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Date: 19990505


Dossier: A-520-97

Coram:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

         DANS L'AFFAIRE d'une demande de renvoi adressée à la Cour fédérale en vertu de l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à propos de trois questions de droit qui se présentent au Commissaire aux langues officielles dans le cadre de son enquête sur 63 plaintes déposées par divers plaignants depuis le 1er janvier 1996 en vertu de l'article 58 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), c. 31, (4ième supp.), concernant les transporteurs régionaux d'Air Canada.                 

ENTRE:

     AIR CANADA, AIR NOVA, AIR ONTARIO,

     AIR ALLIANCE, AIR BC LIMITED ET

     NWT AIRWAYS LIMITED

     Appelants

     - et -

     LE COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

     Intimé

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Intervenant

     Audiences tenues à Ottawa (Ontario) le mardi, 4 mai 1999

     et le mercredi, 5 mai 1999.

     Jugement rendu à l'audience à Ottawa (Ontario) le mercredi, 5 mai 1999.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR PAR:      LE JUGE DÉCARY


Date: 19990505


Dossier: A-520-97

Coram:      LE JUGE DÉCARY

         LE JUGE LÉTOURNEAU

         LE JUGE NOËL

         DANS L'AFFAIRE d'une demande de renvoi adressée à la Cour fédérale en vertu de l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, à propos de trois questions de droit qui se présentent au Commissaire aux langues officielles dans le cadre de son enquête sur 63 plaintes déposées par divers plaignants depuis le 1er janvier 1996 en vertu de l'article 58 de la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), c. 31, (4ième supp.), concernant les transporteurs régionaux d'Air Canada.                 

ENTRE:

     AIR CANADA, AIR NOVA, AIR ONTARIO,

     AIR ALLIANCE, AIR BC LIMITED ET

     NWT AIRWAYS LIMITED

     Appelants

     - et -

     LE COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

     Intimé

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Intervenant

     MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

     (Prononcés à l'audience à Ottawa (Ontario)

     le mercredi, 5 mai 1999)

LE JUGE DÉCARY

[1]      Il s'agit d'un appel logé par la Société Air Canada, Air Nova, Air Ontario, Air Alliance, Air BC Limited et NWT Airways Limited ("les appelants") à l'encontre d'une décision rendue par la Section de première instance1 refusant de rejeter de façon sommaire la demande de renvoi déposée par le commissaire aux langues officielles du Canada ("le commissaire") ainsi qu'une requête complémentaire pour directives déposée le même jour.

[2]      Les faits à l'origine du litige sont fort simples. Depuis une dizaine d'années, le commissaire a reçu de nombreuses plaintes de membres du public contre Air Canada qui visaient les transporteurs régionaux d'Air Canada. Le commissaire a cherché à enquêter sur les faits à l'origine de ces plaintes, mais Air Canada, selon les dires du commissaire, s'est systématiquement opposée à ces enquêtes pour le motif que les plaintes concernaient plutôt les transporteurs régionaux qui sont, à son avis, des entités juridiques distinctes d'Air Canada.

[3]      Vu l'impasse à laquelle menait l'attitude d'Air Canada, le commissaire a jugé opportun, le 19 mars 1997, de préparer un long rapport "concluant à la nécessité d'adresser un renvoi à la Cour fédérale" et de déposer au greffe de la Section de première instance de cette Cour une demande de renvoi en vertu de l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale2 ("la Loi") et des anciennes règles 1500 et s. de la Cour fédérale.

[4]      Cette demande de renvoi fait état du rapport susdit et invite la Cour à répondre aux trois questions suivantes:

     1)      Les filiales ou "transporteurs régionaux d'Air Canada", contrôlés à cent pour cent par la Société Air Canada (une société assujettie à la Loi sur les langues officielles (LLO) en vertu de l'article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada), sont-ils assujetties aux dispositions prévues à la LLO, et notamment à sa partie IV prévoyant les services au public, en vertu de l'article 3 de cette Loi?         
     2)      Subsidiairement et si la réponse à la première question est négative, les filiales à cent pour cent de la Société Air Canada ou "transporteurs régionaux d'Air Canada" constituent-ils des "tiers agissant pour le compte d'Air Canada" au sens de l'article 25 de la LLO?         
     3)      Si la réponse à la deuxième question est positive, la Société Air Canada doit-elle veiller, conformément à l'article 25 de la LLO, à ce que ses transporteurs régionaux respectent les obligations prévues à la partie IV de cette Loi concernant les services au public au même titre qu'elle et, si tel est le cas, quels moyens doit-elle prendre pour ce faire?         

[5]      La demande de renvoi est accompagnée d'une requête pour directives portant sur "la composition du dossier sur lequel le Renvoi sera jugé et notamment, sur la possibilité pour les parties intéressées de déposer des affidavits pour exposer les faits à l'origine de ce Renvoi"3.

[6]      La demande de renvoi fut déposée le 26 mars 1997. Plus de deux mois plus tard, les appelants déposaient une requête laconique, non appuyée d'un affidavit, dans laquelle ils demandaient le rejet sommaire de la demande de renvoi.

[7]      Il est apparu, à l'audience tenue devant madame le juge Tremblay-Lamer, en première instance, qu'à toutes fins utiles les appelants soutenaient que deux des conditions préalables à l'audition d'un renvoi n'avaient pas été remplies4, notamment que les questions soulevées n'étaient pas susceptibles de mettre fin au litige devant le commissaire et qu'aucun des faits pertinents aux questions soulevées par le renvoi n'étaient admis ou prouvés.

[8]      Le juge de première instance a refusé de rejeter sommairement la demande de renvoi. Elle l'a jugée prématurée, s'appuyant sur l'arrêt prononcé par cette Cour dans David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc.5 qui a souligné la politique de la Cour de ne permettre la présentation de requêtes en cassation à l'encontre de procédures sommaires qu'exceptionnellement, si la procédure sommaire attaquée était "manifestement irrégulière".

[9]      S'employant ensuite à vérifier si la demande de renvoi était "manifestement irrégulière", le juge s'est dite d'avis que les conditions jusqu'ici appliquées par la jurisprudence devaient être assouplies de manière à tenir compte d'amendements législatifs qui, en 1992, avaient ouvert la porte du renvoi à des "offices fédéraux" qui n'exerçaient pas de pouvoirs judiciaires ou quasi-judiciaires et à l'égard desquels il devenait par conséquent difficile d'appliquer des critères développés dans le contexte, par exemple, de débats contradictoires. Elle a ensuite conclu, eu égard à la première condition, "qu'au minimum une réponse négative permettrait de disposer du litige puisque si cette Cour concluait que la [Loi sur les langues officielles] ne peut recevoir application, le Commissaire n'ayant pas juridiction, n'aurait d'autre choix que de fermer les 63 dossiers en cause"6. Eu égard à la troisième condition, elle concluait comme suit7:

     [...] Je ne dis pas que la preuve présentement au dossier est complète et parfaite, je dis seulement qu'il sera plus approprié de formuler une objection quant à la suffisance des faits prouvés au moment où la demande de renvoi sera elle-même entendue.         

[10]      Le débat s'est simplifié devant nous. Le procureur des appelants a reconnu que si les mots "Les filiales ou "transporteurs régionaux" d'Air Canada, contrôlés à cent pour cent par la Société Air Canada" étaient remplacés par les mots "Les "transporteurs régionaux" d'Air Canada, en tant que filiales à cent pour cent de la Société Air Canada", il accepterait que la question 1 fasse l'objet d'un renvoi. Le commissaire s'est dit d'accord avec cette proposition. Il s'ensuit que le débat est clos en ce qui a trait à la question 1, laquelle se lira désormais comme suit:

     1.      Les "transporteurs régionaux" d'Air Canada, en tant que filiales à cent pour cent de la Société Air Canada (une société assujettie à la Loi sur les langues officielles (LLO) en vertu de l'article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada), sont-ils assujettis aux dispositions prévues à la LLO, et notamment à sa partie IV prévoyant les services au public, en vertu de l'article 3 de cette Loi?         

[11]      Le procureur du commissaire a, de son côté, reconnu que la question 3 ne se prêtait pas réellement à un renvoi et elle y a renoncé. La question 3 ne fait donc plus partie du dossier.

[12]      Il ne reste, par conséquent, que la question 2. Cette question, de toute évidence, suppose l'existence de certains faits, lesquels n'ont pas encore été allégués par le commissaire, non plus, évidemment, que niés par les appelants. La Cour peut supposer à ce stade que les faits que le commissaire avancera suite aux directives éventuellement émises par la Cour seront, essentiellement, ceux qu'il dit avoir découverts au cours de son enquête et dont il a fait état dans son rapport. La Cour ne peut cependant, à ce stade, supposer que ces faits seront contestés par les appelants lorsque l'occasion leur en sera donnée. Bref, la Cour ne sait pas encore s'il y aura des faits admis ou non contestés et, le cas échéant, s'ils seront suffisants pour justifier un renvoi.

[13]      Il sera utile de rappeler ici ces propos du juge Mahoney dans l'affaire Berneche c. Canada8, où c'est la règle 474 qui était en cause (adjudication sur un point de droit):

     Bien que la première exigence vise souvent une entente ou une reconnaissance des faits parce que c'est là le contexte dans lequel est étudiée la demande, ce que l'on requiert, c'est que les faits essentiels à la question de droit ne soient pas contestés. Cela n'exige pas l'accord de toutes les parties. C'est une conclusion que le juge doit tirer, et je ne vois aucune raison pour laquelle cette conclusion ne pourrait être tirée à partir de l'ensemble des plaidoiries de la partie intimée à la demande en présumant que ce qui a été plaidé est exact. Je ne vois pas non plus pourquoi une fin de non-recevoir indirecte (issue estoppel) ne peut être prise en considération lorsque l'on détermine si les faits sont contestés.         

Ces propos s'appliquent tout autant, à notre avis, avec les adaptations de circonstances, aux règles 1501 et s. (renvoi). Le bon fonctionnement de la procédure de renvoi, puisque ce dernier en l'espèce vise une question de droit et de compétence, exige qu'il n'existe pas entre les parties un débat réel quant aux faits essentiels qui serviront d'assises aux réponses que la Cour est appelée à donner. Il est par conséquent prématuré de conclure, à un moment où la Cour ignore tout de l'attitude éventuelle des appelants, que les parties ne parviendront pas à s'entendre sur un exposé conjoint des faits ou, à défaut, que le juge saisi de la demande de renvoi, après avoir vu et soupesé les éléments de preuve avancés par les parties, ne sera pas en mesure de se satisfaire qu'il a devant lui suffisamment de faits pour donner le feu vert au renvoi.

[14]      L'appel sera donc rejeté, mais sans frais puisque le commissaire n'en a pas réclamés, étant tenu pour acquis:

     1.      qu'il y aura renvoi, du consentement des parties, relativement à la question n 1, laquelle est reformulée comme suit:
         1.      Les "transporteurs régionaux" d'Air Canada, en tant que filiales à cent pour cent de la Société Air Canada (une société assujettie à la Loi sur les langues officielles (LLO) en vertu de l'article 10 de la Loi sur la participation publique au capital d'Air Canada), sont-ils assujettis aux dispositions prévues à la LLO, et notamment à sa partie IV prévoyant les services au public, en vertu de l'article 3 de cette Loi?         
     2.      que la demande de renvoi et la requête pour directives relativement à la question n 2 seront déférées à un juge de la Section de première instance pour adjudication;
     3.      que le commissaire a renoncé à poser la question n 3.

     "Robert Décary"

     j.c.a.


__________________

1      Air Canada, Re (l997), 144 F.T.R. 161.

2      L.R.C. 1985, c. F-7, telle que modifiée.

3      D.A. à la p. 39.

4      Ces conditions furent décrites par le juge Pratte dans l'affaire Immigration Act, Re (1991), 137 N.R. 64 à la p. 65 (C.A.F.) en ces termes:
     1.      la question doit en être une dont la solution peut mettre fin au litige dont le tribunal est saisi;      2.      la question doit s'être soulevée au cours de l'instance devant le tribunal qui effectue le renvoi;      3.      la question doit résulter de faits qui ont été prouvés ou admis devant le tribunal; et      4.      la question doit être renvoyée à la cour par une ordonnance du tribunal qui, en plus de formuler la question, doit relater les constatations de faits qui y ont donné naissance.
     Voir aussi In re Loi sur les relations de travail dans la Fonction publique, [1973] C.F. 604 (C.A.).

5      [1995] 1 C.F. 588 (C.A.).

6      D.A. à la p. 64.

7      Ibid. à la p. 65.

8      [1991] 3 C.F. 383 aux pp. 388-89 (C.A.), M. le juge Mahoney. Voir aussi Perera c. Canada (1998), 158 D.L.R. (4e) 341 aux pp. 347-48 (C.A.F.).

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