.


[36]            Il est aussi intéressant de noter que l'article 41, tout comme le septième attendu et tout comme l'objet défini à l'alinéa 2b) de la Loi, utilisent des termes qui n'évoquent pas la notion d'une obligation légale, contrairement à ceux utilisés dans d'autres articles, dans l'objet défini à l'alinéa 2a) ( « assurer » , « ensure » ) et dans d'autre attendus. Et dans la mesure où il est permis de s'inspirer d'une note marginale pour interpréter une loi (voir Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4th ed., Markham, Butterworths, 2002, pp. 309-311), je constate que la note marginale qui accompagne le texte anglais de l'article 41 se lit « Government policy » .

[37]            Il faut de plus constater qu'alors que les articles ou parties de la loi mentionnés au paragraphe 77(1) ou au paragraphe 82(1) visent des documents, des actes ou des activités précises, identifiés ou identifiables (les débats parlementaires, les actes législatifs, les décisions des tribunaux, la prestation de services, la langue de travail ou la dotation en personnel), les articles et parties non mentionnés aux dits paragraphes (telles la partie VI, « participation des canadiens d'expression française et d'expression anglaise » , et la partie VII, « promotion du français et de l'anglais » ) visent plutôt des objectifs à long terme dont la réalisation dépend de l'existence d'une volonté politique.


[38]            Bref, l'intimé et les intervenantes voudraient que la Cour modifie l'article 41 de la Loi et rende mandatoire ce qui, à sa face même, n'est qu'un engagement politique et que la Cour ajoute aux paragraphes 77(1) et 82 les mots « partie VII » . Ce serait là faire violence non seulement au texte de la Loi mais aussi à l'intention explicite et implicite du Parlement d'exclure ces champs de l'intervention judiciaire.

[39]            Il est vrai que la protection des droits linguistiques constitue un objectif constitutionnel fondamental et requiert une vigilance particulière de la part des tribunaux et que ces derniers doivent interpréter avec générosité les textes qui confèrent ces droits, mais encore faut-il qu'il s'agisse de droits à protéger et non de politiques à définir. L'intimé et les intervenantes s'appuient sur de nombreux arrêts de la Cour suprême du Canada (Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministère de l'éducation), [2003] 3 R.C.S. 3; R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217) et de cette Cour (Devinat, supra, para. 24); Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), ainsi que de la Cour d'appel de l'Ontario (Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé) (2001), 56 O.R. (3d) 577), pour nous convaincre du bien-fondé de l'interprétation qu'ils proposent de la Loi sur les langues officielles.

[40]            Cependant, ce n'est pas parce qu'une loi est qualifiée de quasi-constitutionnelle que les tribunaux doivent lui faire dire ce qu'elle ne dit pas, surtout lorsque la loi, comme en l'espèce, a pris bien soin de ne pas le dire. Ainsi que le souligne le juge Gonthier, au paragraphe 25 de ses motifs dans Lavigne :

La Loi sur les langues officielles et la Loi sur la protection des renseignements personnels sont étroitement liées aux valeurs et aux droits prévus par la Constitution, ce qui explique leur statut quasi-constitutionnel reconnu par cette Cour. Ce statut n'a toutefois pas pour effet de modifier l'approche traditionnelle d'interprétation des lois, définie par E.A. Driedger dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87 :


[traduction] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Le statut quasi-constitutionnel de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur la protection des renseignements personnels est un indicateur à considérer dans leur interprétation, mais n'est pas déterminant en soi. L'utilisation par notre Cour de l'expression « quasi-constitutionnel » pour décrire ces deux lois n'a pour effet que de reconnaître leur objet particulier.

                                                                               [mon soulignement]

[41]            D'ailleurs, lorsque le juge Bastarache a établi, dans Beaulac, que

Les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l'épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada...

                                                                                             [para. 25]

                                                                                [son soulignement]

il traitait des droits linguistiques reconnus à un moment donné dans une loi :

Je conviens que l'existence d'un compromis politique n'a aucune incidence sur l'étendue des droits linguistiques. L'idée que le par. 16(3) de la Charte, qui a officialisé la notion de progression vers l'égalité des langues officielles du Canada exprimée dans l'arrêt Jones, précité, limite la portée du par. 16(1) doit également être rejetée. Ce paragraphe confirme l'égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné. L'article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi. Ce principe d'égalité réelle a une signification. Il signifie notamment que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en oeuvre et créent, en conséquence, des obligations pour l'État; voir McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, à la p. 412; Hait c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995, à la p. 1038; Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 R.C.S. 313; Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, au par. 73; Mahe, précité, à la p. 365. Il signifie également que l'exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d'accommodement.

                                                                                             [para. 24]

                                                                               [mon soulignement]


[42]            Le juge Bastarache, dans Beaulac, a ainsi établi un parallèle entre le paragraphe 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui se lit :

La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français ou de l'anglais.

et l'article 2 de la Loi sur les langues officielles. Il avait dit, plus tôt au paragraphe 25, que le paragraphe 16(3) de la Charte avait « officialisé la notion de progression vers l'égalité des langues officielles du Canada » . Or les commentaires suivants émis par la Cour d'appel de l'Ontario dans Lalonde (supra, au para. 92) relativement au paragraphe 16(3) de la Charte m'apparaissent particulièrement pertinents :

... Le paragraphe 16(3) repose sur le principe établi dans Jones c. Procureur général du Nouveau-Brunswick (1974), [1975] 2 R.C.S. 182, 45 D.L.R. (3d) 583 selon lequel la Constitution garantit un « plancher » et non un « plafond » ; il traduit l'aspiration d'une recherche de l'égalité concrète. Cette aspiration exprimée par le par. 16(3) revêt de l'importance pour interpréter la loi. Il nous semble cependant indéniable que l'effet de cette disposition est de protéger, et non pas de constitutionnaliser, les mesures prises pour faire avancer l'égalité linguistique. La portée juridique effective du par. 16(3) en est déterminée et limitée par les premiers mots : « La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures » . Le paragraphe 16(3) n'est pas attributif de droit. Il s'agit plutôt d'une disposition destinée à prévenir toute contestation d'une action gouvernementale qui sinon contreviendrait à l'art. 15 ou outrepasserait les pouvoirs législatifs d'un palier de gouvernement. Voir André Tremblay et Michel Bastarache, « Les droits linguistiques » , dans Gérald-A. Beaudoin et Ed Ratushny, dirs., Charte canadienne des droits et libertés : commentaire, 2e éd. (Toronto : Carswell, 1989), à la p. 746 :

Par cette disposition, on a vraisemblablement voulu s'assurer que le pouvoir de privilégier le français et l'anglais dans la législation ne puisse être contesté en vertu des normes anti-discriminatoires contenues à l'article 15 de la Charte. Le paragraphe 16(3) pourrait ainsi prévenir l'invalidation de mesures d'accès à l'égalité des langues officielles.

                                                                               [mon soulignement]

[43]            Power et Braën (Michel Bastarache. Language Rights in Canada, 2e éd., Montréal, Yvon Blais, 2002), au chapitre 7, page 585, abondent dans le même sens :


Part VII concerns the "advancement" of both official languages and spells out the federal government's commitment to enhancing the vitality, supporting and assisting the development of, and fostering the full recognition of both languages. A ministerial accountability framework has been established for the implementation of section 41 and 42 of Part VII. The fact that this commitment is not explicitly executory or justiciable, for instance under section 77, has been decried by official language minorities throughout Canada and has been the subject of considerable debate.

                                                               [notes en bas de page omises]

tout comme Henri Brun et Guy Tremblay dans Droit constitutionnel, 4e ed., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2002 :

... Certes, plusieurs dispositions de la nouvelle Loi (sur les langues officielles) sont libellées en termes programmatoires, confèrent des pouvoirs discrétionnaires aux autorités fédérales ou conditionnent les droits à une réglementation gouvernementale... Mais la Loi est exécutoire pour les cas où sa partie X prévoit un recours devant la Section de première instance de la Cour fédérale...

                                                                                                [p. 859]

Les dispositions en cours [dont la partie VII] sont difficilement attaquables parce qu'elles ne sont pas contraignantes par elles-mêmes...

                                                                                                [p. 860]

                                                                               [mon soulignement]


[44]            Nous rallier à l'interprétation que proposent l'intimé et les intervenantes relativement à l'article 41 de la Loi sur les langues officielles équivaudrait, à mon avis, à faire fi de l'intention clairement exprimée par le législateur et à reconnaître des droits que non seulement le Parlement n'a pas reconnus mais qu'il a de plus pris soin de ne pas reconnaître. C'est au Parlement que le débat relatif à l'article 41 doit se faire, pas devant les tribunaux. C'est d'ailleurs la voie qu'a suivie, en vain jusqu'à ce jour, le sénateur Jean-Robert Gauthier, un des plus ardents défenseurs des droits linguistiques au Canada. Ce dernier est revenu à la charge à plusieurs reprises, au cours des trois dernières années, pour faire modifier l'article 41 et le rendre exécutoire. Sa dernière tentative remonte au 11 mars dernier, lorsqu'il proposait en ces termes l'adoption en troisième lecture du projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais) :

Présentement, aucun règlement ne régit la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Par conséquent, il n'y en a aucun pour l'article 41. Une loi sans règlement est un chien de garde qui n'a pas de dents ou un chien de poche, comme on disait autrefois. Il faut donner à la loi un pouvoir exécutoire accompagné, bien sûr, de règlements. De plus, il faut permettre à la commissaire aux langues officielles d'intervenir dans tout recours aux termes de la partie VII, ce qui lui est défendu également en vertu de l'article 77(1). Elle ne peut pas nous aider et les communautés ne peuvent pas aller devant les tribunaux, parce que l'article 41 n'est pas judiciable. La commissaire aux langues officielles est donc écartée, et non de sa volonté propre, car c'est elle-même qui a recommandé que nous donnions du mordant à la loi afin qu'elle puisse nous aider. C'est ce que j'ai fait.

                                       [Débats du Sénat, 3e Session, 37e Législature,

                                                                       vol. 141, No 20, p. 540]

[45]            Le Sénat devait éventuellement adopter ce projet de loi le 11 mars 2004, mais le Parlement a été dissous avant qu'il ne soit soumis à la Chambre des communes.

[46]            Ma lecture de la Loi m'amène ainsi à la conclusion que l'article 41 est déclaratoire d'un engagement et qu'il ne crée pas de droit ou d'obligation susceptible en ce moment d'être sanctionné par les tribunaux, par quelque procédure que ce soit.

La partie IV de la Loi (Communication avec le public et prestation des services)

[47]            Cette partie est de celles qui peut être à la source d'un recours exercé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi. Les moyens invoqués dans la demande y faisaient d'ailleurs expressément allusion, et le premier objet de la demande y était implicitement relié.


[48]            Le droit dont il s'agit, dans cette partie IV, est celui du public « de communiquer avec les institutions fédérales et d'en recevoir les services conformément à la présente partie » (art. 21). Ce droit du public l'emporte, selon l'article 31, sur le droit conféré par la partie V (Langue de travail) aux agents des institutions fédérales de travailler dans l'une ou l'autre des deux langues officielles.

[49]            Il est acquis, en l'espèce, que le Forum n'a pas fondé sa demande sur une violation de la partie V (voir para. 20 des motifs du jugement de la Cour fédérale). Les personnes dont les postes ont été transférés à Shédiac n'ont pas porté plainte et elles ne sont pas non plus parties aux présentes procédures, ce qui complique à mon avis la nature du redressement qui peut être accordé si la plainte du Forum en vertu de la partie IV est jugée bien-fondée. Je ne suis pas convaincu, en effet, qu'un groupe tel le Forum, dans le cadre d'une plainte que ne vise pas la partie V et qui ne met pas en cause les titulaires des postes concernés, puisse revendiquer au nom de ces derniers le droit de réintégrer leur poste. Le juge, d'ailleurs, n'a pas accordé cette partie du redressement demandé; il a certes annulé la décision de l'Agence de transférer les postes, mais la réparation qu'il a ordonnée à cet égard est le rétablissement des postes, pas la réintégration de leurs titulaires. Le Forum n'a pas déposé d'appel incident et n'est pas revenu sur cette question dans le mémoire qu'il a déposé devant nous. Je tiendrai donc pour acquis que la réintégration des titulaires dans les postes qu'ils occupaient à Shippagan n'est plus une réparation recherchée dans le présent appel.


[50]            La lecture du premier rapport de la Commissaire illustre à quel point il est difficile, dans l'examen de la plainte, de dissocier les dispositions, exécutoires, de la partie IV et celles, déclaratoires, de l'article 41, à la partie VII. La Commissaire, bien sûr, n'a pas à se préoccuper outre mesure de ces distinctions puisque c'est un rapport assorti de recommandations qu'elle produit, et non une ordonnance assortie de réparations. Il en va tout autrement pour la Cour fédérale, dont l'examen doit porter sur le manquement aux dispositions exécutoires de la Loi. Or, le juge, ici, y est allé de nombreux commentaires sur les obligations qui découlaient selon lui de la partie VII, ce qui a eu pour effet de rendre son ordonnance ultime quelque peu confuse.

[51]            Le débat, une fois situé dans le seul contexte du manquement à une obligation imposée par la partie IV de la Loi, se simplifie considérablement. La conclusion de la Commissaire, à cet égard, est que l'Agence a manqué à son obligation de deux manières : en ne consultant par la populations francophone et en procédant à un exercice de compression budgétaire qui a mené à des lacunes dans la dispensation de certains services en français. La Commissaire précise dans son rapport qu'il ne lui appartient pas de s'immiscer « sur le terrain de la prise de décisions administratives » et de se mêler de « la répartition des bureaux et des effectifs de l'Agence » dans la province, ce qui explique que sa seule recommandation, eu égard à la partie IV de la Loi, est que l'Agence « revoie la prestation des services d'inspection dans la péninsule acadienne de telle sorte qu'ils soient offerts et disponibles dans les deux langues officielles » .


[52]            À l'instar de la Commissaire et du juge, j'estime qu'il est permis de conclure, vu la preuve au dossier, que l'Agence a réduit ses services à Shippagan sans se préoccuper de l'effet de cette réduction sur le droit de la minorité francophone de recevoir ces services en français et que la réduction des services a eu comme effet de porter atteinte au droit que l'article 21 de la Loi reconnaît à cette minorité. Il est clair, selon moi, qu'au moment où la plainte a été déposée, celle-ci était bien fondée.

[53]            Ce que l'Agence conteste, véritablement, et c'est ce qui ressort de son mémoire, n'est pas le bien-fondé de la plainte au moment où elle a été déposée, en octobre 1999, mais le choix de la réparation ordonnée par le juge en septembre 2003. Aux dires de l'Agence, la preuve devant la Cour, au moment où l'affaire a été mise en délibéré en juin 2003, établissait que les carences qui existaient au moment de la plainte avaient été corrigées. Ce qui amène l'Agence à conclure qu'aucune réparation n'est nécessaire et que l'objet de la demande est devenu théorique. L'Agence, sur ce point, se méprend sur le rôle du juge qui entend une demande fondée sur l'article 77 de la Loi sur les langues officielles. Ce rôle est de décider si la plainte était fondée au moment où elle a été déposée, pas si elle est fondée au moment du procès. Si le juge décide que la plainte était bien fondée au moment où elle a été déposée, il doit accueillir la demande et alors s'employer à définir « la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances » (para. 77(4)). Il va de soi que si les carences reprochées ont toutes été corrigées au moment du procès, et si la plainte n'est alors plus justifiée, le juge pourra choisir de n'ordonner aucune réparation, si ce n'est, par exemple, que sous forme de dépens.


[54]            Il s'ensuit que le juge a eu raison d'accueillir la demande puisqu'il était d'avis que la plainte était fondée au moment où elle avait été déposée et que l'appel devrait être rejeté dans la mesure où l'appelant demandait que l'ordonnance du juge soit cassée dans sa totalité.

[55]            Qu'en est-il, cependant, de la réparation accordée?

La réparation accordée

[56]            En vertu du paragraphe 77(4) de la Loi, la Cour dispose d'une très grande latitude en ce qui a trait au choix de la réparation qu'elle « estime convenable et juste eu égard aux circonstances » . Le texte de ce paragraphe étant identique à celui qu'on retrouve à l'article 24 de la Charte, il sera utile de citer ce que les juges Iacobucci et Arbour disaient au sujet de l'article 24 dans Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3 :

... cette interprétation [téléologique] comporte au moins deux exigences, à savoir, premièrement, favoriser la réalisation de l'objet du droit garanti (les tribunaux sont tenus d'accorder des réparations adaptées à la situation) et, deuxièmement, favoriser la réalisation de l'objet des dispositions réparatrices (les tribunaux sont tenus d'accorder des réparations efficaces).

                                                           [para. 25, souligné dans le texte]


[57]            Les juges Iacobucci et Arbour s'employaient ensuite à définir l'expression « convenable et juste eu égard aux circonstances » . Leur analyse s'étend sur plusieurs pages. S'il est possible de réduire en quelques mots les principes qu'ils établissent, je dirais que la Cour doit « exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur son appréciation prudente de la nature du droit et de la violation en cause, sur les faits et sur l'application des principes juridiques pertinents » (para. 52). La solution retenue « doit être adaptée à l'expérience vécue par le demandeur et tenir compte des circonstances de la violation ou de la négation du droit en cause » (para. 55). La solution doit être efficace, réaliste, adaptée au cas d'espèce. Elle doit être respectueuse de « la séparation des fonctions entre le législatif, l'exécutif et le judiciaire » (para. 56), du rôle des tribunaux qui consiste « à trancher des différends et à accorder des réparations qui règlent la question sur laquelle portent ces différends » (para. 56), et à ne pas se lancer « dans des types de décision ou de fonction pour lesquels [ils ne sont] manifestement pas conçu[s] ou n'[ont] pas l'expertise requise » (para. 57). Elle doit être « équitable pour la partie visée par l'ordonnance » et ne « pas causer de grandes difficultés sans rapport avec la défense du droit » (para. 58).

[58]            Finalement, les juges Iacobucci et Arbour rappellent aux cours d'appel ou de révision qu'elles doivent « faire montre d'une grande déférence à l'égard de la réparation choisie par un juge de première instance et se garder de les [sic] parfaire après coup » et qu'elles ne « doivent intervenir qu'en cas d'erreur commise sur le plan du droit ou des principes par le juge de première instance » (para. 87).

[59]            À titre d'illustrations de réparations ordonnées en matière de droits linguistiques, il sera utile de consulter Lavigne c. Canada (Développement des ressources humaines), [1997] 1 C.F. 305 (1ère inst.), conf. (1998), 228 N.R. 124 (C.A.F.); Côté c. Canada (1994), 78 F.T.R. 65; Duguay c. Canada (1999), 175 F.T.R. 161; Canada (Commissaire aux langues officielles) c. Canada (Ministère de la Justice) (2001), 194 F.T.R. 181; Rogers c. Canada (Service correctionnel), [2001] 2 C.F. 586 (1ère inst.) (j. Heneghan); Rogers c. Canada (Ministère de la Défense nationale, supra (j. Nadon), para. 21.


[60]            Le juge a rendu sa décision avant que la Cour suprême du Canada ne rende la sienne dans Doucet-Boudreau. Ses motifs relativement aux réparations qu'il a retenues sont beaucoup trop sommaires pour satisfaire aux normes établies dans Doucet-Boudreau. De plus, son ordonnance de réparation a été prononcée dans un contexte juridique erroné puisqu'il s'appuyait principalement sur la partie VII de la Loi, laquelle n'est pas exécutoire. Enfin, l'ordonnance comporte « des incertitudes et des difficultés d'exécution » (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30, para. 24). Il est donc approprié que je forme ma propre opinion sur la nature de la réparation.

[61]            Le Forum demandait le rétablissement des postes à Shippagan et la possibilité pour leurs titulaires de les réintégrer. Cette deuxième demande, comme je l'ai noté plus haut, a été abandonnée en cours de route.

[62]            La Cour n'est pas limitée, dans le choix des réparations, à celles proposées par un demandeur (voir Côté, supra). Elle doit cependant se garder d'ordonner des réparations qui n'ont pas fait l'objet de débats et de preuve devant elle. Par exemple, je me vois mal, en l'espèce, m'aventurer dans l'octroi de dommages-intérêts qui n'ont pas été réclamés et qui n'ont fait l'objet d'aucune preuve. Par ailleurs, s'il appert de la preuve au dossier que la situation a changé entre le moment où une plainte a été déposée et le moment où un procès s'est terminé, une réparation qui aurait pu être appropriée au départ pourra ne l'être plus en bout d'exercice.


[63]            Le premier fondement de la plainte - l'absence de consultation - a été évacué. Il y a eu, depuis quatre ans et tout au long du procès, moult rencontres et tentatives d'en arriver à une solution satisfaisante pour tous. Je ne suis d'ailleurs pas certain qu'il y aurait eu un lien de causalité suffisant entre l'absence de consultation (si tel avait été le seul fondement de la plainte) et le transfert des postes pour justifier une ordonnance prescrivant le rétablissement de ces derniers.

[64]            Le second fondement de la plainte - la réduction des services en français - demeure litigieux. L'Agence soutient que la preuve « établit hors de tout doute qu'en 2003 [elle] avait corrigé les carences identifiées plus tôt et que le bureau de Shippagan fournissait ses services dans les deux langues officielles » (mémoire, para. 67). Le Forum soutient de son côté que tout n'est pas réglé et s'appuie pour ce dire sur le rapport de suivi final de la Commissaire et sur quatre déclarations solennelles.

[65]            La preuve du Forum relative à la violation par l'Agence de son obligation de servir le public en français, à Shippagan ou, de manière plus générale, dans la péninsule acadienne, se réduit à fort peu de choses pour ce qui est de la situation en mai 2003.

[66]            Le Forum a mis en preuve quatre déclarations solennelles, en date du 13 mai 2003, dans lesquelles les signataires décrivent la situation.


[67]            M. Jean-Yves Daigle est directeur général du Centre de recherche et développement de la Tourbe, situé au campus de Shippagan de l'Université de Moncton. Il affirme qu'il doit « utiliser la langue anglaise afin d'obtenir adéquatement le service que j'attends de l'Agence » (d.a. vol. 2, p. 492), mais il ajoute ce qui suit :

5.      Je tiens à préciser que la demande du Forum des Maires en ce qui a trait au rétablissement à Shippagan des postes d'inspecteurs saisonniers ne saurait pas régler les difficultés en matière de langue que je soulève dans le présent affidavit. J'ai remarqué que les responsables du bureau de Shippagan ne me semblent avoir aucun pouvoir de décision sur les sujets qui me concernent et le rétablissement de postes d'inspecteurs ne pourrait pas à mon avis, contribuer à améliorer la situation. Je crois qu'il faudrait que l'Agence prenne la question de la langue plus au sérieux.

                                                                              [d.a. vol. 2, p. 492]

[68]            M. Bertin Gauvin, un des inspecteurs dont le poste a été transféré à Shédiac mais qui a choisi de demeurer à Shippagan, déclare ce qui suit :

5.      J'ai entendu, à l'audience du 7 janvier 2003, l'avocat du Ministère de la Justice faire état de la situation en ce qui concerne la quantité de travail disponible dans la péninsule acadienne. Je possède des renseignements selon lesquels il y aurait du travail suffisant pour d'autres inspecteurs à Shippagan mais j'ignore pourquoi l'agence n'ajoute pas de personnel dans le section de l'inspection. Je crois que l'Agence pourrait maintenir et même développer de nouveaux emplois si elle avait l'intention de favoriser le développement de notre région et assurer la prestation de services dans les deux langues officielles. Je crois que l'agence ne prend compte que du secteur de la pêche et minimise toujours les autres secteurs d'activités économiques de notre région. De plus, à mon avis, l'agence ne tient jamais compte du fait que nous pourrions nous aussi nous déplacer dans d'autres régions pour offrir les services de l'agence et je me demande pourquoi il faut toujours que les services nous viennent des grands centres urbains et jamais de bureaux situés dans les régions.

                                                                              [d.a. vol. 2, p. 494]


[69]            M. Claude Gionet, un autre inspecteur dont le poste a été transféré à Shédiac mais qui a choisi lui aussi de demeurer à Shippagan, est contrôleur de la qualité à l'usine Pêcheries St-Paul, à Bas-Caraquet. Il déclare qu'il ne peut recevoir les rapports d'analyse des laboratoires en français que s'il en fait chaque fois la demande par écrit. Il ajoute qu'à son avis :

... l'Agence pourrait maintenir et même développer de nouveaux emplois si elle avait l'intention de favoriser le développement de notre région et assurer la prestation des services dans les deux langues officielles.

                                                                              [d.a. vol. 2, p. 496]

[70]            M. Réginald Poulin, retraité, déclare ce qui suit, en ce qui a trait à cette partie de la plainte qui est fondée sur la partie IV de la Loi :

10.    Lors de la rencontre avec l'agence, j'ai pu constater que l'agence ne possède pas la vision de ce qu'est réellement un appui à une communauté et un service adéquat dans la langue de son choix. Les représentants de l'agence nous ont indiqué sincèrement croire que les démarches entreprises jusqu'à cette date étaient suffisantes pour rencontrer les exigences de la loi, tant en ce qui concerne la partie IV, pour le service au public, que sur le plan de la partie VII, au sujet de l'appui à la communauté.

11.    À l'appui de l'affirmation qui précède, je peux relater que l'agence nous a dit faire des efforts pour contribuer au développement de notre communauté en ayant embauché une employée d'été à ses bureaux de Shippagan et en ayant ouvert un poste à terme à temps partiel pour assurer le soutien administratif. Ce genre d'initiatives étant suffisant, de leur point de vue, pour rencontrer les exigences de la loi. J'ai l'impression qu'on se moque de nous.

...

13.    Lors des cette rencontre avec l'agence, la première que j'ai personnellement eue l'occasion d'avoir à ce sujet, j'ai aussi appris que les postes touchés par la restructuration du bureau de Shippagan et qui font l'objet de cette instance, avaient été abolis et non transférés à Shédiac. Il y avait, à la même époque, une pénurie de personnel à Shédiac. À mon avis, ces faits nouveaux renforcent notre position à l'effet que les postes auraient pu être maintenus à Shippagan et que le bureau de l'agence situé dans notre communauté aurait pu contribuer à notre épanouissement en offrant depuis le bureau de Shippagan, certains services à la région du sud-est. Des ex-employés de l'agence m'on affirmé, et je le crois sincèrement, que l'agence avait l'habitude de faire appel à des inspecteurs d'ailleurs pour certains services dans notre région, je ne vois pas pourquoi il n'aurait pas été possible d'en faire autant avec des employés de notre région qui auraient rendus des services ailleurs.

...


18.    Je suis satisfait des constatations de la Commissaire ainsi que de ses conclusions en ce qui a trait à la mise en oeuvre des recommandations. Je suis particulièrement d'accord avec le commentaire de la Commissaire à l'effet que l'agence, tout comme les autres institutions fédérales, doit trouver ses propres solutions dans sa démarche de mise en oeuvre des recommandations qu'elle fait. Je crois fermement que des organismes comme le nôtre ne peuvent que prendre connaissance de la situation et réclamer des mesures de redressement lorsqu'il s'avère nécessaire de le faire.

19.    À la lumière de ce que j'ai entendu des représentants du défendeur et lu dans le rapport du Commissaire, et puisque les défendeurs n'ont rien de plus à offrir, je confirme que le demandeur tient toujours à ce que soit rendu une ordonnance selon laquelle les postes d'inspecteurs saisonniers soient rétablis à la ville de Shippagan. Il semble que ce soit la mesure de redressement la plus appropriée à notre demande puisque l'impact de cette ordonnance sur notre communauté serait réelle et mesurable. La Cour devrait annuler la décision de réorganisation du bureau de Shippagan en raison du fait qu'elle n'est pas conforme à la Loi sur les langues officielles et inconstitutionnelle étant contraire à la Charte. En alternative, une compensation monétaire pourrait être accordée pour compenser l'effet de l'impact économique de la perte de ces emplois sur notre région.

                                                                     [d.a. vol. 2, pp. 498-501]

[71]            À l'appui de sa déclaration, M. Gauvin dépose le rapport final de suivi reçu la veille de la Commissaire. J'ai cité des extraits de ce rapport et de celui qui l'a précédé aux paragraphes 7 et 9 des présents motifs.

[72]            L'Agence, de son côté, déposait la déclaration assermentée le 12 mai 2003, de Claudine Bourque, gestionnaire en ressources humaines du secteur Atlantique de l'Agence. Madame Bourque affirme ce qui suit :

7.      Suite à l'ordonnance émise par Monsieur le juge Blais le 7 janvier 2003 dans ce dossier, l'Agence a mis sur pied deux comités, soit un comité de direction dont je fais partie, et un comité de travail, afin de déterminer et confirmer que le service offert aux industries de la péninsule Acadienne réglementées par l'Agence est offert en français et en anglais basé sur la demande de la partie réglementée.

8.      Le comité de travail mentionné ci-haut avait comme tâche principale de finaliser la liste de tous les programmes d'inspection de la péninsule Acadienne qui tombent sous la responsabilité du bureau de Shippagan en indiquant la partie réglementée, l'inspecteur primaire dans le domaine et l'expert conseil dans le domaine au Nouveau-Brunswick.


9.      Lors de cette revue, le comité de travail m'avisait et je crois être vrai, que certains des experts conseils assignés à aider les parties réglementées de la péninsule Acadienne n'étaient pas bilingues. Suite à ceci, l'Agence a changé certains de ces experts conseils afin de s'assurer que ces derniers qui offrent un service à des gens de la péninsule Acadienne soient tous bilingues. Veuillez trouver ci-inclus à l'Annexe 'A' une liste de tous les programmes réglementés par l'Agence dans la péninsule Acadienne, les parties réglementées affectées, la liste des inspecteurs et experts conseils assignés ainsi que leur désignation linguistique.

10.    Afin de déterminer s'il y avait encore des lacunes au niveau de l'offre d'un service bilingue offert aux parties réglementées dans la région de la péninsule Acadienne, l'Agence, par l'entremise de Roland Cormier, un employé de l'Agence, a procédé en février 2003, à faire une sondage auprès de plusieurs parties réglementées dans la péninsule Acadienne. Veuillez trouver ci-joint à l'Annexe 'B' une copie des questions utilisées pour faire ce sondage, et à l'Annexe 'C' une copie des parties réglementées par l'Agence avec lesquelles Monsieur Cormier a eu des discussions ou qu'il a essayé de rejoindre.

11.    Suite à des discussions avec Roland Cormier concernant les résultats de son sondage, et tel que constaté par le comité de travail, l'Agence devait adresser la capacité des experts conseils à offrir un service bilingue, ce qui a été fait. Voir l'Annexe 'A' ci-inclus. En plus, Monsieur Cormier m'a fait parvenir un compte rendu par courrier électronique qui est ci-inclus à l'Annexe 'D'.

12.    Pour ce qui s'agit du problème soulevé par certaines des parties réglementées que des rapports de laboratoire ne comportaient que des commentaires anglais, ces rapports de laboratoire ne sont pas censés être utilisés ou distribués à l'extérieur de l'Agence.

13.    Vu le fait que les rapports de laboratoire se retrouvent parfois parmi les parties réglementées, Madame Susan Shaw, Directrice du laboratoire de Dartmouth qui est responsable pour la majorité des tests d'échantillonnages provenant des produits des parties réglementées de la péninsule Acadienne, m'avise et je crois être vrai, que le laboratoire a maintenant un système en place pour s'assurer que les rapports parvenant du laboratoire soient dans la langue du choix de l'inspecteur et de la partie réglementée, s'il y a lieu...

14.    Tel qu'expliqué par Monsieur Régis Bourque lors de son contre-interrogatoire le 4 février 2002, et dont les pages 23 et 24 de ce contre-interrogatoire sont inclus en tant qu'Annexe 'E' à cet affidavit, la majorité du travail fait par les inspecteurs de l'Agence au bureau de Shippagan est relié au poisson.

15.    Vu le fait que les inspecteurs du bureau de l'Agence à Shippagan offrent maintenant le service pour la majorité des programmes aux parties réglementées dans la péninsule Acadienne, et vu le fait qu'il y a une demande pour des services en français de la part de ces parties réglementées, les inspecteurs ont dû suivre de la formation pour être capable d'offrir le service. Veuillez trouver ci-inclus à l'Annexe 'F' une liste de formation sur le terrain des inspecteurs de Shippagan par programme et activité...

                                                                     [d.a. vol. 2, pp. 421-422]


[73]            À l'appui de l'affidavit de madame Bourque se trouve un rapport sur le sondage dont elle avait fait état :

En général, il n'y a pas de problèmes avec l'habilité de nos inspecteurs locaux en ce qui concerne la livraison de services en français et même en anglais. Il en va de même pour les échanges de correspondance entre le bureau local et le client. Par contre, la situation change quand le client doit s'adresser à une personne cadre ou technique du bureau régional, du secteur ou national. Il est parfois difficile [de] faire une consultation en français ou avec une personne de l'agence qui maîtrise bien le français adéquatement. Les employées d'usine doivent souvent passer par un interlocuteur afin de bien comprendre les concepts techniques qu'on leur explique. Deux clients ont aussi présenté des rapports de laboratoire qui ne comportaient que des commentaires anglais. À l'exception d'un programme en particulier où la version anglaise est toujours envoyée plusieurs jours avant la version française, les clients reçoivent leur correspondance et documentation technique de l'agence dans les deux langues. Les clients ont souvent mentionné qu'ils ont souvent besoin de la documentation anglaise afin de répondre au besoin du marché. Le site Internet de l'Agence a été souligné par un de nos clients comme étant une source d'information technique bilingue de premier choix, en particulier le poisson.

Des éléments secondaires à ce sondage ont aussi été soulevés par nos clients comme des lacunes plus ou moins importantes. Reconnaissant la charge de travail ardue de nos inspecteurs, nos clients ont parfois souligné le fait qu'il est difficile de rejoindre un inspecteur en cas d'urgence. Ils doivent laisser un message téléphonique et attendre quelques jours avant de recevoir une réponse d'un inspecteur. Cette situation n'est guère sérieuse à comparer au manque de visibilité de l'Agence. Plusieurs clients n'ont pas réalisé que leurs services d'inspection avaient été regroupés sous une seule Agence. Durant les conversations, l'évaluation du service en français était faite en rapport à l'ancien ministère qui avait cette responsabilité avant la création de l'Agence. On a même fait la remarque, que le bureau du MPO de Moncton a toujours fait de son mieux pour offrir les services en français. Faisant affaire avec le bureau de Saint Jean ou Ottawa, un autre client a demandé de clarifier le rôle du bureau de Moncton. Le client pensait que l'Agence n'était qu'un service de laboratoire.

                                                                              [d.a. vol. 2, p. 441]


[74]            Voilà la preuve dont dispose la Cour. J'avoue la trouver bien mince du côté du plaignant, en ce qu'elle est surtout constituée de déclarations générales ou de principes qui ne sont pas appuyés d'illustrations concrètes et qui déplorent davantage la situation économique et le manque d'emplois que la violation de droits linguistiques. En ce qui concerne un cas concret soulevé par M. Gionet - la réception de rapports d'analyse en français - il ressort du paragraphe 13 de l'affidavit de madame Bourque que l'Agence a corrigé la situation.

[75]            Pour l'essentiel, donc, les problèmes qui étaient à l'origine de la plainte ont été réglés grâce à l'intervention de la Commissaire, grâce aussi, je n'en doute pas, à la pression faite sur l'Agence par le dépôt du recours en Cour fédérale, dont il ne faut pas sous-estimer l'impact sur la volonté d'agir de l'Agence. Dans ses commentaires relatifs au rapport de suivi de mars 2003, le Forum « se dit généralement satisfait du contenu du rapport sauf qu'à certains égards, il aurait voulu que nous soyons plus fermes » . « Somme toute » , de conclure la Commissaire, « le Forum des maires voudrait que l'Agence fasse marche arrière et revienne sur la décision qu'elle a prise de restructurer le bureau de Shippagan » (supra, para. 9). Je note aussi que dans son rapport final de suivi, en mai 2003, la Commissaire indiquait son intention « de communiquer à nouveau avec l'Agence au mois de septembre 2003 afin de vérifier les progrès accomplis dans la mise en oeuvre de ces recommandations » (d.a. vol. 2, p. 516).


[76]            L'affidavit non contredit de madame Bourque, gestionnaire à l'Agence, fait état non seulement d'un effort sérieux de consultation mais aussi d'un progrès réel dans la dispense de services en français à Shippagan et dans la péninsule acadienne. Les problèmes dont fait état le sondage auquel madame Bourque renvoie de même que ceux que décrivent les témoins du Forum sont somme toute mineurs. Il est certain que la prestation de services en français connaît des ratées, mais il ne ressort pas de la preuve que ces ratées soient symptomatiques de problèmes sérieux ou de malaises profonds au sein de l'Agence. Il semble plutôt que ces ratées sont aujourd'hui - contrairement à ce qu'elles étaient avant les interventions de la Commissaire et de la Cour - d'un caractère épisodique. Il n'est plus question des manquements que je qualifierais de collectifs qui étaient à l'origine de la plainte. Il se peut que des individus soient encore, à l'occasion, lésés dans l'exercice de leurs droits linguistiques - aucune solution n'est parfaite -, auquel cas il leur est loisible de déposer auprès de la Commissaire des plaintes individuelles particularisées. En ce qui a trait, toutefois, à la plainte collective dont la Cour est ici saisie, force m'est de reconnaître que les violations qui perdurent sont à ce point épisodiques qu'elles se prêtent mal à une sanction judiciaire de l'ampleur de celle que recherchait le Forum.

[77]            La plainte ayant été à l'origine fondée, le Forum a quand même droit, en principe,

à une réparation, s'il en est une, outre l'attribution de dépens, qui soit convenable et juste eu égard aux circonstances.


[78]            Le Forum persiste à exiger le rétablissement des postes à Shippagan. Il n'est rien dans la preuve qui justifierait une telle ordonnance. Semblable ordonnance ne relève pas normalement de la fonction ou de l'expertise des tribunaux quand il ne s'agit pas de recours exercés en vertu du droit général du travail ou de recours exercés en vertu de la partie V de la Loi sur les langues officielles (Langue de travail) par un employé qui se dit lésé. Dans un contexte comme celui-ci, où la preuve démontre que la décision de transférer les postes a été prise dans le cadre de mesures de compression budgétaire et où le plaignant fonde sa plainte non seulement sur des préoccupations linguistiques mais aussi sur des préoccupations économiques et sociales, la Cour doit être consciente qu'une décision relative au rétablissement de postes relève normalement de la branche exécutive du gouvernement (voir Doucet-Boudreau, supra, paras. 56 et 57). La Cour doit donc se montrer extrêmement prudente et exiger une preuve détaillée à la fois des besoins réels du public et de la capacité budgétaire et organisationnelle de l'institution fédérale avant de s'immiscer dans sa régie interne.

[79]            Or, il n'y a rien de tel en l'espèce. On dit quatre postes comme on aurait pu dire deux ou dix. On ne connaît pas la marge de manoeuvre de l'Agence. Le seul témoin qui traite de cette question, M. Daigle, dira même que le rétablissement des postes « ne saurait pas régler les difficultés en matière de langue » (supra, para. 67). La Commissaire elle-même prend bien garde de recommander le rétablissement des postes. Elle dira, dans son premier rapport, qu' « il ne faut pas confondre les exigences de la LLO et le droit de gestion qu'ont les gestionnaires des institutions fédérales » (supra, para. 2), des propos qu'elle réitérera dans son rapport final de suivi (supra, para. 9).

[80]            Bref, au vu de la preuve, il n'a pas été établi que le rétablissement des postes à Shippagan serait une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances.

[81]            Quelle autre réparation serait réaliste, efficace, équitable et du ressort des tribunaux dans les circonstances?


[82]            Il s'agit ici d'un type de dossier qui se prête mal à des ordonnances de réparations par une cour d'appel. Le jugement de première instance a pour l'essentiel produit les effets escomptés. Les recommandations de la Commissaire font l'objet de suivis par cette dernière. L'institution fédérale concernée s'est mise au pas. Les préoccupations du plaignant débordent largement le cadre des droits linguistiques reconnus dans la Loi. Il n'est rien de concret qui puisse être ordonné qui soit utile au plaignant et passible de sanction judiciaire. (Je rappelle qu'aucuns dommages-intérêts n'ont été réclamés en l'espèce.)

[83]            Je ne vois ici d'autre réparation que d'ordonner que l'Agence paie les dépens du Forum en première instance et en appel. Le Forum a eu raison d'entreprendre son recours puisque l'Agence ne se conformait pas alors aux obligations que lui impose la Loi sur les langues officielles de servir le public en français dans la péninsule acadienne. Le Forum a eu raison de contester l'appel puisque l'Agence recherchait l'annulation d'un jugement qui, avec raison, avait jugé la plainte bien fondée. Il serait en conséquence approprié que les dépens dans les deux instances soient établis sur la base du nombre maximal d'unités de la colonne V du Tarif B.

Dispositif

[84]            Vu que la plainte originale était bien fondée, la décision du juge de la Cour fédérale d'accueillir la demande devrait être maintenue et l'appel à cet égard rejeté.


[85]            Vu que la plainte originale n'était plus fondée au moment de la mise en délibéré en Cour fédérale et vu que les réparations ordonnées par la Cour fédérale n'étaient pas convenables et justes eu égard aux circonstances, j'accueillerais l'appel à cet égard et j'infirmerais cette partie de la décision de la Cour fédérale qui annule la décision de l'Agence de transférer les postes à Shédiac et qui impose à l'Agence des réparations autres que celle de payer les dépens.

[86]            L'appelante devrait payer à l'intimé ses dépens en appel et en première instance sur la base du nombre maximal d'unités de la colonne V du Tarif B.

                                                                                                                                « Robert Décary »                            

                                                                                                                                                     j.c.a.

« Je suis d'accord.

     J. Richard, j.c. »

« Je suis d'accord.

     Marc Noël, j.c.a. »


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